Vienne m'apparaissait trop sûre. Les piétons attendent que le signal soit vert pour traverser, même s'il n'y a pas une seule automobile à l'horizon. Les rues sont propres. Tout ce qui est lourd, édifices et pâtisseries, est recouvert d'une épaisse couche de crème fouettée, créant ainsi l'illusion. On ne voit pas de resquilleur dans le métro ; en tout cas, aucune infrastructure mobilière ne permet de s'en apercevoir si jamais cela arrive. Vraiment pas de raison de se méfier, si ce n'est qu'un touriste est toujours une proie potentielle, quelle que soit la grande ville !
Nous étions nombreux attablés au Café Europa. Les Polonais étaient partis, mais les camarades anglais et autrichiens sirotaient leurs bières et les Français digéraient leur goulasch. C'est probablement lorsque Walter m'a remboursé le taxi que quelqu'un m'a repéré empochant mon porte-feuilles. Pendant les trois minutes où je suis allé aux toilettes, mon manteau est resté sur le dossier de ma chaise, entouré de tout le monde. Lorsque j'ai voulu payer, l'argent avait disparu du porte-feuilles pourtant resté dans ma poche. Ce ne pouvait être que des virtuoses comme celui du sublime film de Robert Bresson que j'avais pensé revoir avant mon départ. Cela n'aurait pas changé grand chose. Personne n'a rien remarqué. Le gars aura été rapide, peut-être poussant ma chaise comme si elle était dans le passage ou aura-t-il relacé son soulier derrière elle. La serveuse avait bien noté deux types "louches" au bar derrière nous, repartis sans rien commander. Il m'a bien fallu me rendre à l'évidence.
J'ai choisi de prendre cette mésaventure avec le sourire malgré la somme transportée, plus importante que d'habitude. À quoi sert-il d'en rajouter ? Dans ce genre de situation, ma mère disait : « Plaie d'argent n'est pas mortelle ». Les voleurs, puisqu'il faut souvent un ou deux complices pour accomplir ce genre de larcin, ont eu la délicate attention de laisser le porte-feuilles contenant mes cartes de paiement, d'identité, d'assurances, de visite, etc. Ou probablement, sont-ils allés au plus facile. J'avais eu le tort de ne pas reboutonner ma poche alors que je le fais systématiquement lorsque je suis en vadrouille. Dans le métro, je vérifie discrètement avec mon avant-bras que rien ne manque ! Mon père, qui connaissait des pickpockets londoniens lorsqu'il était journaliste, m'avait averti de ne jamais indiquer où était le magot en me précipitant vérifier aussitôt l'annonce diffusée par les haut-parleurs. J'espère que mes voleurs avaient vraiment besoin de cet argent. J'ai cherché un distributeur pour ne pas rester sans liquide, mais, les jambes coupées, j'ai préféré m'allonger avec Askja, le nouveau Ian Manook qui se passe en Islande. Il n'arrive pas à la cheville de Yeruldelgger, mais lire me change les idées...