La dernière pièce de l'édifice m'empêche de dormir. Des ruines on est passés à la reconstruction, mais l'issue est encore incertaine. J'ai créé des pauses au milieu d'accumulations ivesiennes, par exemple notre déambulation enregistrée au second sous-sol du Musée d'Ethnographie de Genève. Il n'y a presque pas de musique proprement dite, mais deux petites minutes de field recording où se sont inopinément glissés d'étranges cris dont on peut imaginer la souffrance. Les Hibakushis sont les rescapés d'une catastrophe nucléaire. Les idiophones que j'ai enregistrés la veille n'avaient jamais été joués depuis leur entrée au Musée en 1952, deux cents ans avant mon histoire.
De retour à Paris, j'avais rendez-vous avec le percussionniste Sylvain Lemêtre dont j'adore la variété de timbres en plus de son style rythmique qui tire vers une danse tribale envoûtante. Chez les musiciens avec qui je travaille, je recherche toujours la richesse de leur palette. Ce ne sont pas forcément des couleurs. Ce peut être la manière de prendre les choses, un angle de vue qui varie sans cesse, comme chez le souffleur Antonin-Tri Hoang qui sera le prochain à investir le studio GRRR ou le violoniste Jean-François Vrod qui fermera le ban. L'ouverture est le moteur de l'aventure.
Sylvain a commencé par installer son incroyable set de peaux, de cymbales et de gongs. Il ne restait plus qu'à enchaîner les six pièces où il frappe, frotte ou caresse, en préservant paradoxalement l'unité de l'ensemble. Depuis le début de mon entreprise il s'agit de noyer le poisson. Oublier l'âge des archives du fantastique Fonds Constantin Brăiloiu que m'a confié Madeleine Leclair, ainsi que la virtualité d'une partie de mon instrumentation. La forme, le style, naissent de la méthode. Nous avons enregistré les morceaux dans l'ordre pour préserver la continuité dramatique. Je faisais aussi écouter à mon invité les pièces où il ne me semblait pas nécessaire qu'il intervienne. Après son départ j'ai seulement ajouté ici ou là quelques effets de réverbération pour le fondre dans l'atmosphère dramatique, en particulier pour les scènes qui se passent en extérieur.


Les pistes de percussion sur le chœur d’hommes au Congo avec harpe fourchue dyulu et bouteille frappée, et le zarb sur les deux bourrées simultanées, intitulées humoristiquement Ensemble Ratatam, m'ont permis de m'affranchir de cette pièce, la dernière qui me résistait. En propulsant la coda dans le cosmos j'ai malheureusement renvoyé l'humanité à son échec constitutionnel. Je pense donc réintégrer l'électronique lors de cette ultime tentative de s'en sortir. À l'heure qu'il est, j'ignore encore comment, mais je peux aller me recoucher, maintenant que je tiens le fil...

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