Un enfant passe, me demandant si je joue de la trompette. Échanger quelques mots sur le trottoir avec nos voisins nous sort du cadre virtuel. Ils ont pris l'habitude de boire leur café ou fumer une cigarette sur leur pas de porte. Nos arbres les abritent. Éric et Juliette sont les mieux placés pour profiter de la couleur irradiant la rue de lumière. Peut-être que les murs transpirent, nous éclairant à notre tour de ses rayons bénéfiques. On croit bien gérer la crise à son niveau, comme un passage, mais l'inconscient travaille. Un train peut en cacher un autre. Il peut arriver qu'on soit pris par surprise. Les questions sans réponses se bousculent. La trompette joue solo tandis que l'orchestre reste en coulisses, tapi, pianissimo. Deux semaines déjà. Dans quel état serons-nous dans deux mois ? Probable échéance malgré les annonces bidon du gouvernement. Pensent-ils éviter la panique d'une élastique éternité ? Pas question de revenir à avant, ni d'avaler leur gestion criminelle, encore moins leurs ordonnances cyniques et arrogantes. Ces profiteurs de guerre, puisque c'est ainsi qu'ils l'entendent, devront répondre de leurs actes. Pas question d'oublier. Face à cette gabegie chacun/e fait pour le mieux. On trouve des parades. Les fenêtres de nos smartphones s'ouvrent sur les sourires de nos êtres chers. Nous nous débrouillons tant bien que mal, mais la perspective des plus fragiles nous hante. Les vieux qu'on laisse mourir seuls, ceux qui vivent entassés, les prisonniers, le monde hospitalier, les SDF, les gens du voyage, les oubliés... Quelles que soient nos facultés de résistance, nous sommes déstabilisés par la virtualité. L'humanité expose ses limites.
On en revient à l'essentiel. Un geste. Un coup de fil. Un dessin. Le croquis de Juliette Dupuy montre bien le trompettiste peint par Ella & Pitr en costume domestique. Mais où ai-je la tête ? Ni d'autruche, ni décapitée, elle sort du cadre contraignant qui nous étouffe. Réapparaîtra-t-elle dans l'envers du décor ? S'est-elle glissée sous le toit pour découvrir des secrets de mansarde ? Ou plus loin dans les étoiles, subitement réapparues dans le ciel nocturne des villes ? La conscience vacille. Un rien déstabilise. La distanciation ouvre des champs inexplorés. Plaisir inégalé du verfremdungseffekt. On peut chercher. Encore. Nous avons le temps. Pour l'instant.