Article du 20 mai 2006

Pourquoi certaines images représentent-elles pour chacun d'entre nous certaines valeurs symboliques qui nous les font associer à telle ou telle émotion récurrente ? Pourquoi ce morceau de musique nous calme-t-il ? Ne s'imposent-ils pas seulement lorsque nous perdons pieds ? Incapables de percer l'obscurité intime qui nous encercle, nous recherchons des cordes qui puissent vibrer en sympathie avec notre état, des lignes auxquelles s'accrocher pour ne pas sombrer. Ça n'est que le rythme de la respiration, un second souffle, une main tendue. Nous nageons en plein virtuel, bien entendu.
En période de crise, quand le désespoir m'envahit, j'ai pris l'habitude d'écouter le premier mouvement de la première symphonie de Charles Ives. Heureusement cela n'arrive pas souvent. Aussi triste que du Mahler, cet allegro jouerait-il le rôle pavlovien d'une résurrection, dont le premier mouvement, toujours le premier, jadis m'inspira, titre de la seconde symphonie du sieur Gustav, comme les Métamorphoses de Strauss ? Mes choix sont-ils dictés par quelque raccourci freudien, ré mineur, le dragon renaissant de ses cendres, histoire de se rassurer, qu'il y aura bien encore cette fois une rémission, une remise de peine ?
Alors pourquoi cette photo ? Elle ne porte aucun titre. Est-ce le nuage qui remonte de la vallée au lieu de planer menaçant ou la perspective d'un ailleurs au-delà des cimes, de l'autre côté des cols ? Le souvenir de sa vitesse fulgurante ? C'est le matin. Le soleil se lève en haut à droite. Pourtant émane la même tristesse qui suit les premières mesures du chant du merle. Jour après jour. Les neiges éternelles apparaissent comme des petites cicatrices laissées par les saisons. Les arbres répondent aux roches. L'unité. Tous les temps se confondent. Pas d'histoire, juste de la géographie.