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Ici ou là on entend clamer tel ou tel chef d'œuvre, mais qu'est-ce que c'est ? Où va se nicher la subjectivité ? Existe-t-il des chefs d'œuvre incontournables ? J'ai l'habitude de penser qu'un chef d'œuvre s'évalue au nombre d'interprétations qu'il suscite. Car c'est bien d'appropriation qu'il s'agit, l'œuvre, dès lors qu'elle est achevée, n'appartenant plus à celle ou celui qui l'a commise, mais au public qui la savoure.
Les générations successives revendiquent tel ou tel chef d'œuvre. Encore faut-il le replacer dans son contexte social, historique ou géographique. Le nombre d'interprétations que je suggérais plus haut est aussi fonction du cercle où elles s'exercent. Un changement de repère s'impose alors. Pour un public restreint, par exemple les amateurs de jazz, le concept n'aura pas la même envergure qu'avec la Joconde. Qu'on apprécie le tableau de Leonardo da Vinci ou pas n'a aucune importance. Il procure à chacun/e une histoire, un rêve, une idée, une réminiscence, une invitation qui lui confère son statut de chef d'œuvre. Par contre, que l'on place A Love Supreme de John Coltrane, Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles ou Laborintus 2 de Luciano Berio comme des chefs d'œuvre ne convaincra jamais un public hermétique à ces musiques. De plus, chacun/e a son propre système de références. Ainsi je doute que Cover To Cover de Michael Snow, Die Parallele Strasse de Ferdinand Khittl, Anima de Wajdi Mouawad ou Le Trésor de la langue de René Lussier, que je considère comme des chefs d'œuvre, disent même grand chose à la plupart de mes lecteurs/trices. Si l'on a vécu ou pas à l'époque où fut créée telle ou telle œuvre joue aussi, les plus jeunes s'inventant des mythes qui n'existaient pas dans le passé, ou, au contraire, reproduisant servilement les coteries de journalistes de cette époque.
Chaque artiste peut encore revendiquer son ou ses chefs d'œuvre, les pièces qu'il ou elle trouve les plus fidèles à ses expectations. Ce n'est pas un hasard si j'ai ce sentiment avec le CD-Rom Alphabet, l'opéra Nabaz'mob ou l'album de mon Centenaire, qui furent plébiscités par la presse ou par un public plus large que d'habitude... Sans parler de ce blog au su de sa constance sur 15 ans et au nombre grandissant de ses lecteurs/trices ! On retrouve alors l'idée de chef d'œuvre des Compagnons du Devoir, pour lequel chaque artisan doit faire ses preuves... Et puis on espère toujours que le prochain sera encore meilleur !