70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 19 juin 2020

Le bonus absolu [archive]


Article du 28 novembre 2006

J'aurais préféré rédiger ce billet après avoir tout regardé, mais 18 films d'à peu près une heure, et de cette qualité, ne peuvent pas s'avaler comme une saison de 24 heures chrono. Chaque film de la série Cinéma, de notre temps a pour sujet un réalisateur et pour auteur un autre réalisateur. Pour vous mettre en haleine, une liste, simple, efficace, dans l'ordre d'apparition :
- Chantal Akerman de Chantal Akerman
- John Cassavetes de André S.Labarthe et Hubert Knapp
- Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine de Jean-Pierre Limosin
- Oliveira l'architecte de Paulo Rocha
- Abel Ferrara : Not Guilty de Rafi Pitts
- Philippe Garrel, portrait d'un artiste de Françoise Etchegaray
- HHH, Portrait de Hou Hsiao-Hsien de Olivier Assayas
- Shohei Imamura, le libre penseur de Paulo Rocha
- Aki Kaurismäki de Guy Girard
- Abbas Kiarostami, vérités et songes de Jean-Pierre Limosin
- Takeshi Kitano, l'imprévisible de Jean-Pierre Limosin
- Citizen Ken Loach de Karim Dridi
- Norman McLaren de André S.Labarthe
- Eric Rohmer, preuves à l'appui de André S.Labarthe
- Mosso Mosso (Jean Rouch comme si...) de Jean-André Fieschi
- Danièle Huillet, Jean-Marie Straub, cinéastes de Pedro Costa
- Andrei Tarkovski, une journée d'Andreï Arsenevitch de Chris Marker









Après le jeu du qui est qui ?, rappel des faits. En 1964, Janine Bazin, petit brin de femme montée sur ressorts, et André S. Labarthe, feutre et clope pendante, produisent la meilleure émission sur le cinéma qu'a jamais connue la télévision, Cinéastes de notre temps. Dans les années 70 je découvre ainsi la Première Vague (Delluc, Dulac, L’Herbier, Gance et mon préféré, Jean Epstein, par Noel Burch et Jean-André Fieschi), je vois le Cassavetes en même temps que Shadows, ce qui me donnera des clefs pour improviser. Je me souviens du Fuller monté comme un de ses films chocs (jamais pu voir Verboten depuis), Josef von Sternberg, d'un silence l'autre d'André Labarthe avec la participation de Claude Ollier (Sternberg avait refait la lumière pour s'éclairer lui-même), John Ford, entre chien et loup, l'amiral sourd comme un pot face à Labarthe hurlant et à Hubert Knapp, ou Pasolini l'enragé de Fieschi, fabuleux entretien en français. Je comprends la dimension du poète. Ces "making of" sont des leçons de cinéma incomparables. Pour une fois, on pourrait écrire sans se tromper "making off". "Faire, hors champ". Ils transmettent le savoir et la passion. Après une interruption de 17 ans, la série repart en 1989 sous le nom actuel de Cinéma, de notre temps. Plus de 80 films en tout ; la liste du livret est étonnamment incomplète. Seulement cinq femmes, Akerman, Huillet qui partage l'affiche avec Straub, Shirley Clarke, Agnès Varda et un petit bout de Germaine Dulac. Certains de ces joyaux sont déjà parus en bonus sur divers DVD : Jean Vigo de Jacques Rozier dans l'intégrale Vigo, Jean Renoir le patron : la règle et l'exception de Jacques Rivette en trois morceaux chez Criterion (ce morcellement avait mis Labarthe hors de lui), Le dinosaure et le bébé, dialogue de Fritz Lang et Jean-Luc Godard accompagnant Le secret derrière la porte, le Pasolini...
C'est vrai, cette série représente le bonus idéal, son absolu, parce qu'elle donne d'abord la parole aux auteurs. Remonter à la source est toujours le meilleur et le plus court chemin vers l'énigme ; libre à soi de se faire ensuite sa propre opinion. Documents inestimables. Second intérêt, la réalisation d'un "jeune" auteur, confronté à d'autres magiciens, produit des étincelles. Chaque film devient une œuvre à part entière dans la filmographie de celui qui la tourne. Oh, et puis je ne sais pas quoi ajouter pour inciter tous les cinéphiles à se ruer sur ce coffret de 6 DVD (mk2, 55€). Quel que soit le réalisateur, l'exercice est exemplaire. On aimerait donner mille exemples extraordinaires qui nous ont marqués à jamais. C'est trop long, mieux vaut voir les films. C'est ce que je retourne faire. Si vous êtes capables d'attendre jusqu'à Noël, c'est un cadeau de rêve !

Perspectives du XXIIe siècle (19) : enfin !


Perspectives du XXIIe siècle tombe à pic au moment où le monde semble avoir basculé dans l'absurde. C'était à prévoir. Le système s'épuise. Ce n'est ni la première, ni la dernière manifestation du dérèglement dont nous sommes les auteurs. Comment retourner les évènements en notre faveur ? Transformer une dystopie en utopie ? Avons-nous d'autre choix ?
Aujourd'hui 19 juin, c'est le 19e article que je consacre à mon nouvel album, passant allègrement du projet initial au discours de la méthode, de l'enregistrement du disque à la réalisation des clips vidéo. Ce n'est pas terminé. Je vais continuer à vous bassiner avec ce drôle d'objet puisque s'ouvre maintenant la période "promo", d'autant que d'autres clips sont en cours de réalisation et qu'il y aura des prolongations, entre autres sous la forme d'un film à l'automne.
Malgré une centaine de disques à mon actif, c'est seulement le deuxième album physique "solo" après celui de mon Centenaire, il y a exactement deux ans. Après Birgé Gorgé Shiroc en 1975 (Défense de) et surtout Un Drame Musical Instantané qui aura duré 32 ans jusqu'en 2008, après n'avoir publié presque exclusivement que des albums virtuels sur drame.org depuis le début du nouveau siècle, j'avais décidé de recommencer à fabriquer des disques. En dehors des rééditions sur vinyle ou CD, et sur différents labels, étaient sortis sur le label GRRR mon duo avec Michel Houellebecq (Établissement d'un ciel d'alternance, 2007), le trio El Strøm (Long Time No Sea, 2017) et mon Centenaire (2018). On ne peut pas dire que j'inonde le marché, si ce n'est avec le laboratoire d'improvisation, mais cette collaboration avec une vingtaine d'improvisateurs/trices zélé/e/s est sans "commercial potential" puisque offerte gratuitement en écoute et téléchargement. J'ai néanmoins l'intention de produire un double album rassemblant une pièce phare de chaque rencontre.
J'évoque un disque "solo", mais de même qu'une quinzaine de musiciens/ciennes participaient à mon Centenaire, je suis cette fois épaulé par quatre musiciens exceptionnels, le corniste Nicolas Chedmail, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, le violoniste Jean-François Vrod et le percussionniste Sylvain Lemêtre. Ma fille Elsa fait une petite apparition et dix-huit survivants de 2152 interviennent, chacun/e dans sa langue maternelle.
Survivants de de 2152 ? Si vous n'avez pas suivi cette drôle d'aventure, il s'agit d'une évocation musicale dans l'esprit des poèmes symphoniques chers à Hector Berlioz ou des Hörspiel pour lesquels les Français n'ont pas de terme comparable. Je résume : les survivants de la catastrophe qui ont élu campement sur les ruines du Musée d'Ethnologie de Genève (le MEG est accessoirement le producteur du CD !) y découvrent les archives sonores des AIMP (Archives Internationales de Musique Populaire) et en particulier le Fonds Constantin Brăiloiu et choisissent de s'en inspirer pour se reconstruire. Je vous renvoie au texte initial pour les détails. J'ai donc continué mon projet d'anticipation entamé sur les dernières pièces de mon Centenaire !


Je me suis ainsi approprié 31 archives de musiques dites traditionnelles enregistrées entre 1930 et 1950 auxquelles j'ai ajouté ma propre vision du futur. Il ne s'agit ni de remix, ni d'orchestration, ni même de recréation, mais d'une œuvre nouvelle obéissant à sa propre logique. J'ai transformé ces musiques, je l'espère, sans les trahir, orientant mon travail sur leur fonctionnalité plutôt que leur origine géographique ou historique, exactement comme Brăiloiu le concevait.
J'ai ensuite demandé à des artistes vidéo de procéder de même, soit de faire du neuf avec du vieux en choisissant chacun/e une ou plusieurs des 16 pièces du disque comme bande-son. Le résultat est au delà de mes espérances. Sonia Cruchon a réalisé Aksak Tripalium et Berceuse ionique, Nicolas Clauss Larmes de crocodile et Éternelle, Eric Vernhes De vallées en vallées, John Sanborn Ensemble Ratatam et d'autres suivront comme Les champs les plus beaux par Valéry Faidherbe ou L'Indésir par Sonia Cruchon.
Cette folle aventure n'aurait pas été possible sans la complicité de Madeleine Leclair, conservatrice du Département d'ethnomusicologie du MEG, responsable des Archives internationales de musique populaire (AIMP) et éditrice du label MEG-AIMP. Avec deux mois de retard, parenthèse partagée par tout le monde, et évitant l'embouteillage de la rentrée de septembre, ce tournant important de mon travail sort enfin !

→ Jean-Jacques Birgé, Perspectives du XXIIe siècle, cd MEG-AIMP, livret de 44 pages, dist. Word and Sound

Photo © Madeleine Leclair