Article du 8 mars 2007

C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang [hier] ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier [2006], il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

P.S: Nicolas Deville, titulaire d'un doctorat de sociologie, est devenu professeur de philosophie au CEGEP de Matane, une petite ville du Bas Saint-Laurent au Québec, aujourd'hui à la retraite, et écologiste. Il n'aurait plus touché un crayon depuis des années.