J'emprunte à Jean Cocteau mon sous-titre pour raconter le spectacle déambulatoire Fake, créé par le conteur Abbi Patrix et le compositeur Wilfried Wendling avec la percussionniste Linda Edsjö, et produit par La Muse en Circuit. J'avais raté leurs représentations à la Gare de l'Est. Mon séjour à Strasbourg, où venait de s'ouvrir le festival Musica, me permit d'apprécier enfin ce projet original où l'improvisation s'appuie magnifiquement sur les accidents de parcours.
Malgré une programmation excitante qui renouvelle fondamentalement le festival strasbourgeois avec l'arrivée de Stéphane Roth à sa direction (Un Drame Musical Instantané avait participé à la première édition en 1983 !), j'avais bien besoin de fraîcheur après la soirée d'ouverture extrêmement décevante où Ryoji Ikeda massacra But what about the noise of crumpling paper de John Cage (écrit pour les Percussions de Strasbourg en 1985 et dédié à Jean Arp, l'enfant du pays), appliquant à moitié les consignes ou sans en comprendre les nécessaires adaptations à l'immense salle du Palais des Congrès. Le pire suivit avec son propre 100 cymbals, chorégraphie militaire et minimalisme mécaniste, la recherche des harmoniques ayant été laissée aux bons soins des jeunes Percussionnistes de Strasbourg, bridés par la pensée courte et décimale du "compositeur". Le public, poli, applaudit comme il est d'usage, mais sans s'attarder. Il est toujours difficile de reconnaître que l'on s'est fait blouser. Si la soirée n'avait pas été signée par un artiste renommé, les quolibets auraient fusé. Il aurait été tellement plus intéressant si les dix interprètes s'étaient emparés du dispositif jusqu'à improviser une musique d'aujourd'hui !
La frontière entre composition préalable et instantanée s'est en effet estompée. Un scénario préétabli, des timbres préparés, voire des séquences préenregistrées, offrent de slalomer en fonction des événements inattendus. Cela demande évidemment de remettre en question les rapports hiérarchiques qui régissent la musique contemporaine.


Pour Fake, Wilfried Wendling a emmagasiné quantité d'extraits d'actualités radiophoniques, de bruits parasites, de sons électroniques, de musique tout simplement, libre à lui de les déclencher depuis sa tablette quand il en a besoin. Il porte ainsi autour du cou un iPad et une mixette, lui permettant de suivre le conteur qui arpente les rues. Son micro à la main, Abbi Patrix interroge les passants, ou bien les spectateurs affublés d'un casque audio diffusant un habile mélange de musique préenregistrée, de sons captés en direct par le conteur ou par la percussionniste Linda Edsjö équipée de deux autres micros sans fil, et des effets spéciaux qui modifient les captations à la volée. Le système fonctionne étonnamment bien puisqu'il peut alimenter 200 casques stéréo sur une distance de 250 mètres...
Abbi Patrix a choisi d'actualiser Peer Gynt, l'histoire tragique d'un menteur, en jonglant entre le personnage d'Ibsen et les rencontres inattendues réalisées tout au long du parcours urbain. Lors de la représentation à laquelle nous avons assisté, nous croisâmes ainsi un mariage, une brocante, la fanfare FEIS (qui entama le célèbre thème de Grieg, sifflé par l'assassin d'enfants dans le film M le maudit de Fritz Lang) pour aboutir sur une placette où Linda Edsjö nous gratifia d'un magnifique solo de vibraphone à l'archet et mailloches.


La partition transmise dans les casques du public ressemble à un Atelier de Création Radiophonique immergé dans le quotidien d'un quartier. C'est beau, c'est drôle, surprenant, et aucune représentation n'est identique... Bientôt à Mulhouse (26 et 27 à La Filature), Créteil, Perpignan, Montreuil...