Hier, je suis tombé par hasard sur un très vieux message, il n'y en avait qu'un, laissé par ma mère sur la boîte vocale de mon répondeur. Je ne l'avais pas entendu depuis. Comment est-ce possible ? Je n'en ai pas la moindre idée. Elle avait sa voix d'avant, pleine d'entrain. Drôle de coïncidence que d'avoir composé le 3103 justement hier. Elle me souhaitait mon anniversaire, me rappelant que j'étais né à 15h15. Ses vœux datent probablement d'une dizaine d'années, mais ils me sont parvenus là, comme par enchantement.
68 briquets aujourd'hui, la bonne blague ! J'avais retrouvé des dizaines de pochettes d'allumettes chez ma maman lorsque nous avions vidé son appartement juste avant son décès. J'ai donné presque tous les cigares qu'elles servaient à allumer. Je n'ai jamais fumé de tabac, ce qui ne m'empêche pas d'avoir une légère insuffisance respiratoire, mais pas de quoi me transformer en gibier de virus. J'ai laissé tomber les pétards il y a quelques années. J'avais probablement enfoncé toutes les portes de la perception qu'ils ouvraient. Faudrait-il chercher autre chose ? En ces temps de manipulation médiatique maximale, c'est une question qui devrait tous nous animer. Si les fêtes à date fixe m'ennuient généralement, l'anniversaire est un des rares rituels auquel je reste attaché, le jour où chacun/e est à son tour le héros. Ce n'est jamais une répétition, mais une addition, un mille-feuilles quantique nous permettant de voyager dans le passé à notre gré. L'avenir, lui, reste incertain.
Célibataire en période de confinement n'est pas des plus excitants. Chaque remise à zéro est pourtant chargée de promesses. Dans mon building bleu ciel j'ai un peu l'impression d'être une bille dans un carton à chaussures sur une route accidentée. Il paraît que je devrais apprécier que, en plus de bien aller, je suis seul. Accepter le vide ? Je suis un homme de partage, en amour, en amitié, dans le travail. Je vais profiter du confinement pour ranger les archives du Drame et le grenier. Au printemps je m'étais attaqué à la cave, triant clous et vis... Cette année je vais avoir un peu de mal à profiter pleinement de cette fête. L'anesthésie générale me préoccupe. De là à me faire traiter de complotiste il n'y a qu'un pas.
Sur le site de rencontres où je me suis inscrit, j'ai triché sur mon âge pour déjouer ses robots orienteurs, mais j'avoue le subterfuge dès les premières lignes de mon profil. N'y aurait-il que dans le monde virtuel que nous tombons le masque ? La tristesse s'étale au gré des petites photos trompeuses avec, dessous, le nombre des années qui ne rime à rien. Dans la vie tout se passe dans les yeux, dans cette perspective colorée où se lisent les promesses. J'en connais qui font rêver. On a beau faire des pronostiques, combien de temps dure une histoire ? Un an, quatre ans, treize ans, quinze ans ? De très belles histoires. On aimerait chaque fois que ce soit pour toujours. Or c'est maintenant que ça se passe. Un maintenant qui en précède un autre. Après, on n'en sait jamais rien. Les routes se croisent et se séparent. Jusqu'au dernier soupir. Je ne dois pas oublier la chance qui me poursuit et finira par me rattraper une fois de plus. Pas de quoi se plaindre. J'ai vécu avec des femmes que j'aimais et que j'admire encore.
Pour un grand timide, le site de rencontres permet de sauter la première approche qui m'a toujours suffoqué (mon côté extraverti est évidemment une réaction salvatrice ; lorsque nous serons autorisés à sortir je devrai vaincre cette timidité qui cache un manque de confiance en moi, séquelle de l'enfance). Sur le site, on sait tous et toutes pourquoi on est là. C'est à prendre comme un jeu, une étude sociale, j'apprends, sur moi pour commencer. Quelques verres, deux dîners, et puis bonsoir, c'est tout ce que j'avais glané il y a deux ans. Pas vraiment concluant ! Une diversion à la réclusion. Rien ne remplace le contact direct. La tendresse. N'en déplaise aux autruches, je veux vivre, jusqu'à en mourir. La survie, prônée et vécue par la plupart en ces temps où règne la peur, ne m'intéresse absolument pas. D'ailleurs, l'absolu ment. Il va falloir rentrer dans le réel, cette poésie du quotidien où, encore cette fois, tout reste à inventer. Même si l'on préférerait en éviter certaines, les surprises constituent le plus excitant des moteurs.

Illustration: Ed & Nancy Kienholz, Useful Art No. 3 (table & chairs), 1992