J'emprunte mon titre au vers d'une chanson de Colette Magny qui me trotte dans la tête. Souvent je me demande ce qu'auraient pensé mes ami/e/s disparu/e/s de tel ou tel phénomène sociétal. Colette, Bernard, Brigitte, Pere, Papa, vous me manquez et je me sentirais certainement moins seul si nous pouvions discuter ensemble des évènements actuels et de la manipulation de l'information, ou plus exactement des consciences.
Jusqu'ici la société française était divisée arbitrairement entre la gauche et la droite. La frontière était floue, voire mouvante comme du sable, surtout si l'on considère que le centrisme et l'ancien PS (vu ce qu'il en reste) virent objectivement du côté des petits arrangements cyniques avec le capital. Aujourd'hui le monde est divisé entre ceux qui ont peur du virus et ceux qui se méfient de l'utilisation qu'en font les gouvernements dans leur gestion de la crise. Là aussi la frontière n'est pas nette, car certains ont beau être dubitatifs, la peur, cette mauvaise conseillère, prend souvent le dessus.
Une partie de mes amis est impatiente de se faire injecter le vaccin, l'autre préfère attendre le délai plus ou moins habituel permettant de constater les effets secondaires. Quelles séquelles pourraient survenir après quelques mois, quelques années, déjà qu'en apparaissent au bout de quelques jours ? Dans tous les cas c'est la crainte de l'avenir qui guide nos choix. Peur de mourir du virus contre peur de vivre d'une manière moralement inacceptable ! Les plus fragiles, soit ceux considérés comme des proies faciles du Covid ou psychologiquement perturbés par l'éventualité de la mort qu'il sème, pensent qu'il est nécessaire qu'un maximum de personnes se fasse vacciner pour éradiquer l'épidémie. Ils considèrent la crise d'un point de vue strictement sanitaire. D'autres envisagent cette période sous l'angle politique ou philosophique, à savoir que ce qui est en jeu est le type de société qui en découlera.
Imaginez qu'on nous ait raconté il y a deux ans ce que nous vivons aujourd'hui. Qui aurait pu croire que nous acceptions sans broncher la suppression de tout évènement culturel public, l'instauration d'un couvre-feu avec auto-autorisation, l'interdiction de se déplacer sur le territoire national, la mort programmée d'un tiers des petits commerces, les lois sur la retraite et sur les libertés individuelles, la baisse des indemnités de chômage et même des salaires, etc. ? Comment des populations entières se retrouvent anesthésiées, incapables de réagir à ce que nos gouvernements nous imposent ici et là-bas ? Car le virus est partout et la gestion de la crise, à de rares exceptions, génère le même genre de décisions qui sont, pour le moins, anti-démocratiques. D'ailleurs démocratie est un terme qui demanderait à être précisé !
Sous prétexte de ne pas mourir d'un virus qui fait moins de dégâts que la pollution, le climat, la pauvreté, la famine, voire d'autres épidémies ravageuses, on transforme nos vies en un rituel absurde qui marquera de manière indélébile nos vies futures. D'un côté je me demande ce qui me tuera, quelle maladie ou quel accident m'enlèvera à mes proches. D'un autre, je réfléchis à la vie que je souhaite partager. Dans le passé, j'ai plusieurs fois pris des risques pour défendre mes idées ou simplement pour vivre pleinement mon court passage sur Terre. Mes voyages dans des contrées reculées où vivent des bestioles gourmandes de mon sang, mes films en Algérie, en Afrique du Sud et, le plus traumatisant, à Sarajevo pendant le siège, ma manière parfois inconsciente de conduire ou de me jeter à l'eau, certains de mes écrits qui me valurent des menaces de mort, mirent à l'épreuve ma rage de vivre. Il n'était pas seulement question de moi, car j'entraînais d'autres à ma suite quand ce n'était pas moi qui les suivais. N'étant ni suicidaire ni criminel, je prenais toutes les précautions pour que personne ne soit victime de mes choix, mais on ne sait jamais. D'ailleurs aujourd'hui c'est en traversant la rue que je fais le plus attention, même si je porte ce masque dérisoire dans les espaces communs (et d'autant plus, car il embue mes lunettes), que je me lave les mains plusieurs fois par jour et que je renforce mes défenses immunitaires en avalant divers produits que de soit-disant spécialistes considèrent comme inutiles.
Je me méfie des chiffres, des statistiques à qui l'on faire dire ce qui arrange le pouvoir. Je me souviens de Jean Renoir expliquant qu'il peut y avoir un million de morts, or s'il ne s'agit que d'une seule personne et que cette personne c'est moi, c'est plus important ! C'est de cela dont il s'agit pour celles et ceux qui ne voient de la crise que nous traversons que son aspect sanitaire. Mais si l'on prend un peu de recul et que l'on constate vers quelle société nous allons, on est en droit de se demander si nous cautionnons les bons choix. Est-ce que je veux vivre dans un pays qui fermera ses frontières aux migrants climatiques sous prétexte qu'ils pourraient apporter la peste et le choléra ? Comment et par qui sera évaluée la toxicité de ma liberté individuelle ? Puis-je accepter les assassinats programmés de professions dites non essentielles ? Ai-je de l'empathie pour les suicides qui en découlent, y compris chez les jeunes adolescents qui ne voient pas d'alternative au plan de concentration à l'échelle mondiale ? Puis-je cautionner que les plus riches profitent de cette crise comme jamais et que les plus pauvres sombrent dans la famine ? C'est pourtant le prix à payer pour ne pas risquer d'attraper le virus, voire d'en mourir, ne serait-ce que 1% ou 2% de la population. Comment sera gérée l'arrivée de nouvelles pandémies ? Qu'arrivera-t-il en cas de fonte du permafrost ou de nouveaux accidents nucléaires ? Est-ce que le progrès est encore défendable ? Si nous devons changer nos habitudes de consommation est-ce en nous enfermant ou bien en nous débarrassant de la surconsommation alimentaire et énergétique ? Cette réflexion politique s'oppose fondamentalement à la réaction sanitaire.
Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là. Je préfère mourir que de cautionner ce que l'on nous prépare. Je pense à nos enfants, à nos petits enfants. Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là. L'arrogance et l'incompétence nous mènent droit dans le mur. C'est d'ailleurs ce qui a toujours suscité le déclin de celles qui nous ont précédés et qui se sont éteintes. Si nous devons avoir peur, ce n'est pas des virus à venir, mais de ceux qui en exploitent les retombées pour mieux nous asservir.