J'attendais beaucoup du nouveau film de Leos Carax. Les critiques étaient dithyrambiques. J'aime bien les "comédies" musicales. En 1986 Mauvais sang, dont Boy Meets Girl était le brouillon, m'avait renversé. Si, comme beaucoup, Les amants du Pont-Neuf m'avait déçu, Pola X m'avait considérablement intrigué, ne comprenant pas son échec. Il est vrai que j'avais déjà qualifié Holy Motors de pâtisserie indigeste. J'évite toujours les billets désagréables, sauf lorsque cela ne risque pas de faire de l'ombre à l'objet de mon courroux. Au vu des critiques et de l'enthousiasme général, mon opinion n'aura que peu d'importance. Je risque juste de me faire insulter par celles et ceux qui sont tombés dans le panneau publicitaire. Mais chacun/e a ses raisons d'aimer ou pas une œuvre, ce sentiment jouant effectivement d'abord sur l'identification aux personnages de la fiction. Comprendrai-je pourtant jamais les raisons qui font encenser une œuvre ou en négliger une autre ? Les exemples sont légion. La presse obéit souvent à des pauses qui l'empêchent de voir ou d'entendre, la majorité du public suivant ces conventions parce qu'il est toujours de mauvais aloi de reconnaître qu'on a perdu son temps.
À Cannes le Prix de la mise en scène s'explique. Carax a du style. La lumière de Caroline Champetier est somptueuse. Les décors de Florian Sanson rappellent ceux d'un opéra. Les costumes de Pascaline Chavanne et Ursula Paredes Choto collent à merveille. Le travail sonore d'Erwan Kerzanet est une prouesse acrobatique. J'ai pourtant détesté Annette.
Je me suis d'abord ennuyé. Une heure passée pour dire je t'aime. On est loin des subtilités dialoguées de Jacques Demy. Annette est une "comédie" musicale composée par le duo des Sparks. Musique aussi grandiloquente que la mise en scène. Pas un air qui tienne le coup, pas une note qui ne soit une tarte à la crème boursouflée. Si Carax ne se mettait lui-même en scène en deus ex machina, on aurait pu croire à une distance d'avec ce couple formé par une diva d'opéra et un comédien comique de stand-up en vogue. Mais la voix de la diva est plate et le pamphlétaire ne fait pas rire (il est censé le faire dans un premier temps !). Peut-être que je n'ai jamais été fan ni de Marion Cotillard, ici bien fade, ni d'Adam Driver, rôles manichéens comme tous ceux de leurs partenaires. Une naïve, un manipulateur alcoolique et un amoureux transi interprété par Simon Helberg. Cela manque brutalement de subtilité. Carax mime la presse à scandale, mais on se fiche de ces amours de stars et les plans courts de villes la nuit pour évoquer une tournée mondiale font partie des poncifs qui inondent le film de madeleines cramées. Les clins d'œil cinématographiques n'atteignent jamais les originaux, comme la noyée de La nuit du chasseur ou la piscine envahie par les algues... Pire, les valeurs morales sont à vomir : jalousie (du raté), vengeance (de la morte), amertume (du flippé qui se pense le père), etc. Tout cela dans un épais sirop symphonique orchestré par Clément Ducol qu'on a connu plus personnel. Il y a évidemment quelques bonnes idées comme la marionnette aux mains d'un père vénal, mais la rigueur eut été alors de ne pas la robotiser si tôt, à l'image de cette Pinocchiette finissant par prendre en mains sa vie d'humaine. Non, Annette m'apparaît comme un sublime ratage, animé par la même ambition qui avait fait sombrer Les Amants du Pont Neuf, mais cette fois la presse aura peut-être voulu sauver les couleurs nationales de ce premier film anglophone d'un cinéaste très doué, mais englué dans son orgueil. Je le comprends d'autant plus mal lorsqu'en interview il avance que son film lui aura permis d'être un meilleur père. J'y entrevois surtout la transposition de ses tiraillements intérieurs, entre désir de succès, maîtrise de chaque détail, amour impossible, goût de grandeur, romantisme coupable... Si ma déception n'est pas liée à un mauvais dosage de Lévothyrox, je cherche toujours le film qui renouvellera ma cinéphilie contemporaine.