Cette année, pas de "grand" rassemblement familial, du moins pour nous. Les distances géographiques, le virus et ses commentateurs ont eu raison des fêtes de fin d'année. Pour protéger les plus fragiles, chacun reste plus ou moins chez soi. Si nous sommes nombreux et enjambons ces précautions, nous nous grattons le nez entre nous. Je te tiens, tu me tiens par le coton-tige, le premier qui éternue aura une tapette. D'une certaine manière, ce n'est pas moi qui m'en plaindrait. Il n'y a qu'à relire "Le bouquet de misère", mon article du 23 décembre 2008 auquel j'aurais tendance aujourd'hui à mettre un bémol, je devais probablement en avoir lourd sur la patate belle famille ! De toute manière, je déteste les fêtes à date fixe. Seuls les anniversaires persos ont grâce à mes yeux. Ou alors pour les jeunes enfants, mais je n'étais pas encore grand-père... J'en profite tout de même pour glisser Défaite de famille, l'excellent clip d'Orelsan, histoire d'ajouter un peu d'humour à cette journée que je vous souhaite très douce malgré ce qu'elle véhicule de contrariétés et de contradictions...

De gauche à droite : Jean mon père à la pipe, mes grands-parents maternels Roland avec cigarette et Madeleine, leurs trois filles, Catherine avec cigarette, Geneviève ma maman, Arlette, mon cousin Serge, et assis par terre : mon cousin Alexandre, ma pomme et ma sœur Agnès ; c'est donc mon oncle Gilbert qui prend la photo.

LE BOUQUET DE MISÈRE

La période des fêtes de fin d'année est propice aux règlements de compte familiaux, ou, du moins, elle délie les langues et expose en plein jour les contrariétés ravalées. Non, ce n'est pas toujours une trêve ! À Noël se retrouver ensemble ou s'en exclure exacerbe les sensibilités. Les souhaits s'expriment, et pourtant on ne se fait pas de cadeau. Le jour de la nativité pour les Chrétiens, le spectre de la mort rôde. Les Orthodoxes fêtent Noël le 6 janvier, on est dans les dates. Les Juifs, ayant pour coutume de se plaindre toute l'année et d'aborder de front les questions névrotiques, ne pourront échapper à la tentation ! J'ignore comment cela se passe pour les autres, mais tout rassemblement familial peut être une occasion inespérée de laver son linge sale en famille.
La famille ! Mon père m'expliqua très tôt qu'on ne lui devait rien si l'on ne partageait pas les mêmes valeurs morales avec les personnes concernées. Ascendants, descendants, collatéraux ne pouvaient prétendre à aucun traitement de faveur. La famille dont on hérite et à laquelle on donne naissance est le creuset de toutes nos névroses. Celle que l'on se choisit est autrement plus motrice, elle porte "notre" avenir plus sûrement que les lois du sang. Les deux ont évidemment souvent des éléments communs.
Mais jusqu'où s'étend le cercle de la famille ? Les pièces rapportées, conjoints et conjointes, en font-elles partie ? Lorsque des problèmes surviennent au sein du noyau familial, il est à craindre que leur rôle assigné soit celui du fauteur de troubles et qu'il ou elle devienne de fait le bouc-émissaire, le bouquet de misère comme l'appelait Marianne lorsqu'elle était enfant. Quelle que soit la parenté, les uns et les autres préfèrent souvent éluder la question en reportant leurs reproches sur un tiers plutôt que d'assumer les secrets enfouis, les rancœurs inexprimées, les mensonges idiots qui pourrissent leur vie et continueront à le faire tant que les responsabilités de chacun n'auront pas été assumées, et le pire, c'est que cela se transmet ! Ça se passe comme souvent dans les feuilletons français à la télé : c'est le provincial ou l'étranger qui fiche le souk dans le groupe ! À défaut de pouvoir incarner le mal, il sera le révélateur diabolique des dissensions internes. Devant la peur d'affronter la vérité, fut-elle multiple, par lâcheté ou par bonté d'âme, la fuite ne laisse aucune autre échappatoire que de désigner un coupable qui permette de se rabibocher plus tard entre soi.
Brus, gendres, belles-sœurs, beaux-frères, belles-mères, etc., n'en prenez pas ombrage. Les rôles s'inversent aisément dès lors qu'il y a union, légale ou factuelle qu'importe, c'est le pouvoir des uns sur les autres qui est en jeu. La résistance accule l'autorité à la prise d'otages. La seule échappatoire réside dans l'émission claire de ses vœux. L'expression assumée du désir libère la libido et permet de savoir ce à quoi l'on tient, ceux et celles avec qui nous souhaitons grandir. La famille est un frein dès lors qu'elle nous enferme dans des coutumes dont les usages ne sont plus discutés. On mettra ainsi toute sa vie à savoir qui l'on est, ce qui nous appartient en propre et ce dont nous avons hérité sans le vouloir.


clip d'Orelsan de 2018