Lorsque je pense à un incendie c'est le film de Denis Villeneuve d'après Wajdi Mouawad qui me vient d'abord à l'esprit. Incendies est sorti l'année d'après les deux incendies évoqués dans cette colonne et repris aujourd'hui ci-dessous. De son côté, Mouawad avait réalisé Littoral en 2004, un film tout aussi fort. Avec son roman Anima qui m'avait laissé k.o., ce sont ses trois œuvres sur lesquelles je peux revenir facilement, la majorité s'étant jouée au théâtre.
D'autres incendies m'ont marqué particulièrement. Celui du Reichstag aida Hitler à arriver au pouvoir en Allemagne en accusant les communistes, comme jadis celui de Rome permit de persécuter les Chrétiens. Celui de ma tante Ginette, où elle perdit la vie, détruisit toutes les archives de ma famille paternelle. Celui de Notre-Dame me rappela mon enregistrement, un premier mercredi du mois à midi, depuis sa haute tour avant qu'elle ne soit grillagée, des sirènes de Paris, ville à laquelle je suis attaché comme faisant partie de moi-même. Un autre jour, je mis accidentellement le feu à la maison en tulle dans laquelle nous jouions avec Francis et Bernard lors d'un concert d'Un drame musical instantané ; j'eus les deux mains brûlées au second degré pour avoir étouffé le nylon sans autre ustensile ; un mois de convalescence ! Les brûlures sont si douloureuses que, depuis, j'appris à contrôler la douleur. Les seules flammes que je regarde encore avec fascination sont celles de l'âtre. On peut les entendre, ralenties, dans la pièce du Drame, Les gueules cassées, qui avait été reprise dans le CD K.I.M. Miyage du label Tigersushi. J'aurais pu ajouter Farenheit 451. Tout feu tout flammes, je me reconnais bien dragon, à renaître éternellement de mes cendres....



Quand ta case brûle, rien ne sert de battre le tam-tam

En photographiant un rescapé de l'incendie qui a ravagé l'appartement de Jonathan à New York, un titre me vient immédiatement à l'esprit. Il faisait partie de Sic Tui (Sept Improvisations Courtes sur Thèmes fixes pour Un Instrument), enregistré entre le 24 décembre 1974 et le 13 octobre 1975. Quand ta case brûle, rien ne sert de battre le tam-tam, pour flûte seule, date donc du 1er mars 1975. Les autres pièces, pour orgue à bouche, piano, percussion, sons électroniques, saxophone alto et synthétiseur s'intitulaient respectivement À l'usage des jeunes générations / Jusqu'à penser devoir t'effacer (critique) / Par l'insurrection armée, s'il le faut ; par le terrorisme si c'est nécessaire / Jusqu'à l'effacement (autocritique) / Merde, dit-il, je viens de marcher sur le visage de Dieu ! / De le traquer avec des gobelets, de le traquer avec soin. Une huitième pièce, Hic Tui, devait réunir l'ensemble des instruments, mais je crois ne l'avoir jamais enregistrée.
J'ai toujours adoré trouver des titres, pour mon propre usage ou pour les camarades, et le blog m'offre le plaisir de m'y adonner quotidiennement. Selon les jours, il illustre ou apporte un contrepoint à l'image ou au texte qu'il introduit. Ces trois éléments forment une dialectique dont je ne peux d'ailleurs me passer pour aucun de mes actes, recherchant systématiquement l'antithèse ou le complément avant de tirer le moindre début de conclusion.
Un court-circuit aurait donc mis le feu à ce qui tenait lieu d'appartement à Jonathan dans l'East Village, deux petites pièces où s'amoncellent les livres sur le cinéma et les notes de recherche. Le soir, par un astucieux système de poulies, notre ami faisait descendre son lit au-dessus de son bureau, à quelques centimètres de l'écran de l'ordinateur. Les pompiers ont tout jeté par la fenêtre. Jonathan dut réordonner chaque page après les avoir fait sécher, car on oublie que l'extinction par noyade est souvent plus ravageuse que l'incendie lui-même, du moins s'il est circonscrit. Une société spécialisée a même pu récupérer le contenu de son disque dur après un vol plané de six étages. L'ami américain a trouvé refuge chez des amis de Brooklyn [...] (article du 18 juillet 2009).



Le petit chaperon rouge renaît de ses flammes

Après le terrible incendie qui avait ravagé leur stock, les archives et les machines, Æncrages & Co [rééditait] l'Anthologie du projet MW, soit cinq volumes, fruits d'une collaboration de plus de dix ans entre Robert Wyatt, sa compagne Alfreda Benge et le peintre Jean-Michel Marchetti. Les 240 pages sont accompagnées d'un CD original 8 titres composé de six reprises par Pascal Comelade dont une avec Wyatt, de Heaps of Sheep par Ryk Van Den Bosch & Co auquel participe la famille Marchetti et d'un entretien en français avec Wyatt. Contrairement aux ouvrages originaux, seule la couverture est ici imprimée en typographie, mais le prix du livre (21,90€ avec le port) n'est pas non plus le même, d'autant que l'incendie les a rendus introuvables.
Épuisé depuis cet article du 12 avril 2009, l'ouvrage est hélas beaucoup plus cher aujourd'hui.
La traduction française des 80 chansons par Marchetti qui a réalisé toutes les illustrations excepté trois autoportraits de chacun des trois protagonistes permet de pénétrer dans le monde verbal du musicien anglais dès lors que l'on ne maîtrise pas parfaitement la langue de Shakespeare et ses déclinaisons pataphysicennes. Les images troubles et griffonnées du peintre réfléchissent les textes ivres d'un auteur fragile, écorché vif. Les mots se cognent les uns contre les autres. On ne s'attend pas à tant de chaos sur les mélodies angéliques qui planent comme des évidences. Je regrette parfois que la traduction n'adopte pas la scansion initiale pour que je puisse chanter en karaoké simili peub. Histoire que paroles et musique fassent la paix et révèlent leur secret accord. Mais l'énigme reste entière. Comme une étoile mystérieuse.