À quelle nostalgie l'attrait de la guerre renvoie-t-il ? Tuer ou être tué. Une fois que les hommes sont sur le terrain, il n'y a pas d'alternative. Le service militaire n'est plus obligatoire. Censé faire disparaître les classes sociales sous l'uniforme, il faisait perdre un an à qui avait mieux à faire. Cette égalité devant la loi n'était que de surface. Les petits bourgeois savaient y couper et les pistonnés rentraient chez eux le soir. La violence des pauvres était canalisée sous les ordres de sous-officiers exerçant leur pouvoir débile sur les jeunes recrues. C'était parfois une manière de sortir de sa condition, d'échapper à son milieu, de voir du pays. Les hommes entre eux pouvaient transposer leur homosexualité refoulée en amitié virile. Les anciens combattants fourmillaient de souvenirs croustillants. Les seuls films de guerre supportables sont ceux qui la dénoncent, même s'ils continuent d'exercer leur pouvoir de fascination morbide. Les guerres résolvent les crises sociales et les expansions démographiques. L'enjeu est pourtant toujours économique. Destruction, captation, reconstruction. La compétition sportive, lorsqu'elle stimule le nationalisme, ne fait qu'y préparer. Les jeux de guerre sur les consoles vidéo participent à l'abrutissement de masse. Ils révèlent ce qu'il y a de pire chez les humains, aveuglement, veulerie, ignorance et stupidité.
Par prudence, je ne m'en suis jamais ouvert publiquement, mais je fus réformé P5, "exempté du service actif, réserviste service de défense sauf inaptitude à tout emploi". P signifie Psychologique et P6 équivalait à la camisole... Cette désignation aurait pu m'empêcher de faire carrière dans l'administration ! Mon sursis m'avait permis de terminer mes études de cinéma et je ne me voyais pas interrompre ma vie en postulant au service cinématographique des armées. La coopération avait quelque chose d'obscène. Certains camarades avaient craqué en Afrique autour de la piscine entourée de leurs boys. D'autres avaient joué le jeu sur ordre de leur parti politique. Travail d'infiltration. Comités soldats. J'étais résolument non-violent et n'aurais pas tenu une arme pour un empire (pour un an, pire), forcément colonial. Une psychanalyste m'avait remis un certificat signalant "une schizophrénie dissociative avec inversion du rythme nycthéméral". Elle racontait que je m'étais spécialisé dans les films de vampires et que vivre la nuit était incompatible avec le rythme militaire. C'était en 1975. Le comique fut de me retrouver assistant de Jean Rollin quelques mois plus tard sur Lèvres de sang. Je me souviens être parti aux "trois jours" qui en duraient la moitié après 48 heures sans dormir, ayant juste terminé le disque pour l'Année de la femme réalisé par le PCF. Refusant de dormir avec d'autres hommes, j'ai passé la nuit au cachot, la porte ouverte et la lumière allumée. Après cette troisième nuit de veille, je n'étais pas bien frais. Je n'avais coché aucune des cases du test lorsqu'il s'agissait d'actes de guerre, mais, sorti d'une grande école, je ne pouvais faire l'imbécile. À la prison le sergent de garde, complètement saoul, ne put faire son rapport. Un autre, jusque là très brutal, s'adressa à moi avec tant de prévenance, j'étais frit (j'aurais préféré être free). Le psychiatre ne me posa aucune question. Silence de part et d'autre de son bureau. Le verdict consistait en une hospitalisation quinze jours plus tard. L'angoisse ! Remettre ça alors que j'étais certain de ne pas sortir conscrit de la caserne de Blois... À l'Hôpital Percy de Clamart, la seconde manche dura à peine une heure. " Vous vous entendez bien avec votre père ?". Deux minutes de silence. "Oui", hésitant et pas convaincu du tout. "Et avec votre mère ?". Un oui instantané, franc et massif retentit dans le bureau du psychiatre chez qui j'avais passé la séance à chercher par terre une aiguille qui n'existait pas en pensant en boucle aux esclaves du Metropolis de Fritz Lang. Le médecin me tendit ma réforme tandis que les troufions étaient écœurés que je leur exprime que je n'en avais rien à foutre. Philippe Labat avec qui je partageais l'appartement de la rue du Château à Boulogne quitta les militaires ennuyés de ne pouvoir le garder en leur lançant : "Rien ne résoudra la tragédie de l'être !".

Article réactualisé du 17 octobre 2009