70 mars 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 mars 2023

Hi-han (Eo)


Comment se fait-il que je ne parle pas du film Eo dans cette colonne alors j'en rabats les oreilles de tous mes ami/e/s ? Quel âne ! Peut-être parce que je chronique plus facilement des DVD/Blu-Ray que les sorties sen salle... Si Pacifiction et Triangle of Sadness (Sans filtre), qui m'ont beaucoup plu, créent la polémique et divisent mon entourage, le film de Jerzy Skolimowski allume les yeux de tous ceux et celles qui l'ont vu. Les chefs d'œuvre sont parfois voués à la clandestinité, au secret et à la méconnaissance. J'en veux pour preuves Adieu Philippine de Jacques Rozier et Une chambre en ville de Jacques Demy dont les sorties et reprises ont chaque fois été des flops, malgré les critiques dithyrambiques qui les ont toujours accompagnés. Eo est le nom d'un âne, un âne polonais comme le film, et c'est une merveille réalisée par un jeune cinéaste de 85 ans à qui l'on doit déjà et entre autres Le départ (1967), Haut les mains (Ręce do góry, 1968), Deep End (1970), Travail au noir (Moonlighting, 1982), Essential Killing (2010), des films hors du commun... Un site est consacré à ce Prix du Jury cannois, mais je ne sais pas par quel bout le prendre. Tout y est extraordinaire : les images (Michał Dymek), le son et la musique (le compositeur contemporain Paweł Mykietyn a reçu un Disque d'or à Cannes et le prix du cinéma européen 2022), les décors (Mirosław Koncewicz), le montage (Agnieszka Glińska), etc. Le scénario est de Skolimowski et son épouse, Ewa Piaskowska, qui a produit ses quatre derniers longs métrages et co-écrit trois d'entre eux. La seule faille est la scène avec Isabelle Huppert, exogène, absolument pas nécessaire, probablement ajoutée en toute camaraderie ou pour des raisons contractuelles de coproduction. Le cinéma existe encore. Ce n'est pas un hasard si Eo s'inspire de Au hasard Balthazar, et il y a d'ailleurs d'autres clins d'œil discrets au cinématographe de Robert Bresson.


Pas question de divulgacher (spoiler en anglais) quoi que ce soit. Je m'en empêche toujours même si je reproduis de temps en temps les bandes-annonces. Plus haut, je liste les éléments de la recette par manque de mots pour décrire l'expérience sensorielle vécue lors de la projection. Il y a d'ailleurs très peu de mots pendant l'heure et demie que dure Eo. Il convoque nos sens au delà du descriptible. Beauté, intensité, émotion. Il nous renvoie à notre propre existence humaine. Il ne me reste plus qu'à le revoir pour comprendre comment je fonctionne devant une telle évidence. Celles et ceux qui ne l'ont pas encore vu ont une sacrée chance. Les autres sont comme moi, ils y retourneront forcément un de ces jours ou l'une de ces nuits.

jeudi 30 mars 2023

Abrasive d'Axolotl


Toutes nos discothèques conservent la trace de la pochette du vinyle original du premier disque du groupe Axolotl. Constituée d'un papier de verre doré, elle rayait tous les albums qu'elle côtoyait. Vraiment Abrasive ! C'eut été compliqué de la reproduire telle quelle aujourd'hui, mais la musique est là dans cette très belle réédition, et le livret 30x30 cm qui l'accompagne est doté de photos et d'un texte superbe d'Étienne Brunet, notes de pochette comme on les appelait, qui ne mâche pas ses mots, ou au plutôt les mâche et remâche pour nous faire vivre l'expérience de la formation d'un groupe et de sa dissolution. Saxophoniste alto et clarinettiste basse, il y rend hommage à ses deux compagnons, le guitariste Marc Dufourd et Jacques Oger aux ténor et baryton, ainsi qu'à l'ingénieur de son Daniel Deshays.
La musique d'Axolotl est emblématique du free jazz français qui se jouait en 1981. Brunet cite le duo de Claude Bernard avec Raymond Boni et celui d'Evan Parker avec Derek Bailey. Quarante ans plus tard des jeunes gens perpétuent ce déséquilibre permanent où les improvisateurs semblent marcher sur des œufs. En 1998, le saxophoniste accouchera du CD B/Free/Bifteck qui m'apparut alors comme l'œuvre analytique la plus intelligente du genre en assemblant des duos pour recomposer un orchestre. De son côté, Jacques Oger fondera les disques Potlach produisant des artistes de cette mouvance tels Jean-Luc Guionnet, Keith Rowe, Michel Doneda, Daunik Lazro, Bertrand Denzler, Xavier Charles, à commencer par Bailey avec Joëlle Léandre. Brunet se fera l'un des spécialistes d' "albums concepts" comme Post-Communism Atmosphere, La légende du Franc Rock and Roll, Les Épitres selon Synthétique ou un hommage à Steve Lacy, qu'il accompagnera souvent d'expérimentations vidéographiques ou d'étonnants romans cousins de la Beat Generation.
Le disque d'Axolotl me fait penser à une partie de ping-pong où un globe mou ferait office de table, les raquettes laisseraient passer la lumière et les balles ressembleraient à des roses des sables, ce qui n'empêcherait pas le trio de les rattraper toutes !

→ Axolotl, Abrasive, LP Souffle Continu Records, 25€ (7,90€ en numérique sur Bandcamp)

mercredi 29 mars 2023

Cours des séries


Les séries TV devenues légions, la qualité et l'originalité en prennent un coup face à la quantité que proposent les différentes chaînes. Si certaines font passer un bon moment, aucune de celles que j'ai visionnées récemment n'atteint le statut qu'eurent, par exemple, Le prisonnier, Twin Peaks, Six Feet Under, The Sopranos, The Wire, Rome, Mad Men, Fargo, Game of Thrones, Big Little Lies, Peaky Blinders, The Americans ou Le bureau des légendes, à savoir celles qu'on imagine avoir envie de revoir un jour. Ce ne sont pas toutes forcément mes préférées, mais elles ont marqué leur temps. J'ai un petit faible pour des séries moins connues comme Braindead, Happy, Watership Down, les versions originales anglaises de House of Cards ou Utopia. Comme toujours avec un "nouveau" medium, la rentabilité pousse au formatage et à la banalisation. Les épisodes des unes semblent les déclinaisons des autres. La mode des serial killers et des espions finit par me sortir par les trous de nez. Depuis la rentrée de septembre j'ai chroniqué dans cette colonne The Capture, Le temps des framboises, Hot Skull, Slow Horses, Le Seigneur de Bombay (Sacred Games), Dogs of Berlin, Don't Leave Me (Non mi lasciare), The Chestnut Man, Tokyo Vice, Les papillons noirs, The White Lotus, Octobre (Kastanjemanden), Le monde de demain sur lesquelles je ne reviendrai pas. Il s'agit donc cette fois d'un petit tour d'horizon des plus récentes.
Malgré les critiques dithyrambiques sur Esterno Notte, j'ai été extrêmement déçu par la série de Bellocchio dont j'avais beaucoup aimé Il Traditore ; des longueurs qui parlent peut-être aux Italiens, comme tout ce qui touche à leur catholicisme, mais c'est une analyse très pauvre des années de plomb (un atout, il est en accès libre sur Arte.tv comme The White Wall et surtout Blackport, fictions suédoise et islandaise sur fond social et politique). Par contre je partage leur ennui devant Extrapolations, la série qui dénonce/annonce les effets du réchauffement climatique ; rythme raplapla et l'épatante distribution mériterait un bon directeur d'acteurs.


J'ai heureusement apprécié le western anglais The English de Hugo Blick qui avait réalisé l'excellent The Honourable Woman ; scénario original, bonnes interprétations d'Emily Blunt et Chaske Spencer, références au modèle intelligemment utilisées.


Ou encore Daisy Jones and The Six, histoire d'un groupe de rock des années 70 miné, au faîte de sa gloire, par les coucheries et la drogue, inspirée par l'aventure de Fleetwood Mac. Love Me est la troisième mini-série qui m'a surpris, comédie dramatique australienne charmante sur la perte et la découverte d'un amour. Les deux saisons de l'italienne Nero a meta (Carlo & Malik) se laissent regarder si on apprécie les enquêtes policières genre Marleau ! Côté français, j'ai découvert L'agent immobilier qui m'avait échappé ; quatre épisodes totalement barrés, cette mini-série franco-belge ne plaira pas à tout le monde, mais Mathieu Amalric y est convaincant, et c'est amusant. L'affaire d'Outreau est bien menée, entre documentaire et fiction, si on s'intéresse aux évocations d'affaires célèbres. Pour revenir à l'immobilier, mais celui-là sélénique, la science-fiction rétro de Hello Tomorrow est intéressante, mais un peu répétitive, pas à la hauteur de l'énigmatique Severance. La british A Spy Among Friends est pas mal dans sa description quotidienne du milieu de l'espionnage. La troisième saison de Happy Valley conclut laborieusement la série. Il faut attendre le troisième épisode des quatre qui composent la comédie dramatique policière australienne The Unusual Suspects pour que l'intrigue se mette en place. La série Loki se tient mieux que beaucoup de Marvel récents. Il ne suffit pas de se reposer sur un bon scénario et de bons comédiens, le traitement cinématographique est primordial pour trouver grâce à mes yeux, et à mes oreilles dans les rares cas où le son est pensé autrement qu'en appui.


Je reviens sur Blackport, série entamée au début de la rédaction de cet article et excellente surprise. Les 8 épisodes (en accès libre sur Arte.tv) s'appuient sur des faits réels pour une comédie noire (aussi trash que drôle) où les mécanismes sociaux-politiques sont remarquablement traités. Les réalisateurs Gísli Örn Garðarsson et Björn Hlynur Haraldsson, qui viennent du théâtre comme Nína Dögg Filippusdóttir qui tient le rôle principal (et qu'on avait déjà admirés dans Trapped), jouent deux des trois rôles principaux et tous les comédiens sont exceptionnels de véracité. Après le long métrage Woman At War que j'avais adoré, il est intéressant de surveiller ce qui vient d'Islande, des scénarios originaux critiquant intelligemment les ressorts du capitalisme tout en créant des spectacles divertissants.
A part cela, le suspense de Rabbit Hole commence bien ! J'arrête là, parce que j'ai vraiment autre chose à faire qu'à me noyer dans le binge-watching. En cas d'overdose, reportez-vous aux articles de mes autres rubriques !

mardi 28 mars 2023

Vidéo-Aventures (musiques pour garçons et filles)


J'avais commencé à écouter le premier 30 centimètres en 33 tours, mais c'est mieux à la bonne vitesse, soit 45 tours par minute. Les rythmes sont évidemment plus enlevés. C'est le second qui est en 33, car cette réédition du Souffle Continu est un double album. Ces musiques pour garçons et filles du groupe Vidéo-Aventures mené par Dominique Grimaud (Camizole) sont de la pop avec un gros grain, comme de l'Albert Marcœur instrumental et synthétique, un truc un peu sautillant, boucles agréablement désuètes à base de sample & hold (module d'échantillonage et maintien) typiques de la fin des années 70. Grimaud joue donc des synthétiseurs, AKS et Korg 700, tandis que Monique Alba, cofondatrice du groupe, est aux claviers et Jean-Pierre Grasset (Verto) au Moog. Pour que ce soit vraiment pop il fallait aussi des guitares. Grimaud et Grasset (à la Stratocaster) s'y collent de temps en temps, mais Cyril Lefebvre (Maajun) a les doigts qui glissent sur le manche de sa fameuse National steel guitar. Ajoutez la batterie de Guigou Chenevier (Etron Fou Leloublan), également aux percussions et au sax ténor, ou de Gilbert Artman (Lard Free, Urban Sax) qui mixe créativement deux titres, et vous aurez une vue d'ensemble, même si tout le monde ne se retrouve pas en même temps dans le studio. Les originaux datent de 1979, mais les inédits s'échelonnent de 1981 à 1986. J'écoute ces Vidéo-Aventures avec un brin de nostalgie, quand ces ritournelles accompagnaient ou reproduisaient nos voyages enfumés. Ce sentiment de liberté, d'ouverture sur le monde et l'univers disparaîtra avec les années 80. Les mandalas que dessinaient les synthés ressemblaient aux kaléidoscopes de notre enfance, composés de vitraux colorés et inaugurant l'abandon du format chanson, couplets-refrain, au profit d'une forme évolutive dont s'inspirera la techno. Lorsque les voix firent leur apparition, leur musique se rapprochera de Captain Beefheart et Henry Cow, blues commentant la fin de l'aventure.

→ Vidéo-Aventures, Musiques pour garçons et filles + inédits, 2 LP Souffle Continu Records, 30€ (9,90€ en numérique sur Bandcamp)

P.S.: en 2013, Dominique Grimaud et Éric Deshayes ont publié l'excellent L'underground musical en France aux éditions Le Mot et le Reste.

lundi 27 mars 2023

Le temps des cerisiers


L'image riquiqui ne permet pas de voir l'arrière-plan. Rentré hier d'un déjeuner chez Shodai Matcha près de la station Arts et Métiers, j'ai traversé le square Emmanuel Fleury au-dessus du périphérique entre la Porte de Bagnolet et celle des Lilas. Ce serait plus juste de citer la Porte de Ménilmontant qui est entre les deux, mais peu de gens connaissent ce moyen de rentrer et sortir de Paris sans les éternels embouteillages. Promenade digestive après un bibimpap et une des meilleures glaces au vert intense de la capitale. Dans le square qui recouvre le Périph' les cerisiers sont en fleurs. La première véritable impression de printemps, ce qui n'était pas le cas le matin-même à devoir stupidement régler les horloges sur l'heure d'été. Je déteste ce hoquet qui rompt la perception des saisons. Certains Japonais voyagent du nord au sud de leur île pour admirer cette floraison blanche ou rose qui éclot au fur et à mesure le temps d'une semaine. Alors pardonnez le fossé avec le paragraphe suivant. Le grand écart n'est pas des plus seyants.
Car la veille j'avais suivi en direct la manifestation aux mégabassines que la police de Macron empêchait d'approcher avec la plus grande violence alors qu'il n'y avait rien à défendre qu'un trou et quelques tuyaux, un immense trou dont l'absurdité n'est plus à démontrer. J'ai tout de même inséré un lien pour celles et ceux qui ne connaissent pas l'enjeu de ces retenues d'eau qui pompent les nappes phréatiques aux profits de quelques rares grandes exploitations et assèchent la majorité des autres. À Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres il y avait un autre parfum de printemps, l'odeur de mes quinze ans quand la grève générale eut raison de son président. Vendredi, à défaut d'y être, j'avais envoyé ma voiture convoyer la fanfare La clé de lutte ! Parce que face à tant d'arrogance et de stupidité de la part du gouvernement, face à la brutalité d'une police surarmée, face aux 49.3 antidémocratiques (quelle que soit sa définition de la démocratie ou de ce qu'elle prétend représenter), il ne reste plus que la grève générale. Quand on est prêt à tout perdre, on peut tout gagner. Or aujourd'hui une grande partie de la population a déjà tout perdu. Comment vivront les Gilets Jaunes qui n'avaient pas de quoi finir les fins de mois avec l'inflation galopante qui nous menace ? Les révolutions naissent de la famine, or il est des quartiers où elle prolifère doucement sans que ceux qui nous gouvernent en aient quoi que ce soit à faire. La bataille de l'eau est symptomatique de ce qui nous attend si on laisse le capitalisme détruire la planète. La catastrophe sociale sera encore plus meurtrière si on n'arrête pas le représentant des banques à faire toujours plus de cadeaux aux ultra-riches en appauvrissant les plus démunis, en saccageant les ressources naturelles de la Terre, massacrant les opposants pour intimider ceux qui souffrent sans oser se rebeller. Et gai rossignol, et merle moqueur seront tous en fête, les belles auront la folie en tête, et les amoureux du soleil au cœur...
Le nom d'Emmanuel Fleury est de circonstance. Syndicaliste, résistant, secrétaire des Amis de la Commune, il commença ouvrier agricole, fut révoqué des PTT de 1929 à 1936 pour fait de grève, exclu de la CGT en septembre 1939 pour ne pas avoir désapprouvé le pacte germano-soviétique, joua un rôle de premier plan dans la grève des postiers, un des préludes essentiels dans la Libération de Paris. Son nom et sa vie réfléchissent à eux seuls le sens de cet article.

vendredi 24 mars 2023

La difficulté d'être


Pourquoi n'écris-je pas plus de billets d'actualité, choisissant plutôt de restaurer d'anciens articles qui me tiennent à cœur ? Il est certain que recycler certains textes qui n'ont pas perdu une ride est aussi rassurant que gratifiant. Je les rafraîchis, comme dirait un coiffeur. Mes lecteurs/trices d'il y a dix-huit ans ne sont pas forcément celles/ceux d'aujourd'hui. De mon point de vue, me relire me surprend, et je constate que je suis toujours le même, un peu meilleur, j'espère, grâce à celles et ceux dont j'ai croisé la route. Depuis des années on me suggère de publier un recueil de mes articles les plus intéressants. Comment choisir parmi plus de cinq mille ? Autant m'atteler à un nouvel ouvrage ! Au cours de cette vie bien remplie, j'ai souvent répondu à la commande, au désir d'autrui, quel que soit le support, le moyen d'expression. Il faut déjà que ça sonne. Parfois je n'y connaissais pas grand chose, ainsi il fallut chaque fois inventer pour pallier mes incompétences. On verra bien ce qui se dessine. Au début cela fait peur, et puis, dès qu'on se jette dedans à corps perdu, les solutions se déroulent comme une pelote de laine, comme siphonner un réservoir !
Ces derniers temps j'ai été accaparé par le mixage du disque de rock que je termine pour Nicolas Chedmail, par la lecture de projets en vue d'une bourse accordée par un jury auquel je participe, par mes instruments que je dois sans cesse pousser dans leurs retranchements. Je prépare aussi les prochains "pique-nique au labo" auxquels sont déjà invités Olivier Lété, Violaine Lochu, Tatiana Paris, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Denis Lavant, Lionel Martin et quelques autres formidables improvisateurs/trices d'ici la fin de l'année. Toutes ces activités me permettent de garder un contact social, puisque les propositions se raréfient un peu avec l'âge. Les "clients" meurent, font faillite ou prennent leur retraite. Il faut sans cesse rajeunir ses contacts. On vous oublie si facilement. Détestant les replis communautaires, fréquenter des jeunes de toutes générations m'a toujours paru évident. On comprendra donc que je ne chôme pas, si j'ajoute les disques que j'écoute, les films que je projette, les livres sur lesquels je m'endors, la cuisine que je concocte chaque jour avec la même gourmandise, mes vélos statique et mobile, les ami/e/s qui passent me voir et les tâches ménagères qu'une grande maison sollicite.
Il y a une autre raison qui m'empêche de m'ouvrir complètement sur ce qui me préoccupe. Déjà je ne voudrais inquiéter personne les rares jours où le blues prend le dessus sur le bleu du ciel. De plus, se plaindre n'a rien de sexy. Et puis, il n'y a pas de quoi, du moins à titre personnel. Il n'en va pas de même du monde qui marche sur la tête, des inconséquences des idiots qui nous gouvernent aux guerres stériles dont seules les populations pâtissent, avec le terrible réchauffement climatique qui reste hélas une vue de l'esprit pour la plupart alors qu'il est la menace majeure. Je m'inquiète évidemment pour l'avenir des enfants d'aujourd'hui. Nous avons fait notre temps, or il n'est pas terminé.
J'ai emprunté mon titre à Jean Cocteau, un auteur et un livre qui me sont chers. Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots.

jeudi 23 mars 2023

Ne jamais coller aux images


En indiquant de ne jamais coller aux images je ne rejoue pas le combat que mène Moïse contre Aaron dans le sublime opéra de Schönberg filmé par Straub et Huillet, mais j'évoque la question du synchronisme dans un film.
Si les sons valident souvent les gestes de l'utilisateur dans une interface multimédia [aujourd'hui on dirait "dans un jeu vidéo"], au cinéma il est jouissif de jouer des effets psychoacoustiques que permettent avances et retards des évènements sonores en regard de l'image (et non de l'action, car l'action est composée des deux !). Précéder de quelques images (un dixième de seconde, par exemple) l'action visible est logique si l'on considère l'inégalité de vitesse des deux composantes. De 340 mètres pour le son (dans l'air) à 299 792 458 mètres par seconde pour la lumière, le rapport est de 1 million pour 1. Même à un mètre de l'écran la différence me semble perceptible ! La raison scientifique n'est pas la seule motivation aux glissements du plaisir de ne pas être synchrone. Suggérer par le son ce que l'on va voir, installer une ambiance avant d'éclairer la scène, faire trébucher les personnages, rompre un équilibre qui n'existe pas et n'existera jamais, jouer la complémentarité sans rechercher une vérité imaginaire, est l'apanage de la discipline. Entendre par là mon indiscipline constitutionnelle à mon statut d'auteur. Le montage cinématographique a toujours joué de ces miracles. Adepte du synchronisme accidentel explicité par Cocteau dès La belle et la bête et le ballet du Jeune homme et la mort, je suis aux anges lorsque vient le moment de placer les éléments sur la timeline, le cours du temps, où chaque vingt-quatrième ou vingt-cinquième de seconde compte. Car cette différence la plus minuscule soit-elle transforme le sens ou l'émotion d'une version à une autre.
Lorsque Bernard interpréta Moïse et que je jouai le rôle d'Aaron en sous-titre français sonore dans une évocation radiophonique de Patrick Roudier, nous nous gardâmes bien de coller aux voix des chanteurs pour que le texte reste perceptible malgré notre französischer Sprechgesang en surcharge et pas seulement musicale ! Schönberg a dû se retourner dans sa tombe, mais j'emporterai ce souvenir palpitant [voire tragi-comique] dans la mienne...

Article du 23 Juillet 2010

mercredi 22 mars 2023

Père Lachaise


Je ne peux pas imaginer faire une promenade au Père Lachaise sans aller saluer le buste de Georges Méliès, le créateur du spectacle cinématographique qui finit ses jours comme marchand de jouets et de bonbons à la gare Montparnasse. Depuis ma dernière visite en avril 2007 [j'écris là en septembre 2010] le cimetière héberge pas mal de nouveaux pensionnaires ou certains que je n'avais pas encore croisés sur mon chemin buissonnier. Pierre Bourdieu, Alain Bashung, Marie Trintignant, Mano Solo, Henri Salvador, Ticky Holgado ont rejoint la cohorte des immortels qui peuplent ce havre de paix. C'est pourquoi Arman se trompe lourdement...


Comme il [était] agréable de passer le dernier jour du mois d'août à la campagne par un temps pareil ! Je suis pourtant surpris d'entendre très peu d'oiseaux même si je sais qu'ils ne sont pas loin, quelque part au-dessus de nos têtes. Plus angoissant, nous ne rencontrons pas un chat. L'heure du déjeuner peut expliquer les allées désertes, mais l'absence de gente féline est inquiétante. Aurait-on vidé le jardin de ses hôtes câlins ? Une partie du charme s'est évanouie... Ayant proposé à Marie-Laure et Sun Sun de jouer leur guide, je les ai menés sans répit trois heures durant sur les traces de Radiguet, Proust, Hedayat, Apollinaire, Eluard, Balzac, Nerval, Modigliani, Morrison, Piaf, Colette, Desproges, Chopin et tant d'autres. En vieux Père-Lachaisien, j'évite les guides qui se proposent, ayant toujours préféré me perdre dans le labyrinthe des allées qui portent le nom du dragon ou des chèvres. [Les photos de cimetière] exhalent toujours un étrange parfum de mystère qui n'a rien à voir avec la mort. J'y sens une formidable pulsion de vie, l'énergie créatrice de la nature, la régénérescence à l'état brut. [...]

mardi 21 mars 2023

Symbiopsychotaxiplasm & Cie


Coup sur coup, autour du 25 septembre 2010, nous avions regardé trois films américains indépendants que nous avait conseillés Elisabeth Lequeret, tous un pied dans le documentaire, un autre dans la fiction.
Le petit fugitif de Morris Engel (1953) raconte l'errance d'un gamin de 7 ans livré à lui-même dans la fête foraine de Coney Island. Il inspira tant John Cassavettes et Martin Scorcese que la nouvelle vague, des 400 coups de François Truffaut à À bout de souffle de Jean-Luc Godard qui écrivit vainement à Engel pour lui acheter la caméra spécialement construite par Charles Woodruff pour tourner au milieu de la foule quasiment sans être vu, et qui alla jusqu'à lui envoyer à New York son chef opérateur Raoul Coutard. Le film repose sur les épaules du jeune acteur Richie Andrusco qui ne fit pas carrière, mais dont le jeu exceptionnel fait glisser notre regard à hauteur d'enfant, ballade d'un gosse qui apprend à composer avec le monde des adultes.

En 2021, j'ai écrit un article beaucoup plus développé sur Le petit fugitif et les œuvres complètes de Morris Engel & Ruth Orkin.



Si Le petit fugitif se passe en un week-end à New York, The Exiles (Les exilés, 1959) de Kent McKenzie chronique une nuit à Los Angeles d'un groupe d'une douzaine d'Indiens du Colorado habitant le quartier de Bunker Hill. Le réalisateur insiste sur le rapport des hommes et des femmes dont la mélancolie de l'une d'elles répond aux libations des hommes qui draguent, boivent, se battent et dansent, perclus d'égoïsme mâle. La misère des déracinés, coupés de leur culture, est dramatique. Comme Charles Burnett, McKenzie fait participer ses acteurs à l'écriture du scénario, inventant un néoréalisme à l'américaine qui rappelle de Sica et, encore cette fois, Cassavetes. Dans les bonus du DVD figurent Bunker Hill de McKenzie (1956), d'autres courts-métrages montrant le Los Angeles de l'époque et White Fawn's Devotion, le premier film dédié aux natifs américains (1910)...
Mais le plus impressionnant reste Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 tourné en 1968, mais sorti seulement en 2005 grâce au soutien de Steven Soderbergh et Steve Buscemi. William Greaves, né en 1926, star afro-américaine passée par le National Black Theater et l'Actor's Studio, quitte le métier de comédien pour se lancer dans le documentaire à une époque où ce n'était pas du tout à la mode. Fortement impliqué politiquement, Greaves ne tient pas à passer sa vie à jouer des rôles d'Uncle Tom. Considéré comme le doyen des cinéastes afro-américains, il consacra sa vie à filmer son peuple et certaines de ses figures légendaires et produisit le Black Journal, premier journal d'actualités de la communauté noire à la télévision américaine. Aucun des films qu'il a tournés au National Film Board of Canada, puis avec sa propre société, ne semble accessible en France, mais Criterion a publié un double DVD avec l'époustouflant Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 et Symbiopsychotaxiplasm - Take 2½ tourné 36 ans plus tard.


Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 est un film expérimental unique qui n'est pas sans rappeler encore et toujours John Cassavetes. Mi-documentaire pour la participation de toute l'équipe au tournage et grandement présente à l'image et au son, mi-fiction avec des comédiens extraordinaires, passant une audition au milieu de Central Park, le film respire son époque pétillante à chacun de ses plans. Le multi-écrans que l'on ne connaissait alors que pour L'affaire Thomas Crown, tourné la même année, sert formidablement le propos et la musique de Miles Davis lui donne son swing. Derrière le prétexte d'un couple qui se déchire joué par trois couples différents, Greaves s'amuse à filmer, souvent à trois caméras, le joyeux chaos que cette période lui inspire avec la complicité de tous ses techniciens. Appelé à tort cinéma-vérité, un terme impropre à tout mouvement cinématographique, il filme la vérité du cinéma avec ses manipulations, ses errances et ses rencontres miraculeuses. Il compara lui-même son film à un saut dans le vide sans parachute. Les spectateurs d'aujourd'hui sauront le saisir au vol pour se laisser planer jusqu'à l'atterrissage.

lundi 20 mars 2023

Le Kronos décrit un arc-en-ciel en Asie Centrale


Pour la septième fois en trois jours [j'écoutais] le nouveau CD du Kronos Quartet enregistré en compagnie de musiciens afghans et azéris. L'album financé par The Aga Khan Music Initiative in Central Asia est accompagné d'un DVD, sorte de making of et de catalogue pour la collection Music in Central Asia réunissant huit autres références qui me font envie. Rainbow, un de leurs meilleurs depuis longtemps, propose une pièce d'une demi-heure du compositeur Homayun Sakhi et cinq mélodies d'Azerbaïdjan arrangées par Alim Qasimov. La première est censée réfléchir la multitude de communautés afghanes avec les parties du Kronos arrangées par un habitué du quatuor, Stephen Prutsman, et la participation du compositeur lui-même au rubab, luth aux cordes sympathiques, Salar Nader au tabla, Abbos Kosimov au doyra et qayraq, d'autres percussions. Les morceaux suivants sont arrangés pour le Kronos par Jacob Garchik avec l'ensemble de Qasimov qui chante avec sa compagne Fargana Qasimova, accompagnés de Rafael Asgarov au balaban, une sorte de hautbois, Rauf Islamov au kamancha et Ali Asgar Mammadov au tar, deux instruments à cordes, Vugar Sharifzadeh au naghara, un tambour. Tous ces instruments sont présentés en images, textes et extraits sonores sur le DVD et sur le livret de 44 pages.
Pour ces deux rencontres les arrangeurs ont dû trouver un moyen de figer les improvisations des Azéris et d'interpréter les enregistrements de l'Afghan pour que le Kronos puisse s'y fondre. Les musiciens traditionnels se mêlent merveilleusement aux partitions écrites du quatuor américain parfois tenté par un jeu plus ouvert. Le résultat, d'une incroyable unité, nous entraîne dans des contrées que l'on souhaiterait libérées de la colonisation déguisée des profiteurs belliqueux [ou de l'absurdité des mâles qui ont accaparé le pouvoir]. Le changement de repères nous fait chavirer, un peu comme hier matin lorsque je montrais à Sonia le film Les saisons de Pelechian avec les hommes dévalant les pentes entraînés par les immenses meules qu'ils tirent derrière eux ou faisant traverser leurs moutons à gué et à cheval au milieu des flots bouillonnants. À l'art du montage cinématographique de l'Arménien, j'oppose la fluidité et l'évidence de la musique, deux formes d'art que je tente de réunir dans mon propre travail. En me fixant des modèles inaccessibles, je peux me laisser inspirer sans risquer de les suivre !
Sur le site de l'éditeur Smithsonian Folkways, on peut avoir un avant-goût de chacun des neuf double albums en regardant gratuitement les making of mis en ligne. Tandis que je rédige ces notes, je ne peux m'empêcher de commander ceux d'Homayu Sakhi, des Qasimov et les rencontres sur les traces de Babur, trois volumes de la collection. Ces musiques m'insufflent une énergie hors du commun telle que les musiques traditionnelles savent transmettre, du jazz le plus hirsute au tango intello de Piazzolla, des tambours africains aux rythmes tziganes des parias reconduits à la frontière par une bande de bandits incultes.
Si vous préférez le Kronos Quartet et que vous voulez les soutenir ou vous faire un petit plaisir, sur la page Give de leur site vous [pouviez] vous faire une idée de ce qu'il vous en [aurait coûté], donations pures ou jusqu'à 149$ des enregistrements inédits, jusqu'à 499$ un CD avec autographe, 2499$ assister à un concert privé, 4999$ une répétition, 9999$ un dîner, 24999$ David Harrington en DJ chez vous, 49999$ avec concert du quatuor... C'est donné ? [Les prix ont probablement augmenté depuis cet article 31 août 2010] ? Je traduis peut-être mal le Give du titre de leur page...

vendredi 17 mars 2023

Dangers et limites de l'IA par elle-même


J'ai demandé à ChatGPT "Quels sont les dangers de l'IA ?". L'application d'intelligence artificielle m'a répondu :

L'intelligence artificielle (IA) présente plusieurs dangers potentiels, notamment :
1. Les biais : les algorithmes d'IA peuvent refléter les préjugés ou les discriminations de leurs concepteurs ou des données sur lesquelles ils ont été entraînés. Cela peut entraîner des résultats injustes ou discriminatoires, notamment dans les domaines de l'emploi, de la justice ou de la santé.
2. Le remplacement d'emplois : l'IA peut automatiser certaines tâches, ce qui peut entraîner la suppression d'emplois ou la réduction des salaires dans certaines industries. Cela peut avoir des conséquences économiques et sociales importantes.
3. Le contrôle des données : l'IA dépend des données pour fonctionner, et les entreprises ou les gouvernements qui contrôlent ces données peuvent utiliser l'IA pour surveiller ou contrôler les individus.
4. Les cyberattaques : l'IA peut être utilisée pour concevoir des attaques informatiques sophistiquées, ce qui peut compromettre la sécurité et la confidentialité des données.
5. L'impact environnemental : l'IA nécessite des ressources importantes en termes d'énergie et de traitement de données, ce qui peut avoir un impact négatif sur l'environnement.
Il est donc important de mettre en place des réglementations et des éthiques rigoureuses pour l'utilisation de l'IA afin de minimiser les risques et d'assurer que son développement se fasse dans l'intérêt de la société dans son ensemble.

Comme cela ne me suffisait pas, j'ai renchéri : "quelles sont les limites de l'IA ?"

L'intelligence artificielle (IA) a fait d'énormes progrès ces dernières années, mais il existe encore des limites importantes à son utilisation et à son développement. Voici quelques-unes des limites les plus importantes de l'IA actuelle :
1. Apprentissage limité : Les algorithmes d'apprentissage automatique utilisés dans l'IA ont besoin d'une grande quantité de données pour fonctionner correctement. Dans de nombreux cas, ces données ne sont pas disponibles ou sont de mauvaise qualité.
2. Compréhension limitée : L'IA est très bonne pour résoudre des problèmes spécifiques dans des domaines limités, mais elle a du mal à comprendre des situations complexes ou à s'adapter à des situations imprévues.
3. Limites du traitement du langage naturel : Les systèmes de traitement du langage naturel (NLP) de l'IA peuvent comprendre et produire du langage humain à un niveau de base, mais ils ont encore des difficultés avec les nuances et les subtilités du langage humain.
4. Biais : Les algorithmes d'IA sont formés sur la base des données qu'ils reçoivent, et si ces données sont biaisées, cela peut se refléter dans les résultats de l'IA. Il est important d'être conscient de ce biais et de travailler à le réduire.
5. Manque d'empathie : L'IA n'a pas la capacité d'empathie ou de compréhension des émotions humaines, ce qui limite sa capacité à interagir avec les êtres humains de manière significative.
6. Éthique : Les décisions prises par les systèmes d'IA peuvent avoir des conséquences importantes sur les êtres humains, et il est donc important d'adopter une approche éthique pour la conception, le développement et l'utilisation de l'IA.
Il est important de noter que ces limites ne sont pas insurmontables et que de nombreux chercheurs travaillent sur des solutions pour les surmonter. Cependant, il est important de reconnaître que l'IA a encore des limites importantes et qu'elle ne peut pas remplacer complètement l'intelligence humaine dans tous les domaines.

No comment.

jeudi 16 mars 2023

Chronique d'une révolution féministe


En regardant l'affiche du film de Nina Faure j'ai repensé au slogan que Marianne avait épinglé dans notre cuisine au début des années 70 : "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette". Je me suis aussi souvenu du disque pour l'Année de la femme (ça ne s'invente pas !) produit en 1975 par la Parti Communiste Français et pour lequel, jeune assistant, le Comité Central m'avait refusé la phrase d'Engels "la femme est le prolétaire de l'homme", soi-disant trop dure pour les camarades. Mon opinion sur ceux que nous appelions les révisos était déjà faite !


Chronique d'une révolution féministe est le sous-titre du film We are coming de Nina Faure. Le titre est bizarrement en anglais comme les chansons américaines à la fin de nombreux films français, ce qui n'est pas le cas ici lors du générique de fin de ce documentaire essentiel, la musique étant de Lou Cadet (TedaAK). Dès le début, Nina Faure attaque direct sur l'ignorance des femmes de leur propre morphologie, à savoir leur clitoris. Comme la suite reste fondamentalement pédagogique, même si traitée avec beaucoup d'humour et de joie communicative, je me suis aussitôt fait la remarque de l'ignorance des hommes sur leur propre plaisir lorsqu'ils assimilent l'éjaculation à l'orgasme masculin. Un autre film reste à faire si l'on veut comprendre ce qui est resté jusqu'ici inextricable dans le rapport sexuel, d'autant que le portrait à charge, néanmoins juste et justifié, ne leur donne pas la parole, si ce n'est par leur incapacité à témoigner, du moins telle qu'elle est là mise en scène. Ce court-circuit est ce qui m'ennuie dans les revendications féministes actuelles d'une jeunesse prometteuse, de plus en plus motivée. Mais peut-être faut-il en passer par là pour faire vaciller des siècles de patriarcat ? L'inconscient de la réalisatrice, présente hier soir à l'avant-première au Cin'Hoche de Bagnolet, lui joue d'ailleurs des tours lorsqu'à la fin du film elle annonce que les questions des hommes cis feront l'objet d'une seconde partie du débat, qui se clôturera pourtant sans qu'aucun n'ait pu en placer une ! Si les propositions de groupes de paroles, de grève du travail domestique (sur le modèle des Islandaises en 1975, et j'ai évidemment pensé à Lysistrata) sont formidables, elles aboutissent à une critique mécaniste de l'hétérosexualité par manque de dialectique. Et la revendication communautaire pointe évidemment son nez à la fin de la démonstration. J'avoue avoir une aversion pour tout repli communautaire, qu'il soit religieux, sexuel, local, professionnel ou autre. Si le film de Nina Faure est indispensable, de salubrité publique et d'une santé réjouissante, son efficacité est réduite par l'absence d'analyse de la réalité masculine au profit de la terrible oppression que les hommes font subir au "sexe opposé". Pas facile de devoir endosser le costume du mâle hétéro dans ces conditions, mais la brutalité absurde dont mes congénères font preuve depuis des siècles n'est pas plus confortable à assumer, si ce n'est en dénonçant la complicité des mères. Homme ou femme, allez le voir (il est programmé à l'Espace Saint-Michel à Paris pour les deux semaines à venir), il interroge et passionne, même si je reste sur ma faim.

mercredi 15 mars 2023

Le sexe assisté


Douze ans avant les témoignages "no sex" d'Ovidie et d'autres écrivaines qui uniformisent un peu vite les rapports sexuels entre hommes et femmes mais donnent un coup de pied dans la fourmilière, embarrassé par les frontières floues initiées par le mouvement MeToo qui aura eu le mérite de révéler des réalités insupportables comme "la promotion canapé" ou plus souvent "la pute gratuite", troublé par les replis communautaires que génèrent les questions du genre, je reproduis un article du 15 septembre 2010 sur trois films de Jean-Michel Carré qui m'avaient particulièrement remué.

En choisissant de regarder d'abord Sexe, amour et handicap, j'y allais plutôt à reculons, mais il faut parfois se faire (douce) violence pour avancer. J'avais choisi celui des trois films de Jean-Michel Carré qui a priori m'attirait le moins. J'ai été longtemps gêné par les handicapés et je continue à ne me pas me sentir rassuré, mais très vite le film m'époustoufle par la liberté des propos énoncés. Carré fait sauter un verrou énorme en évoquant le désir sexuel des handicapés tant moteurs que cérébraux, hommes et femmes, et la charge de celles et ceux qui les aident et que l'on nomme assistants sexuels. Il bouleverse le regard porté sur la prostitution qu'il avait déjà abordé avec Les travailleur(s)es du sexe.
Dans ce précédent documentaire, le réalisateur montre l'hypocrisie de notre société libérale. En France, la fermeture des maisons closes par Marthe Richard en 1946 avait jeté les filles dans la rue, la loi Sarkozy de mars 2003, alors ministre de l'Intérieur, qui réprime le racolage passif et profite à la mafia, les rend encore plus vulnérables. Leurs témoignages critiques, intelligents, sensibles remet les pendules à l'heure. Avec un regard politique sur leur métier, elles mettent en question l'exploitation de l'homme par l'homme, la prostitution non sexuelle comme la nécessité de l'assistance. Hommes et femmes, là encore, racontent leur profession en insistant sur leur rébellion contre une société basée sur la frustration, la répression et le formatage.
Les deux films sont précédés de la bande-annonce du documentaire de Virginie Despentes, Mutantes. Je croyais à tort avoir gardé le meilleur pour la fin. Là où je m'attendais à une succession de provocations "féministes porno punk" comme annoncé, le film est un montage rapide de fantasmes conventionnels. Au delà de la libération acquise par les féministes "pro-sexe" dans les années 80, la fascination réactionnaire des artistes interviewées pour le machisme mâle éclate sur l'écran contrairement aux prolétaires du sexe filmé(e)s par Jean-Michel Carré dont les revendications apparaissent autrement plus vitales et révolutionnaires. Ses deux enquêtes nous remuent fortement, laissant des traces indélébiles tandis que les commentaires explicatifs de Despentes montrent les limites de son sujet et de son montage. Elle cherche vainement à épater ou à choquer quand Carré remue le couteau dans la plaie des idées reçues. Le spectacle n'égalera jamais l'incroyable scénario du réel et, à comparer ces films, l'on assiste à une manifestation involontaire et passionnante de la lutte des classes. Le sexe en fait partie, comme de bien entendu...
En bonus, les entretiens de Despentes avec Catherine Breillat, Lydia Lunch, Annie Sprinkle, nettement plus intéressants que l'ennuyeuse suite d'extraits qui composent Mutantes, rejoignent les interrogations des films de Carré, mais les performances de Victor Marzouk, Laszlo Pearlman, Pierna Lungas et Pellea de Perras, plates représentations fantasmatiques des poncifs les plus en vogue, soulignent définitivement les limites du spectacle face aux urgences du quotidien. C'est dommage, car j'avais beaucoup aimé Baise-moi, et plus encore King Kong Théorie. J'espère ne pas être aussi déçu par Apocalypse Bébé [...]
Un troisième film de Jean-Michel Carré complète le coffret DVD [...] Drôle de genre est une comédie satirique où les rôles homme-femme sont inversés. C'est un peu outré et systématique, mais la relation ne l'est-elle pas ? Comme dans le film de Despentes, les femmes n'auraient pas d'autre choix que d'imiter les hommes et vice versa ! On pourrait pourtant rêver qu'elles ne commettent pas les mêmes absurdités ni les mêmes grossièretés si elles décidaient de bouleverser l'ordre imposé depuis l'éternité. À moins d'une catastrophe planétaire, ce ne semble pas pour demain...

mardi 14 mars 2023

Nuits blanches


Nuits blanches a la brutalité du rêve : rien n'est plus cruel que le réveil. En 1957 Lucchino Visconti abandonne le néoréalisme qui a fait son style et son succès pour un néoromantisme où le réalisme poétique sert l'intemporalité du conte. À l'époque la critique ne lui pardonnera pas. La beauté des images en noir et blanc colle avec les contradictions intérieures des protagonistes ; le flou du brouillard qui les grise, réalisé avec des tulles immenses au lieu d'effets de fumée, la neige qui tombe sur un coup de baguette magique font ressortir les sentiments puissants qui nous enchaînent et nous entraînent. Visconti porte le théâtre essentiel à l'écran par une maîtrise absolue de l'art cinématographique. Il construit à Cinecitta le décor de Livourne, la petite Venise, pour que l'intrigue soit non seulement de toujours, mais aussi de nulle part. Dans l'un des bonus qui accompagne la superbe copie remasterisée (Ed. Carlotta), le chef costumier Piero Tosi évoque le réalisateur avec une élégance et une maîtrise dont on devine la complicité avec le maître. Le film est une leçon de vie et une leçon de cinéma. La solitude des personnages montre à quel point il est difficile de partager le même rêve. Marcello Mastroianni en garçon pudique hors de son temps, Maria Schell en jeune fille à peine sortie des jupons de sa grand-mère, Jean Marais en beau ténébreux étonnamment froid et absent, Clara Calamai la prostituée dont la tendresse et l'injustice font partie du métier, vivent dans des mondes parallèles.
En revoyant le film, j'ai pensé au tragique Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, et puis j'ai eu très envie de revoir Les quatre nuits d'un rêveur, autre adaptation du même roman de Dostoïevski par Robert Bresson en 1971. Plus récemment James Gray rendit explicitement hommage au romancier russe et au réalisateur italien en filmant Two Lovers. La version de Bresson est, comme chez Visconti, en porte-à-faux par rapport à ses précédents films, plus terre à terre dans cet impossible qui le caractérise. Ses effets de modernité sont encore plus caricaturaux que le rock 'n roll de Nuits blanches, mais ils en retirent une éternité blessante qui nous renvoie encore à notre solitude tout en étant plus que jamais de notre temps. Sa direction clinique renforce l'aspect obsessionnel. Les quatre nuits d'un rêveur est, je crois, bloqué [en France] par des problèmes de droits, mais il serait passionnant de le comparer aux Nuits blanches comme le fit Criterion en publiant ensemble Les bas fonds porté à l'écran par Jean Renoir et Akira Kurosawa d'après un roman cette fois de Maxime Gorki...
Au cinéma, le pouvoir de l'imagination confère aux films un ailleurs qui nous est proche et que nous ne pouvons partager avec personne. Un célèbre carton dans Nosferatu de Murnau effleure cet inconscient qui se raccroche au réel en s'appuyant subrepticement sur le phénomène d'identification, reconnaissance de ce que nous avons déjà vécu, fut-ce dans un rêve : "De l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à sa rencontre."

Article du 16 juillet 2010

lundi 13 mars 2023

Sans pète au casque


Sans pète au casque... Mais tout de même j'ai eu chaud ! Embouteillage d'automobiles, de cyclistes et de piétons traversant tous n'importe comment la place Auguste Métivier devant la station de métro Père Lachaise.
Je connais très bien l'endroit pour y avoir eu mes fenêtres pendant treize ans. À cette époque-là il n'y avait pas de couloirs pour les vélos ni de feux tricolores un peu partout. Un jour un hélicoptère a même atterri en son centre pour emporter un grand brûlé. Certains soirs je voyais des noctambules escalader les murs du cimetière. Il paraît que récemment ont été installés des barbelés pour empêcher les rendez-vous nocturnes et les profanations. Où sont passés les chats ? Je me rappelle Zouzou que les mamies considéraient comme le roi de ce petit peuple. Il arrivait aussi que des cortèges de manifestants passent devant chez nous. Lorsqu'Elsa était petite, elle s'en souvient encore parce que c'était le jour de son anniversaire, mais aussi celui de la mort de Jim Morrison, le boulevard de Ménilmontant avait été envahi de jeunes gens qui avaient campé là toute la nuit. Mouloudji et Gotainer habitaient en face et Lucienne, l'adorable fromagère chez qui ils se fournissaient comme nous tant elle connaissait son métier, votait Arlette Laguiller. Mais la place a changé. Tout comme Paris s'est transformé depuis que j'ai déménagé de la rue Vivienne à la rue Léon Morane (devenue rue des frères Morane), puis à Boulogne à deux pas de la Porte de Saint-Cloud avant d'enfin revenir à ma ville natale place de la Butte aux Cailles lorsque ce quartier était encore populaire. C'est comme si nous avions chaque fois fui les arrondissements avant qu'ils ne deviennent bourgeois. Cela n'a rien d'étonnant vu les revenus de mes parents puis les miens pendant longtemps. Le plus gros changement fut l'obligation de rouler phares allumés, jusque là Paris portait merveilleusement son nom de ville lumière ; en en rajoutant, certes pour éviter quelques écrasements de passants, l'afflux l'a éteinte, faisant disparaître ses ombres mystérieuses.
Or jeudi dernier vers 17h j'ai fait comme tout le monde en tentant de rejoindre l'avenue de la République depuis l'avenue Gambetta. Au moment où j'allais emprunter la voie vélo j'ai vu arriver en trombe un cycliste à la monture très large qui roulait objectivement comme on fait lorsqu'on veut que tout le monde s'écarte sur son passage. J'avançais tout doucement, mais j'ai tout de même freiné pour le laisser passer alors que je devais me glisser dans l'espace étroit où s'interrompt la petite bordure qui délimite la voie vélo. Je hais ces longs monticules particulièrement dangereux, préférant largement prendre des rues sans protections, mais permettant plus facilement d'éviter les nouveaux chauffards que sont cyclistes et trottineurs. Je ne sais pas ce que j'ai fabriqué, un coup de guidon ou heurté cette bordure, je suis tombé sur le côté droit. Ma tête a heurté le trottoir. La cagoule et le casque que je portais m'ont sauvé tant le choc était violent. En plus, en ce moment j'ai des cheveux ! J'ai eu le temps de voir le cycliste brutal s'arrêter, se retourner et filer à l'anglaise pendant que deux Africains prévenants m'enjoignaient de ne pas me relever. Je les ai rapidement rassurés. Bizarrement je saignais du pouce gauche sous mon gant de cuir déchiré. Ni ma monture ni mes vêtements n'étaient esquintés, mais je sentais le coup sur ma tempe. Après un temps de respiration j'ai repris délicatement ma route vers le Centre Jacques Bravo où Linda Edsjö présentait son solo In This House, spectacle tout frais construit de bruits et de douceurs. Entre temps j'avais traversé une manif boulevard Magenta où les flics étaient plus nombreux que les manifestants, sans compter les cars planqués dans les rues adjacentes. Le lendemain mes courbatures étaient évidemment extrêmement douloureuses et invalidantes, et le surlendemain pas moyen de lever les bras. Si on me crie "haut les mains !" je suis mort. Rendez-vous est pris avec mon ostéo que j'avais justement consulté la veille ! J'en vois deux qui se marrent. Mais franchement, je le dis à tous mes ami/e/s : ne pédalez pas sans casque, même pour faire cent mètres. Pascal s'était retrouvé à l'hôpital le seul jour où il l'avait laissé chez lui, et je connais maintenant une dizaine de proches qui ont été accidentés. Le port du casque fait toute la différence.

vendredi 10 mars 2023

Pornographie du direct


Je pense évidemment à France, le dernier film de Bruno Dumont, en relisant mon article du 28 août 2010...
Heure de la sieste. Allongé sur le dos. Testant les chaînes TV sur mon nouvel iPhone je tombe par hasard sur la prise d'otages de Manille diffusée en direct sur Euronews. Séquence pornographique. Extrême violence du voyeurisme. Suspense de l'absurde. Un ancien officier de police, viré deux ans auparavant, s'est engagé dans cette entreprise suicidaire et criminelle pour demander sa réintégration ! Ce genre de coup de folie découle directement de l'écho médiatique qu'il est susceptible de rencontrer. La presse est complice. Tout a commencé dix heures auparavant, mais je ne regarde que le dénouement. Les commentaires des deux présentatrices sont ce qu'il y a de plus déprimant, parce qu'ils démontrent l'inanité de la télévision, son absence de regard. Traduisant servilement le prompteur en bas de l'écran et tentant maladroitement de comprendre les images depuis Bruxelles, les deux prétendues journalistes ne font que répéter avec un léger délai ce que n'importe quel spectateur est capable de voir, à condition de lire l'anglais, certes. Il y a bien des psychologues pour s'occuper des rescapés, ne devrait-il pas y en avoir pour nous accompagner ? Ne sommes-nous pas aussi les otages de cette société du spectacle ? Puisque c'est ainsi on pourrait imaginer d'autres compétences pour suivre l'action. Qu'est-ce qui peut pousser un individu à un tel désespoir ? Quels processus névrotiques poussent les prisonniers, les employés de France Telecom (l'autre nom d'Orange !), les forcenés, à se suicider, voire entraîner avec eux une quinzaine de touristes hong-kongais ? Pourquoi les cameramen cadrent-ils de telle ou telle manière ? Sur place, c'est le cafouillage le plus complet. Il pleut à torrent. Les parapluies obstruent les objectifs. La foule se presse. Au cours de l'assaut du bus immobilisé on entend plusieurs fois des gens rire. Qui sont-ils ? Comment une journaliste se retrouve-t-elle avec la responsabilité de devoir tenir en haleine les téléspectateurs tandis qu'il ne se passe rien à l'image ? Quel est son parcours professionnel ? Comment le preneur d'otages a-t-il choisi ses victimes ? Il semble qu'il ait relâché les enfants et les vieux. Mais ensuite ? Quelle marche de manœuvre a celle ou celui qui est en joue devant un M16 ? Comment sont formés les policiers pour résoudre ce genre de drame ? Quel degré de sophistication possèdent leurs armes ? Passé le fait divers, de quel malaise est-ce le symptôme ? Depuis le passage à l'acte de l'assassin jusqu'à l'absence de recul criminelle de la télévision, que nous inspire la société que nous avons façonnée, que nous le voulions ou non ? Jusqu'à quelles extrémités sommes-nous prêts à aller ? Comment évaluer notre degré de complicité ? Décidément, la bande-son de ce reportage manquait fatalement de profondeur... Je m'emporte probablement parce que je ne regarde jamais la télévision. Mais la presse écrite vaut-elle guère mieux ?

jeudi 9 mars 2023

Les uchronies de Jaco van Dormael


Neuf ans après cet article du 17 août 2010, j'avais découvert Cold Blood à La Scala à Paris, un spectacle illusionniste où le cinéma se jouait en temps réel, signé Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey... On y retrouve ses interrogations sur la mort, et donc la vie, qui m'avaient impressionné à la projection de Toto le héros... En 2015 était sorti Le Tout Nouveau Testament qu'il avait aussi réalisé...



Seconde chance pour Mr Nobody, un film quantique

Après Toto le héros (1991) et Le huitième jour (1996), le cinéaste belge Jaco Van Dormael [avait] attendu treize ans avant de réaliser son troisième long-métrage. Alors que le Festival de Cannes sélectionne quantité de navets, Mr Nobody (2009) a été refusé en sélection, mettant en danger sa sortie en salles, repoussée de plusieurs mois pour sortir discrètement en janvier 2010. Le scénario, fruit d'un travail quotidien pendant six ou sept ans, a dû être repris à la demande des distributeurs. Comme jadis Dans la peau de John Malkovich, l'édition DVD (Fox Pathé Europa) lui permettra peut-être de devenir un film culte au fur et à mesure des années. Car Mr Nobody échappe à la logique du cinéma de papa et fiston réunis, celui que nous infligent tant l'entertainment américain à destination des adolescents du monde entier formatés sur leur modèle et les balourdises hexagonales dont les ficelles ressemblent à des cordes à nœuds. Ce n'est pas non plus le cinématographe de grand-papa, même si l'invention plastique n'a rien à envier au temps du muet, car Mr Nobody est une autre manière de voir un film, si personnelle qu'elle n'augure pas même le cinéma de l'avenir. On peut éventuellement le rapprocher de l'excellent Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry ou de l'épouvantable L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher, en termes de préoccupations scénaristiques.


Impossible à raconter sans gâcher le plaisir du futur spectateur, Mr Nobody, 2h17 avec des comédiens anglophones, est un film d'anticipation, de construction complexe, basé sur les principes d'incertitude et les théories de Schrödinger, ce qui fit dire à des jeunes spectateurs qu'il s'agissait d'un film quantique ! Puisqu'il faut une explication à tout, la psychanalyse viendra au secours de la science pour justifier des univers parallèles que composent nos possibles "tant qu'on n'a pas choisi". Les images, les effets spéciaux, les décors sont à la hauteur de cet ambitieux projet qu'ils servent avec intelligence. Le recours à de nombreuses citations musicales sont justifiées par le propos et Jared Leto est formidable dans son rôle à transformations. J'en ai déjà trop dit, il vaut mieux vous souhaiter le plaisir de la découverte...

mercredi 8 mars 2023

Musique à distance du quartet Kaze & Ikue Mori


S'il y a deux ans leur précédent CD, Sand Storm, avait été enregistré en studio à New York, la nouvelle collaboration entre le quartet Kaze et la musicienne électronique Ikue Mori s'est déroulée à distance, d'une manière très originale. Lors d'un concert à Lille le trompettiste Christian Pruvost et le batteur Peter Orins ont diffusé les enregistrements new-yorkais d'Ikue Mori et ceux tokyoïtes de la pianiste Satoko Fujii et du trompettiste Natsuki Tamura. Les compositions des Japonais comme celles des Français enregistrées en studio ont été évidemment conçues pour permettre l'overdubbing, car chacun/e fut initiateur ou initiatrice d'une des pièces de l'album. Le résultat est très vivant, ne laissant pas supposer le délai spatio-temporel entre les improvisations des un/e/s et des autres. Des indications de jeu accompagnaient les fichiers envoyés d'un bout à l'autre de la planète. La musique est très libre, on dira abusivement free, tant les timbres et le rythme sont préférés à des mélodies facilement identifiables ou à des ensembles homogènes et uniformes. Elle joue sur l'énergie et le contraste, l'individualité et la complémentarité des protagonistes, distillant des surprises au détour des rencontres. Leur précédente collaboration, plus posée, à la fois homogène et contrastée, bénéficiait de la proximité, mais les deux démarches se complètent et offrent une bonne lisibilité des intentions de chacun/e comme de l'ensemble.

Avec Un drame musical instantané nous avions ainsi programmé l'échange de fichiers en 1989 avec le groupe Controlled Bleeding et en 2004 avec le Trio Ganelin. Les New-Yorkais n'ont hélas jamais renvoyé notre enregistrement amendé par leur contribution, mais j'eus le plaisir de travailler à distance avec eux il y a cinq ans (index 2 et 40). Le mélange (sans indication préliminaire) du Drame (composé alors du trompettiste Bernard Vitet, du violoncelliste Didier Petit et moi-même au synthétiseur) et du trio de Vyacheslav Ganelin (piano, trombone), Gershon Wayserfirer (oud) et Meidad Zaharia (percussion) n'est jamais sorti suite à la cessation d'activité de Mio Records, et seulement la moitié avait vu le jour. Nous étions enthousiastes, mais en musique on ne compte jamais les rendez-vous manqués... Kaze et Mori ont eu plus de chance !

→ Kaze & Ikue Mori, Crustal Movement, CD Circum-Disc, dist. Les Allumés du Jazz / Atypeek Distribution / Circum-disc, sortie le 17 mars 2023
→ Un D.M.I. & Ganelin, Overprinting, libre en écoute et téléchargement sur drame.org

mardi 7 mars 2023

Bernard Vitet avec Wayne Shorter...


1959. Jean m'envoie une photo de Bernard (Vitet) que je ne connaissais pas. Il est bord cadre, avec sa trompette, à côté de Georges Arvanitas, Wayne Shorter, Francis Darizcuren (ici au sax alto), Emmanuel Soudieux et Jean-Pierre Drouet. Mêmes soirées que les fameux passages d'Art Blakey et les Jazz Messengers au Club Saint Germain, précise Jean qui se souvient avoir discuté avec Bernard, ici un soir de 2001, de la "philosophie de la paresse" que Wayne Shorter évoquait dans Jazz Hot. C'est le genre de truc qui devait plaire à mon camarade. Il ne m'a jamais remis une pièce terminée, il fallait toujours que je recolle les morceaux et je rentrais les notes dans l'ordinateur sous sa dictée parce qu'il n'a jamais tenu une souris ! À l'époque de la photo, le jazz se jouait souvent dans les caves. J'imagine que c'est la mort récente de Wayne Shorter qui a fait remonter celle-ci de quelque archive. Bernard m'avait conté qu'un soir il avait vraiment mal joué. Il remplaçait tout simplement Miles Davis dans le "quintet de rêve", soit Shorter, Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams, mais Miles était dans la salle !
Je suis contrarié que les jeunes musiciens ne sachent plus qui est Bernard Vitet, et nombreux trompettistes ne savent pas ce qu'ils lui doivent. Je les renvoie à sa fiche Wikipédia. Il fut pour moi un troisième père après mon géniteur et Jean-André Fieschi. Ceux qui m'ont tout appris et surtout, plus important, les moyens de continuer à apprendre. Bernard est mort il y a bientôt dix ans et il me manque terriblement. Je n'ai personne à appeler lorsque j'ai une idée saugrenue, même s'il en prenait souvent le contrepied, m'obligeant à préciser mon projet. Pendant trente-deux ans nous avons travaillé ensemble presque cinq jours sur sept, et nous avions de très longs coups de fil le reste du temps. Le collectif que nous formions avec Francis Gorgé (Un drame musical instantané) est ce qui me manque le plus dans mon activité musicale. En de rares occasions il m'arrive d'avoir des conversations profondes sur la musique avec Sacha Gattino, Antonin-Tri Hoang, Pascale Labbé et celles ou ceux qui passent me voir ou avec lesquel(le)s j'enregistre. Mes articles m'offrent aussi des échanges qui me font réfléchir, mais j'adorais confronter quotidiennement mes élucubrations et mes doutes.
Les collectifs effectifs sont pour la plupart des histoires de jeunesse, voire d'extrême jeunesse. La majorité des groupes pop les plus fameux n'ont duré qu'une dizaine d'années dans leur forme originale, souvent la plus inventive, en tout cas fondatrice. La vie de famille et les aléas du métier nous coupent de l'enthousiasme partageur de nos débuts. Avec le temps la complicité s'estompe. Je poursuis dorénavant avec Bernard un échange imaginaire lors de chaque nouvelle avancée qui me semble déterminante ou lorsque je m'interroge sur la voie à suivre.

lundi 6 mars 2023

Mes petits pianos


Le hasard fait bien les choses. Lynda Michelsonne me demande de contribuer au livre qu'elle écrit sur les instruments construits par son père, les célèbres pianos-jouets utilisés par Comelade, Tiersen, Musseau, Les Blérots de Ravel et bien d'autres. Cherchant en vain des photos d'époque je me résigne à poser avec le retardateur, après avoir griffonné quelques notes [ce 9 juillet 2010].

Enfant, j'accumulais les objets cassés pour en faire des sculptures. Devenu musicien, je ne jetais aucune chose sans d'abord l'avoir fait sonner. On me parle souvent de ma collection d'instruments, mais c'est une boîte à outils, ma palette de timbres. Je ne me souviens plus comment j'ai acquis mes deux pianos Michelsonne, probablement des cadeaux d'amis qui n'en avaient aucun usage. Le son du plus grand vaut tous les glockenspiels d'orchestre. Ses fines tiges tubulaires sont justes et cristallines. Il évoque l'enfance, l'enfance de l'art, l'âme d'enfant de l'adulte et de l'interprète.
On l'entend sur Le réveil, au début de la seconde face de Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, mon premier disque, devenu culte grâce à la Nurse With Wound List. Enregistré en 1975 sur le label GRRR, il fut réédité par le label israélien Mio Records en 2003 sous la forme d'un double cd+dvd [puis par le label espagnol Fauni Gena (Wah Wah) en 2013 en vinyle+dvd]. Hélas, il y a trente ans, comme j'initiais de très jeunes enfants à la musique, ils tapèrent dessus jusqu'à en briser trois notes au milieu du clavier.
Aussi, récemment, quand je voulus l'utiliser pour la musique d'un film sur La chanson d'amour de Giorgio di Chirico avec le violoncelliste Vincent Segal, je me rabattis sur ses clones virtuels, plusieurs Michelsonne remarquablement échantillonnés par UltimateSoundBank. Rythmique ou mélodique, il possède une puissance et une poésie irremplaçables. J'aimerais beaucoup en retrouver un en bon état pour pouvoir en jouer à nouveau sur scène.

vendredi 3 mars 2023

Les grandes répétitions


Pour les avoir plusieurs fois évoqués dans cette colonne, je savais que le compositeur Luc Ferrari avait réalisé des films entre 1965 et 1967, mais je ne les avais jamais vus jusqu'à très récemment. Celui sur Edgar Varèse m'intriguait particulièrement et il aura fallu quarante ans pour qu'enfin les cinq grandes répétitions soient éditées [...] sous la forme de 2 DVD. En réalité les portraits de Varèse, Scherchen, Stockhausen, Messiaen et Cecil Taylor sont cosignés par le réalisateur Gérard Patris sur une initiative de son beau-père, Pierre Schaeffer, qui dirigeait alors le Service de Recherche de l'(O)RTF. Ferrari manque de peu la répétition avec Varèse lui-même qui a la mauvaise idée de mourir quelques jours avant l'enregistrement, mais il réussit de peu celui de Scherchen qui va s'éteindre deux mois après. Ces témoignages, aussi urgents que lorsque Guitry a l'idée en 1914 de filmer à l'œuvre Monet, Rodin, Renoir ou Saint-Saëns pour Ceux de chez nous, forment œuvre de salubrité publique. L'intelligence du regard porté sur ces artistes fondamentaux du XXe siècle fait entendre l'acte créateur dans ce qu'il a de plus intime et de plus authentique. Ce double DVD fait partie des rares objets qui devraient être obligatoires dans les écoles. Chaque film obéit à sa logique propre, réfléchissant les compositeurs et leurs interprètes au travail.
En l'absence d'Edgar Varèse, nous assistons à la répétition de Déserts dirigée par le grand Bruno Maderna et à celle de Ionisation par Constantin Simonovic, augmentés de l'Hommage rendu par Xenakis, Schaeffer, Boulez, Messiaen, Scherchen, Jolivet, Duchamp et les exégètes Fernand Ouelette et Pierre Charbonnier.
Le chef d'orchestre autodidacte Hermann Scherchen a commencé en dirigeant le Pierrot Lunaire de Schönberg. Il a créé quantité d'œuvres de Berg, Webern, Hindemith, Richard Strauss, Dallapiccola, Roussel, Dessau, Stockhausen, Nono, Xenakis, Henze et Déserts qui fit scandale en 1958, mais c'est avec L'art de la fugue de Bach que nous suivons ici ses indications. Son épouse, la mathématicienne roumaine Pia Andronescu, raconte en français à leurs cinq enfants qui fut leur père récemment disparu, un être généreux au-delà de la musique.
Toujours en français, Karlheinz Stockhausen commente son travail et dirige son œuvre emblématique Momente qui révolutionne toute la musique contemporaine en organisant une sorte de cut-up inouï où se mêlent mélodies, onomatopées, applaudissements, lettres d'amour à sa femme ou Le Cantique des Cantiques. Martina Arroyo y est exceptionnelle avec l'orchestre et les chœurs du West Deutscher Rundfunk.
En Et Exspecto Resurrectionem Mortuorum d'Olivier Messiaen je reconnais ce qui inspira à Bernard la musique de ma chanson Les oiseaux attendent toujours le Messie qui clot notre CD Carton ! Enregistrée la veille de la création dans la Cathédrale de Chartres sous la direction de Serge Baudo, l'œuvre permet au compositeur d'en donner les clefs, véritable discours de la méthode, analyse des timbres, précision de l'interprétation.
Le plus provocant reste le pianiste Cecil Taylor [...] dont le free jazz reflète les positions politiques radicales. Taylor resitue sa musique dans le contexte historique de sa communauté afro-américaine, il exprime ce qu'aucune analyse musicale ne peut offrir, le pourquoi des choses, l'urgence de la révolte. Même si Messiaen fait exception en évoquant pieusement son Dieu, c'est en fait le lot de chacun des compositeurs choisis par Luc Ferrari, d'immenses provocateurs !


Il nous offre cinq leçons de musique qui l'ont certainement influencé, car il fut lui-même un très grand symphoniste (Histoire du plaisir et de la désolation) à côté de ses activités électroniques et radiophoniques. Minuscule bémol eu égard à l'importance des films, mais on eut aimé plus de soin dans l'édition du livret qui recèle nombre de coquilles jusqu'aux étiquettes des DVD qui ont été inversées. Absolument indispensable si l'on s'intéresse à la musique quelles que soient ses compétences en la matière !

Article du 14 juillet 2010

jeudi 2 mars 2023

Mairie des Lilas comme si c'était une gloire


Voilà 22 ans que j'habite à proximité du métro Mairie des Lilas et qu'il est question du prolongement de la ligne 11 qui desservira Romainville, Montreuil, Noisy-le-Sec, Rosny-sous-Bois... En attendant, la ligne est fermée pour travaux et essais des nouvelles rames MP14, les soirs à partir de 22h du mardi au jeudi inclus jusqu'au 28 septembre 2023, et totalement entre les stations Belleville et Mairie des Lilas du vendredi 24 mars au dimanche 2 avril 2023. Le métro devrait être enfin opérationnel au printemps 2024.



Le 13 juillet 2010 j'écrivais :
Station Jourdain j'ai pensé aux parents seuls avec poussette lorsqu'il n'y a ni ascenseur ni escalator. Qu'est-ce qu'on attend pour soulager le fardeau des vieux, des handicapés, des mômes, des porteurs de valises et des râleurs ? Le train s'est arrêté au milieu du tunnel. Le conducteur pensait-il à un miracle lorsqu'il a prononcé Marie des Lilas comme si c'était une gloire ? Au terminus, je me suis ému d'une petite blonde, une canette de bière à la main, retenant ses larmes face à son punk à crête qui ne cédait pas au chantage affectif. Elle a fini par lui emboîter le pas. Combien de temps faut-il pour apprendre à ne pas se faire soi-même du mal quand on est contrarié ?
Un Africain en salopette bleue balayait consciencieusement en bas des marches. En haut, les habitants avaient ouvert leurs portes pour laisser le vent s'engouffrer. Parfois, le rideau de fer à moitié baissé ne laissait entrevoir que leurs jambes. Au premier étage des Arabes regardaient la télé au milieu des lits superposés. J'avais totalement échappé au Mondial. Moi qui suis toujours en colère sans n'être plus énervé, j'arborais mon regard attendri des soirs d'été lorsque l'on est amoureux. On dit bonsoir à des inconnus, on leur sourit. Combien de temps faut-il pour apprendre que la bienveillance est inutile si nos interlocuteurs ne sont pas réceptifs ? On donne à qui peut prendre. On parle à qui veut l'entendre. La moindre insistance braque celles ou ceux que les miroirs désespèrent. On a beau leur dire qu'on est comme eux, leur porte est cadenassée. Un chauffard dévale la rue à fond la caisse, toutes vitres fermées. J'ai d'abord cru que c'était pour faire de l'air. Plutôt une illusion de puissance.
Nous essayons de vivre ensemble, mais le passé dicte nos pas avec la brutalité des inconscients multipliés. On fait payer à ses proches le déficit des années antérieures. Et cela ne date pas d'hier ! Jusqu'à combien de générations faut-il remonter pour comprendre ce qui nous torture ? Si nous étions capables de marcher autrement qu'à reculons vers le futur, atteindrions-nous la sagesse ? Impossible, tel le bonheur on peut y tendre ou y prétendre, ce ne peut être un but, tout juste un vecteur. La paix intérieure permet de relever la tête et de se battre contre les démons, les siens, ceux des autres, l'humanité tout entière. Le concept de B.A., la bonne action des scouts, n'est pas si débile, pas que l'on s'y adonne mécaniquement pour se donner bonne conscience, mais parce qu'elle oblige à s'interroger sur notre vie pétrie de conventions et d'habitudes.

mercredi 1 mars 2023

Partout j'écris ton nom


Écrire, toujours écrire. Chaque jour, tous les jours. [C'était le 10 juillet 2010.] S'il n'y avait qu'ici, mais là aussi. [Aujourd'hui.] Jouer avec les mots ou les sons échappe aux lassantes habitudes. Mon amour pour l'écriture finit par se savoir. En vérité, j'improvise. Ma main ne m'obéit même pas. Elle revnerse les lettres. Sommes-nous tous dyslexiques ? Les idées tricotent. Les bulles de savon éclatent en frôlant la portée. Les clefs perdues, je rentre par la fenêtre. L'assurance se nourrit de la commande. Courte, elle se construit phrase après phrase. Conséquente, l'intro - trois parties - conclusion mène le bal. Ça sonne aux abonnés absents. Le regard perdu sur la ligne bleue des Vosges. Oiseaux devant, oiseaux derrière, peu d'automobiles, autant d'avions, insecte, un autre, encore... Dix lignes pour hier soir, quatre ou cinq feuillets pour très vite, le nouveau projet pour la semaine prochaine, les comptes, les chèques, signer ou faire signer ? Je passe d'un clavier à un autre. Le merle est revenu. À l'instant ! C'est la fête. Je me demandais.


Si Vincent Segal ne m'avait pas raconté qu'il adorait Fra Angelico, lui aurais-je proposé d'enregistré le playback du Couronnement de la Vierge ? Sur la basse recopiée trois fois, il ajouta la seconde voix. Je n'aurais plus qu'à poser un instrument à vent sur la corde à linge de ses violoncelles. À la recherche de trompettes célestes, j'ai ressuscité le bugle de Bernard Vitet cryogénisé il y a plus de vingt ans dans le S1000 [cassé depuis, je l'ai fait tomber]. Différents timbres. Mes mains font ce qu'elles peuvent. Je ne pense qu'au sens, à l'émotion que la scène me procure. Enregistré dix prises successives, pratiqué des élisions chirurgicales jusqu'à ne garder que l'essentiel. Sonia y entend de la bienveillance. C'est ma manière de traiter avec le sacré. Idem avec La Vierge aux rochers de Vinci. J'ai demandé à Elsa de la jouer comme Edith Scob dans La voie lactée de Buñuel, comme si elle chantonnait en faisant la vaisselle. "Ne te rase pas mon fils, la barbe te va si bien !". Elle est tendre avec les bambins, bienveillante. Un coup de vent, un ru, je noie sa voix dans l'écho de la grotte (et non pas...). Je n'ai pas pu m'en empêcher. Comme l'illustration de l'article !


Traiter avec l'histoire de la peinture, c'est se coltiner un paquet de bondieuseries. Sans foi, on s'invente sa loi. Pour y arriver, je me glisse souvent dans la peau de l'artiste, je pense à son salaire, au délai qu'il lui fallut respecter, au refus de ses commanditaires, au scandale que sa plume ou son pinceau provoquèrent... À condition de pouvoir jouer sur les deux tableaux, auteur ou sujet, le système d'identification fonctionne aussi bien en musique qu'au cinéma ou au théâtre. Je prends l'accent de mes modèles pour voyager dans le temps.