Je raconte souvent que je ne regarde jamais la télévision, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Abonné à Canal+ et à Ciné-Cinémas, je vois de temps en temps en temps des films et de rares émissions de création, évitant soigneusement tout ce qui constitue le paysage télévisuel standard, en particulier le Journal, les débats, la télé-réalité, le sport, la publicité, etc., et la pratique du zapping. Sur un écran de plus de trois mètres de base, la laideur s'étale avec trop d'évidence. L'effet de loupe force l'analyse et souligne l'entreprise de manipulation. Une fois par an peut-être, je tombe estomaqué sur l'horreur offerte quotidiennement à ce qu'il est coutume d'appeler les téléspectateurs.
Pour choisir les films programmés sur la vingtaine de chaînes qu'il m'arrive donc de sélectionner grâce à l'antenne satellite accrochée sur le toit, je feuillète un magazine qui en précise les horaires. Si Libération et Le Monde, récupérés tôt le matin dans la boite aux lettres, en signalent quelques uns, le Télérama du mercredi reste un outil précieux, d'autant qu'il fait également office de magazine de société qui est loin d'être le pire dans les dossiers qu'il effleure. Pour y avoir longtemps coché les programmes de France Musique et France Culture où j'enregistrais des heures et des heures de musique sur cassette audio, j'ai conservé la pratique de vérifier ce qu'il y a à la télé avant d'opter pour un DVD plus en accord avec mes centres d'intérêt. Les autres canards auxquels je suis abonné, Cahiers du Cinéma, SVM Mac, Le Monde Diplomatique et les magazines de musique dans lesquels il m'arrive d'écrire, ne sont d'aucune aide pour occuper mes soirées, préférant d'une part la lecture matinale et d'autre part ne supportant pas facilement les petites lignes après une journée passée à en décrypter et en taper sur les écrans envahissants de notre espace vital. Le soir, je ferme les volets et m'écroule en général sur le divan ou dans un fauteuil pour m'obliger à me déconnecter de mon hyper-activité, quel que soient les sens qui ont été mis à l'épreuve pendant la douzaine d'heures intense passée à travailler sept jours sur sept.
Ainsi hier soir samedi, le jour le moins sexy de la programmation télévisuelle, je note à 20h45 sur Canal un polar de Nicolas Boukhrief intitulé Cortex dont le sujet semble intéressant, l'enquête d'un inspecteur atteint de la maladie d'Alzheimer, placé dans une maison de retraite où les pensionnaires meurent un peu trop souvent. Le handicap du héros interprété avec la plus grande sensibilité par André Dussollier crée un climat de mystère et de suspicion qui fait partager ses doutes au spectateur, notre mémoire étant astucieusement mise à l'épreuve comme la sienne. L'ambiance de la clinique offre de formidables dialogues surréalistes et la veilleuse violette des nuits nous plonge dans un état semi-comateux où la paranoïa flotte comme un doux délire. Comme dans Memento, l'oubli structure le récit et produit de vrais effets de cinéma. Aux côtés de Dussollier dans un de ses meilleurs rôles, les autres comédiens sont tous formidables, donnant sa profondeur à l'abîme de perplexité dans laquelle nous sommes plongés.