70 Cinéma & DVD - mai 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 31 mai 2012

Performance improvisée - 1er mouvement


Claudia Triozzi et Vincent Segal avaient joué ensemble il y a quelques années. Lui et moi collaborons relativement souvent ces derniers temps. Il ignorait tout de Sandrine Maisonneuve. Je n'avais jamais rencontré les deux chorégraphes / danseuses qui ne se connaissaient pas non plus. Nous n'avions rien répété, ni préparé ensemble. Au moment d'entrer en scène les filles ont demandé si l'on attaquait direct ou si l'on se plaçait d'abord. Nous avons rejoint la salle sans avoir décidé !


Je suis arrivé en sautant à pieds joints. Sandrine Maisonneuve s'est assise à la place de Vincent Segal. J'ai traversé la salle du Triton en faisant tourner un rhombe au-dessus de la tête des spectateurs assis tout autour de la scène centrale. Claudia Triozzi chantera pendant presque toute la performance, accompagnant sa voix de mouvements du corps sans vraiment danser au sens classique du terme. Ce rôle sera dévolu à Sandrine. Cela commençait bien !
Dans le premier extrait intitulé arbitrairement "Completamente", mon Tenori-on brille dans l'obscurité. On comprendra plus tard quelle mouche a piqué Vincent pour qu'il se déchausse...

mercredi 30 mai 2012

Téléromand en 16 films


À l'issue de quatre mois de résidence dans le nord de la France, Françoise Romand a monté 16 courts métrages dont seulement 6 sont actuellement visibles en ligne pour des questions de droits. Le contrat stipulait un geste artistique sans qu'il soit forcément suivi d'une réalisation. Intervenant auprès d'enfants et d'adultes des villes de Tourcoing, Roubaix, Villeneuve d’Ascq et Wattrelos de novembre 2011 à février 2012, la réalisatrice leur a fait jouer des scènettes en fonction de leurs choix et de leurs aptitudes. Par le montage et la confrontation avec la musique qu'elle a pioché sur drame.org elle a expérimenté le no (wo)man's land qui est sa marque de fabrique, entre documentaire et fiction. Les participants des huit écoles et de l'Institut Lillois d'Éducation Permanente se sont pris au jeu et les portraits ont acquis une gravité en apesanteur. Téléromand est devenu un laboratoire où, dans un premier temps, la complicité avec les protagonistes fut l'axe central et où, au montage, les pièces interprétées par Sacha Gattino, Alexandra Grimal, Antonin-Tri Hoang, Brigitte Lyregaard, Vincent Segal et moi-même ont infléchi le sens, produisant une distance analytique ou accentuant les intentions dramatiques.


Les six vidéos en ligne ne nécessitant pas de mot de passe pour être visionnées sont La caméra change de main qui fut projetée pendant deux mois à La Condition Publique en marge de l'installation Terres arbitraires de Nicolas Clauss, Mix-Up Remix où les enfants rejouent une scène du célèbre film de Françoise Romand de 1985, Variations sur les émotions 1 et 2, Chacuns et Éblouissement.

lundi 28 mai 2012

Portée


Les petits sont arrivés sur le fil comme une bande de hooligans. Françoise Romand a dégainé sa caméra. Mes commentaires l'agaçaient. Ne pouvais-je me taire ? La voix humaine, hors-champ, souligne pourtant la perspective. Comment échapper au cliché animalier YouTube ? Françoise a monté le morceau que Bernard Vitet et moi avions enregistré à l'été 1976, au tout début de notre collaboration qui allait durer trente-deux ans. Celle avec Françoise date de bientôt dix. Le violon, la contrebasse à tension variable et l'orgue à bouche se mélangeant aux piaillements et aux bruits d'ailes, l'évocation commune de la portée est devenue une réalité langagière bien que ce Poison soit paradoxalement une musique non écrite. Tout le monde fait semblant, les oiseaux, nous, Françoise, les spectateurs. Envie d'y croire. L'anthropomorphisme fait le succès des plans-séquences qui inondent la Toile. Retour à l'envoyeur. Les oiseaux ont donné corps à notre dialogue ornithologique. Clip.

mardi 22 mai 2012

Du crime mexicain


Fort sentiment de malaise à la projection d'El Sicario, chambre 164 qui sort en DVD aux Éditions Montparnasse avec deux autres films de Gianfranco Rosi. Un tueur à gages pour le compte de narcotrafiquants mexicains, responsable de la mort de plusieurs centaines de personnes et dont la tête a été mise à prix 250 000 dollars témoigne le visage masqué face à la caméra pendant 80 minutes. Le type agrémente son récit de petits crobards répétitifs comme font les businessmen qui veulent se donner une contenance et mime quelques scènes, mais cela ne constitue pas un film pour autant. Au delà de l'absence de regard critique ou de parti-pris cinématographique, le doute s'installe sur la véracité du témoignage. La réalité mexicaine est probablement juste, mais tout est très vague, catapulté, comme si l'on voulait faire vrai sans donner la moindre piste qui l'accrédite. Aucun détail n'est révélé, soi-disant pour protéger l'ancien homme de main qui se répand en descriptions morbides des tortures. La voix grave et monotone de ce narrateur dramatise des généralités qu'on a pu lire dans tous les journaux, le prétendu Sicario se mettant en scène tel qu'il se croit attendu et en en faisant des tonnes, jusqu'à sa rédemption bidon, foudroyé par Dieu, passion/prison ressemblant étonnamment à sa vie criminelle. On en est à se demander si c'est du reportage ou de la reconstitution. Il est à craindre que ce soit les deux, voire explicite. En plus, c'est filmé comme de la radio, l'image n'apporte rien. Quitte à se faire mener en bateau, je préfère carrément la fiction d'Adrian Grunberg, Get The Gringo, avec Mel Gibson, qui se passe dans un village-prison à la frontière mexicaine et où sont mis en scène avec une certaine originalité scénaristique la violence, la corruption et le système D. J'y ai appris beaucoup plus de choses sur la collusion des pouvoirs des deux côtés de la frontière et sur ces micro-sociétés que constituent les cités-prisons d'Amérique du Sud et Centrale.




Les deux bandes-annonces réfléchissent assez bien le sentiment de malaise que j'ai ressenti, bien plus fort dans le reportage complaisant de Gianfranco Rosi que dans la pochade vériste d'Adrian Grunberg. Sous prétexte de cinéma direct ou de vidéo expérimentale on nous fait avaler tant de films en mal d'inspiration qui prétendent montrer la vie telle qu'elle est alors qu'il ne s'agit que de tournages paresseux. Il est à craindre que Rosi ait simplement eu envie de croire son personnage et se soit fait mener par le bout du nez comme les jurys de festivals qui l'ont adoubé à sa suite.

mardi 1 mai 2012

L'esprit de l'escalier


Les filles avaient envie de regarder un bon thriller. Comme les comédies, ce genre de demande est de plus en plus difficile à satisfaire. On a presque tout vu, du moins parmi les meilleurs. Il faut trouver un film que personne ne connaît. J'ai proposé The Staircase de Jean-Xavier de Lestrade (DVD ed. Montparnasse), un feuilleton documentaire en huit épisodes, en tout six heures certes un peu étirées, mais le suspense et les coups de théâtre nous ont tenus en haleine depuis la découverte du corps jusqu'au verdict. Tiré de 650 heures de rushes, tourné jusqu'à trois caméras, le film ne comporte aucun commentaire.


Crime ou accident ? Pas question de révéler ici quoi que ce soit de cette affaire qui a pourtant été énormément couverte par les médias, en particulier grâce au film, et dont de nouveaux épisodes sont en cours de tournage et montage, plus de dix ans après les faits, car les rebondissements n'ont pas cessé depuis le verdict. Juste situer la mort de Kathleen Peterson en bas d’un escalier de sa maison le 9 décembre 2001 à Durham, Caroline du Nord, un état du sud des États Unis particulièrement réactionnaire. Son mari, Michael Peterson, romancier à succès et personnage public, est suspecté l'avoir assassinée. Très vite, la morale devient le véritable mobile, non pas de la mort, mais du procès en sorcellerie que l'accusation déballe au fur et à mesure. Le procureur s'acharne. La bataille des avocats dure des mois...
Je voulais titrer "Le mauvais esprit de l'escalier", mais les deux jeux de mots imbriqués compliquaient les choses. L'esprit de l'escalier, propre à tout long procès, descendait de Lestrade quand le mauvais esprit incombait au procureur et à sa coéquipière tentant de convaincre les jurés de la culpabilité de Peterson non sur ses actes supposés, mais sur ses inclinations sexuelles sans rapport avec le sujet. Et l'esprit de l'escalier ne sera découvert que des années plus tard. Mystère. En 2002 le réalisateur avait reçu un Oscar pour Un coupable idéal, un jeune noir accusé à tort, mais The Staircase (traduit Soupçons en français) me fait plutôt penser à Capturing The Friedmans, chef d'œuvre d'Andrew Jarecki (DVD mk2) pour ses ramifications morales et l'usage de la vidéo, ici caméra à l'épaule omniprésente, chez Jarecki home-movies exceptionnels constituant une sorte de tournage parallèle.