Admirateur des maisons de poupée du Rijksmuseum d'Amsterdam et des dioramas en général, j'étais déjà totalement fasciné par les Boîtes de Charles Matton sans en connaître l'origine exacte. Au départ l'artiste avait construit ces décors miniatures pour les photographier, parce que c'était plus simple que grandeur nature ! Il les module en fonction de la lumière du jour désirée, transforme tel ou tel accessoire, etc. Or Charles Matton est d'abord un peintre, un maître de l'illusion. Le film réalisé sur lui par son épouse et collaboratrice, Sylvie Matton, montre l'étonnante maîtrise de cet homme capable de saisir la réalité en préservant le recul nécessaire à tout artiste digne de ce nom. La démonstration est époustouflante, qu'il dessine (illustrateur pour le magazine Esquire sous le pseudonyme Gabriel Pasqualini pour raison alimentaire), et surtout qu'il peigne, sculpte, photographie ou qu'il filme !
Le magnifique livre publié sous la direction de Sylvie Matton se focalise sur les réalisations cinématographiques de Charles Matton, d'autant qu'il est accompagné de 4 DVD avec la quasi intégralité de ses films, soit quatre longs métrages et trois courts. S'ils sont extrêmement différents les uns des autres, ils obéissent tous au regard aiguisé d'un homme en quête de la beauté, d'une exigence absolue lorsqu'il s'agit de son art. La pomme ou l'histoire d'une histoire est un court métrage sur son travail pictural et sur sa vie, comme l'on sait qu'une œuvre est presque toujours un autoportrait, fut-il bien maquillé. Matton est d'ailleurs un figuratif, comme Francis Bacon avec qui il y a un certain cousinage.


En 1973, son premier long, L'Italien des Roses, rencontre un succès d'estime colossal. Tourné en noir et blanc, il pointe l'absurdité de notre société du spectacle en filmant les réactions schizophrènes de la foule devant le jeune Richard Bohringer sur le point de sauter d'un toit pour se suicider. Point de flashbacks, mais un mille-feuilles temporel où les scènes s'expliquent d'elles-mêmes en sons et en images. Matton veut exploiter chaque médium pour ses qualités propres. Il ne fait pas de films de peintre, il détourne les outils pour inventer son récit. En 1976, il rate Spermula qui aurait dû s'appeler L'amour n'est qu'un fleuve en Russie. Trop d'argent, pas assez, trop de compromis et de pressions certainement pour un film qui apparaît aujourd'hui comme un érotique rose sous emballage fantastique, la grande mode de l'époque (Le dernier Tango à Paris, Les valseuses, Emmanuelle, etc.) pour braver la loi du classement X dont Godard dit que dorénavant il y aura les films au-dessus et ceux en-dessous de la ceinture. Les décors et les costumes de ce film quasiment féministe sont incroyables. Comme toujours Matton joue des ombres et de la lumière. Il fustige la brutalité machiste, interroge l'amour et les rapports de pouvoir. En 1994 sort un second chef d'œuvre, La lumière des étoiles mortes, inspiré par l'histoire de sa famille au début de l'Occupation allemande. Cette fois l'autobiographie est explicite. Son fils joue le rôle du cinéaste lorsqu'il était enfant, Jean-François Balmer son père persuadé de découvrir une martingale à la roulette, Caroline Sihol sa mère rêvant les événements à venir. C'est un film sur l'innocence de l'enfance, sur les souvenirs qui s'effacent avec le temps, sur la mort comme moment poétique de la vie... Chez Matton les miroirs ne réfléchissent pas toujours, grâce aux illusions des doubles chambres et des glaces sans tain ils prennent leurs aises. Si la réalité existe, elle se tord, elle fond, dégouline et se perd dans la nuit. En 1998 son dernier long est l'histoire de Rembrandt, de son arrivée à Amsterdam à sa mort, comme un miroir aux interrogations du cinéaste, que ce soit dans sa peinture ou dans ses difficultés professionnelles pour être reconnu à sa juste valeur. Le monde de l'art et des collectionneurs ne semble pas avoir beaucoup changé depuis le XVIIe siècle. Ajouter les courts métrages Mai 68 ou les violences policières et Activités vinicoles dans le Vouvray pour compléter ce portrait quasi exhaustif de l'artiste en cinéaste avec, en plus, l'indispensable Charles Matton, visiblement de son épouse et collaboratrice Sylvie Matton qui fait le tour de son œuvre protéiforme.
Le livre qui recueille les quatre galettes argentées est le petit trésor qu'elle a confectionné avec passion, magnifiquement illustré de documents, photographies, croquis, trucages, témoignages dont celui de son acteur fétiche qu'il aura révélé, Richard Bohringer (avec qui nous enregistrâmes Le K de Buzzati en 1992, nous valant une nomination aux Victoires de la Musique !). C'est le genre d'objet que j'adore, où il y a à boire et à manger dans le meilleur sens des termes, comme les films qui donnent aussi à entendre, car Matton comprenait chaque fois ce que les supports qu'il choisissait lui offraient.

coffret Charles Matton cinéaste, livre de 300 pages + 4 DVD, ed. Carlotta, 60€