Je suis resté, j'ai vu, j'ai été vaincu. Pas pu venir, je ne bouge pas tant que ça et pour cause. Vaincre, quelle drôle d'idée ! Donc, depuis ma dernière revue confiné et mes articles sur des œuvres particulières (rubrique Cinéma & DVD), j'ai regardé pas mal de films et de séries. Le soir, la projection me fait oublier les bruits du monde pendant quelques heures.
J'ai continué mon festival Agnieszka Holland avec le polar français Olivier, Olivier et un énième film sur l'Occupation allemande en Pologne, Amère récolte. Tous ses films sont intéressants. Je ne comprends toujours pas le besoin d'hémoglobine gore dans les films actuels comme Possessor de Brandon Cronenberg qui me fait fermer les yeux pendant plusieurs passages malgré un scénario prenant, dans le style de son père. Les évadés de Santiago (Pacto de Fuga) est un bon film d'évasion chilien de David Albala évoquant la période Pinochet évidemment. I Care a Lot est une comédie noire et cynique de J Blakeson plutôt amusante. Je me suis tellement ennuyé devant le multi-oscarisé Nomadland que je préfère éviter le sujet. Son succès ? Un mystère. Je vous raconte tout cela dans le désordre, ma mémoire étant en ce domaine aussi mal rangée que la chambre de ma fille quand elle était ado. J'ai laissé traîner The Courier, The Last Vermeer, French Exit qui se laissent regarder, avec un petit plus pour L'homme qui a vendu sa peau (The Man Who Sold His Skin) du Tunisien Kaouther Ben Hania. J'ai toujours trouvé drôles les films critiques qui se passent dans le milieu de l'art, comme The Square ou Velvet Buzzsaw par exemple, deux réussites.


Les séries ont évidemment avalé pas mal de mon temps de projection. Le problème du fantastique est qu'on peut raconter n'importe quoi, Shadow and Bone ne faisant pas exception, même si les images sont magnifiques et qu'on sent le désir de marcher sur les traces de Game of Thrones. La science-fiction et l'anticipation exigent plus d'imagination pour être cohérentes. La comédie noire et psychologique I Hate Suzie, qui s'appuie sur la publication d'une sex-tape d'une actrice en vogue renvoyée à elle-même, est intelligente, même si assez énervante. La série policière Bloodlands est du niveau auquel les Britanniques nous ont habitués, avec un cynisme qu'ils attribueraient probablement à l'humour noir, si une suite n'était pas annoncée. J'ai repris la troisième saison de Pose sur le monde transgenre new-yorkais de la fin des années 80, mais elle devient trop explicative et démonstrative, alors que j'en avais jusqu'ici adoré le voguing et l'aspect social.


La réussite récente est la série The Underground Railroad de Barry Jenkins qui avait déjà réalisé deux excellents longs métrages, Moonlight et Si Beale Street pouvait parler. Cette adaptation poétique du roman de Colson Whitehead, Prix Pulitzer 2017, tous deux Afro-américains, rappelle à quel point fut ignoble l'esclavage aux U.S.A., droit de vie et de mort, reproduction en Géorgie, stérilisation en Caroline du Sud, interdiction de résidence en Caroline du Nord, etc. au travers du chemin de fer clandestin, réseau aidant les esclaves fuyant vers la liberté au-delà de la ligne Mason-Dixon et jusqu’au Canada avec l'aide des abolitionnistes qui adhéraient à leur cause. Avec le passionnant Eliminate All The Brutes de Raoul Peck, on sent de plus en plus la nécessité de revenir sur ce traumatisme minoré, mais hélas fondateur, de l'histoire américaine. L'un et l'autre sont ce que j'ai vu de mieux ces derniers temps, documentaire fictionnalisé pour le premier, évocation métaphorique pour le second, avec un retour salutaire de l'Histoire.
Tout cela ne me remonte pas le moral, mais l'humanité semble ainsi faite, construite sur le crime, l'abjection, l'horreur et l'aveuglement. Heureusement, des femmes et des hommes de bonne volonté résistent à toute cette absurdité et parfois réussissent à nous faire rêver à un monde meilleur dont pour l'instant nous ne prenons pas le chemin.