On se moquait des accros à la télé qui zappaient à tout bout de champ, mais qu'en est-il de celles et ceux qui sont rivés à leur mur FaceBook ?
Lorsqu'elle était enfant j'avais interdit à ma fille de regarder la télévision sans avoir auparavant choisi son programme sur Télérama. C'était une manière vicieuse de l'obliger à lire, ce qu'elle avait du mal à faire à l'époque, et de l'empêcher de regarder n'importe quoi. Les images qui bougent ont quelque chose d'hypnotisant. Elle n'avait pas non plus l'autorisation de regarder le matin, et il était hors de question qu'elle soit couchée après 21h. La première raison était de nous empêcher de démissionner le matin quand il n'y avait pas école, la seconde de me permettre d'assister au début du film débutant le soir sur Canal. Nous jonglions entre nos intérêts et les siens, ménageant sa liberté en fonction de mon égoïsme. J'avais appris de mes propres parents que plus on accordait de liberté aux enfants plus on s'en octroyait, et que cette liberté les faisait grandir plus vite que les autres. Pour autant, je remarque que les gosses qui n'avaient pas la télé chez eux acquéraient plus facilement une personnalité, loin du formatage. Cela n'a pas changé. Ceux de l'immeuble qui étaient dans ce cas en profitaient évidemment pour s'en repaître les après-midi où ils descendaient chez nous ! Lorsque nous eûmes un magnétoscope, Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort ou Peau d'âne tournèrent en boucle. Les enfants aiment voir et revoir jusqu'à plus soif. Je me battais chaque fois pour leur faire découvrir un nouveau film en choisissant de préférence ceux que j'appelle initiatiques... Elsa a fini par aimer lire, au début grâce aux polars de Fred Vargas je crois, et cela fait des années que, comme nous et la plupart des jeunes, elle ne regarde plus la télé, ce qui lui a permis de forger son propre esprit critique...
Penser par soi-même est toujours aussi nécessaire, les manipulations d'opinion se déclinant à l'heure des informations, sous le poids des sondages truqués et du formatage des consciences selon les consignes du politiquement correct. C'est la raison pour laquelle je lis toujours ce qui concerne mes articles en cours après les avoir écrits, plutôt qu'avant comme on l'apprend à l'université. Je préfère être lacunaire et personnel qu'exhaustif et référentiel.
Aujourd'hui les mœurs ont changé, pas les mauvaises habitudes. La plupart d'entre nous vivons sous perfusion Internet. Je pars du point de vue que vous avez pris le temps de lire ces lignes ;-) Les liens hypertexte favorisent une forme de sérendipité, nous faisant découvrir une infinité d'informations auxquelles nous n'aurions pas pensé, sauf à dévorer systématiquement quelque encyclopédie universelle. Un réseau bien géré sur FaceBook peut produire le même résultat. Mais lorsque je vois le temps passé par certains et certaines à zapper sans discontinuer d'un sujet à l'autre, partageant des dizaines de posts tout au long de la journée, je m'inquiète quant à leur manière de gérer le réel. Cette lecture, souvent interactive, crée une nouvelle forme de passivité et d'éclatement du temps. Se focaliser sur un sujet particulier leur devient de plus en plus difficile. Cela produit même chez certains l'illusion de travailler. De même qu'il est indispensable de choisir ses "amis", anticiper ses choix me semble une condition sine qua non de la constitution de chacun. Se structurer exige d'organiser son temps. Or ce nouveau zapping compulsif m'apparaît comme le symptôme d'une fuite. Cette immersion sociale virtuelle peut renfermer sur soi-même en donnant l'illusion d'appartenir à l'ensemble. Est-ce une façon d'accepter la brutalité du quotidien qui semble à beaucoup inéluctable et déprimant ? C'est pourtant en sortant de chez soi et en se groupant que nous avons une chance de renverser cette société inique dont le cynisme est le moteur. J'écris évidemment depuis mon clavier, calfeutré dans une maison bien chauffée, mais où les visites sont heureusement légion !