Avant tout je n'essaye de convaincre personne, mais je me sens obligé d'expliquer ma position qui semble choquer beaucoup de monde. L'agressivité dont font preuve nombreux électeurs volontaires ou involontaires de Macron serait-elle le signe de leur mauvaise conscience ? Guidés par la peur, ils s'apprêtent à voter pour un programme de droite très dur, beaucoup sans l'avoir lu. Ni écouté comme lorsqu'il revendique de gouverner à coups d'ordonnances et de 49.3 ! Lorsque Macron appliquera la politique dictée par les financiers qui l'ont formé à cela, comment réagiront celles et ceux dont le vote sera sa caution ?
Les Insoumis qui s'abstiennent ou votent blanc insistent clairement pour qu'aucun citoyen ayant voté pour Mélenchon au premier tour ne cède aux chimères du Front National sous prétexte que Marine Le Pen copie certains points du programme de la France Insoumise qu'elle n'appliquerait évidemment pas si elle était élue. Cette hypothèse fortement improbable est un bourrage de crânes que nous imposent les chaînes de télévision et la presse papier, toutes aux mains de milliardaires, banquiers, marchands d'armes, adeptes de l'évasion fiscale et du surf sur les articles de la loi... Les affaires sont les affaires ! Je crois que seuls L'Humanité et La Croix leur échappent encore, mais ni l'un ni l'autre ne soutiennent la décision que je tente d'expliquer ici.
À l'approche du second tour qui opposera la menace de l'extrême-droite au candidat des banques, le débat fait donc rage et pas seulement sur les réseaux sociaux. Étonnamment il ne concerne pas les programmes des deux prétendants, mais il se polarise sur les abstentionnistes de la France Insoumise. Cette décision fait elle-même débat, Jean-Luc Mélenchon laissant libres celles et ceux qui l'ont soutenu pendant des mois. Sur leur site, les Insoumis peuvent ainsi indiquer s'ils souhaitent voter Macron, blanc ou nul, abstention. Si les "abstentionnistes" conçoivent très bien qu'une grande majorité de Français votent hélas pour un jeune pantin fabriqué comme un produit de marketing, dont le programme est d'une rare vacuité, mais dont les quelques éléments et les actes seront une catastrophe sociale, économique, écologique et politique, celles et ceux qui craignent que Marine le Pen l'emporte ne supportent pas que les Insoumis refusent de donner un blanc-seing au candidat du Capital le plus cynique qui nous est jamais été imposé. Les premiers expriment la peur en agitant le spectre du fascisme, les seconds refusent d'être manipulés comme nous l'avions été en 2002 lors du duel Chirac-Le Pen père. Or Macron n'est pas Chirac. Chirac n'a pas fait grand chose de ses douze ans à la tête du pays, mais en bon gaulliste il nous avait au moins empêchés d'aller faire la guerre en Irak. Par contre, Macron renforcera notre vassalité envers les États Unis, tant d'un point de vue guerrier qu'économique (CETA, TAFTA, OTAN...), sans parler de la catastrophe écologique qui se profile (vive le nucléaire !). Mais là n'est pas la question, du moins pour celles et ceux qui appellent à faire barrage à Le Pen fille, attaquant avec véhémence l'irresponsabilité des "abstentionnistes".
D'abord ne nous leurrons pas, le jonglage des pronostics de pourcentage au second tour est du même acabit que le scandale anti-démocratique des sondages du premier tour. Jamais la manipulation d'opinion n'aura été aussi forte, les électeurs se polarisant sur les chances d'un tel ou d'une telle plutôt que sur leurs programmes. Si la France Insoumise a bien un mérite, et ce entre autres grâce au talent d'orateur de son candidat, capable d'improviser chaque discours sur un sujet différent pendant deux heures en captivant la foule par la clarté de son argumentation, c'est de redonner goût à la politique à des millions de citoyens, en particulier aux jeunes engagés dans ce mouvement.
Les partisans de Benoit Hamon sont les plus virulents bien qu'ils portent leur responsabilité dans le résultat du premier tour. On peut se demander en effet pourquoi leur candidat ne s'est pas retiré au profit de Mélenchon lorsqu'il devint évident que son score serait pitoyable. Ils auraient ainsi empêché Le Pen d'accéder au second tour en votant pour le seul candidat de gauche qui avait ses chances de l'emporter. Il fut rétorqué que Hamon ne pouvait se désister sans faire perdre les 14 millions non remboursables alors au PS. Quelle honnêteté l'y aurait poussé après que la plupart des dirigeants de son parti l'aient trahi en même temps que tous ceux qui avaient participé aux primaires socialistes, lorsque ces ténors appelèrent à voter Macron dès le premier tour ? Cette naïveté ne ressemble pas à ses actes passés. La critique "Voter Hamon au premier tour, c'est voter Macron au second" était explicite. Des hamonistes qui n'avaient cessé de cracher sur Mélenchon, en lui imputant des termes que celui-ci avait pourtant démontés, s'étaient ralliés à lui la veille du vote après avoir œuvré dans l'autre sens pendant des semaines ! On peut se demander si Hollande, dont l'exécrable politique libérale a poussé la population à s'en défier, n'a pas tout magouillé en sortant Macron, son poulain, de la primaire, laissant aller Hamon au casse-pipe pour siphonner les voix de Mélenchon et l'empêcher de réaliser la sixième république. Hamon est-il un honnête dindon de la farce ou complice de l'affaire en échange de quelque responsabilité prochaines ? L'avenir le révèlera. Résultat des courses : les socialistes sincères appellent aujourd'hui à voter pour un candidat de droite à la politique ultra-libérale alors qu'ils avaient la possibilité de faire élire un candidat de gauche dont le programme était très proche du leur, si proche que plus d'une fois ils s'en inspirèrent allègrement, sauf sur la politique extérieure opposant une doctrine va-t-en-guerre à la recherche de la paix par voies diplomatiques.
Est-ce que Macron est plus proche de l'insipide Bush Jr, du glamour Obama, d'un Rastignac new look ? Probablement un peu des trois. Ses interventions publiques sont un mélange de langue de bois et d'anonnements, se flattant de ne pas avoir écrit ses discours et de ne pas les comprendre lui-même. Mais les maîtres de Hollande et Valls devaient changer de héraut en faisant élire un bon serviteur. D'autres questions restent entières : un duel Macron-Mélenchon au second tour était très incertain quant au résultat, surtout avec la force de frappe médiatique dont dispose Macron.
De même que je dus m'expliquer quinze jours durant pour avoir refusé d'être "Je suis Charlie", et l'on a pu en constater ensuite les effets, je ne pourrais me regarder dans la glace si je me laissais prendre à nouveau comme en 2002. Je comprends celles et ceux qui comptent sur leurs doigts en évoquant les pires cauchemars. Mais la peur est mauvaise conseillère. Le FN est le jouet diabolique du PS qui l'a sciemment fait monter depuis 35 ans pour d'une part diviser la droite traditionnelle et d'autre part agiter le spectre du fascisme chaque fois qu'une véritable gauche risquerait d'ouvrir les yeux des citoyens qui élisent systématiquement leurs bourreaux de peur d'hériter de pire. Le coup d'état est rondement mené. La finance peut se gargariser. Elle a de bons petits soldats. De temps en temps je repense à Edward Bernays, le neveu de Freud, père de la propagande politique institutionnelle et de l'industrie des relations publiques, inventeur du marketing qui appliqua la psychologie du subconscient à la manipulation de l'opinion publique. Mais ne me demandez pas d'être complice de cette mascarade, je veux continuer à vivre debout pour me battre contre les injustices et le saccage en règle de la planète. À chacun selon sa conscience, mais quoi que vous décidiez, ne votez pas Le Pen...

Illustration : photogramme du remarquable The Century of the Self (Le siècle du soi) du documentariste anglais Adam Curtis - en anglais et un seul morceau sur YouTube ou en plusieurs parties avec sous-titres français sur Daily Motion - vous n'en reviendrez pas !