70 Humeurs & opinions - avril 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 24 avril 2023

La peur tue le désir


Amusant de retrouver cet article du 22 décembre 2010, plus d'actualité que jamais treize ans plus tard, à une époque où beaucoup se cherchent, entre le polyamour et l'asexualité, ou simplement poursuivant le désir romantique de trouver la compagnon ou la compagne de ses rêves. Et les années n'arrangent rien lorsque l'on refuse de laisser cicatriser ses plaies...

La psychothérapeute jungienne de M. lui tend un petit caillou sur lequel est inscrit le mot "PEUR" et lui demande de le retourner. Sur l'autre face M. lit "DÉSIR".
La peur tue le désir, pas seulement celui qu'inspirerait l'avenir, mais aussi celui de l'instant présent. Par peur de ce qui pourrait advenir mais dont on ignore tout, alors que l'on vit dans la frustration et l'insatisfaction, l'on s'empêcherait de vivre autre chose demain, et aujourd'hui la chose, ça ! Quoi ça, ? Hé bien ça, comme chantaient Jacqueline Maillan et Bourvil pastichant Je t'aime, mon non plus de Serge Gainsbourg.

Cette même peur fait voter les citoyens pour leurs bourreaux. Ils préfèrent perpétuer une souffrance qu'ils connaissent à une éventualité dont ils ignorent tout, mais dont ils craignent qu'elle soit encore plus douloureuse. L'analogie avec le champ politique se poursuit...

C'est ainsi que nombreux jeunes adultes sombrent dans l'abstinence sans prendre la mesure de la situation. Autrefois il était courant d'entendre des quadragénaires, particulièrement des femmes, revendiquer ce renoncement. Ces déçu/e/s de la vie étaient souvent des personnes mariées trop tôt ou avec peu d'expériences sexuelles avant la fondation du modèle social du couple. Il est certain que dégagé des tourments du sexe et de l'amour (la confusion peut exceptionnellement sembler ici pertinente) leur vie s'en trouvera simplifiée, mais à quel prix ? Il est si triste de rencontrer des individus qui n'ont d'appétit ni pour manger ni pour faire des galipettes. Cela va souvent de paire. De fesses ou d'yeux. Sans compère ce con perd.
On pourrait évoquer bien d'autres causes pour justifier la perte de la libido. La société de consommation n'arrange pas l'affaire. Combien d'enfants parmi la classe bourgeoise expriment leur "besoin de rien" au moment des cadeaux de Noël ? Ce qui peut paraître sain dans une optique de décroissance s'avère relativement inquiétant si le désir s'efface devant un flou qui n'a rien d'artistique. Les représentations de la sexualité qui s'étalent dans les grandes vitrines ou la petite lucarne formatant le désir participent aussi à la destruction. Les petits couples attendrissants parfois distillent des parfums de mort. Il faut du courage pour combattre l'opulence et le formatage. Savoir ce que l'on veut, ne pas craindre de revoir son système de repères, remettre son titre en jeu, partager ses rêves, sont des conditions sine qua non pour s'accrocher au vecteur qui tend vers le bonheur. Le passage à l'acte exige de combattre sa peur pour que renaisse le désir.

vendredi 7 avril 2023

Solidarité


Face à la répression et à la dérive extrême-droitière du gouvernement, ce matin j'ai adhéré et fait une donation aux SOULÈVEMENTS DE LA TERRE, puis fait un don à la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME.
Cette action, qui ne mange vraiment pas de pain, est du même type que celles de tous les jeunes (de tous âges !) qui se radicalisent, écœurés par l'usage du 49.3 et des armes de guerre contre les manifestations absolument légitimes, en particulier la violence récente aux méga bassines.
L'arrogance a toujours perdu les puissants, et ceux qui nous mènent à notre perte sont bien partis. Lorsque je dis nous, je ne pense pas seulement à l'espèce humaine, mais à tout ce qui vit sur notre planète...

mercredi 5 avril 2023

Touché !


Une amie s'interrogeait récemment sur son intérêt pour la décapitation, bien qu'elle ne soit nullement tentée par sa pratique, rassurons-nous. Notez tout de même qu'à l'appel d'embauche du dernier bourreau, avant la suppression de la peine de mort en 1981, trois cents personnes se proposèrent pour faire fonctionner la guillotine. Il eut été passionnant de faire une enquête pour savoir ce qu'étaient devenus les candidats malheureux !
Comme nous marchions dans l'obscurité, je remarquai que la coupure partageait nos cinq sens au niveau du cou de manière inégale. La vue, l'ouïe, l'odorat et le goût roulaient dans la sciure tandis que le toucher restait à genoux. Approchons-nous du crâne et du cerveau qu'il abrite pour constater que notre sensibilité s'exerce essentiellement par la vue et l'ouïe, laissant loin derrière l'odorat perdu au fil des siècles et le goût dont la marge de manœuvre se réduirait à quatre paramètres, sucré-salé-acide-amer si les Japonais n'ajoutaient l'umami qui permet d'identifier le glutamate et le kombu [et d'apprécier l'ail noir]. Dans nos sociétés policées on touche peu, sauf les travailleurs manuels à qui leur profession évite d'être accusés de pelotage ! L'outil n'est pas non plus le doigté. Les masseurs, médecins, coiffeurs, etc. ont ce privilège. Une Italienne me confirmait hier soir que lorsqu'elle touche ses interlocuteurs, pratique courante dans son pays, les Français regardent sa main, ce qui devient pour elle embarrassant. On caresse son chat ou son chien, mais aujourd'hui on prend de dangereux risques avec les enfants, même si ce sont les siens ! Les mères indiennes massent les leurs, mais s'appuyer sur le bras de votre voisin ou de votre voisine produit souvent un malaise et sème la confusion... On tombe vite sur un tabou que la sexualité saura braver dans l'intimité. Les ébats sont d'autant plus frénétiques ou sensibles que "le toucher nous est ravi", comme je l'écrivais dans la chanson Camille du CD Carton. Contrairement aux autres sens, le toucher n'est pas raisonnable. Il ne s'expose vraiment que dans la sublimation du corps, peau à peau.
Mon amie touche donc du doigt un sujet épineux. Sans le savoir elle identifie la ligne pointillée qui sépare le corps du cerveau. Il ne s'agit nullement de la question de la mort qui pourrait s'exprimer de mille autres manières, mais de la relation qu'entretiennent le senti et le réfléchi. Ainsi le corps s'abandonne au chaos tandis que le cerveau prend le contrôle.

Illustration : Exécution sans jugement chez les rois maures de Henri Régnault (1870) par Pierre Oscar Lévy pour l'exposition Révélations au Petit Palais à Paris (2010) [dont on peut admirer les films sur YouTube]

Article du 9 septembre 2010

lundi 3 avril 2023

Autre chose


Je cherche encore et toujours à faire autre chose. Pas le contraire ni autrement. Juste autre chose. Au début c'était facile. Sans idée préconçue, sans rien savoir, on avance sans se préoccuper si c'est le noir ou la lumière. Enfant j'étais somnambule. Je courais autour de la table de la salle à manger, les fesses à l'air, les yeux fermés. C'est plus tard que je me suis cogné aux rebords. Comme si j'avais une mauvaise appréciation de ma carrure. Mon petit orteil gauche et les poignets de mes chemises en ont fait les frais. Aujourd'hui j'avance avec prudence. C'est contrariant. Je courais toujours, roulais vite, sautais par dessus les barrières, enchaînais les phrases à la mitraillette du verbe. Il fallut apprendre à prendre son temps sans se répéter. La virtuosité ne m'a jamais intéressé. Mais le sang froid dans les moments brûlants. Ou le sang chaud sur les glaciers. Ça, oui. On appelle improvisation cet art de l'instant où chaque geste justifie le précédent. Comme j'ai aimé ne pas savoir ce qui adviendrait ensuite ! J'en oubliais mon naturel inquiet. Dans le feu de l'action. Penser à tout à la fois. Être au four et au moulin sans se brûler les ailes pour avoir su sauter du train à temps. Comme mon père. Du grain à moudre. J'essaie de me souvenir. Des images très anciennes resurgissent de plus en plus souvent. La première fois n'est jamais la première. Renvoyant mon corps actuel dans le décor du passé j'identifie l'antécédent. J'étais déjà. Ébahi ébloui révolté réveillé engagé entouré. L'enjeu est dans le dernier terme. Je ne sais rien faire seul. Ou, plus exactement, cela ne m'intéresse pas. Je chéris le collectif dans sa complémentarité et le partage. Confrontation nécessaire. La dialectique crée le mouvement. Ici le conflit bienveillant, ailleurs la lutte contre l'oppression et l'absurdité criminelle. J'ai dû apprendre à ne plus réagir au quart de tour face à l'injustice. Trop de souffrance en découlait. Il fallut remonter la pente, synapse après synapse. La syntaxe fut salvatrice. Elle l'est toujours. Art du montage. L'ellipse est dans la collure. Appris très tôt que l'important est ce qu'on enlève, pas ce qu'on garde. Cut. C'est dire si le flux m'ennuie. Rejoignant la problématique de la création qui ne peut être l'affaire d'un seul. L'énigme réside dans la filiation ou le compagnonnage. L'univers en est un bel exemple. Fruit de la résultante des forces. Sans partenaire régulier je ne sais qu'effleurer la surface des choses. Dans la liesse je creuse mon sujet qui prend du volume en marchant. Je passe alors en quatrième. Merci Albert ! La musique devient cantique profane. En attendant je prépare le terrain, j'arrose les plantes, je fais tourner les machines, cherchant les mots, les miens et ceux des autres.