70 Multimedia - mars 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 mars 2007

Kafka par Crumb


Le Kafka pour débutants (c'était son titre à l'origine) de David Zane Mairowitz et Robert Crumb, paru en français en 1996 et depuis longtemps épuisé, vient d'être réédité par Actes Sud dans un nouvelle maquette, un relettrage complet et un nouveau format. Approche originale et très juste de l'univers de Franz Kafka, l'ouvrage, mi récit mi bande dessinée, mêle la vie de l'auteur à ses créations. Si de nos jours la frontière est ténue entre fiction et documentaire, est-ce un signe d'une perte de repères entre la réalité et sa manipulation, le quotidien et l'imagination ? Vérités et mensonges semblent faire si bon ménage. L'étude de Kafka est remarquable et les dessins de Crumb nous entraînent dans une biographie souvent plus incroyable que les élucubrations paranoïaques de l'auteur tchèque. Je n'avais pas ressenti cette impression depuis les deux volumes de Maus, le chef d'œuvre de Spiegelman. On comprend très bien pourquoi Kafka s'étranglait de rire en lisant à haute-voix Le procès devant ses amis. Le personnage est très attachant dans sa difficulté d'être, ses créatures devenant le champ expiatoire de sa névrose. L'immersion dans la période historique qui voit monter l'antisémitisme ou la crainte du père autoritaire sont parfaitement illustrées tant par Mairowitz que par le dessinateur de Fritz The Cat (je viens justement de commander le dvd du film de Ralph Bakshi !). Les romans sont inondés par la culture juive de leur auteur, tandis que sa folie remonte les chemins de l'enfance. Le livre a le mérite d'aller au delà de l'œuvre, croquant son héritage jusqu'à nos inextricables contradictions abusivement affublées du terme kafkaïen. J'en sais quelque chose, aujourd'hui un bon camarade a laissé des paroles maladroites occulter des intentions bienveillantes à son égard. Rien n'aurait pu le convaincre de l'absurdité du déplacement de sens, de la substitution, complot imaginaire qui le bouffait de l'intérieur en un catafalque de solitude. Il s'est recroquevillé dans un coin de la pièce comme un pauvre cafard. Nous essayâmes de le sortir du noir en entonnant tous ensemble cet air joyeux (et révolutionnaire) : La cucaracha, la cucaracha... S'il avait été là, je lui aurais offert mon exemplaire de cette merveilleuse bande dessinée pour (devenir) adultes. On en a tous besoin.

dimanche 25 mars 2007

(une) histoire du design interactif


Avant de partir faire le tour du Monde, Étienne Mineur a eu la générosité de mettre en ligne ses conférences sur l'histoire du design interactif :
1. La première à l'association des Designers Interactifs, sur les réseaux et les technologies informatiques (45 diapos).
2. La seconde aux Arts Décos, plus axée sur les jeux vidéos, les CD-Roms et Internet (168 diapos).
Rien ne vaudra jamais la performance live du zébulon tout sourire, mais il est fortement conseillé de profiter de ces images, exacte reproduction des PowerPoints utilisés par Étienne in situ. Téléchargez et suivez cette saga extraordinaire... Si vous dirigez une école d'art ou multimédia, un département universitaire ou quelque endroit où l'on s'intéresse aux nouvelles technologies et à leurs applications, invitez Étienne Mineur à venir faire partager sa passion, c'est stimulant !

P.S. : je suis quant à moi très heureux d'avoir participé à plusieurs jalons cités par Mineur et qui figuraient sur l'immense fresque murale du sous-sol du Centre Pompidou
1996 cd-rom Au cirque avec Seurat, Hyptique, direction artistique Étienne Mineur.
1999 cd-rom Alphabet, "le chef d'œuvre de cette époque, une parfaite adéquation entre l'animation, l'interactivité et le design sonore. Une illustratrice tchèque + une équipe française + un éditeur japonais = un chef d'œuvre."
2000 cd-rom Machiavel, Jean-Jacques Birgé, Antoine Schmitt.
2006 Nabaztag, le lapin communicant.

samedi 17 mars 2007

Patience


Le nouveau programme du Ciné-Romand de Françoise réserve de nouvelles surprises. Nouveaux guides, nouveaux acteurs du réel, invités-surprise, un passage secret, la vue d'une fenêtre convoitée par l'équipe du Da Vinci Code et toujours ses films, mais déplacés, Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, Passé-Composé, Vice Vertu et Vice Versa, Dérapage contrôlé, Thème Je...
C'est ce soir à Barbès et je n'aurai pas le temps de rédiger mon Carnet mondain avant lundi. Le temps de tout démonter, comme la semaine dernière, il sera trop tard pour que je m'y attèle. Pour patienter, j'ai choisi une photo d'Aldo Sperber qui a pris samedi dernier quelques magnifiques clichés de l'installation, probablement retravaillés sur Photoshop. Le couloir derrière lui était rose, la télé émet le bleu, mais d'où vient le jaune ? Peut-être seulement les quelques secondes du temps de la pause... Mina a laissé la porte ouverte pour le photographe. Ses lunettes ont l'air noires. Trop de lumière ? La photographie me rappelle le peintre Jacques Monory, un réalisme décalé dans des monochromes juxtaposés. Orson Welles suggérait d'enlever un paramètre à la réalité pour faire naître la poésie. Que fait Mina sur la cuvette des chiottes ? Le couvercle est-il fermé ? Elle ne s'est pas déculottée. Elle regarde la télé posée sur la machine à laver. Ça ne tourne pas. En réalité, l'écran diffuse un puzzle des webcams retransmettant les images en direct des autres appartements du groupe d'immeubles. Mais en regardant ce qu'en a fait Aldo, je n'arrive pas à le croire. C'est toute une histoire. Mais je suis incapable de la raconter.


La pochette du dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané, Carnage, était un détail d'un tableau de Monory (Explosion). Plus tard, il nous a offert un Ekta d'une œuvre détruite, Technicolor, pour une carte annonçant les projets du Drame. L'une et l'autre œuvres m'inspirent le thème d'une pièce musicale. C'est exactement ce que je cherche.

samedi 10 mars 2007

Le 10 mars 2007

Françoise s'y connaît en festivités. Il y a trois ans, elle organisa mon anniversaire-surprise avec autant de convives que de bougies. Avec la complicité d'Elsa, elle avait invité mes amis, dont certains venus de très loin, dans l'espace comme dans le temps. C'est resté le plus mémorable de tous mes anniversaires. La pauvre n'a pas de chance avec le bourru que je suis. Incapable de lui rendre la pareille, je n'ai pu que l'emmener en voyage dans des lieux certes idylliques, mais dans des conditions beaucoup moins extravagantes que celles issues de son imagination. Sa dernière ressource est de s'offrir elle-même la fête dont elle rêve, faisant coïncider la date de sa naissance avec une fantastique installation contemporaine.


Françoise se réapproprie son histoire à travers ses films, mêlant fiction et documentaire, recherches d'identité et fantômes extirpés des placards. Ce soir, elle met toute son œuvre en scène dans l'appartement où elle vivait lorsque nous nous sommes rencontrés et qu'elle a entièrement décoré. Avec Annabelle et Olivier, elle a mis ses voisins à contribution, leur demandant de "jouer" leurs propres rôles. Les visiteurs devront suivre un "je" de piste d'un bâtiment à l'autre, comme le numéro qu'elle me fit le 1er janvier 2003, le plus beau jour de l'an de ma vie. J'avais figuré le joker annoncé de son film Thème Je, me voici modèle indirect d'une nouvelle fantaisie.


Je ne peux rien dévoiler de cette folie d'artiste pour laisser à ses invités le plaisir de la découverte. Disons seulement que les écrans pullulent et parfois dans des coins incongrus, que les câbles longent les murs lorsque la wi-fi des webcams ne suffit pas et que la figuration dite intelligente est nombreuse. Le mixage est fonction de la visite. La mise en scène s'efface devant l'improvisation. Le Ciné-Romand est en place, n'attendant plus que la nuit pour commencer.
Bon anniversaire, mon amour !


Les deux premières images du feuilleton-mail sont de Françoise Romand, la troisième d'Aldo Sperber.

jeudi 8 mars 2007

Saga de Xam


C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang vendredi dernier ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier, il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !