70 Multimedia - avril 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 28 avril 2008

Le trou noir de la création numérique


Dimanche, jour de repos pour les uns, de rangement pour ma pomme ! Celle de Steve Jobs a rendu incompatible ma collection de CD-Roms, une vraie misère de ne plus pouvoir regarder toutes ces œuvres admirables que les systèmes actuels ont éjecté avec l'arrivée du XXIe siècle. Certains PC les lisent peut-être encore, enfin, certains PC, certains CD-Roms, rien ne marchant plus comme lors de leur création.
En montant tout dans les archives, j'ai vu passer Les machines à écrire d'Antoine Denize d'après Perec et Queneau (j'adorais son générateur aléatoire de langue de bois et sa version informatique de 100 000 milliards de poèmes nettement plus manipulable que l'original en papier découpé), Immemory de Chris Marker (un des rares CD-Roms qui rendaient intelligent), les petits Reactive Books de John Maeda (qu'on a tous copiés, puis achetés, pour finir par en faire cadeau à tous les amis) et toute la collection Digitalogue qui s'arrêta le jour où Monsieur Enami entra dans le comas, celle de Voyager stoppée faute du succès qu'auraient mérité Puppet Motel de Laurie Anderson (le modèle qui m'a donné envie de créer Carton) ou Maus d'Art Spiegelman (il suffisait de cliquer sur une image de la célèbre BD pour qu'apparaissent par couche les ébauches progressives, plus les entretiens audio avec son père et les reportages vidéo en Pologne), les provoquants Ambitious Bitch et Son of a Bitch de Marita Liulia, les délires colorés initiés par Peter Gabriel, l'Encyclopédie de l'Art Moderne et Contemporain, le travail graphique d'Etienne Mineur pour Freud, les innombrables CD-Roms sur la musique tels La musique électroacoustique d'Olivier Koechlin pour le G.R.M. (dont les applications me sauvèrent plus d'une fois ; Olivier m'apprend qu'il existe une version OS X), Les musicographies de Dominique Besson, Audiorom, PoPoRon, Small Fish, et puis les jeux pour les enfants (tous les Oncle Ernest d'Eric Viennot, Le Maître des Éléments, etc.).
J'en ai au moins deux cents qui sont partis dormir à la poussière, sans compter les miens (Carton et Machiavel que j'ai produits, Alphabet porté de justesse en OS X comme Domicile d'Ange Heureux avant que dadamedia ne disparaisse cavalièrement) et tous ceux dont j'ai composé la musique (mon premier, Au cirque avec Seurat, Sethi et la couronne d'Égypte, la collection des Bonhommes et les dames, Le grand jeu...) ou réalisé le design sonore (le DVD-Rom du Louvre, tous les Cahiers Passeport, la collection Fenêtre sur l'Art, etc., etc.).
Jamais la création interactive ne fut si inventive que sur le support du CD-Rom. Qu'adviendra-t-il de tous ces trésors ? Un petit malin fabriquera-t-il un émulateur d'OS9 avec réglages adaptés aux versions antérieures ? Un éditeur saura-t-il récupérer toutes ces œuvres en sommeil en les portant sur de nouvelles plate-formes ? Ou bien tout cela finira-t-il avec le reste de ce que nous fabriquons aujourd'hui, dans les poubelles de l'Histoire, faute d'être capable de préserver notre patrimoine ? Nous jouons la carte de la vitesse au détriment de la qualité. Dès qu'un marché est saturé, nous fabriquons de nouveaux appareils qui rendent caducs les précédents. Le parc doit se renouveler rapidement pour engrosser le Capital. Comme toute notre époque, nous disparaissons dans le trou noir que génère le profit, moteur stérilisant (de) nos vies.

dimanche 27 avril 2008

Cybergym chez soi avec la nouvelle interface pour la Wii


Avec un mois et demi de retard, Françoise a enfin reçu son cadeau d'anniversaire par la poste. On ne pouvait ni déplacer sa date de naissance, ni la sortie française de la Wii-Fit, la nouvelle interface Nintendo pour la console Wii (joli jeu de mots anglophone qui sied aux pieds, fit to feet) associée à toute une batterie d'exercices physiques sérieux et de jeux amusants. J'imagine que toute la presse va sauter sur le sujet, alors j'ajouterai seulement que l'objet convient parfaitement à ma compagne qui se tortille dans tous les sens pour faire des têtes à un ballon de foot, slalomer entre des piquets, danser ou faire tourner un hulla-hoop. De mon côté, ayant tenté le yoga, les pompes et la marche sur le fil, je me pose la question du danger que peut représenter cette gymnastique si l'on est sujet à la coincette ? Il serait plus prudent de faire vérifier l'opportunité de tous ces exercices par un ostéo connaissant mes fragilités avant de me casser en deux sur les conseils de mon "entraîneur" robotisé. Si le fabricant recommande une pratique quotidienne de l'objet pour retrouver sa vigueur de jeune homme, un corps d'athlète pour les uns, plus de souplesse pour les autres, il est certain que la partie ludique provoquera une bonne dose de rigolade en société. La Wii-Fit serait véritablement géniale, s'il n'y avait pas cette musique débile qui accompagne tous nos mouvements. Nintendo devrait sérieusement se pencher sur le problème, en proposant un choix d'accompagnements et en permettant de couper la musique tout en conservant le reste des informations sonores... Je ne sais pas comment joindre les concepteurs, mais les interfaces Nintendo mériteraient un véritable travail de design sonore adapté à cet objet sur lequel des millions d'utilisateurs vont passer des heures en se farcissant une daube répétitive abrutissante. Toute son ergonomie sonore reste à inventer. Bel enjeu !

dimanche 20 avril 2008

Enfin du sens dans une installation multimédia !


La merveilleuse visite de l'exposition des installations en relief réunies à La Bellevilloise justifie le billet rageur que j'ai écrit sur la soirée de lancement des Rendez-vous du Festival Nemo, tant le choix des films présentés à l'Élysées Biarritz était fortement dissuasif et peu représentatif des vrais trésors que recèle la cuvée 2008.
Nous avons chaussé les lunettes polarisantes, gravi trois marches et nous voilà sur la passerelle qui surplombe le fleuve où n'en finit pas de passer un immense pétrolier dont la taille démesurée me fait irrésistiblement penser à la phrase de Tex Avery "Very long, isn't it ?" et au film Marée noire de Samuel Sighicelli vu jeudi soir. Des différentes séquences qui se succèdent sur les deux écrans posés horizontalement sous nos pieds de chaque côté des planches que nous faisons doucement grincer, nous retenons surtout l'époustouflante plongée sur ceux qui vivent dans la décharge à ciel ouvert, une Ile aux fleurs vénézuélienne. La lenteur des mouvements de la caméra nous laisse le temps de les détailler, d'échanger un regard lorsque l'un d'eux lève la tête vers la caméra, d'apprécier qu'au delà de la beauté plastique des formes il y a une histoire, terrible et brutale, qui n'efface pas les sourires des petits bonshommes qui vivent sous nos pieds. La scène rappelle à Nicolas les maquettes de train électrique de notre enfance tandis que je plane au dessus de cet aquarium où se meuvent ces hommes-fourmis destinés à la mort. Rupture d'espace, l'installation vidéo en relief de Sabrina Montiel-Soto et Fabrice Croizé, sous-titrée Vision en 3D et en plongée d'une décadence attendue (site), nous requinque après l'usure habituelle de tant d'œuvres insipides. Ses séquences cinématographiques n'auraient pu être montrées autrement que dans le cadre de ce dispositif scénographique, le relief participant au vertige des écrans en contrebas. La création sonore de Thomas Giry et Arnaud Riedinger accompagnant l'immersion dans ce monde à la fois poétique et politique est suffisamment sobre et intelligente pour absorber les bruits discrets des visiteurs ou le battement cardiaque d'une autre installation exposée dans l'espace obscur de La Bellevilloise.


L'autre morceau de choix est la rénovation de World Skin, probablement l'œuvre la plus intéressante de Maurice Benayoun. Le "safari photo en pays de la guerre" où les visiteurs jouent leur rôle de touristes en se laissant absorber par l'écran interroge le statut des journalistes au milieu des conflits. L'un après l'autre, nous arpentons la scène des crimes avec un joystick wi-fi ou prenons les clichés photographiques, effaçant les cadres en les remplaçant par un éclair blanc. Cette œuvre immersive de 1997 a, de plus, le mérite de faire jouer ensemble deux visiteurs auxquels sont anecdotiquement offerts des échantillons de ce qu'ils ont shootés.
Bump it de Bertrand Planes est une intéressante anamorphose vidéographique qui transforme un mobilier blanc en voyage historique des couleurs possibles qu'un projecteur peint habilement. Un sympathique clip à bord d'un train sillonnant une ville qui semble construite de papiers découpés, jeu de cubes rythmé par une musique techno de percussion en bois, boucle ce petit panorama réussi de la 3D.
Si vous vous demandiez quoi faire aujourd'hui dimanche à Paris, c'est tout trouvé !

vendredi 11 avril 2008

Désincarnation


Némo en latin signifie personne, comme lorsqu'il n'y a plus âme qui vive. Les films choisis pour la soirée inaugurale du Rendez-Vous Multimédia d'Arcadi semblaient sortir d'un passé techno qui n'aurait pas avancé d'un iota depuis la dernière décennie, succession de séquences insignifiantes (sans sens) et vierges d'émotion (sans cœur ni colère), essentiellement axées sur la performance technologique. Ce n'était pourtant pas le salon de l'électronique ? Pas la moindre trace féminine dans cette compilation nostalgique comme concoctée par une bande de vieux garçons qui auraient ressorti leur train électrique en interdisant leur chambre aux filles. La performance live de Ryoichi Kurokawa remonta un peu le niveau, mais le style aussi daté et post-apocalyptique que ce qui la précédait, ne pouvait donner le moindre soupçon de ce que nous réserve l'avenir. Pourquoi les nouvelles technologies doivent-elles forcément rimer avec ce galimatias graphique des plus éculés ?
La soirée avait pourtant bien commencé avec des discours inhabituels pour un lancement de Némo, soit la critique claire et nette de la politique gouvernementale en matière de culture en général et de multimédia en particulier, par Jean Chamaillé (secrétaire général d'Arcadi), Jocelyne Quélo (ECM Maison Populaire de Montreuil), jusqu'à Gilles Alvarez (directeur artistique de l'évènement) qu'on voit ici sous la seule image de chair aperçue hier soir. On la doit au jeune Professeur Nieto qui s'est amusé à écarteler un pauvre lapin pour former un X marquant ce Xème Rendez-vous en lui donnant un look SM qui en dit long sur le paragraphe précédent et le supplice engendré.
Tout cela est bien dommage, d'autant que Némo recèle bien des trésors insoupçonnables à la lumière des films projetés à l'Élysées Biarritz. Du 10 au 20 avril, à cet endroit, mais aussi au Cube d'Issy-les-Moulineaux et à La Bellevilloise (Paris XXe) sont présentés des dizaines de films expérimentaux, des documentaires sur John Cage, Scott Walker, Daniel Johnston, Sigur Rós, des installations multimédia et d'autres performances "live", des films en 3D pour les enfants, des workshops, etc.

P.S. : pour une approche plus positive, lire l'article d'Annick Rivoire dans Poptronics.

mercredi 2 avril 2008

La résistance d'un sourire


Amusants, révoltants, instructifs, les petits sujets fleurissent sur la Toile. Certains inondent nos boîtes aux lettres de vidéos glanées sur YouTube ou les épinglent sur les Murs de FaceBook, d'autres diffusent des diaporamas compilés sur PowerPoint, souvent le seul usage que les lecteurs feront de ce logiciel imposé avec Word et Excel par Microsoft dans sa suite bureautique.
Ces brèves remplacent les dessins humoristiques illustrant les feuilles de chou que sont devenus les quotidiens, ressemblant de plus en plus au vide des actualités télévisées. L'information est-elle devenue paresseuse ou le décervelage est-il lié au rapt dont la presse française est victime, tombée entre les mains des marchands d'armes ? Les deux, probablement. Ça respire l'ennui. Les journalistes transmettent leur piteuse mollesse d'âme à une population anesthésiée. Ils ne se foulent pas trop, recopiant sans vergogne car sans citer leurs sources, les news de sites pointus. Ainsi je m'aperçois que le site ecrans.fr de Libération reprend systématiquement, deux jours plus tard, des trucs glanés sur Poptronics comme le Journal de France 2 se conforme étrangement aux articles publiés par Le Parisien.
Si les blogs ont du succès, c'est qu'ils réagissent souvent à cette langueur monotone en s'emballant et s'entichant... Les curieux, les têtes chercheuses, les spécialistes, les amateurs y trouvent leur compte. Creuser un sujet exige une googlisation immédiate. Notre inextinguible soif de savoir nous fait plonger dans cette toile aux dimensions planétaires, le www (world wide web), mais on s'y abîme les yeux à déchiffrer autant de caractères sur nos écrans rétro-éclairés. Les petites vidéos potaches évoquées au début de ce billet apportent une distraction nécessaire, puisqu'il semble que nous soyons incapables de lever notre nez pour focaliser un point lointain, l'horizon volé à notre regard, de l'autre côté des vitres, là où la vie n'a rien de virtuel, même et surtout si la mort y est programmée, celle des utopies pour commencer, celle de l'Histoire qui risquerait de donner des idées de révolte à des jeunes qui n'ont rien et à qui rien n'est proposé d'autre qu'un désert. Le sourire reste un acte de résistance.