70 Multimedia - novembre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 27 novembre 2012

Dépaysages, au bout de la route


Va et vient entre l'image et le son. À l'écoute de ce que nous jouons, Jacques Perconte traite son film en direct. Nous improvisons en fonction de ce que nous voyons, nageant dans les pixels qui explosent sur l'écran comme il se barbouille des notes qui le bombardent, là haut, perché au milieu du public. Au premier rang sous l'écran, Vincent Segal au violoncelle, Antonin-Tri Hoang au sax alto et à la clarinette basse, et moi accroupi sous mon clavier. On plane. Ne saisissant que des bribes au dessus de ma tête, une sorte de partition des sens regardée du coin de l'œil, j'espère découvrir tout le spectacle à la projection de ce qui fut filmé depuis la salle le 18 novembre au Théâtre Berthelot à Montreuil.


Le projet est excitant. Jacques a commencé à bricoler une page Internet pour vendre Dépaysages, pour le faire voyager. Les images ont toutes été tournées à Madère. La prochaine fois, nous n'irons pas si loin. Nous ne serons que tous les deux pour la performance I.R.L. au Centre Mercœur le 15 décembre (4 rue Mercœur, Paris 11e).


J'ai sélectionné quatre captures écran parmi les cent vingt photos que Jacques a postées sous Flickr. Une route. Un enfant au bord de la mer. La couleur. Et puis une fleur qu'on dirait séchée ou brûlée. J'ai choisi sans réfléchir. Mais c'est un portrait chinois que j'ai inconsciemment dessiné.


J'ai du mal à écrire. Ce matin à 10h30 au crématorium du Père Lachaise, un hommage est rendu à Jean-Patrick Lebel. J'aimais le timbre de sa voix, sa petite musique, son sourire laissant percer quelques savoureuses arrière-pensées... Un bon mot sortait toujours de ses lèvres comme s'il y tenait une fleur pincée.

mercredi 21 novembre 2012

Sonore Visuel


Sonore Visuel est un site pédagogique passionnant, réalisé par Benoît Montigné, enseignant à l'ENSAD et concepteur multimédia. Il est consacré à l'histoire et à l’actualité des arts audiovisuels dans leur acception la plus large : arts sonores, performance audiovisuelle, installation sonore, sculpture sonore, art vidéo, musique visuelle, cinéma expérimental, animation, art vidéo, nouveaux médias, transmédia. Le site explore le rapport image/son dans l'art à travers une sélection d'artistes et d'œuvres. Ses rubriques sont claires et bien documentées : Actualité, Agenda, Histoire, Artistes, Œuvres, Ressources. La présentation graphique est soignée, les illustrations intelligentes, ce qui ne gâte rien.


Au cours de ma visite j'ai pu ainsi découvrir un clip de Bish Bosch extrait du prochain album de Scott Walker, le nouveau site du magazine The Wire, la gentille et désuète application Melotweet pour iPad, l'application graphique et sonore Bliss Bomb pour les cubes Sifteo, l'épatante performance Deconstructing IKEA de Amund Sjølie Sveen... Mais aussi quantité de références historiques tant sur la recherche sonore et le cinéma expérimental que sur la rencontre des deux médias. Une mine à consulter régulièrement pour savoir ce qui se passe et comprendre ce qui l'a généré.

mardi 20 novembre 2012

Débugage


Les derniers jours d'un projet multimédia sont toujours un moment stressant pour le développeur qui en a assuré la programmation. Là où les auteurs commencent à jouir de leur rêve qui a pris forme, l'ingénieur passe un temps peu créatif à chercher la petite bête qui fait planter la machine. Cette période où nous testons et faisons tester peut être longue, car le bug va parfois se nicher dans des recoins bien cachés. L'algorithme vicieux lui donnera du tourment jusqu'à ce que l'œuvre soit stable, le matheux étant seul devant son code.
Je me souviens de l'un d'eux avec qui j'ai longtemps travaillé qui pendant les dernières semaines ne mangeait plus, ne dormait plus, ne se lavait plus tant qu'il n'avait pas trouvé la solution de l'énigme. La compagne d'un autre m'appela un soir pour me demander de faire quelque chose car mon camarade faisait des cauchemars où, parlant éveillé, il marmonnait voir partout des crocodiles. Nicolas Buquet semble plus serein, mais c'est sur lui que repose maintenant l'édifice terrible que nous avons imaginé, cette Machine à rêves de Leonardo da Vinci. Il faut dire que, en plus des images fixes qui se superposent en transparence et des pistes sonores que l'on mixe en direct, quatre vidéos tournent simultanément à l'écran !
De notre côté nous nous excitons sur l'iPad, nous le maltraitons en gestes tétaniques, repassons cent fois l'œuvre en revue, tentant de reproduire les bugs épisodiques, alors que le propos de l'œuvre est la contemplation dans une découverte méditative où le jeu est de prendre son temps pour jouir du spectacle auquel chacun participera par sa propre interprétation.

jeudi 15 novembre 2012

La confiance au Cube


Après l'empathie et l'utopie, le passionnant troisième numéro de La Revue du Cube est consacré à la confiance. La question était ainsi énoncée : La révolution numérique offre des possibilités de progrès et d’émancipation sans précédent, mais elle suscite également à l’échelle planétaire des bouleversements profonds dans toutes les sphères de la société. A l’heure où tout s’accélère, se recompose et se complexifie, et où l’homme n’a jamais eu autant de moyens d’interagir avec ses semblables, comment créer la confiance nécessaire à l’émergence d’une société en réseau, ouverte, solidaire et créative ?

Fidèle au poste, après mes contributions, Tout partager entre tous et ¡Vivan las utopías!, j'ai livré un petit texte intitulé Les yeux dans les yeux :

Comme pour les deux précédentes questions, la réponse est plus large qu’appliquée à la seule sphère numérique. La question de confiance est la base des relations humaines, qu’elle soit méritée ou serve de paravent aux pires malversations. Encore une fois, elle interroge la relation à soi-même autant qu’envers l’autre. Comment avoir confiance en qui que ce soit si l’on n’a pas confiance en soi ? Inversement, c’est le rapport entretenu avec l’extérieur qui forge notre équilibre. Or, la trahison est la pire des expériences, et le capitalisme régissant aussi le monde numérique y puise ses fondements. Comment alors lutter contre tout ce qui nous pousse à la rupture, au repli sur soi, à la ségrégation et à la peur ? Car c’est ce qu’engendre la méfiance. On aura beau tourner la question dans tous les sens, les dés sont pipés. Il s’agit donc de leur rendre leur dignité ou du moins l’image souriante d’une main tendue sans autre arrière-pensée que le partage ou la transmission.
Œuvrant dans un secteur où la concurrence fait rage sans aucune base scientifique ni objective, j’ai toujours pensé que seule la solidarité sauverait mon travail. L’amour lui-même n’est-il pas identifiable grâce à une confiance réciproque ? Il ne s’agit pas de tout dire, les secrets sont indispensables à la marche sur le fil, mais les intentions doivent être claires et leur mise en pratique exemplaire. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui tenaient toujours leurs promesses, qu’elles soient séduisantes ou menaçantes. Cette confiance qu’ils m’accordèrent très jeune fut rapidement réciproque. Le modèle me plut. Dans les entreprises que je menai je décidai de pratiquer la transparence, des comptes comme des désirs. Appliquée aux idées, je m’aperçus vite qu’elles appartiennent à tous ceux et toutes celles qui y participent, et rédigeai nos fondations sur les bases du collectif. L’affaire a ses limites et nous fûmes parfois contrariés. Il ne faut jamais donner trop sans laisser à l’autre le soin de renvoyer l’ascenseur. L’y aider si nécessaire en demandant son secours ou en décelant ses aptitudes jalousement ou maladroitement conservées.
Les échanges qu’offrent les nouvelles technologies devraient permettre le rapprochement, mais le support reste dangereusement mécanique. La proximité virtuelle produit des illusions réelles. La distance est trompeuse. La vérité ne se lit qu’au fond des yeux. Il faut être là.
Quant à la méfiance qu’inspire Internet, dont le manque de fiabilité est honteusement mis en avant par les médias (plus) traditionnels, on peut s’en moquer à la manière dont nombreux de ces professionnels traitent les informations envoyées par les grandes agences de presse, sans aucun recul, avalant les couleuvres que leur livrent en pâture les services de communication des gouvernements. On sait comment l’Histoire est écrite par les vainqueurs. La Toile a le mérite d’être ouverte à toutes les controverses et de solliciter les citoyens connectés du monde entier.

Le lancement de ce numéro 3 auquel ont également participé Étienne Armand-Amato, Michel Authier, Pierre Bongiovanni, Philippe Cayol, Fred Forest, Christian Globensky, Pierre Kosciusko-Morizet, Etienne Krieger, Éric Legale, Jacques Lombard, Marie-Anne Mariot, Antoine Schmitt, Dominique Sciamma, Serge Soudoplatoff, Hugo Verlinde, Gabriel Viry, et évidemment Nils Aziosmanoff qui signe l'édito, aura lieu le 22 novembre au Cube à Issy-les-Moulineaux.


Si certains éludent la question de confiance, et parmi eux un homme à la morale élastique qui nous escroqua de 50 000 F il y a déjà vingt ans, coïncidence savoureuse en regard de mon texte, nombreux la renvoient au risque encouru ou se replient sur la foi. Selon les domaines évoqués, la confiance est de mise avec le partage en nouvel étendard ou totalement détruite si l'on prend conscience de la manipulation dont sont victimes 99% des habitants de la planète, saignés explicitement par les dictatures ou hypocritement par la démocratie, les unes comme les autres à la botte du Capital. La confiance est affaire de solidarité et elle est intimement liée à l'appartenance de classe. Ne nous trompons pas d'ennemi, sachons reconnaître nos amis, les riches qui tiennent les manettes ont depuis toujours réglé cette question. Les hypnotiseurs démasqués, regardez-les dans les yeux !

lundi 12 novembre 2012

Le son dans les médias audiovisuels


Ce soir à 18h Tania Ruiz m'invite à parler à l'Université-Paris VIII de Saint-Denis des propriétés du son dans les médias audiovisuels. Pour une première approche je fais le tour habituel, même si j'improvise toutes mes interventions pour rester vivant et ne pas punaiser mon travail comme un papillon. J'insiste d'abord sur le rôle complémentaire du son, son pouvoir d'évocation et sa richesse sémiologique. Le hors-champ me fournit un exemple parfait. La partition sonore qui inclut voix, bruits, musique situe l'étendue de mon travail et une charte cerne le design sonore. Les choix ne sont jamais innocents. Chaque terme a son traitement de faveur, du timbre des voix à la question de l'originalité de la musique en passant par une nomenclature traçant une ligne invisible entre effets ponctuels (histoire) et ambiances (géographie). En une heure trente j'ai à peine le temps de faire entendre quelques exemples. J'imagine faire une démonstration succincte du CD-Rom Alphabet qui date de 1999 et projeter pour la première fois en public une version βéta de La machine à rêves de Leonardo da Vinci, manière d'intégrer l'interactivité à la palette des outils qui nous sont servis sur un plateau.

vendredi 9 novembre 2012

Ré-enchanter la lecture numérique


Sur son nouveau blog, Étienne Mineur publie un long et passionnant article intitulé ré-enchanter la lecture numérique sur les possibilités technologiques, narratives et graphiques qu'offrent les tablettes aux auteurs et, par conséquent, aux amateurs de livres. Dans un article précédent il soulignait l'incohérence des prix pratiqués par la plupart des éditeurs, dans le prochain il parlera des livres utilisant à la fois l’objet physique et l'application numérique.
Dans ce "kit de survie pour auteur de 'livre' numérique" Étienne Mineur commence par définir les termes auteur, tablette, téléphone, comparant les formats PDF, ePub et les applications autonomes. Il rappelle ce que furent les livres augmentés, citant notre Alphabet d'après Kvĕta Pacovská en exemple, et les livres pensés comme des œuvres audio-visuelles. Il dessine ensuite les degrés d'interactivité offerts :


L'autre schéma en tête d'article le pousse à imaginer les possibilités infinies que permettent les iPad. Ces exemples sont une source extraordinaire pour les auteurs inventifs, autant de pistes excitantes à creuser, que l'on vise un public enfant ou adulte. Étienne inventorie les progrès techniques, la typographie, la gestion du temps ou du son, les manipulations dans l'espace, et termine en donnant quelques liens dont celui de mon premier roman sur publie.net, La corde à linge, qui intégrait hyperliens, images fixes et surtout près d'une heure de son participant directement à la narration. Le second, à paraître prochainement chez le même éditeur intelligent, propose en plus une douzaine de courts métrages vidéo dans le cours de l'histoire. J'évoquais hier les possibilités de l'iPad pour La machine à rêves de Leonardo da Vinci qui sortira début décembre et qui représente un nouveau départ comme le furent mes premiers CD-Rom d'auteur ou les premiers modules interactifs que je réalisai avec Frédéric Durieu sur LeCielEstBleu ou avec Nicolas Clauss sur Flying Puppet.
L'article d'Étienne Mineur résume parfaitement l'immensité du champ qui s'offre au créateur. Encore faut-il trouver les subsides pour matérialiser nos rêves. On considère qu'une application iPad réclame un budget minimum de 30 000 euros si l'on veut développer quelque chose de cohérent sans passer trop de temps en laboratoire. Ensuite cela dépend de l'investissement de chacun. C'est dire que l'équipe de Leonardo a depuis longtemps explosé son temps de travail à défaut de pouvoir éclater le budget ! La recherche a un prix, le plaisir n'en a pas.

jeudi 8 novembre 2012

Leonardo ne tient pas en place


Oh la la, ça bouge tout le temps ! Pas seulement l'application iPad, œuvre interactive de Nicolas Clauss et de ma pomme, mais, arrivés à la première version βéta de La machine à rêves de Leonardo da Vinci, nous sommes tentés d'effectuer des modifications artistiques maintenant que tout fonctionne à peu près bien. Il reste évidemment quelques petits bugs que Nicolas Buquet corrige, et Sonia Cruchon se penche sur tout ce qui accompagnera la sortie de notre travail, générique, site Internet, tests, etc.
La quatrième et dernière étape de l'œuvre canalise l'un des rêves de Leonardo au travers du hublot dessiné par Mikaël Cixous, à la fois microscope et télescope selon le bout par lequel on l'attrape ou comme on l'entend. Le cercle s'échappant du rectangle de l'écran matérialise la machine en devenant la palette du peintre propulsé au XXIe siècle. À l'utilisateur de s'en saisir ! Cette fenêtre sur le monde intérieur est aussi une ouverture sur le cosmos, deux extrémités radicales et abstraites de notre imaginaire. Les instruments du peintre sont le pinch (zoom et dézoom), la rotation (également à deux doigts), les déplacements horizontaux et verticaux et le double-tap. Les effets vont du flou gaussien au pivot sur un axe, les éléments graphiques et vidéographiques se zappant au gré de chacun.


Côté son, si l'ensemble à cordes qui donne sa couleur à l'ensemble de l'œuvre occupe l'espace en volutes successives, la boîte à musique rappelle la vitrine que cachent les couvercles au début du jeu. D'autre part la variété des sons électroniques renvoie à l'étonnante diversité des domaines abordés par Leonardo da Vinci, en particulier aux machines. Hier j'ai jeté la banque de flûtes dont les mélodies étaient trop sucrées, peu fidèle à la vie du grand homme, la remplaçant par d'étranges cris animaliers. Leonardo, qui était végétarien, écrivit entre autres : "Qui n'attache pas de prix à la vie, ne la mérite pas." Le hublot pointait d'emblée les grands mammifères marins et les recherches sur le vol faisaient chanter les oiseaux. Si tous devaient sonner dans la tonalité de l'orchestration, j'ai encore choisi des bestioles dont le timbre est mystérieux, des vagissements du crocodile aux hurlements du gibbon. Mais c'est lorsque je me suis souvenu de l'analyse de Sigmund Freud d'Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, son rêve de vautour (ou de milan, traduction plus exacte de nibio), que tout a soudain pris sa place, y compris les ailes qui ressemblent à s'y méprendre au bruit d'un drap. Sans dévoiler ici son intimité partagée, le voilà donc qui donne symboliquement de la voix, les bruits de la nature redonnant un peu d'humanité à notre machine paradisiaque.