70 Multimedia - septembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 20 septembre 2021

Ping Pong pour deux somnambules


Article du 11 octobre 2008

[...] Depuis que je joue en duo avec Nicolas Clauss, je suis aux anges lorsque nous nous produisons en spectacle. Sous le nom des Somnambules, nous avions adoré jouer avec d'autres musiciens tels Pascale Labbé, Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, mais j'étais trop préoccupé par l'orchestre pour me fondre totalement aux tableaux interactifs de Nicolas.
Bien que je sois capable de produire autant de bruit qu'un grand orchestre, je n'ai jamais apprécié le solo, pas tant pour la musique que pour le plaisir du ping pong. Les images que mon camarade anime en direct me renvoient une critique, des propositions, un univers qui me stimulent et me permettent d'improviser librement. D'un spectacle à l'autre, nos interprétations à tous deux peuvent différer radicalement, nous créons de nouvelles œuvres, nous en donnant à cœur-joie. Ce billet n'apporte aucune analyse, les films parlent d'eux-mêmes, aujourd'hui mes notes livrent seulement quelques informations "techniques"...


Durée de chaque film :
Jumeau Bar 4'08 - Modified 6'07 - L'ardoise 5'33 - Les dormeurs 3'17

Ainsi, nous commençons souvent avec Jumeau Bar dont je transforme les sons avec mon Eventide H3000, une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmé pour passer les sons à la moulinette. Nicolas construit également ses boucles en proposant sa propre version du module interactif original. [...] Pervertir le travail que j'ai réalisé il y a quelques années est une opération très amusante. Je tire le scénario vers l'humour, en trafiquant les sons synchronisés, en exagérant les nuances par des effets appropriés à chaque plan.


J'ai placé les quatre films sur DailyMotion et YouTube, mais je préfère en général le premier qui n'incruste pas son nom dans l'image comme on marque les troupeaux. Modified est le dernier tableau de Nicolas Clauss, pas encore en ligne, le plasticien hésitant à l'heure actuelle entre exposer ses tableaux animés sur le Net ou off line dans des espaces réels. La rareté produirait-elle plus de désir ? Le plus souvent, ses œuvres rendent mieux leur jus lorsqu'elles sont projetées sur de grands écrans, les ordinateurs ne rendant pas la beauté du détail, l'émotion de l'immersion...
En modifiant électroniquement ma voix, une cythare inanga (rapportée de Stockholm en 1972), un erhu (violon vietnamien acheté deux ans plus tard rue Xavier Privas) et une flûte roumaine (je ne me souviens plus d'où elle vient, mais ses sons stridents passent au-dessus de n'importe quel ensemble ou magma électro-acoustique), je suis la logique du tableau interactif joué en direct par Nicolas, un Organisme Programmatiquement Modifiable...


Avec deux petits instruments électroniques, un Tenori-on et un Kaossilator, j'accompagne les divagations dessinées d'une bande de gamins avec qui Nicolas a élaboré l'installation interactive de L'ardoise. J'ai réussi à m'approprier le Tenori-on depuis que j'y ai glissé mes propres sons. Il n'y a hélas que trois banques personnelles pour 125 timbres d'usine. J'utilise ici des échantillons de mon VFX. Le Kaossilator me sert de joker. Lorsqu'on improvise, il est toujours utile d'avoir plus de matériel que ce dont on a besoin. Au dernier moment, j'ai décidé d'ajouter une radiophonie réalisée en 1976, premier mouvement de mon inédite Elfe's Symphonie que je diffuse avec un cassettophone pourri. Depuis, je l'ai numérisée pour pouvoir la traiter électro-acoustiquement avec l'AirFx, un autre effet qui permet, par exemple, de scratcher n'importe quelle source sonore comme un DJ sur sa platine, mais sans y toucher, en jouant avec un rayon infra-rouge en 3D !


Le dernier film qu'a tourné Françoise Romand à La Comète 347 montre Les dormeurs, une pièce de Nicolas de 2002 que j'aime beaucoup et que j'accompagne à la trompette à anche. Comme Jumeau Bar, vous pouviez jouer vous-même [à l'époque de cet article, soit avant que Shockwave ne fonctionne plus]...

vendredi 3 septembre 2021

Les petits livres de mcgayffier


Trente-cinq ans d'amitié n'ont pas altéré le plaisir de la découverte, à lire la poésie de Marie-Christine. Nous habitions dans le même immeuble, boulevard de Ménilmontant. La douzaine d'enfants avaient fonction de go-betweens. Des messagers. Bien que n'ayant produit qu'une fille, j'avais quatre ou cinq mômes à la maison ou bien aucun. De loft en loft, nous circulions dans les étages et nous retrouvions pour des fêtes joyeuses dans la cour. Tout ce petit monde a grandi. Nombreuses amitiés ont perduré au delà des déménagements. Certaines sont restées comme des sœurs pour Elsa. Je joue régulièrement avec Antonin. Anh-Van me soigne. Avec Pascale et Sonia, Marie-Christine est l'une des rares à savoir me lire entre les lignes et j'apprécie autant sa peinture que ses textes oulipiens à la mise en pages mallarméenne. mcgayffier, c'est son nom de plume et de pinceau, a d'ailleurs commis la pochette de mon dernier album, Pique-nique au labo, et le texte du livret que mes vingt-et-une premières sessions ont inspiré...
Parallèlement à ses expérimentations picturales où elle explore couleurs et textures, mcgayffier publie régulièrement des petits fascicules poétiques où la méthode accouche d'œuvres protéiformes que chacun/e peut interpréter librement. C'est ce qui me plaît dans la poésie, comme dans la musique, ou même dans toutes les œuvres qui trouvent grâce à mes yeux et mes oreilles. J'imagine qu'il en est de même avec le goût, l'odorat et le toucher, le tout se retrouvant dans le sixième sens, aussi mystérieux qu'il est évident. Dans ses travaux littéraires et picturaux, on découvre des couches géologiques où le réel se fond dans la pensée, et l'évocation dans la matière plastique. Si l'artiste a revendiqué le statut de technicienne de surfaces, elle sait mettre en relief la banalité formatée de nos vies comme la sublimation de nos rêves infinis. Le vernaculaire y croise l'exceptionnel grâce à la dialectique du montage.
Deux de ses derniers ouvrages, auto-produits, découpes (une ventriloquie à vue) et Formatur(es) (ès)Artforum, m'ont offert quelques heures en plongée, malgré leur (relative) brièveté. Le premier est "composé de mots découpés au cutter et avec une inattention précise dans des programmes de spectacles (théâtre d'Aubervilliers 2017-2018, 2019-2020 ; théâtre de l'Échangeur de Bagnolet 2019-2020 ; Festival d'Automne 2019-2020)". Le second, mon préféré, consista à "prendre au hasard un numéro par an de la revue américaine Artforum ; traduire tous les titres d'exposition rencontrés ; fabriquer un texte en trois parties à partir de la liste des mots collectés ; choisir dans la liste trois mots comme leviers de départ & trois mots pour paliers provisoires d'atterrissage (les titres d'expositions comportent assez souvent trois termes) ; répéter l'opération pour les treize années d'abonnement."
Ceci c'est la cuisine. Le menu se déguste tranquillement, les plats succulents se succédant au rythme du lecteur ou de la lectrice.

Pour en savoir plus, le site de mcgayffierça s'écrit et ça s'expose.