Bernard me contredit systématiquement. Ces altercations, qui nous font toujours avancer, me manquent lorsque je travaille seul. Il m'oblige à préciser ma pensée, à trouver de nouveaux arguments, à fourbir mes armes. La dernière discussion portait sur la différence entre musiciens et machines, jeu vivant et clones. Bernard, craignant d'être trahi, préfère souvent que nous programmions des instruments virtuels plutôt que faire appel à des virtuoses. J'entre en désaccord, prétendant que c'est l'à peu-près, relatif, qui donne sa vie au morceau. Lui estime qu'il faut être en place, un point c'est tout. Alors pourquoi humanise-t-on les pistes enregistrées pas à pas sur le séquenceur ? Il y a un entre deux, puisque, à l'inverse, l'on est parfois obligés de quantifier les parties live. Pourtant aucun interprète ne rejoue identiquement deux fois la même note. Errare humanum est, et cette "gaucherie", maîtrisée, devient le style. N'oublions pas non plus que les machines ont été conçues et sont manipulées par des humains. J'ai choisi de devenir musicien pour partager ces moments de grâce où nous transposons nos émotions en ondes vibratoires organisées. C'est de l'ordre de la conversation, de l'échange. Les machines n'ont aucune générosité à leur actif. Les êtres humains ont le choix.