Mohamed Gastli eut l'excellente idée de proposer à Antonin-Tri Hoang de commencer par un duo avec un pianiste de renom avant de produire un album de son orchestre. Parmi les musiciens suggérés figurait Benoît Delbecq. Le choix était couru d'avance.
Troisième épisode de leur entretien croisé (épisodes 1 et 2) à l'occasion de la sortie de leur duo Aéroplanes chez Bee Jazz (dist. Abeille Musique)... C'est au tour d'Antonin (22 ans) de répondre aux questions de Benoît (45 ans).

Question n°1 de Benoît Delbecq :
Quel est ton tout premier souvenir de musique entendue, lequel t'a alors attiré l'attention tout particulièrement ?

Réponse d'Antonin-Tri Hoang :
Ta question m’a fait me souvenir d’un fait que j’avais totalement oublié ! Je me souviens que tout petit, me demandant ce que pouvait représenter une heure, j’avais arbitrairement décidé que cela devait correspondre à la durée d’un morceau de musique, d'une piste d’un disque. Une chanson = une heure ! C’est le souvenir le plus vieux que j’ai trouvé, et c'est peut-être donc la dimension temporelle de la musique qui a capté d'abord mon attention. Peut-être que c'était un moyen de rythmer la journée, de séparer le temps en parcelles mieux assimilables.
La musique qui a imprégné mon enfance est surtout faite de chansons je crois. Et peut-être que les chansons en anglais me marquaient plus parce que j’essayais de les imiter le soir en chantant pour m’endormir. Qu'est-ce qu'il y a dans les chansons qui nous marque si fort ? Mes premières émotions musicales, je les constate en écoutant aujourd’hui les Beatles ou Wild World de Cat Stevens qu’écoutaient mes grandes sœurs, mais aussi des chansons qu’écoutaient mes parents (par exemple Le petit bal perdu par Bourvil) : des émotions qui semblent très anciennes et enfouies remontent à la surface et font ressurgir comme une réalité disparue. C’est à la fois agréable et presque violent, comme si l'essence d'une certaine époque me revenait d'un seul coup.


Je crois que le premier disque qu’on m’ait offert est L’École du Micro d’Argent du groupe Iam, qui m’a donné envie d’être rappeur pendant un moment. Puis j’ai choisi la clarinette à cause du concerto de Mozart : cet instrument me semblait sans limite et j’aimais le bruit des clés. Pour mes dix ans on m’a offert quatre disques qui m’ont marqué très profondément et m’ont donné envie d’en avoir d’autres : Klezmer N.Y. de David Krakauer, une compile Benny Goodman, une compile Boris Vian ( j'étais fasciné par Vian, le poète-ingénieur-musicien) et une compile Bourvil, encore lui. C’est par ces quatre disques que j’ai commencé à écouter beaucoup de musique, ce ne sont pas vraiment mes disques préférés (quoique Vian et Bourvil...), mais ils ont été des points d’introductions vers de nombreuses autres découvertes.
Par contre, je n’arrive pas à me souvenir de mes premières expérience de concerts, qui sont peut-être des moments de musique trop fugitifs pour pouvoir s’ancrer de manière précise dans la mémoire, contrairement aux disques qui s’y incrustent avec l’écoute répétée. Je ne crois pas avoir de souvenir de concerts qui datent du temps où je n’avais pas les outils pour comprendre un peu la musique. C’est dommage, peut-être que cela me reviendra.
Parenthèse :
Je ne sais pas si je te l’ai dit, mais le morceau qui introduit le disque, Précipité Vert, contient, camouflée, une chanson que j’ai écrite avec mes premières notions de solfège à 9 ans environ ! En redécouvrant cette ritournelle sur un bout de papier je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose…


Derrière Antonin, l'ingénieur du son Étienne Bultingaire inspecte si tous les micros sont à leur place. La finesse du son est un des éléments majeurs du disque, les deux musiciens travaillant dans un confort d'écoute propice à l'état de grâce. La sérénité qui se dégage de la plupart des morceaux est étonnante.

Question n°2 de Benoît Delbecq :
Ton mémoire au CNSM s'appelait Finir la musique... Où et comment se place ton éventuelle sensation de satiété musicale par rapport à un projet mené à terme comme Aéroplanes ? Que contiendra d'emprunté à celui-ci ton disque suivant ?

Antonin-Tri Hoang :
Pour être honnête, il y a un décalage entre ce que j’avais imaginé d’abord, sans ton point de vue, et ce qui s’est ensuite réalisé avec notre travail en commun. Pendant le travail d’écriture, ne pouvant anticiper ton apport, j’éprouvais les besoins de compléter encore et encore les pièces, et de vouloir contrôler l’ensemble de la forme, sans vraiment y parvenir. En écrivant seul au préalable, j’avais beau savoir pour qui et dans quelle direction j’écrivais, je ne pouvais combler par l’écriture tout ce que toi tu apporterais. J’avais, par exemple imaginé une plus grande perméabilité entre les pistes, de manière à ce que divers éléments se retrouvent disséminés un peu partout, mais avec les répétitions est apparue la logique du jeu ensemble, plus importante que tout le reste à mon sens, et qui nécessitait de faire de la place, si bien que moi qui pensais ne pas avoir assez de musique, j’en avais, en fait, trop ! Il y avait beaucoup à partager avec toi, les morceaux se sont transformés avec la combinaison de nos points de vue, et le plaisir de jeu a effacé le projet pour laisser place à la réalité du duo. Que le disque se soit construit par l’échange et le jeu est ma plus grande satisfaction.
Je sais qu’à l’avenir je retrouverai toujours cette différence entre projection et réalisation, et c’est ce que je trouve fascinant dans la musique : sa réalisation passe par plusieurs étapes, au cours desquelles l’apport des autres est prépondérant. Je ne vois pas l’écriture comme une fin en soi, je pense que l’essentiel se produit après, quand elle passe par le filtre des musiciens. Je ne veux pas savoir si je suis auteur ou non, j’aime bien l’idée d’écrire « pour », de modifier au gré des résultats et des envies, tout en gardant des convictions et des lignes directrices. Je pense continuer dans cette idée. Bien-sûr le format du duo est parfait pour ce genre de choses (à condition de bien s’entendre, et ce fut le cas !), diriger une plus grande formation est une autre histoire.

À suivre.