Si j'ai le même plaisir à composer de la musique personnelle ou de la musique appliquée, soit de ma propre initiative ou sur commande, je classerais mes œuvres en deux catégories, respectivement celles qui font directement référence à l'une des Histoires de la musique et les autres où mon inspiration va puiser ses sources dans d'autres médias. Je m'aperçois que j'ai presque toujours évité de monter des orchestres avec une rythmique basse-batterie comme mes camarades du jazz ou du rock. Mais je ne m'en suis jamais privé lorsqu'il s'agissait d'écrire une musique dans l'un de ces genres, ou de concocter un truc techno qui déménage. Pour l'exemple Un Drame Musical Instantané était initialement constitué d'un trompettiste, d'un guitariste et d'un polyinstrumentiste-synthésiste, soit une drôle de formation qui réunissait Bernard Vitet, Francis Gorgé et moi-même.
Ou encore. Ce mois-ci j'ai enregistré douze minutes de musique quasi symphonique pour accompagner la projection des photographies des lauréats du Prix Pictet lors des Rencontres d'Arles le 4 juillet prochain au Théâtre Antique. En découvrant mon travail, le "client" marmonnait au fur et à mesure des mouvements : "Penderecki, Wagner, Dutilleux..." Rien de conscient de ma part, juste le désir de répondre à un besoin, être utile. Car lorsque je compose pour des tiers j'obéis souvent à un système référentiel, comme tous mes confrères et consœurs, histoire de fournir des pistes claires au public. La différence est de taille : lorsque je joue librement, dans mes spectacles et mes projets personnels, les références ne sont presque jamais musicales. Les chercher dans mon quotidien, la vie politique et sociale, l'histoire et la géographie, mes lectures et mes sorties, et surtout le cinéma. Être autodidacte en musique m'octroie cette liberté ou cette contrainte, devoir inventer, faute de savoir. Diplômé de l'Idhec (devenu la Femis), je ne pouvais y prétendre pour les films. Ma cinéphilie faisait obstacle et ma culture générale me poussait vers l'encyclopédisme, tandis que mes incompétences musicales m'ont toujours obligé à imaginer des manières originales de contourner les obstacles.
Confronté à la commande, l'usurpateur se sait obligé d'y arriver malgré tout, et me voilà inventant des stratagèmes pour évoquer poétiquement faute de pouvoir reproduire scolairement. En cela, depuis le début des années 70 les nouvelles lutheries, acoustiques, électroniques et informatiques m'auront beaucoup aidé. Jouer d'un instrument rare ou construit spécialement pour moi me permet également de ne souffrir aucune comparaison tout en défrichant des terres inexplorées. Il n'empêche que, suivant les nécessités que réclament les commandes, je me suis plus d'une fois surpris à composer "à la manière de", faux Vivaldi, Prokofiev, Zappa ou imitant gauchement la musique populaire de notre époque, me jouant de manière perverse des références que je consomme d'habitude avec la curiosité de l'ethnologue. J'en retire la satisfaction du bon élève, mais lorsque cela ne ressemble à rien, me privant de tout espoir de rentabilité à court terme, le plaisir est à son comble.