Il y a quelques temps la nouvelle génération de musiciens français ou vivant en France m'inspirait deux articles. Dans le premier je tentais de les rassembler sous le nom des Affranchis pour exprimer leur affranchissement des modèles américains et des catégories musicales que leur imposent les marchands. Pas question de rejeter l'apport extraordinaire du jazz, du rock ou des minimalistes, mais ces jeunes filles et garçons revalorisent leurs propres terroirs, de la musique classique à la chanson française, des musiques traditionnelles aux plus contemporaines. Ils se moquent des étiquettes et mélangent les influences pour trouver leurs voies personnelles, composant ou improvisant une variété inouïe de nouveaux mondes. Nombreux se reconnurent et m'indiquèrent le nom de celles et ceux de leurs camarades que j'ignorais, et il me faudra encore du temps pour tous les découvrir. Dans le second j'attaquais Jazz magazine sur la place des musiciens étatsuniens par rapport aux Français ou aux Européens. Cette revue est loin d'être la pire et j'aurais pu aussi bien m'en prendre aux rubriques culturelles des grands quotidiens et, pourquoi pas, à la majorité de la presse hexagonale. Je soulignais que l'industrie culturelle américaine, même ses marges les plus rebelles, sert l'impérialisme économique des USA en mettant le pied dans la porte partout dans le monde : faire croire que ses artistes sont les meilleurs, par exemple en musique ou au cinéma, leur permet de faire avaler du Coca Cola ou des MacDo comme vendre des ordinateurs ou des avions, des armes ou des conseils. Aucune agressivité de ma part vers les artistes d'outre-atlantique, nos frères de galère, mais une colère contre les collabos qui, pour la plupart inconsciemment, font le lit de l'occupant.
La France est malade. Elle est malade de son inertie, de son assujettissement économique et aujourd'hui culturel au grand capitalisme qui ne s'intéresse qu'au profit à court terme et à la pérennisation de ce système. En cette période de crise, crise sciemment fabriquée par une caste cynique plus avide et arrogante que jamais, beaucoup se tirent dans les pattes au lieu de se serrer les coudes, et dans les hautes sphères de pouvoir les manipulateurs s'en donnent à cœur joie en laissant les plus faibles sur le carreau. Or plus les choses vont mal, plus la résistance s'organise.
La semaine dernière j'ai participé à deux évènements collectifs encourageants par la solidarité qui s'y est exprimée et la joie d'être ensemble en partageant d'émouvants instants avec tous les présents, musiciens, journalistes, programmateurs, spectateurs, etc. Je coorganisai le concert-hommage à Bernard Vitet à La Java, remarquablement évoqué par Francis Marmande dans Le Monde et Philippe Carles sur le blog de Jazz Magazine (!) et jouai avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang pour fêter l'inauguration de la seconde salle du Triton aux Lilas. À ces deux occasions on put noter le mélange des générations tant sur scène que dans les salles. Il faut dire que l'entrée était gratuite dans les deux cas, un prix trop élevé dissuadant les plus jeunes de s'y montrer. Il y avait longtemps que je n'avais ressenti une atmosphère aussi sereine et heureuse de franche camaraderie. Les barrières de style sautaient, la concurrence laissait place à l'échange, la musique s'en trouvait grandie et la manière de la pratiquer carrément saine. Entendre par là qu'elle retrouvait sa raison d'être, ensemble. Être ensemble. Il restera toujours quelques irréductibles mégalomanes à penser qu'ils sont le sel de la terre, oubliant qu'ils la nourriront bientôt. Leurs jeunes collègues se tourneront de préférence vers les plus généreux qui auront compris que l'on n'emporte jamais rien au paradis puisqu'il s'agit de le construire ici-bas. Ces deux évènements pleins de promesses laissent entrevoir que les temps vont changer et que se préparent, il faut l'espérer et pour ce s'y atteler, de nouveaux lendemains qui chantent.