Suite à ma lecture du livre de Philippe Robert sur la Great Black Music j'ai commandé plusieurs disques sur Internet en me fiant aux pistes indiquées par l'auteur. Si Full Catastrophe, l'album de Meridiem qui réunit Percy Howard (voix), Vernon Reid (guitare), Trey Gunn (Warr guitare) et Charles Hayward (batterie), sonne trop hard et pas assez funk à mon goût je suis emballé par Incident Seductions avec les mêmes musiciens auxquels se joignent entre autres Steve Sullivan (guitare), John Ettinger (violon) et Bill Laswell (basse). La voix de crooner baryton de Percy Howard dont la monotonie mélancolique peut rappeller Scott Walker ou Nico sied à ses chansons poétiques que les arrangements aériens de l'orchestre n'étouffent jamais. Les extraits de son plus récent, A Pleasant Fiction, semblent de la même veine (chansons complètes en écoute ici).


À coté, Carl Hancock Rux, écrivain, metteur en scène, performeur, fait figure d'activiste. Chroniqueur de la négritude, cet autre baryton chante une soul aux rythmes syncopées empruntant aux rock, blues, jazz, soul, gospel, funk ou hip hop. Le mélange des genres accouche d'une œuvre originale portée par des textes exemplaires. Cette fois, j'entends le timbre de Jimi Hendrix avec les intonations de Gil-Scott Heron, les chœurs d'Attica Blues et les murmures de Massive Attack. Le gosse de Harlem revendique les racines multiples de la Great Black Music et cite Serge Gainsbourg, Coldplay, King Pleasure, 50 Cent, Bill Withers, Arvo Pärt parmi ses inspirations. Sur Apothecary RX figurent le violoniste d'avant-garde Leroy Jenkins, Mark Anthony Thompson dit Chocolate Genius, le guitariste brésilien Vinicius Cantuaria, Rob Hyman des Hooters. Cela me donne envie d'écouter dare-dare les trois autres albums enregistrés par Rux, musique urbaine où le politique et le social croisent le fer avec la spiritualité et la poésie.


Mais la surprise vient du duo de hip-hop expérimental Shabbaz Palaces composé de Ishmael Butler alias Palaceer Lazaro et Tendai Baba Maraire, originaires de Seattle et du Zimbabwe. Contrairement au genre où les alexandrins formatent trop souvent les morceaux en un flow continu sans autre surprise que le récit des rappeurs, ici chaque morceau développe sa propre structure avec des samples choisis venant de tous les horizons, même dans les albums où les enchaînements se réalisent sans temps mort : sons électroniques, sub-basses, instruments traditionnels, ensemble de cors de chasse, section de jazz ou free jazz, mbira (le père de Tendai est Dumisani Maraire), percussions et chœurs africains, bribes de dialogues, bruitages... Si la voix nasale a souvent les intonations du Zappa des premières heures leurs inventions sont aussi hirsutes...


Pour terminer cette revue de disques chaudement recommandés, j'ai choisi Seize The Time de l'ex-Black Panther Elaine Brown dont j'avais entendu The Meeting, l'hymne qu'elle avait composée pour leur parti, sur le générique de fin du remarquable film de William Klein autour de Eldridge Cleaver qu'elle remplaça comme ministre de l'information du parti qu'elle dirigera ensuite de 1974 à 1977. Mais la militante dut se battre également contre le machisme de son organisation. En 1969 elle enregistrait ses chansons avec le pianiste de jazz Horace Tapscott qui a également signé les arrangements, mais je n'ai trouvé nulle part le nom des autres musiciens. Les titres de ce document historique sont éloquents : The Panther, And All Stood By, The End of Silence, Very Black Man, Take It Away, Assassination, Poppa's Come Home...