Même si les disques de jazz proprement dit me barbent, j'ai toujours une oreille qui traîne lorsqu'un compositeur s'adjoint un quatuor à cordes.
Si j'apprécie les enregistrements historiques des différentes époques du Dixieland au free le plus débridé en passant par la jungle et le be-bop, le jazz comme musique de répertoire ou clone d'un temps révolu ne m'a jamais passionné. J'ai le plus souvent l'impression de consommer un plat réchauffé. Les revivals de pop ou de tango, la chanson française et les compositions contemporaines me font le même effet si je n'y décèle pas une démarche originale, un recul critique ou un mariage contre nature. Le jazz style piano bar est probablement celui qui me fait le plus penser à de la musique d'ascenseur et n'entendez pas par là un clin d'œil à Erik Satie dont la musique d'ameublement était largement en avance sur son temps. Car, pour s'approprier une culture qui n'est pas la sienne il faut justement y mettre une sacrée dose de soi, en particulier en y mêlant ses propres racines. Je crains donc le jazz actuel comme tout ce qui porte une étiquette exclusive.
Quant à l'adjonction d'un quatuor à cordes à un projet dit jazz, il s'agit justement toujours d'un désir d'écriture, l'arrangement se mâtinant forcément de musique "classique", épousailles du nouveau monde et de l'ancien. Pour beaucoup le quatuor est la forme réduite d'un rêve symphonique. Associé aux vertus de l'enregistrement ou de l'amplification, ce fantasme est devenu monnaie courante et ces expériences toujours riches d'enseignement. Il n'est pas rare non plus qu'un terroir s'y glisse ou plus sûrement y sème son engrais. Comme me le rappelait André Ricros, "pour être de partout il faut être de quelque part."


C'est donc avec intérêt, puis avec plaisir, que j'écoute Minor Dispute, le nouvel album du contrebassiste grec Petros Klampanis dont les talents d'arrangeur s'ajoutent à sa sensibilité d'instrumentiste. Les Balkans dessinent ainsi un trait d'union entre le classique et le jazz. En plus de Gilad Hekselman à la guitare, Jean-Michel Pilc au piano, John Hadfield à la batterie et aux percussions, les cordes des violonistes Maria Manousaki et Megan Gould, de l'altiste Lev "Ljova" Zhurbin (ou Matt Sinno) et du violoncelliste Yoed Nir (ou Colin Stokes) ouvrent une fenêtre sur la Méditerranée. Pour ne pas avoir lu préalablement les notes de pochette je suis tout à coup surpris de reconnaître Thalassaki dans un inventif arrangement où le quatuor est tout indiqué. Rien d'étonnant puisque c'est un morceau traditionnel grec que je connais par le groupe Odeia dans lequel chante ma fille Elsa (en écoute ici)... Les deux albums ont d'ailleurs bénéficié de crowdfunding pour leur production. J'en profite pour saluer le courage de Aléxis Tsípras et son parti SYRIZA qui résistent à la politique ultra-libérale de la Communauté Européenne propulsée par l'Allemagne d'Angela Merkel ! La musique fait partie des formes de résistance.

→ Petros Klampanis Minor Dispute, Cristal Records, dist. Harmonia Mundi, sortie le 19 mai
→ Odeia Escales, Label Wopela, dist. L'autre distribution