Heureuse initiative du pianiste Mario Stantchev d'adapter des pièces du compositeur américain Louis Moreau Gottschalk (1829-1869) relativement méconnu en Europe bien qu'il soit considéré outre-Atlantique comme l'un des précurseurs du ragtime et du jazz ! La relecture très libre qu'en fait le pianiste franco-bulgare crée une musique originale à laquelle les saxophones de Lionel Martin confèrent une modernité, paradoxe délicat d'un retour vers le futur où le jazz éclaire le romantisme salué par Chopin, Liszt, Berlioz, Victor Hugo ou Théophile Gautier. La réussite tient probablement autant au son droit et classique de Martin qu'à Stantchev qui n'abuse pas de traits jazz trop marqués, mais revisite pourtant discrètement l'histoire du jazz en allant piocher dans ce répertoire d'avant son invention.


La personnalité de Louis Moreau Gottschalk, né à La Nouvelle-Orléans d'un père juif anglais et d'une mère créole blanche, aventurier au long cours, séducteur mondain, a fasciné Mario Stantchev qui s'est toujours intéressé à marier les musiques du monde au jazz. Gottschalk est un précurseur de ce mélange, mouvement admirativement colonial ou influences folkloriques qui alimenteront cinquante ans plus tard les compositeurs classiques du début du XXe siècle. Comme Berlioz (revoir Lélio !) il est à l'origine du théâtre musical contemporain, créant des performances démesurées où des dizaines de pianos et des centaines de musiciens interprètent ses œuvres. Lorsqu'il écrit pour orchestre il préfigure aussi les mises en scène sonores de Charles Ives. Plus sobre, le duo Stantchev-Martin fait ressortir ses rythmes caraïbiens où la musique classique swingue à l'ombre du soleil des îles.

→ Mario Stantchev & Lionel Martin, Jazz Before Jazz, Cristal Records, dist. Harmonia Mundi, sortie le 4 mars 2016

P.S. : Conséquence, je réécoute l'intégrale pour piano de Gottschalk par Philip Martin (8 cd), A Gottschalk Festival par Eugene List, Igor Buketoff, Samuel Adler (2 cd), et A night in the tropics dirigé par Richard Rosenberg...

P.P.S. : hier j'ai échangé pas mal de considérations sur les réseaux sociaux à propos de la disparition de Boulez. Je recopie ici mon message initial :
Pierre Boulez est mort hier à Baden-Baden. Une page se tourne. Il n'aura jamais été un compositeur majeur (ses meilleures œuvres, de jeunesse, sont très influencées par Schönberg sans en posséder ni l'invention, ni le swing), mais il fut un grand chef d'orchestre (même si très analytique) et surtout un immense passeur (Domaine Musical, Présence du XXe siècle). Malgré cela, en fondant l'Ircam il a trusté quantité de subventions, assassinant nombre d'indépendants, et ses propos sur l'improvisation étaient particulièrement réactionnaires. À vouloir tout contrôler on accouche forcément d'un résultat très froid où l'humain passe après la technique. Il n'empêche que c'est un jour triste.
Cela m'a poussé à réécouter ses pièces "tardives", mais je reste sur la même impression. Grâce à lui j'ai surtout pu écouter en concert des compositeurs que je connaissais déjà par le disque, et c'était génial !