Gary May suggère que la plupart des jeunes virtuoses sortis du CNSM s'épaulent et partagent leurs ripailles musicales à la façon des associations d'anciens élèves ou des copains de régiment sans fréquenter les anciens. Les générations précédentes, ne pouvant bénéficier des classes d'improvisation ou de jazz heureusement mises en place depuis une quinzaine d'années, apprenaient essentiellement de leurs aînés. La plupart de ces nouveaux orchestres fabuleux et inventifs sont, il est vrai, très peu intergénérationnels. C'est dommage, car si nous apprenons beaucoup nous-mêmes de la confrontation, ces jeunes affranchis méconnaissent ce que pourrait leur apporter ceux qui les ont précédés, mais tout autant ceux qui les suivent. J'en veux pour preuve leur ignorance lorsque, avide de découvertes, je leur demande qui sont les nouveaux musiciens arrivés après eux. Pour jouer ensemble, et en art le jeu n'a rien à voir avec l'âge du capitaine, il semble inévitable que les "vieux" soient à l'origine du projet. C'est d'autant plus vrai s'ils sont particulièrement entreprenants...
Même constatation en ce qui concerne leurs concerts où nombreux trouvent normal qu'on s'y déplace sans penser qu'il pourrait leur être agréable ou instructif de s'y rendre à leur tour. Rien de nouveau de ce côté-là, le métier veut que l'on s'y montre par souci de communication ou pour s'assurer une place sur le marché de l'emploi plus que par curiosité musicale... Malgré les collectifs artistiques qui se montent, ce qui est extrêmement réjouissant, l'individualisme, probablement lié à la forme musicale elle-même des jazz et musiques assimilées où s'expriment avant tout des individualités, empêche les musiciens de défendre leurs intérêts sociaux au sein d'organisations de type syndical. Elles leur permettrait pourtant de lutter contre les organisateurs qui ont fait drastiquement chuter les salaires depuis 25 ans, les gouvernements successifs qui ont scandaleusement réduit le budget alloué à la culture, les organismes dépendant du patronat et de l'État qui rendent de plus en plus difficile l'accès à la protection sociale comme le régime des intermittents du spectacle. La solidarité, démarche à la fois réciproque et frontale, est une nécessité.
Je n'aurais jamais pu produire autant de musique sans celle de mes camarades ni appris mon art sans la générosité des anciens à qui j'ai rendu hommage dans la longue litanie des crédits du site drame.org. Autodidacte, je n'avais pas vraiment le choix. Aujourd'hui j'ai celui de transmettre l'héritage qui me fut légué tout en continuant à rêver, construire et partager.