J'ai découvert lundi le nouveau théâtre de La Scala boulevard de Strasbourg, décoré par Richard Peduzzi, où j'ai assisté à un concert exceptionnel. Le Quatuor Béla interpréta avec la plus grande sensibilité les Métamorphoses nocturnes, premier quatuor à cordes de Giörgy Ligeti, suivies des Métanuits, une adaptation incroyable de Roberto Negro au piano et Émile Parisien au saxophone soprano, à la fois fidèle et totalement déjantée. Negro tout en nuances, martelant ou caressant le clavier, en jouant comme d'une batterie accordée. Parisien avec une sonorité dans le grave que je n'ai pas entendue depuis Sidney Bechet (et certains connaissent mon histoire avec le jazzman de La Nouvelle Orléans !), rappelant aussi le son de shakuhachi du trompettiste Nils Petter Molvær. Hallucinant. Les six musiciens ont terminé ensemble avec une petite composition de Negro. Je me demande pourquoi on fait des comptes-rendus de concerts alors qu'ils sont passés, surtout que j'en suis resté bouche bée... Ce n'est pas comme un disque que l'on peut toujours acquérir en suivant les conseils avisés des chroniqueurs. Est-ce pour cette raison que je rencontre rarement de journalistes aux concerts intéressants ? Heureusement pour eux et pour nous, les photographes échappent à ce paradoxe temporel.
Par contre il n'est peut-être pas trop tard pour réserver vos places pour vendredi au même endroit. Julien Leroy dirigera l'ensemble luxembourgeois United Instruments of Lucilin avec la soprano Donatienne Michel-Dansac (qui l'avait enregistré avec Ictus) pour la première représentation à Paris de An Index of Metals du génialissime Fausto Romitelli disparu en 2004 à l'âge de 41 ans. C'est le compositeur de Professor Bad Trip pour celles et ceux qui connaissent ! L'orchestre de 12 musiciens mêle guitare et basse électriques, sons électroniques, bois, cordes et cuivres. Romitelli, maître du timbre, avait tout assimilé, rock, jazz, musique spectrale, etc.
En 2007 j'écrivais "La musique d'An Index of Metals est encore plus corrosive que dans ses œuvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se mêle parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concerne". J'étais moins convaincu alors par les images projetées, mais c'est une nouvelle proposition de lumière qui sera faite à La Scala vendredi, due à François Menou. Mais si le biologiste Jeff Humbert n'y va pas avec ses appareils, quel photographe résistera à ses pantoufles pour laisser une trace de cet autre concert exceptionnel ?