J'ai beau avoir enregistré On tourne en 1981 avec Un drame musical instantané, je n'aurais pas cru pouvoir entrer dans le Murmur Metal | Maelström de David Bausseron avec autant de facilité. La traversée de son drone métallique est passée comme une lettre à la poste. Évidemment l'époque a changé, le courrier va moins vite et l'on n'est jamais certain qu'il arrive à bon port. Celui de Bausseron aura mis dix ans à nous parvenir, c'est écrit. Plaque, feuillards, lamelles, cage, portique, couvercle, tiges, socle de lampe halogène, paille de fer, boîte enfer blanc, scie à bois ne suffisaient pas. L'actionniste sonore a ajouté de la guitare électrique et de l'électronique. Il faudrait voir à quoi ressemblent ses performances de cascadeur. Là on a juste le son. Le chaos tourne à la méditation. Comme les drones obsessionnels de La Monte Young et Marian Zaeela, entendus à la Fondation Maeght un demi-siècle plus tôt, qui finissaient par pénétrer nos artères et y circuler de manière confondante...

Avec Bernard Vitet et Francis Gorgé nous avions une autre conception de la noise, plutôt varésienne. Nous étions allés enregistrer une ambiance dans une usine de métallurgie où travaillait le beau-frère de Francis avec l'idée de l'utiliser plus tard avec nos instruments. Je portais mes petits micros Electret accrochés derrière les oreilles, un système binaural avant la lettre. Nous étions bien timbrés. En réécoutant ce capharnaüm à la maison, le studio GRRR d'alors, nous nous sommes dits qu'il n'y avait besoin de rien d'autre, tout était joué. Mais surpris par notre ready made vernaculaire, nous avons tout de même ajouté un accord de guitare et un coup de gong, histoire de signer la composition involontaire. On tourne ouvrait l'album À travail égal salaire égal, précédant Crimes parfaits où Bernard jouait un ouvrier sur la chaîne deux fois renversée. Nous étions toujours à cheval entre la sensation et le sens, sans ne jamais privilégier l'un ou l'autre. Quarante ans après, le vinyle est toujours disponible chez GRRR, et Klang Galerie l'a réédité en CD il y trois ans.

David Bausseron a enregistré ses prises à la Gare d'Eau à Lille et au sous-sol de la Compagnie de l'Oiseau Mouche à Roubaix. Dans la rue ou sur scène, il mouille sa chemise lorsqu'il se jette sur son instrumentarium de récupération en partie amplifié. Quand on le sait, le disque fait rêver. C'est grave... Même pas peur !

Drone aussi avec VRTN & VBRTN de Peter Orins. Cette fois c'est l'histoire de la grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf, sauf que là encore ça marche. Pour VRTN, Orins utilise sa batterie comme résonateur de divers objets, bois, métal, verre, et il traite les sons microscopiques avec le logiciel Pure Data pour qu'ils se chargent en énormes harmoniques. L'imprévisible se laisse dompter par les mouvements de l'homme et la machine. Dans VNRTN, le batteur glisse trois baguettes de bois entre cymbales et toms basses pour allonger les sons, comme la harpe d'un piano géant, comme si on regardait son cœur à la loupe. Ça ne loupe pas, ça pénètre, ça s'installe, ça fait vibrer, c'est bon, c'est bon aussi quand ça s'arrête.

Ouvre-glace, le troisième CD de la fournée d'avril du label Circum-Disc s'explose aux accidents de parcours. En découvrant deux pianos dans la salle de concert de la Malterie à Lille, le trio Toc (Ternoy-Orins-Cruz) et le trio Abdou/Dang/Orins joignent leurs forces pour faire freer un quintet acoustique confiné. Sakina Abdou au saxophone et à la flûte à bec, Ivann Cruz à la guitare, Barbara Dang et Jérémie Ternoy aux pianos et Peter Orins à la batterie improvisent leur rencontre salutaire en période sanitaire. Je suis toujours surpris du consensus lorsqu'aucun musicien/ne ne désire ou n'ose perturber le charmant désordre du groupe. Sans élément exogène, la dialectique s'interdit de séjour. C'est une constante chez nombreux improvisateurs, trop polis pour être sonnettes. Ça grince, ça grimpe, et l'on se laisse porter par le flux, minimaliste même dans ses excès.

→ Murmur Metal, Maelström
→ Peter Orins, VRTN & VBRTN
→ Adoct, Ouvre-glace
Les trois CD sur le label Circum-Disc, et en mp3 ou FLAC sur diverses plateformes, dist. Les Allumés du Jazz / Atypeek / Circum-disc