Nous ne sommes jamais arrivés à la mer. La file des automobiles vers la plage de l'Espiguette au Grau du Roi était impressionnante. Nous bifurquons vers Montpellier où nous nous repaissons à la Brasserie du Théâtre avant d'aller jeter un œil au Mo.Co. dont l'exposition Neo Rauch m'intriguait. Le peintre allemand a grandi en R.D.A., à Leipzig, deuxième ville du pays après Berlin, élevé par ses grands-parents après la mort de son père et de sa mère dans un accident de chemin de fer alors qu'il n'a que quatre semaines. On ressent dans sa peinture à la fois les traces du réalisme socialiste de l'Allemagne de l'Est, où il vécut ses trente premières années avant la Chute du Mur, et un goût prononcé pour le surréalisme, avec des traces de la Renaissance italienne et du Romantisme allemand, tout ce qu'il faut pour rendre son œuvre à la fois insaisissable et particulièrement attrayante. Le titre de l'exposition, Le Songe de la raison, provient d’une gravure de Goya El sueño de la razón produce monstruos, et des monstres ses tableaux en sont remplis, animaux ou humains. J'aime penser à ces derniers comme à des animaux dénaturés, tels que nous appelle l'écrivain Vercors. Fondamentalement allégoriques, les peintures laissent pourtant libre l'interprétation de chacun/e. Sur une cimaise est écrit : "Le tableau naît sous la forme d'une image mentale - un flash intérieur. Le déclencheur peut être un coin de chambre ou un détail du parquet... C'est un fragment au début, rien de plus. La germination commence là. Chaque toile est une aventure. Je ne fais pas d'esquisse, jamais. Pour l'essentiel, c'est un processus inconscient." On retrouve là les surréalistes, mais aussi l'improvisation qui me tient tant à cœur.


En admirant certaines de la centaine d'œuvres exposées, dont quarante grands formats explosant de couleurs vives et contrastées, je me dis que j'aimerais en proposer à certains musicien/nes que j'invite pour mes Pique-nique au labo comme sources d'inspiration, partitions ouvertes que nous puissions interpréter librement, chacun/e à notre guise, mais ensemble. Ensemble, parce que les sujets des tableaux de Neo Rauch ressemblent à des collages dont les éléments prennent sens, entendre toujours ici ce mot au pluriel, au contact les uns des autres. Partout je recherche le sens, même et surtout dans son abstraction. De même que j'aime la poésie sous toutes ses formes parce qu'elle est circonlocutoire, à savoir qu'en tournant autour des choses elle obtient une précision éternelle alors que la science visant le centre se retrouve chaque fois démentie par les nouvelles avancées. Si certains tableaux de Neo Rauch m'apparaissent trop explicites, la plupart entretiennent un mystère qui va puiser aux racines de l'inconscient.

Neo Rauch, Le songe de la raison, exposition au Mo.Co., Montpellier, jusqu'au 15 octobre 2023 / très beau catalogue bilingue anglais-français, 152 pages, 30€
→ Jean-Jacques Birgé + 28 musiciens, Pique-nique au labo, double CD GRRR 2020 / Jean-Jacques Birgé + 20 musiciens, Pique-nique au labo 3, CD GRRR 2023, dist. Orkhêstra / 15€ chaque