70 Expositions - mai 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 16 mai 2024

Lettres d'amour des mouches à feu (sur rendez-vous)


Si vous voulez être éblouis, passez à la Galerie Signatures, 70 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris, admirer les photographies aussi merveilleuses qu'incroyables de Michel Séméniako (uniquement sur rendez-vous du mardi au samedi jusqu'au 31 mai, en appelant au 0148075862 pour vous assurer qu'il y a quelqu'un pour vous ouvrir ! Ou en réservant par mail à contact@signatures-photographies.com). Michel Séméniako sera présent samedi 25 mai de 15h à 19h, là pas besoin de prévenir !
J'ai commencé à travailler avec lui et sa compagne, Marie-Jésus Diaz, également photographe épatante, lorsque j'étais très jeune, en 1975, et c'est autour de ses photos que s'est organisé notre CD de chansons doublé d'un CD-Rom Carton en 1997. La chanson L'ectoplasme, qui y figure, est dédiée à ses photographies de fantôme nyctalope.
En 2007 Michel Séméniako publia Lucioles, lettres d’amour des mouches à feu, un travail magique sur ces coléoptères mystérieux et voraces dont la parade sexuelle est lumineuse. Pour mon soixantième anniversaire le photographe de la nuit en avait fait encadrer un magnifique tirage. Sur la photo les étoiles qui leur font miroir perforent le ciel du Piémont. Fasciné, je me colle devant et je ferme les yeux pour m'imprégner de ces deux nuées qui interrogent tant notre humanité que son insignifiance.


Il représente une pause d'environ un quart d'heure lors d'une nuit italienne. On peut le constater à la traînée de lumière laissée par les étoiles. Il est amusant de noter que mes visiteurs imaginent que cette photographie est un tableau tandis que celles ou ceux (doit-on écrire cielles ou ciels ?) qui ouvrent mon dernier CD, Pique-nique au labo 3, pensent que le tableau de mc gayffier, qui en a réalisé à son tour la pochette, est une photographie.


L'intérieur est en effet le détail d'un de ses tableaux. Lucioles est une huile et impression sur panneau de 60x70cm, d'après une photo de l'Américaine Lora Webb Nicols (1883-1962). L'idée des lucioles (lampyridae) lui serait-elle venue du Tombeau des lucioles, l'époustouflant film d'animation d'Isao Takahata ? Une bombe incendiaire était tombée sur le ville de Kōbe. Deux enfants y sont livrés à eux-mêmes. Métaphore de notre monde moderne où nos enfants luttent contre la désintégration de notre planète en se soulevant de la Terre ? Et bien non, c'est Pier Paolo Pasolini qui s'y colle ! mc gayffier rend là hommage à Pasolini (1922-1975) dont l'article sur les lucioles fut publié dans le journal Corriere della Sierra du 1er février 1975 (il sera assassiné dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 novembre) sous le titre Il vuoto del potere in Italia (Le vide du pouvoir en Italie), repris dans son livre Écrits corsaires, et analysé par Georges Didi-Huberman dans Survivance des lucioles aux Éditions de Minuit en 2009 !


Pour les photographies de Michel Séméniako, c'est une autre histoire. Les créatures lui avaient fait la vue dure lors d'un tournage près de Saluzzo, laissant des traînées sur ses images de la petite cité médiévale italienne. Lui auraient-elles susurré l'idée lumineuse de revenir rien que pour elles ? Ainsi les traînées devinrent des fées aux gestes de ballerines. À la galerie Signatures, les grands tirages sont accompagnés de très beaux textes de Max-Henri de Larminat. Au sous-sol, les lampes ultra-violet font ressortir la luminosité des lucioles que le photographe a exceptionnellement repeintes une à une avec de la peinture fluorescente ! Ailleurs, elles s'en sont chargées toutes seules.
Allez-y, on y retrouve la magie de l'enfance, des rêves dans le noir, une manière de répondre à l'extinction !

lundi 13 mai 2024

Pierrick Sorin fait bonne(s) figure(s)


C'est la troisième fois que j'évoque Pierrick Sorin dans ces lignes. Il réfléchit mon goût pour les machines depuis que j'étais petit, à fabriquer des trucs bizarres avec du Meccano ou empiler tout et n'importe quoi, à retourner mes jouets pour en faire autre chose que ce à quoi ils étaient destinés, mes déguisements que mon père appelait chienlit, la prestidigitation qui m'occupa plus tard de longues heures devant le miroir du salon et mon amour du cinéma qui devint l'un de mes métiers. Le premier article s'insérait dans le cadre de l'exposition Des jouets et des hommes au Grand Palais en 2011. Le second est plus récent lors d'un merveilleux concert avec Pierre Bastien intitulé Machins machines au Louvre. De passage à Nantes je ne pouvais rater Faire bonne(s) figure(s) au Musée d'Arts. Cette nouvelle exposition présente une vingtaine d'œuvres, anciennes et nouvelles. Je chausse donc mes yeux d'enfant, d'autant que je suis accompagné de mon petit-fils qui a six ans, pour admirer ses théâtres optiques, ses vidéos aussi humoristiques que critiques, ses installations lumineuses et sonores...


Dès l'entrée nous sommes accueillis par sa nouvelle installation de laveur de carreaux, trois grands écrans derrière lesquels on peut passer, car Pierrick Sorin dévoile souvent les effets spéciaux qu'il utilise, ou du moins il en révèle une partie, car pour la plupart des visiteurs il est probablement difficile de comprendre les animations en surimpression sur décor fixe réalisées par un jeu de reflets sur une plaque de verre inclinée, et c'est tant mieux. La magie opère d'autant qu'elle reste mystérieuse. Mais Pierrick Sorin s'en fiche comme il se moque de lui-même pour renvoyer l'image de nos habitudes au parfum délicatement régressif. Ces effets sont pourtant simples. Il y a du Gondry dans ces mises en scène dont il est l'unique héros, maquillé, déguisé, démultiplié, un mélange de Méliès, Tati et Satie.


Eliott s'émerveille devant les dioramas qu'occupent ses théâtres optiques, le relief d'une lune révélé par des lunettes polaroïd ou le cylindre dans lequel Pierrick Sorin semble dialoguer intimement avec chaque visiteur.


Lorsque dans la Chapelle de l'Oratoire, trouvée après avoir erré dans un labyrinthe de couloirs, il croise par hasard l'artiste, l'effet est saisissant. Pierrick se souvient de mon dernier article. Je lui parle du premier concert de Pierre Bastien où il utilisa une machine musicale construite avec des pièces de Meccano et lui rappelle cette phrase fabuleuse d'une femme assise derrière Cocteau à la première de Parade qu'il avait signé avec Satie et Picasso : "si j'avais su que c'était si bête j'aurais emmené les enfants !". L'installation immersive du Balai mécanique, hommage au Ballet mécanique de Fernand Léger, permet d'apprécier comment les éléments, personnages filmés et lumières colorées, machines musicales et lumineuses, objets et projections, se combinent, chacun faisant œuvre comme le tout. La visite de cette grande rétrospective est indispensable à quiconque a gardé son âme d'enfant. Que les autres aillent mourir !

→ Pierrick Sorin, exposition Faire bonne(s) figure(s), Musée d'Arts de Nantes, jusqu'au 1er septembre 2024

mercredi 8 mai 2024

Retour au Château d'Oiron


Comment se fait-ce qu'il y ait si peu de visiteurs au Château d'Oiron dans les Deux-Sèvres ? J'avais découvert ce lieu incroyable l'année de la grande sécheresse. Cet été 1989 le trio Pied de Poule y donnait un concert dans l'une des salles. La plupart des œuvres contemporaines ne furent pourtant installées que quatre ans plus tard sous la direction artistique de Jean-Hubert Martin qui avait révolutionné l'histoire de la muséographie avec l'exposition des Magiciens de la Terre, conjointement au Centre Pompidou et à la Grande Halle de La Villette. En 2016 j'aurai la chance de composer la musique et les paysages sonores des 26 salles de ses Carambolages au Grand Palais ! Mais revenons à Oiron, lieu magique s'il en est. La rencontre merveilleuse de ce château construit à la fin du XVe siècle et d'œuvres contemporaines pérennes, créées spécialement pour s'intégrer au décor époustouflant conçu par la famille Gouffier, sidère par son potentiel à faire rêver. Cette collection Curios & Mirabilia renoue avec l’esprit de curiosité de la Renaissance en s’appuyant sur l’idée des anciennes collections qu’étaient les cabinets de curiosité. Artus Gouffier, le fils de Guillaume qui avait reçu la terre d'Oiron du roi Charles VII, avait été gouverneur de François 1er. Si la devise de leur famille était Hic Terminus Haeret (ici s'arrête le temps), ici justement il ne s'arrête jamais, tel un mille-feuilles quantique où les époques se télescopent. Ma salle préférée est la salle d'armes où Daniel Spoerri raille la puissance militaire du décor disparu au XVIIe siècle en accrochant une dizaine de personnages carapaçonnés dignes du Père Ubu sous le plafond orné de cartouches en papier mâché dorés et peints avec des scènes mythologiques tirées des gravures de Goltzius évoquant les Métamorphoses d'Ovide.


Si vous avez raté Les magiciens de la Terre, le Théâtre du monde à la Maison Rouge, Carambolages ou les autres expositions imaginées par Jean-Hubert Martin, il faut absolument vous rendre à Oiron, à 30 kilomètres au sud de l'Abbaye de Fontevraud. Comme il est écrit dans les guides cela "vaut le voyage". Le vestibule accueille Les écoliers d'Oiron photographiés par Boltanski. Le Salon vert ou salon du soleil abrite 365 brûlures de Charles Ross. La chambre des Mouches musicales est glauque à souhait avec le Concerto pour mouches d'Ilya Kabakov sur une musique de Vladimir Tarasov. Les monstres de Thomas Grünfeld me font penser à ceux de Yórgos Lánthimos dans son dernier film Pauvres Créatures (Poor Things). Dans le couloir des illusions un miroir au sol renvoie les anamorphoses de Felice Varini. Nous y avons passé trois heures tant il y a de salles et d'œuvres. Fontcuberta, Annette Messager, Gavin Bryars, Raoul Marek, Fischli et Weiss, Penone, Anne et Patrick Poirier, Marina Abramovic, Braco Dimitrijevic, Markus Raetz, Piotr Kowalski, Tony Grand et bien d'autres s'y sont donnés à cœur joie. Je livre leurs noms dans le désordre car le plaisir de la visite vient du fait que l'on peut s'y perdre comme dans un labyrinthe, un palais des glaces de fête foraine, sans parler du parc que l'on aperçoit des fenêtres et où l'on peut prendre l'air après tant d'émotions.


Dans la Tour des Ondes les deux demi-sphères de Tom Shannon, Decentre-Acentre, lévitent en apesanteur. C'est le principe des cabinets de curiosité d'associer le plaisir esthétique avec les prouesses scientifiques. J'ai un peu de mal à décrire cette extraordinaire visite tant les surprises s'amoncellent. Heureusement je possède à Paris le somptueux catalogue, aujourd'hui épuisé, dans lequel je vais me replonger à notre retour de Nantes.