70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 18 mars 2024

CODEX sur Bad Alchemy #123


Article de Rigobert Dittmann traduit de l'allemand tant bien que mal par mes soins !
Après le violoniste Mathias Lévy dans Apéro Labo 1, la suite intitulée Codex (digital) accueillera le 18 février au studio GRRR MAËLLE DESBROSSES à l'alto, voix, appeaux & percussions, qui, elle-même membre des trios Suzanne et Ignatius et tête pensante de Maëlle et les Garçons, a joué et enregistré "Les Démons Familiers" de Lévy. On retrouve également FANNY METEIER au tuba et à la voix, la partenaire de Desbrosses dans le duo Météore ; elle avait déjà réalisé "Raves" avec JJB sur la base des 'Oblique Strategies'. JJB a rédigé son portrait pour Citizen Jazz dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes et suggéré des tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay comme partitions idéales pour son tuba. Mais ici, c'est le "Codex Seraphinianus" qui sert de base, l'encyclopédie de choses imaginaires de l'artiste, illustrateur et designer romain Luigi Serafini, publiée en 1981 et saluée comme "le livre le plus étrange du monde". Ce mélange détonnant du manuscrit de Voynich, de Bosch, de Borges et des Monty Python est un assemblage parfait pour alimenter et défier l'imagination. Ainsi, dans une spontanéité improthéâtrale, les trois musiciens se sont essayés à mettre en musique l'étonnant et l'incompréhensible d’après 7 illustrations choisies par le public - un véhicule-mouche qui se désagrège, un étrange jeu d'amour et de crocodiles, une écriture énigmatique, des poissons-robinet, des fleurs imaginaires, un numéro de cirque fantastique, des œufs surréalistes. Le fait que JJB ait pour cela élargi sa panoplie de jouets - clavier, Enner, Terra et Tenori-on - Le fait que l'artiste ait prêté une arbalète en laiton et plexiglas à Desbrosses, ajoutant flûte, criquet, triangle, chuchoteur, trompette à anche ne doit pas étonner. Même si l'image et le son restent droits dans leurs bottes, la recherche d'analogies sonores par des gestes, pincements, tintements, pinceaux et même en utilisant la bouche, donne à cette peinture électroacoustique de ce dimanche, à ce soundscaping miraculeux, un attrait ludique et une note extra curieuse. Le fait que JJB admire des femmes comme la compositrice Gloria Coates (1933-2023), mais surtout Hector Berlioz en tant que lien entre Rameau et Varèse, est plus qu'une simple note en bas de page. Il déclare même que ses poèmes symphoniques, ses symphonies à programme et surtout son mélologue "Lélio ou Le retour à la vie" (une mosaïque d'autocitations et un traité autofictionnel qui a révolutionné l'histoire de la musique) sont les précurseurs de sa 'musique à propos'. Et j'ai l'impression que la définition d'A.C. Danto de l'art comme 'rêves éveillés' et son 'aboutness' comme 'à-propos-de' sont sortis d'un des œufs de Serafini.

Le punk et le rock alternatif en bande dessinée


J'ai dévoré la nouvelle bande dessinée d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir. À grand renfort d'entretiens avec celles et ceux qui ont vécu ces années révolutionnaires, de 1981 à 1989, les auteurs réussissent à me faire comprendre un mouvement qui m'avait échappé alors. Mieux, ils me révèlent enfin pourquoi Un Drame Musical Instantané se retrouvait sur des disques de compilation avec des groupes qui nous semblaient très éloignés de nos préoccupations musicales, comme chez V.I.S.A. pour qui nous avions enregistré Utopie Standard. Le lien était éminemment politique. À cette époque nous avions délaissé le rock pour le free jazz, la musique classique, la plus contemporaine surtout, le théâtre musical, les ciné-concerts, et une indépendance qui nous évitait toute étiquette. Le Gouëfflec et Moog l'ont remarquablement compris et traité dans leur précédent ouvrage à succès, Underground.
Avoir discuté avec Lionel Martin (Mad Saxx), avec qui j'ai enregistré le vinyle Fictions, m'avait éclairé sur le mouvement punk. Ayant participé à l'aventure de Bérurier Noir, il a même récemment sorti No Suicide Act, un disque en duo avec leur chanteur, François Guillemot dit Fanxoa. Les autres protagonistes des Bérus, Loran, Masto et Laul (ex-Lucrate Milk), Marsu, Florence Duquesne/La Grande Titi, Karine/Mistiti sont aussi présents dans la BD, tout comme Jean-Yves Prieur (Kid Bravo, Kid Loco), Spi (OTH), Rémi Pépin (Guernica), Olivier Tena (Les $heriff), Antoine Chao (Los Carayos, Mano Negra), Didier Wampas, David Dufresne, Catherine Lemaire alias KK (Pervers Polymorphes Inorganisés), Géraldine Doulut (Kochise), etc. On y croise évidemment les disparus, François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle) et Helno (Négresses vertes).
Les dessins de Moog suivent merveilleusement la narration décousue et recousue de Le Gouëfflec si bien que tout se tient, une histoire palpitante, un rêve de jeunesse, de changer le monde, rageusement, renvoyant sans cesse à l'actualité politique d'alors, tout en assumant le fantasme sex, drugs & rock 'n roll. Ils arrivent à rendre vivant un mouvement qui s'est éteint, mais pourrait toujours renaître sous une forme nouvelle, racontant ce que ces musiciens en herbes folles sont devenus, avec en prime une discographie illustrée de 48 albums... Ce roman graphique, comme on appelle aujourd'hui les bandes dessinées pour "adultes", dresse remarquablement le portrait d'une époque où la jeunesse portait encore de belles utopies, une "jeunesse qui emmerde le Front National", une jeunesse qui prendra toujours le risque de vivre libre ou mourir. C'est à la fois encourageant et cela fait forcément peur. On ne vit qu'une fois, mais rien n'est figé dans le marbre.

→ Arnaud Le Gouëfflec & Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir, 176 pages, Éditions Glénat/ Collection 1000 Feuilles , 22,50€

vendredi 15 mars 2024

The Host de Bong Joon-ho


N'étant pas un fan de films d'épouvante, il aura fallu l'humour et la dimension politique pour que The Host m'emballe à sa sortie en 2006. D'une part je suis une petite nature qui ferme les yeux lorsqu'une seringue est montrée à l'écran, d'autre part le film du Coréen Bong Joon-ho ne fait pas vraiment peur. Quant aux films d'épouvante, ils véhiculent souvent une métaphore politique comme chez John Carpenter, et je me souviens des séances de minuit au Napoléon, emmené par mon père, où les spectateurs se rassuraient en fichant un sacré foutoir par leurs quolibets incessants, histoire de camoufler la peur sous une franche et bruyante rigolade. Pour vous flanquer des frissons, il vaut mieux un bon Hitchcock, avec le suspense entretenu lorsqu'on sait avant les protagonistes qui est l'assassin. Si Bong Joon-ho montre très tôt le monstre, il réussit tout de même à vous coller la frousse tant la bête est hideuse. En choisissant une famille de losers très pauvre pour lutter contre elle, il introduit forcément un humour ravageur.


La charge anti-américaine est évidemment déterminante dans ce chef d'œuvre qui n'a rien du genre : de l'agent orange, pesticide utilisé pendant les guerres du Vietnam et Corée, à l'Incident McFarland où un officier américain ordonna de jeter des déchets toxiques dans une rivière parce que les bouteilles s’entassaient, couvertes de poussières, en passant par les prétendues armes de destruction massives irakiennes suggérées par l'absence de virus, sans oublier la critique de l'État coréen qu'incarne probablement le monstre. Même si j'aime beaucoup Snowpiercer (Le Transperceneige), c'est mon film préféré de l'auteur de Memories of Murder, Mother, Okja et Parasite. J'ai fini par craquer pour l'édition limitée avec le storyboard complet traduit en français et anglais de 334 pages, tout cela dans un superbe coffret illustré par Madison Coby. Parmi les innombrables bonus figure la masterclass de Bong Joon Ho au Grand Rex en février 2023...

→ Bong Joon-ho, The Host, Édition Collector 4K et Blu-Ray + Bonus Blu-ray The Jokers, 69,99€

jeudi 14 mars 2024

Lélio, seconde partie de la Symphonie Fantastique


Je suis absolument enchanté d'écouter enfin une autre version de Lélio ou "le retour à la vie" que celle de Pierre Boulez avec Jean-Louis Barrault comme récitant. Il est tout à fait étonnant que cette seconde partie qui fait suite à la Symphonie Fantastique soit relativement méconnue. Hector Berlioz écrit que l’œuvre « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément. » Ce mélologue ou "monodrame lyrique pour récitant, solistes, chœurs et orchestre" a toujours figuré pour moi les prémisses du théâtre musical moderne. Il anticipe aussi la mode de l'autofiction : la musique sauve le compositeur du suicide après une nouvelle rupture amoureuse ; après l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui lui inspire la symphonie et qu'il épousera plus tard, il se fait plaquer par Marie-Félicité-Denise Moke qui se mariera à Camille Pleyel. L'excès d'opium crée ainsi des visions terrifiantes, mais le réveil lui dicte une méditation sur Shakespeare. Le narrateur y incarne Berlioz lui-même, auteur d'un texte rageur réglant ses comptes avec la critique. Il revient sur son œuvre, se citant musicalement, scénographiant l'orchestre hors-champ avant que ne s'ouvre le rideau, allant jusqu'à donner d'astucieux conseils aux exécutants ! S'il emprunte le chœur d'hommes à la cantate La mort de Cléopâtre, la "harpe éolienne" à La mort d'Orphée, on retrouvait déjà dans la Symphonie Fantastique la cantate Herminie, la Scène aux champs et la Marche au supplice présents dans l'opéra inachevé Les francs-juges. Comme une sorte de jubilé moderne il rassemble une mélodie accompagnée au piano, des chœurs, un "chant de bonheur" pour ténor et harpe, une fantaisie avec chœurs et deux pianos à quatre mains ! Son concept de l'idée fixe fonctionne parfaitement avec sa colère. La mise en scène donne son unité à cette mosaïque de pièces musicales. On peut comprendre que Lélio soit rarement représenté comme il le devrait. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, l'œuvre apparaît celle d'un visionnaire.
J'ai un grand attachement à Berlioz pour plusieurs raisons. J'entends les poèmes symphoniques ou ses symphonies à programme comme des antécédents à ma "musique à propos". Flûtiste et guitariste, c'est un compositeur quasi autodidacte qui devra produire lui-même ses spectacles, et réinventer l'orchestre en intégrant l'instrumentation et l'orchestration dans la composition (son Traité est un modèle qui révolutionna l'histoire de la musique). Il incarne pour moi le maillon entre Rameau et Varèse.
La version dirigée par Jean Martinon est plus fine que celle de Boulez. Jean Topart en fait moins que Barrault, il est moins exalté, mais j'aime bien les deux, Barrault correspondant bien aux exagérations romantiques de Berlioz.

mercredi 13 mars 2024

Chats perchés


Chacun cherche son chat. Django a choisi le lit du second étage, Oulala le fauteuil du rez-de chaussée. Comme Milkidou occupe (plus ou moins légalement) la cave, il ne reste que le premier étage de libre pour la jeune Lola, deux ans. Les deux "miens" en ont six de plus. C'était le 8 mars l'anniversaire d'Oulala, ça se fête, et je crois me souvenir que Django est du 26 juillet de la même année. Je suis très fier de leur stoïcisme à l'arrivée de la petite chatte qui n'avait encore jamais rencontré d'autres félins, vivant jusque là en appartement. Elle crache un peu, gronde parfois, mais pour l'instant tout le monde se regarde en chats de faïence. Lola en profite pour jouer Madame Récamiaou sur le clavier de mon ARP 2600 sous l'œil effaré de Léon Larive. La vie est à nous ! Il y a forcément un temps d'adaptation. On se fait sursauter au détour d'un chambranle. Et puis il y a le jardin qui révèle ses parfums de printemps précoce, ses bruissements sous la brise, son labyrinthe de branches. La veille des présentations j'avais préparé Django et Oulala en disposant une troisième assiette de croquettes. Il fallait voir leur air ahuri. Je leur ai donc annoncé l'arrivée d'une petite sœur à grand renfort de caresses et de gourmandises. Lola est maline, elle a illico squatté la couette de la chambre, dessus, dessous, cache-cache et câlins. Je vais de l'une à l'autre comme une boule de billard, rebondissant sur les bandes. Heureusement leurs siestes me laissent le temps de faire autre chose de mes journées.

mardi 12 mars 2024

Les ballets quantiques d'Antoine Schmitt


Depuis cet article du 14 mai 2012, et bien avant cela depuis notre collaboration sur Au cirque avec Seurat, Carton, Machiavel, Nabaz'mob, etc., Antoine Schmitt a fait du chemin. À cette heure il est d'ailleurs en vol pour Melbourne. Et son site en atteste. Ses échelles relatives du pixel à l'univers, ses réflexions sociétales, habitent ses créations informatiques. Ce démiurge de l'algorithme a repoussé les limites du petit écran. Il s'expose dorénavant régulièrement...


Est-ce son passé de night-clubber qui entraîne Antoine Schmitt dans la danse ? Son nouveau cantique des quantiques renvoie-t-il à son Christ mourant sans cesse et profane en diable ? Le danseur projeté [...], tronc composé de seulement huit segments, subit un autre martyre de ne pouvoir s'arrêter qu'à l'extinction des feux, rappelant Le Masque de Maupassant filmé par Ophüls et Les chaussons rouges d'Andersen par Michael Powell. Condamné à vivre éternellement sous la loi du code informatique, il danse, il danse selon et contre toute logique. [...] Les créatures comportementales qui sont chair (virtuelle) à Antoine Schmitt se multiplient sur les écrans et se rassemblent comme le Christ articulé de Salvador Dali au Musée de Figueras.


Le même algorithme quantique anime les quatre écrans des Ballets quantiques où les danseurs sont réduits au plus simple appareil, le pixel, avec Le pixel blanc originel de toute l'œuvre de l'artiste projeté en grand à côté d'une photo noir et blanc d'un instantané figé de la chorégraphie. À regarder dans le silence ces mouvements infinis réglés par l'indétermination, on se prend à y deviner des portés lorsque les points s'empilent ou des chassés lorsque leur nombre explose. Antoine Schmitt suggère "des forces invisibles à l’œuvre derrière les systèmes complexes, comme les particules, les peuples, les sociétés". Ses travaux jouent du va-et-vient entre le réel et le virtuel, le concept et sa réalisation imaginaire, l'inconscient de l'individu et les mouvements de masse... Le mystère de la création doit composer avec la trivialité de la moindre interprétation.

lundi 11 mars 2024

Coupez !


Voilà des lustres que je suis à couteaux tirés avec les lames de la cuisine. Lorsque Sacha m'a parlé de son aiguiseur de couteaux professionnel je me suis dit que je n'y couperais pas. Le fusil en métal d'Ikéa a fini par ressembler au crâne de Yul Brynner et je me débrouille comme un manche avec la pierre en oxyde d'aluminium achetée à ChinaTown. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie leur usage demande un réel apprentissage car il s'agit de repousser l'acier. La pierre, indispensable pour les lames japonaises trop dures pour le fusil, s'humidifie grandement et ne doit jamais être lavée.
Dépendre du rémouleur qui passe et repasse dans la rue tous les deux ou trois ans ne me convient pas non plus, d'autant que si je compte le nombre d'émoussés cela coûterait drôlement cher.
Mon camarade fin cuisinier, comme on dit fine lame, m'assure donc qu'avec l'affûteur universel l'affaire est tranchée et que l'objet n'est pas prêt de s'user. Pas non plus de machin électrique inutile. L'expérience se réalise sous le robinet pour que les meules en céramique ne s'échauffent pas, mais il suffirait de mettre de l'eau dans l'affûteur. Je suis donc allé acheter ce merveilleux outil japonais chez Mora, rue Montmartre, et je suis rentré à la maison pour retrouver le fil du rasoir. C'est tout simplement épatant, car faire la cuisine avec des couteaux mal aiguisés est un jeu de massacre qui ne coupera que l'appétit. Lorsque les lames auront retrouvé leur tranchant on évitera évidemment d'y mettre les doigts. Je retrouve le plaisir de l'émincé. C'est bon pour aujourd'hui, coupez !

Article du 10 mai 2012

samedi 9 mars 2024

Apéro Labo : Météore rencontre Birgé (Citizen Jazz)


Jean-Jacques Birgé, Fanny Meteier et Maëlle Desbrosses

Laboratoire musical le plus cool du monde.

Ne prévoyez pas d’aller chez le coiffeur avant un concert d’Apéro Labo chez Jean-Jacques Birgé. Vous risquez d’en sortir ébouriffé. Et oui, parfois la musique passe avant l’allure et les standards trépassent devant tant d’inventivité.

L’invitation ludique et poétique, un brin loufoque indiquait :
« La liberté de l’indépendance pour le plaisir des sens
Concert dans un lieu mythique
Excellentes conditions acoustiques
Délicieuses provisions de bouche
Nos compositions instantanées sont enregistrées en votre présence
Qualité disque »


Tout un programme. Cela n’est pas peu de l’écrire…
Cet évènement qui s’est déroulé par un dimanche endormi de pluie du 18 février dernier, était bien plus qu’un simple programme. Jean-Jacques Birgé recevait en polymathe flegmatique, vêtu d’une combinaison orange tonique, comme tout droit sorti d’une prison où il serait interdit… de ne rien toucher !
Cet homme de l’art, des arts et des sons pleins de surprises, invitait Maëlle Desbrosses à l’alto et Fanny Meteier au tuba. Ce binôme espiègle de musiciennes forme le duo Météore, qui se produira par ailleurs le 2 mai 2024 prochain à l’Atelier du Plateau à Paris.

Le maître mot du maître de maison : « C’est moins que se rencontrer pour jouer que jouer pour se rencontrer ».

Cet Apéro Labo # 2, performance unique et singulière, atypique et follement expérimentale s’est déroulée autour de pages tirées, par quelques mains sollicitées au hasard, du Codex Seraphinianus, un codex écrit vers la fin des années 1970 par Luigi Serafini, auteur de cet ouvrage rédigé en une écriture non déchiffrée et indéchiffrable et illustrée de planches toutes plus fascinantes les unes que les autres.


Les improvisations de ce trio d’un jour se sont ouvertes sur la page des fourmis ailées, puis, une sur planche présentant un étrange jeu d’amour et de crocodile, en passant par des fleurs imaginaires, des œufs surréalistes, des robinets à poissons…

Comment décrire ces images en musique ?
« Ma recherche musicale et ma musique tendent un peu à faire du cinéma pour les aveugles » souffle Jean-Jacques Birgé. On a le plaisir d’assister à une inénarrable envolée de rythmes, de sons et autres onomatopées où toutes sortes d’instruments et d’objets sonores se sont prêtés à une polyphonie, atonale et atemporelle : terra, crécelle, triangle, pomme musicale, hygiaphone, trompette à anche, jusqu’au violon arbalète, instrument hybride et unique… La console de son et les claviers apportent leur rythmes, leur résonances et leur couleurs sous l’oreille avisée et hautement imprévisible de Jean-Jacques Birgé.

L’alto de Maëlle Desbrosses au jeu riche et varié, se laisse même caresser le dos par son archet et chatouiller ses angles. L’embouchure de Fanny Meteier va titiller le pavillon du tuba qui glougloute, soupire, répond, s’afflige, et se laisse explorer de mille façons par la fantaisie de son interprète.

On reste médusé devant leur infatigable curiosité pour les sons et leur exploration. En deux mots, il n’en restera qu’un : encore !

par Vanessa Paparella // Publié le 8 mars 2024

P.-S. : Codex, l'enregistrement du concert sur Bandcamp

vendredi 8 mars 2024

Fanny Meteier, la Marianne 2024 du jazz


J'attendais que Citizen Jazz mette en ligne mon article KUNG FU TUBA sur Fanny Meteier que le magazine en ligne m'a commandé, portrait de la jeune tubiste choisie pour représenter la France lors de cet International Women's Day. Comme il serait indélicat de leur couper l'herbe sous le pied en le reproduisant ici avant eux et que nous sommes le 8 mars, je vous renvoie aux sept autres sites européens qui l'ont traduit. Oui, je sais bien qu'un jour sur 366 pour fêter les femmes (cette année est bissextile), c'est un peu has been (là, pas très bissex). Mon texte est donc aussi en français sur JazzMania (Belgique) et traduit dans six autres langues sur Jazz'halo (Belgique), London Jazz News (Grande-Bretagne), Jazz-Fun (Allemagne), Giornale della musica (Italie), In&Out Jazz (Espagne) et Donos Kulturalny (Pologne). Même chose pour les belles photographies d'Aurore Fouchez ou France Paquay qui l'illustrent... Ainsi ai-je opté pour une autre photo que j'aime beaucoup. JJGFREE l'a prise lors du concert que nous avons partagé avec Fanny, Maëlle Desbrosses et moi-m'aime le 18 février dernier au Studio GRRR. L'album, inspiré par l'ouvrage de Luigi Serafini, s'intitule Codex.
Mais Fanny Meteier n'est pas toute seule ce 8 mars. Dans le cadre de ces Giant Steps : Women to the Fore IWD#2024 elle partage l'affiche avec sept autres musiciennes, chacune sélectionnée par son propre pays : les saxophonistes Alejandra Borzyk, Matylda Gerber, Asha Parkinson, la batteuse Evita Polidoro, la chanteuse Miriam Ast et la contrebassiste Alejandra López.


Lorsque vous pourrez lire mon texte, comme les sept autres, sur Citizen Jazz, il sera probablement accompagné d'un petit article rédigé par Vanessa Paparella, dans le même numéro, concernant le concert qui a donné naissance à l'album Codex ! Mais j'ignore si KUNG FU TUBA sera mis en ligne aujourd'hui, jour commémoratif de la portion congrue accordée à la gente féminine ou lundi, jour de parution de chaque nouveau numéro de l'excellent et incontournable magazine. J'ajoute que le nombre de musiciennes jouant d'absolument tous les instruments possibles et imaginables ne fait qu'augmenter de jour en jour, qu'elles y développent des voix personnelles, que la création artistique s'en porte d'autant mieux et que Citizen Jazz n'a pas attendu ce jour pour les glorifier.

P.S.: À 14h pétantes, Citizen Jazz mettait en ligne le dossier Fanny Meteier ! À commencer, par mon article intitulé KUNG FU TUBA. Mais également le compte-rendu de notre Apéro Labo, concert avec l'album Codex à la clef, et mes parties de campagne avec le CD Pique-nique au labo 3...

jeudi 7 mars 2024

Bernard Vitet trompette dans Jazz magazine


Une photo de Bernard imberbe que je ne connaissais pas illustre l'article de Stéphane Ollivier dans le numéro spécial TROMPETTE de mars 2024 de Jazz Magazine. Il fait partie du chapitre "Hard-bop, avant-garde, évolution & révolution".

Bernard Vitet
1934-2013
Styliste élégant aux phrases magnifiquement équilibrées mais surtout grand aventurier de la musique sous toutes ses formes, Bernard Vitet, en quête toujours de nouveaux espaces et moyens d’expression, aura été de toutes les métamorphoses du jazz français. Abandonnant peu à peu le bebop des clubs pour le free jazz naissant et les séances de requin de studio (Bardot, Gainsbourg) au profit d’artistes plus marginaux (Brigitte Fontaine, Colette Magny), Vitet participera successivement et simultanément aux hybridations du jazz avec la musique contemporaine (avec Parmegiani, Aperghis et pour son propre compte dans son disque culte “La Guêpe”), la musique improvisée la plus radicale (au sein notamment du Unit de Michel Portal), jusqu’à prendre définitivement la tangente en 1976 en créant avec Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé, Un Drame Musical Instantané. Au sein de ce petit laboratoire ludique ce grand inventeur de forme (et d’instruments !) trouva finalement l’espace idéal où donner libre cours à ses plus géniales fantaisies.

3 DISQUES ESSENTIELS
François Tusques Free Jazz IN SITU, 1965
Bernard Vitet : La Guêpe FUTURA, 1971
Un Drame Musical Instantané : Machiavel GRRR, 1998
3 SOLOS CULTES
Trop d’adrénaline nuit Un Drame Musical Instantané : Trop d’adrénaline nuit GRRR, 1977
No No But It May Be Michel Portal Unit : Châteauvallon 1972 EMARCY 2003
Le silence éternel des espaces infinis m’effraie Un Drame Musical Instantané : Mehr Licht GRRR, on line 2012 / Tchak ! à paraître sur Klanggalerie

mercredi 6 mars 2024

Gloria Coates, compositrice américaine


Le DJ saturait les enceintes. Ma tête ressemblait à une citrouille. Je suis descendu dans le jardin rejoindre les fumeurs, quitte à attraper la crève. [...] Au clair de lune, devant les bambous, je rencontre Alex qui partage mon goût pour Ives, Ligeti, Scelsi et quelques autres atypiques... En rupture d'avec ses études classiques il a plongé dans la composition instinctive. Ma démarche aboutit au même point, mais en passant par le terrain ! Dans la conversation il évoque une compositrice américaine dont il est fan et dont je n'ai jamais entendu parler, Gloria Coates.


Née en 1938 dans le Wisconsin, vivant aujourd'hui à Munich [depuis cet article du 9 mai 2012, Gloria Coates y est décédée le 19 août 2023 à 89 ans], elle affectionne particulièrement les glissandi chers à Penderecki (première période) et Xenakis, les timbales venant souvent donner du gras aux cordes. Sa musique n'a pas la froideur des férus de mathématiques. Les sentiments dramatiques flottent au-dessus d'un océan lugubre. Les pièces pour orchestre, à la fois minimalistes et aux textures insaisissables, conviennent particulièrement à sa critique du monde. Gloria Coates joue des dissonances, quarts de ton, canons et palindromes sans ne jamais négliger de susciter de fortes émotions. On pense au Hongrois et à l'Italien évoqués plus haut ainsi qu'aux Américains qu'elle se charge de faire connaître en Allemagne. À son actif, quinze symphonies, neuf quatuors, des pièces vocales et chorales, de la musique électronique, quantité d'autres alliages et les tableaux qui ornent ses pochettes. Je me suis fié à mon interlocuteur et j'ai commandé tout ce qui était disponible. S'annonce un festival Coates en ma demeure.

mardi 5 mars 2024

Escale gastronomique


Certaines rues du Bairro Alto sont très animées, mais heureusement la Rua Vale est calme. Les couleurs des façades me ravissent. Par contre j'avais du mal à trouver de bons restaurants à proximité. C'est une obsession lorsque je voyage. La Churrasqueira da Paz est un petit restaurant de quartier où manger de délicieux poissons grillés. Même chose avec le Zapata, restaurant "ouvrier" où j'ai trouvé des plats portugais typiques. Plus chic et raffiné le Frade dos Mares pour le soir. J'ai l'habitude de faire des courses à Prim'Land à Romainville, magasin des Portugais à Paris. Plus loin parce que ça monte, nous avons rencontré des amis au Decadente pour partager des petiscos inventifs (tapas), mais c'est du restaurant péruvien A Cevicheria dont nous gardons un souvenir inoubliable.


Je l'avais repéré, mais Éric et Juliette en ont rajouté une couche pour nous inciter à y aller. Nous avons partagé un ceviche de saumon et fruit du dragon accompagné de tapioca, noix de coco, ananas et noix de cajou, et un ceviche de thon et foie gras accompagné de betterave, framboises, litchis et noisettes. Nous avons arrosé ces agapes d'un Pisco Sour et terminé avec un Porto Feuerheerd's de 20 ans, après m'être achevé avec un dessert de chocolat noir, piment aji amarillo et purée de banane, mousse de noisette et crumble de cacao. Après cela, il ne restait plus qu'à monter, monter, et, et, descendre et redescendre, avant de remonter les rues escarpées de Lisbonne tout en admirant les points de vue sur la ville...

lundi 4 mars 2024

Le Palais Fronteira et Lisbonne


Comme il est interdit de prendre des photos lors de la visite guidée du Palais Fronteira, entre autres parce que les descendants plus ou moins directs du premier marquis de Fronteira, D. João de Mascarenhas, y résident partiellement, je fais glisser les azulejos et la verdure dans mes yeux éblouis. La famille actuelle est constituée de quatre personnes, mais à l'époque ils étaient une vingtaine servis par quatre-vingt domestiques. L'endroit, relativement et étonnamment peu fréquenté, est un des musts à visiter lors d'un séjour à Lisbonne. Ailleurs les queues de touristes sont plutôt dissuasives.


Les salles visitables sont passionnantes avec leurs carreaux de faïence représentant des batailles contre les Espagnols. Dehors les thèmes sont plus variés, petits lapins farceurs et singes professant, signes du Zodiaque ou saisons, musiciens, etc. On appréciera l'humour de certaines scènes qu'il faut chercher soigneusement...


Nous avons retrouvé le style baroque joanin (« barroco joanino »), typique du Portugal, par exemple dans l'église Saint-Roch (Igreja de São Roque). L'or y dégouline. Les reliquaires m'ont rappelé l'exposition La mort n'en saura rien que Jean-Hubert Martin avait conçue avec Yves Le Fur en 1999 au Musée de la Porte Dorée, confrontant les reliques d'Europe et d'Océanie. Le titre provenait d'un vers du Guetteur mélancolique d'Apollinaire. Il faisait beau. Nous nous sommes promenés dans les jardins inspirés par ceux dits français.


Le Palais a été maintes fois rénové. Les plafonds en stuc ont été rajoutés. Des tapis persans. Des meubles rapportés de voyage. Le jardin n'échappe pas à ces strates du temps, comme une coupe archéologique d'un temps pas si lointain.


Le premier jour, nous nous étions promenés dans le charmant jardin botanique de l’université de Lisbonne. Le lendemain il pleuvait. Nous avons donc choisi de nous immerger dans l'Oceanorium pour y admirer requins et raies manta, méduses et calamars, loutres et pingouins... Mes préférés, les incroyables dragons de mer (phyllopteryx taeniolatus) qui se confondent aux algues...


Lorsqu'il fit meilleur, nous sommes allés déguster quelques pastéis de nata près de la Tour de Belem (une autre sorte de pâtisserie !), nous grimpâmes au Castelo de São Jorge et nous visitâmes la Fondation Calouste-Gulbenkian. Mais nous arpentions surtout les rues du Bairro Alto et du quartier d'Alfama. J'en rapportai de magnifiques gants en agneau de chez Luvaria Ulisses. Cela me changeait de mon incessante quête de restaurants typiques.

vendredi 1 mars 2024

Immersion au musée Vieira da Silva


La mode des expositions immersives où l'on se promène au milieu de reproductions géantes de tableaux de maîtres accompagnées d'un sirop musical d'époque ne m'a jamais convaincu. Je n'y ai jamais vu qu'une déclinaison assommante de la boutique cadeaux avec ses marque-pages, porte-clefs, magnets et cartes postales. Cela peut constituer un souvenir, mais on n'y apprend rien et l'on est loin de l'émotion ressentie face à l'original, fut-ce une miniature.


Je préfère évidemment le traitement qu'en avait fait Pierre Oscar Lévy pour Samsung avec Révélations, une odyssée numérique dans la peinture, collection de 23 tableaux dans lesquels nous rentrions en choisissant chaque fois un angle narratif en relation avec l'œuvre et les circonstances dans lesquelles elle avait été peinte. J'en avais assuré la direction artistique et la musique, ayant choisi d'éviter le moindre commentaire parlé. Nos films s'étaient retrouvés exposés au Petit Palais, la première fois sans qu'aucune œuvre originale soit montrée. Ce choix n'était pas le nôtre. Nous aurions adoré présenter L'enfant au toton de Chardin à côté de notre interprétation, certes un peu iconoclaste, ou Les ambassadeurs de Holbein qui indiquait la position agenouillée sous le Christ discret qu'il fallait adopter devant le tableau pour admirer l'anamorphose...


Pourtant en découvrant la salle immersive de la Fondation Arpad Szenes-Vieira da Silva à Lisbonne je fus conquis par la mise en espace réalisée par Oskar & Gaspar sur une musique de Rodrigo Leão. Les tableaux de Maria Helena Vieira da Silva se prêtent très bien aux programmations numériques 3D qui me rappellent celles de Frédéric Durieu pour notre CD-Rom Alphabet il y a déjà 25 ans. L'idée d'installer un miroir déformant sur le mur de l'entrée est excellente, cela évite d'être ébloui par l'un des vidéoprojecteurs lorsqu'on pénètre dans l'obscurité et donne un mouvement supplémentaire aux décompositions auxquelles se sont amusés les réalisateurs. Nous avions auparavant admiré les villes survolées de l'artiste, paysages en mosaïque où les lignes de fuite suggèrent d'imperceptibles mouvements abstraits.

jeudi 29 février 2024

L'album Codex est en ligne !


Rentré lundi soir de Lisbonne, impatient, j'ai filé le lendemain matin aux aurores mixer l'album CODEX enregistré en public au Studio GRRR le 18 février dernier avec l'altiste Maëlle Desbrosses et la tubiste Fanny Meteier (duo Météore que vous pourrez retrouver le 2 mai à l'Atelier du Plateau). J'avais demandé aux premiers arrivés, invités à assister à ce second APÉRO LABO, de choisir une page du Codex Seraphinianus de Luigi Serafini afin que nous nous en inspirions pour les compositions instantanées, que d'autres appelleraient improvisations, que nous avions choisies de présenter ce dimanche pluvieux. Je laissai l'ouvrage à disposition de chacun/e pour s'en délecter avant et après le concert, mais lors de notre prestation nous montrâmes simplement chaque page choisie avant de l'interpréter librement. Ces images sont reproduites en tout petit en regard de chacune des sept pièces sur le site drame.org où l'album est en écoute et téléchargement gratuits et sur Bandcamp.


En dehors de l'émotion musicale générée par mes camarades de jeu ces apéros labos créent une convivialité que les salles de spectacle n'offrent pas. De plus, cet échange plein de tendresse et d'humour participe à cette émotion partagée. L'apéro qui suit prolonge ce plaisir de la rencontre. J'avais préparé des mets végétariens pour convenir à l'une des deux musiciennes, feuilles de vigne farcies, houmous, dattes, figues sèches, loukoums, plus quelques mets apportés par mes invités, et de bonnes bouteilles pour arroser tout cela.


Fanny plongea la tête dans le pavillon de son instrument et retrouva dans mon instrumentarium le Gédéon de son enfance, tandis que Maëlle échangea son violon alto pour l'arbalète en laiton et plexiglas construite par Bernard Vitet et Raoul de Pesters ; elle m'emprunta également un Venova, sorte de saxophone en plastique, ainsi que percussions et appeaux. On l'entend même chanter dans la cinquième pièce. Je me contentai de mon clavier américain, de trois instruments russes (Terra, Enner, Cosmos), du Tenori-on japonais, d'un mégaphone allemand, d'instruments à vent et de percussions rapportés d'un peu partout sur la planète. J'en avais trop sortis comme d'habitude, les pages choisies ne convenant pas du tout à ce que j'avais espéré jouer, mais l'esprit d'à propos dirigeait cette joyeuse session, la complicité avec mes deux invitées nous entraînant au delà de ce que nous avions imaginé !

La photo en couleurs est de Michel Le Bastard, celle en noir et blanc de JJGFree, merci à eux et aux autres photographes, puisque contrairement à ce qui se pratique aujourd'hui dans les théâtres, les photos sont autorisées puisque nous sommes entre amis et que leur discrétion est à la hauteur de leur écoute !

mardi 20 février 2024

Pause d'une semaine


Je n'emporte pas mon ordinateur, mais un carnet et un stylo, plus de quoi prendre des photos. Donc pas de blog d'ici le 28, mais vous aurez probablement droit à un compte-rendu à notre retour de Lisbonne. Il peut m'arriver d'envoyer une image sur FaceBook. Je ne sais pas. Ce n'est pas écologique de prendre l'avion, alors camarades conscients n'en rajoutez pas. Ces vacances sont salutaires, salvatrices, et, espérons, merveilleuses.
Mon dernier voyage au Portugal remonte à 1976, par là. Nous étions descendus à quatre en Algarve dans une petite voiture. Je ne me souviens plus de grand chose, sauf du tabouret dagobert qui, même plié, occupait tout l'espace intérieur. Il avait fallu traverser l'Espagne, débarrassée de Franco. Salazar l'avait précédé. Le passage d'un pays à l'autre avait été un choc. Là-bas c'était tout propre, style rideaux en dentelle. Cela fait si longtemps que j'ai envie de découvrir Lisbonne.
J'ai juste eu le temps de ranger le studio après le concert de dimanche avec Fanny au tuba et Maëlle à l'alto. Le mixage et la mise en ligne de cet Apéro Labo 2 attendront le retour. Ce fut un succès sans pareil. Le protocole tant convivial que créatif change radicalement la perception de la musique par les spectateurs. Je pense reprendre l'expérience en avril, car cela me prend tout de même une semaine d'organiser la séance et l'after, tout en étant frais et dispo pour improviser avec d'aussi formidables partenaires. Un petit indice avant de révéler l'album d'ici une quinzaine : nous nous sommes inspirés de pages du Codex Seraphinianus choisies par nos invités !

lundi 19 février 2024

Puissance de feu de l'orchestre


Ces derniers temps j'ai assisté à la Philharmonie à deux concerts exceptionnels à plus d'un titre, d'abord parce que ce sont des œuvres symphoniques rarement représentées à cause de leur dispositif ou du nombre d'interprètes requis. Il s'agissait de l'opéra Die Soldaten (1965) de Bernd Alois Zimmermann et de Kraft de Magnus Lindberg.
En 1977 j'avais eu la chance d'assister à l'Opéra Garnier à une version réduite des Soldats dirigée par Pierre Boulez, "symphonie vocale" pour six chanteurs et orchestre n'exigeant pas les seize chanteurs, les dix voix parlées et les cent instrumentistes, les écrans de projection et les dix groupes de haut-parleurs... La représentation du 28 janvier dernier par le Gürzenich-Orchester Köln dirigée par François-Xavier Roth bénéficiait d'une mise en espace sobre, mais parfaitement adaptée, de Calixto Bieito. À un moment les sons électroacoustiques nous entourent jusque sur les balcons. Cette œuvre monstrueuse m'apparaît comme marquer la fin du règne du strict dodécaphonisme. Zimmermann assume totalement le passé, mais il a déjà un pied dans le futur avec, par exemple, une guitare électrique ou un jazz-band complétant l'orchestre. Pourtant je ne peux m'empêcher toujours de penser au mélologue Lélio ou le Retour à la vie, suite de la Symphonie fantastique d'Hector Berlioz, pamphlet vengeur rarement joué, sorte de précurseur du théâtre musical contemporain.


Le 15 février, le second concert était un hommage à Kaija Saariaho, disparue l'an dernier, dont j'appréciai la délicatesse avec Aile du songe (2000-2021) pour flûte et orchestre de chambre dirigé par sa fille, Aliisa Neige Barrière, et Notes on Light (2006) pour violoncelle et orchestre dirigé par Esa-Pekka Salonen. Je peux même dire que je préférai nettement ses oiseaux à ceux d'Olivier Messiaen, pourtant si réputés, mais qui m'ont toujours paru vains en comparaison des originaux ! La flûte de Sophie Cherrier et le violoncelle d'Éric-Maria Couturier, deux musiciens de l'Ensemble intercontemporain, m'enchantèrent littéralement. Je passe sur Les Océanides de Jean Sibelius dont la musique m'a toujours laissé de glace pour en arriver à la seconde partie consacrée à Kraft (1983-1985) de Magnus Lindberg, puisque la soirée était entièrement finlandaise.


Les hôtesses distribuèrent des boules Quiès à l'entr'acte, annonçant la puissance de feu de cette pièce de jeunesse qui avait été créée à Helsinki par Salonen il y a près de quarante ans. Je fus évidemment comblé par la rage qui s'en dégage, avec les éléments électroacoustiques, les déplacements des solistes amplifiés et leur spatialisation dans la salle, les percussions inhabituelles, la performance vocale quasi lettriste du chef avec un micro... Et l'Orchestre de Paris. J'y reconnais aussi l'influence de l'enseignement de Vinko Globokar avec qui j'ai eu la chance de collaborer en 1992 et, à la même époque, de Gérard Grisey qui fréquentait nos soirées de l'ABC Comme, une revue qui tirait au nombre de ses contributeurs. Lorsque Lindberg affirme "seul l'extrême est intéressant... L'hypercomplexe combiné avec le primitif", je ne peux que reconnaître certaines de mes aspirations. Et pourtant...

Pourtant je ne peux m'empêcher de considérer l'aspect économique et social de l'entreprise, hérité d'une longue histoire de la musique institutionnelle. À mes débuts j'attaquai le système pyramidal élitaire qui régit ce monde, son arrogance de classe, les coûts exorbitants qu'exigent les orchestres symphoniques, alors qu'il existe de nouvelles techniques et des rapports plus humains entre les êtres tels que je les avais connus dans les musiques dites populaires, et qui, pour certaines, sont tout aussi savantes. Je m'appuyais sur les entretiens d'Edgard Varèse avec Georges Charbonnier où mon compositeur de prédilection d'alors ne ménageait pas ses critiques. J'acceptais le répertoire, mais je ne comprenais pas que les compositeurs d'aujourd'hui perpétuent des méthodes qui me semblaient d'un autre âge, de plus iniques et exclusives. J'avais d'ailleurs toujours privilégié les outsiders, souvent plus ou moins autodidactes, Rameau, Berlioz, Satie, Varèse, Ives, Zappa, etc. Je regrettais que Skies of America d'Ornette Coleman soit si peu connu. Les nouvelles technologies sont maintenant utilisées partout, même par les classiques contemporains, mais je note que lorsqu'ils racontent leur histoire de la musique, ils se trompent de dix ans sur les débuts de ces inventions. Dans Kraft les mouvements des cordes, voire des cuivres, sont inimitables, mais le travail des percussions n'est pas à la hauteur de ceux qu'on assimile au jazz ou aux musiques dites improvisées. Évidemment les orchestres existent et ne peuvent se cantonner au répertoire du passé. Les créations sont indispensables. Mais il serait alors constructif d'offrir cet instrument à des compositeurs et des compositrices qui oseraient le repenser de fond en comble. Ce n'est question que de choix politique, donc économique, et ces choix influent considérablement sur l'évolution des arts. En citant Varèse, je repensais, par exemple, à ses suggestions sur l'amplification. Ou lorsqu'il compare l'orchestre symphonique à un éléphant hydropique et le jazz-band à un tigre. Il est probable que ma critique est liée à celle des usages et des habitudes. J'ai besoin d'interroger ce qui est donné pour acquis et reprendre le sujet à la base, une remise à zéro qui m'a toujours semblée nécessaire pour inventer de nouvelles formes, tant artistiques, que dans les relations humaines qu'elles impliquent.

vendredi 16 février 2024

Le moine et le voyou


C'est une excellente idée d'avoir associé Francis Poulenc, compositeur que j'ai toujours défendu, en particulier pour ses trois fantastiques opéras, Les mamelles de Tirésias, Le dialogue des Carmélites, La Voix humaine ou ses mélodies interprétées par Pierre Bernac ou Denise Duval, et Bernard Cavanna sur le CD où Léo Warynski dirige l'ensemble vocal Les Métaboles et l'ensemble instrumental Multilatérale, car l'un comme l'autre ont en commun de posséder deux faces comme l'indique le titre de l'album, Le Moine et le Voyou. Si je préfère le Poulenc casquette sur l'œil, dit Poupoule, que le chrétien moderne, mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, mon goût va vers les extravagances de Cavanna plus que vers son classicisme contemporain. C'est toutes proportions gardées, car j'adore autant le lyrisme des œuvres chorales de Poulenc que la maîtrise instrumentale de Cavanna. Il y a cinq ans j'avais chroniqué son À l'agité du bocal, bousin pour 3 ténors dépareillés et ensemble de foire, pamphlet de Louis-Ferdinand Céline contre Jean-Paul Sartre, auquel j'associerai son Karl Koop Konzert, comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre (2007-2008), ou ses Geek bagatelles pour orchestre symphonique et ensemble de smartphones (2016). À côté de ces facéties qui me ravissent, Cavanna écrit des œuvres plus sérieuses comme son ShangaÏ concerto pour violon, violoncelle et orchestre (2007), ses transcriptions de lieder de Schubert avec accordéon, violon et violoncelle (2000-2012), ses deux concertos pour violon, etc. J'écris "sérieuses", mais je trouve ses pièces provocatrices probablement plus sérieuses que tout le reste. Cavanna est un doux pince-sans-rire qui n'hésite pas à mordre le monde. Il cherche à "manier la vulgarité avec finesse". Ce goût de s'écarter du politiquement correct en cherchant une authenticité de la forme grâce à des éléments vulgaires m'enchante.
Pour l'album Le moine et le voyou, le choix de Léo Warynski de le commencer avec Un soir de neige, cantate profane sur un texte de Paul Éluard (1944) et Quatre motets pour un temps de pénitence (1938-1939) nous prépare à la dialectique de la Messe pour un jour ordinaire de Cavanna (1993-1994, nouvelle version 2023) où une misérable toxicomane, soprano léger, vient demander de l'aide à des ouailles, une soprano et un ténor lyrique, qui ne l'entendent pas de cette oreille, les culs-bénis ! Les textes de cet oratorio exacerbé, l'œuvre exquise d'un mécréant, viennent de la messe ordinaire, de dialogues du film Galère de femmes de Jean-Michel Carré, d'une déclaration de Klaus Barbie lors de son procès à Lyon, d'un poème de Nathalie Méfano écrit un jour avant sa disparition et d'une définition d'un bateau dans le dictionnaire ! L'orchestre comporte trois accordéons, instrument populaire cher au compositeur, comme la mandoline ou la cornemuse qu'il utilise souvent.


Sans paroles, Scordatura, son deuxième concerto (2019) en trois parties (In Memoriam, Pulsations, Matchiche), pour violon(s) et orchestre symphonique, exige de la partition d'être encore plus furieuse. C'est sa violoniste de prédilection, la Suissesse Noëmi Schindler, qui s'y colle, comme pour le premier concerto (1999), ici version avec orchestre de chambre de 2006, plus tragique. La scordatura est une manière d'accorder les instruments à cordes qui s'écarte de l'accord usuel. C'est un disque beaucoup plus violent et méchant. Entre les deux concertos, les Bagatelles sont cinglantes avec un détournement savoureux de l'Ode à la joie où le massacre est explicite, une pièce participative avec le public. Reconnaissant à la fois des influences viennoises et ivesiennes dans la musique de Cavanna, je m'enthousiasme devant chaque œuvre que je découvre, tel un nouveau baroque.

→ Bernard Cavanna, Concertos et bagatelles, CD L'empreinte digitale, par Noëmi Schindler et l'Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek, 18,36€
→ Poulenc - Cavanna, Le Moine et le Voyou, CD NoMadMusic, par Les Métaboles et Multilatérale dirigés par Léo Warynski, 15,99€
Les disques de Cavanna sont tous accompagnés d'un passionnant livret.

jeudi 15 février 2024

Médicament miracle


En 2006 j'avais évoqué ici un film russe de Gennadi Kazansky intitulé Grand-père miracle projeté dans mon école communale à la fin des années 50. [Je pense qu'il s'agit du film Le Vieux Khottabytch tourné en 1956 dont il existe une magnifique copie, hélas non sous-titrée, sur YouTube]. Le vieux magicien y est aussi merveilleux que maladroit ; resté trop longtemps enfermé dans une bouteille, il ignore tout de la vie moderne et multiplie les impairs. Il y a toujours un décalage entre les miracles et le temps où nous croyons vivre. Le mystère et la science se courent après. Le futur n'est jamais à la hauteur du passé s'il s'agit de rêver, car les perspectives y sont dramatiquement ramassées.



Pour peu que l'on soit un peu curieux ou fatigué d'être pris pour une bonne poire par l'industrie pharmaceutique et lobotomisé par les prétentions du progrès consumériste, il arrive que l'on redécouvre les remèdes de bonne femme de nos grand-mères comme le savoir ancestral des tribus d'Amérique et d'Afrique. Pas de querelle ici entre allopathie, homéopathie, acuponcture, médecine chinoise, soins par les plantes, chirurgie, etc. À chaque cas correspond une ou plusieurs réponses adéquates, mais il serait dommage de se priver du voyage lorsque les solutions proposées échouent ou que les effets secondaires sont trop pénibles. Je connais certains médecins, et non des moindres, qui prescrivent du coca-cola, mais je crains que cela doive rester secret !

Car en médecine il n'y a que les miracles qui méritent que les patients s'y attachent. Un médicament miracle, c'est un médicament qui marche à tous les coups sans qu'on n'en comprenne la raison ; c'est d'autant plus drôle quand certains médecins vous regardent avec des yeux ahuris lorsque vous leur annoncez que vous avez été guéris sans suivre le protocole imposé par l'Ordre ou, plus étonnamment, en vous fiant scrupuleusement à leur prescription. Si l'effet placébo est invoqué c'est alors tout l'exercice de la médecine qui en jouit, et tant mieux ! Le seul fait d'aller consulter un praticien et les malades sont déjà à moitié sauvés... Mon père jouait les sorciers en fabriquant des boulettes de mie de pain qui faisaient leur effet lorsque ce n'était pas bien grave. Sérieusement, nombreux médicaments de notre pharmacopée font partie de la panoplie du magicien. Mais si le médicament relève de la pharmacopée chinoise, alors la suspicion renvoie les mystères de l'Orient au Moyen-Âge. Comme si nous n'étions pas fait de la même chair, comme si la Chine millénaire n'avait révélé ses secrets depuis que les marins les ont rapportés sur leurs navires marchands...

Madame Ji, originaire de la province de Guangxi, me voyant me tordre sous les crampes intestinales, sort de son sac une petite fiole en articulant avec un immense sourire "médicament miracle", pour le ventre, le rhume, la nausée, la migraine, etc. Le Spasfon n'est pas mal non plus, mais il n'est pas aussi polyvalent. Je verse la potion noirâtre dans une cuillère en porcelaine. Madame Ji me prévient que le liquide a mauvais goût parce qu'elle imagine que je vais froncer le nez en l'avalant, mais en réalité c'est simplement bizarre. Une demi-heure plus tard tous les spasmes ont disparu. Mon ami Sun Sun me traduit les inscriptions en chinois simplifié de la boîte importée du Setchuan. Ce n'est pas facile, car l'approche médicale est très différente des Occidentaux. Il est question d'énergie, de saturation, de fluidité...

Article du 4 mai 2012

mercredi 14 février 2024

The Very Big Experimental Toubifri Orchestra sort Outre


Il faut bien écouter Outre au moins deux fois pour savoir de quoi il retourne. Parce que The Very Big Experimental Toubifri Orchestra n'a rien d'un big band classique, il n'en a jamais eu l'air, ni même les paroles. D'abord c'est un collectif, il n'y a pas de leader, parfois un chef pour diriger un morceau un peu compliqué, mais c'est tout. Les auteurs et les compositeurs font partie de l'orchestre, ou pas. Je donnerais bien leur nom, mais ils sont une vingtaine, ou une trentaine avec toute l'équipe. Un jour que, invité au Pop Club de France Inter, je m'étais fait un devoir de citer les seize musiciens et musiciennes du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, son célèbre animateur José Artur me félicita de ma bienveillante solidarité, mais m'expliqua que cela n'était pas du tout radiophonique et que les auditeurs décrochaient automatiquement devant la liste fastidieuse. Ce serait probablement la même chose ici. Alors je dirais juste que ce sont des chansons, que parfois les interprètes sont devant, parfois l'orchestre fait masse, que tous les musiciens et musiciennes sont vraiment d'excellents interprètes, que c'est de la pop, entendre que c'est pour tout le monde même si c'est fouillé, et que cela fait rêver... Pour les voix ce sont la flûtiste Mathilde Bouillot et le bassiste Lucas Hercberg qui s'y collent quand ils n'invitent pas Loïc Lantoine. À l'orchestre ils sont trois ou quatre trompettistes dont Emmanuelle Legros avec qui j'ai enregistré l'album Par terre (avec Matthieu Donarier), deux trombones, six saxophonistes, un clarinettiste, deux flûtistes, un claviériste, un vibraphoniste, un guitariste, un bassiste, deux batteurs percussionnistes. Ça pourrait être encore plus dingue. De mon point de vue, question de goût, le fantasme du jazz a toujours tendance à retenir les outrances, et les personnalités doivent absolument s'affranchir des styles, mais franchement c'est bien.



→ The Very Big Experimental Toubifri Orchestra, Outre, CD Le Grande Expérimentale, sortie le 15 mars 2024