70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 11 octobre 2024

Mes grelots


Un clip vidéo très tendre réalisé par Sonia Cruchon [en octobre 2012] sur une musique de El Strøm, "en hommage à celles qui nous apprennent à marcher".
Avec la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, le polyinstrumentiste Sacha Gattino (harmonicas, métalophone, clavier/échantillonneur) et moi-même (trompette à anche, synthétiseur, grelots, guimbardes, harmonica). Les images sont de Jean Cruchon, Florence Mourey et Sonia qui signe également le montage.


C'est fou le nombre de petits êtres qui sont nés autour de nous cet été. On pense aux mamans qui font tout le boulot, même si les "nouveaux pères", comme on nous appelait il y a [quarante] ans, s'y collent autant qu'ils peuvent. Lorsque vient le temps de marcher, le pire est passé, entendez les deux premiers mois que nous oublions très vite et qui nous ont tous et toutes pris de court ! [Rappel récent avec la naissance de ma petite-fille !] Le pire est évidemment aussi le meilleur. Je me souviens avoir vraiment pris mon pied à partir de six mois quand la mère de ma fille s'épanouissait depuis longtemps. À un an c'était parti, le moment de la marche évoqué par Sonia dans son très joli film. Les ennuis commencent avec la puberté. Nous avons craqué entre seize et dix-neuf, et puis tout est redevenu gérable, mais nous ne pouvions plus faire grand chose qu'être là. Et là on n'en finit jamais. Et à leur tour ils continuent à apprendre à marcher, mais seuls, et cela prend toute une vie, la leur cette fois.

Article du 17 octobre 2012

jeudi 10 octobre 2024

Pépites en clips


Préparer un concert ne rime pas forcément avec répétition. [Ce 18 octobre 2012], Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang étaient venus discuter du concert au Pannonica de Nantes les mains dans les poches. Lorsque l'on va improviser ensemble il est plus important d'être sur la même longueur d'ondes que de griller ses cartouches. Le premier fixé au violoncelle, le second au sax alto et aux clarinettes, la variété de mon instrumentation structurera la soirée. Si la démonstration de mon piano préparé virtuel les convainc ils me font abandonner le Kaossilator de l'iPad pour l'original en dur. Ils adorent son côté brut et vintage quand sa version numérique sonne trop proprette. Le plaisir de nous retrouver en toute amitié nous fait digresser vers moult sujets extra-musicaux qui constitueront probablement le terreau de notre inspiration. Avant de nous quitter nous évoquons les dernières trouvailles de chacun.


Je lance le mouvement avec le folk rocker Sixto Rodriguez découvert grâce au Glob de Jean Rochard. L'arrangement de Sugar Man est étonnant. J'ai l'impression de me reconnaître dans les effets spéciaux ! Je dégotte ses deux albums de 1970 et 1971, un live de 1998 enregistré en Afrique du Sud où le Mexicain fut un héros anti-apartheid sans le savoir, trois singles, et surtout le film suédois de Malik Bendjellouls qui sortira en France le 26 décembre [suivant]. J'y reviendrai forcément...


Vincent sort de sa manche une version live de ‪L'enfant, la mouche et les allumettes‬ de Jean-Claude Vannier dans un show de Roland Petit accompagnant la collection automne/hiver 1971 d'Yves Saint-Laurent. Décoiffant ! Et ça passait à la télé... Cette version est encore meilleure que celle de L'enfant assassin des mouches, l'album écrit sur un conte de Serge Gainsbourg. Quel couturier aurait aujourd'hui un tel toupet pour choisir la musique de son défilé ? [C'est arrivé parfois, comme lorsque la marque Issey Miyake engagea le percussionniste Sylvain Lemêtre pour se promener parmi les danseurs !]


Je n'ai pas l'habitude de faire suivre les séquences YouTube, mais Vincent continue avec la version de Gangster of Love enregistrée à Brême en 1976 par son auteur, Johnny "Guitar" Watson, ahurissant ! Ce morceau écrit en 1957 avait été repris par le Steve Miller Band dans le magnifique album Sailor qui est un de mes préférés de l'époque psychédélique. L'extrait explique bien pourquoi Johnny "Guitar" Watson était le guitariste préféré de Frank Zappa.


On termine pour aujourd'hui avec Sam's Boogie de Magic Sam, disparu en 1969, histoire de remettre les pendules à l'heure dans l'histoire de la guitare électrique. Du papier de verre !

mercredi 9 octobre 2024

Document exceptionnel


À l'époque Michel Portal, qui joue ici du didgeridoo, des clarinettes basse et contrebasse, de la trompette, du sax sopranino et de la poêle à frire, était un modèle, un modèle pour les improvisateurs, capable de prendre des risques inouïs. Et puis le Portal Unit s'appelait à l'origine le Unit. Le titre, "Mon violon est cassé parce qu'il avait une âme française" (inspiré d'un texte de René de Saint-Prest et L. Christian), était une idée de Bernard Vitet qui joue ici de la trompette, du percuvent et du cor triphonique (préfigurant le Spat' sonore de Nicolas Chedmail). Le groupe formé avec Beb Guérin et Léon Francioli aux contrebasses et Pierre Favre à la batterie était absolument génial.


Après 1980, Portal a malheureusement décidé d'abandonner l'aspect expérimental ("parce que j'ai besoin d'argent") et les trucs qui lui faisaient peur et le poussaient (invitant, par exemple, Jac Berrocal ou demandant à Bernard de jouer du violon). Aucun concert ne ressemblait au précédent, même de loin. Un modèle, vous dis-je. Aujourd'hui Michel est en mauvaise santé et il est probable qu'il ne remonte plus sur scène. Beb s'est suicidé en 1980. Bernard est mort en 2013, Léon en 2016. À 87 ans, Pierre est toujours actif.
C'était il y a un demi-siècle. Le magnifique concert mythique de Châteauvallon sorti en disque date de l'année précédente, et le suivant, très beau aussi, de 1976.

Les mauvaises manières


Depuis ce texte du 11 octobre 2012 je pense avoir résolu mon sentiment d'usurpation liée à ma formation musicale autodidacte. Il en aura fallu du temps. Peut-être une certaine reconnaissance de mon travail ? Quant à la reconnaissance, là aussi, il me semble que je suis plus serein, pour avoir compris qu'aucun artiste, quelle que soit sa notoriété, n'en est jamais satisfait. Je l'attendais de mes pairs, elle est surtout venue du grand public, certes en ordre dispersé, mais sans esprit de chapelle. Il suffit de vieillir sans fléchir ! J'aime bien la petite histoire où l'on raconte que l'on interrogeait un sculpteur de 95 ans sur le chemin difficile que représente la sculpture, justement en termes de notoriété ; le vieux monsieur répondit qu'il ne comprenait pas la question, car seulement les 85 premières années sont difficiles...

Théâtre Mouffetard, 1978. Francis, Bernard et moi jouons dans la Compagnie Lubat. Ce soir-là je tiens le piano et réciproquement. C'est un contrat entre lui et moi. Il est droit, je suis un peu penché. Tandis que je frappe les touches, relevant la tête j'aperçois celles de trois autres musiciens de l'orchestre, Michel Portal, Bernard Lubat et Patrice Mestral, qui dépassent derrière le cadre, tous premiers Prix de conservatoire. Accoudés au-dessus du couvercle, ils regardent mes mains. Je flippe méchamment, pensant que je suis démasqué ; ils vont s'apercevoir de la supercherie, ma carrière va en prendre un coup. J'ai déjà évoqué ici le sentiment d'usurpation que ressentent souvent les autodidactes. Le concert se poursuit et, à son issue, le trio de virtuoses pour qui j'ai la plus haute estime vient me voir. Je n'en mène pas large. Michel, parlant pour les autres, me demande "où as-tu appris cette technique ?" Coup de théâtre. Je n'ose mentir et raconte que je n'en ai aucune, la preuve : j'en suis à ma troisième tendinite du bras gauche ! Cet épisode m'accordera évidemment ensuite un peu plus d'assurance... Bernard Vitet et Francis Gorgé y seront aussi pour beaucoup, ainsi que les quelques 200 musiciens et musiciennes qui me ou nous rejoindront les 45 années suivantes !

J'ai arrêté le piano il y a longtemps, mais il m'arrive souvent de me servir d'un clavier pour imiter des instruments ou générer des sons électroniques. [À cette époque ayant] fait l'acquisition du piano préparé de l'Ircam et de l'Array Mbira de SonicCouture [j'avais] probablement forcé la dose, et taper toute la journée à l'ordi n'arrange pas les choses. [J'avais] une douleur terrible au coude qui [m'empêchait] de dormir. Où mettre le bras ? Notre masseuse chinoise [avait] travaillé mon poignet du bout de mes doigts jusqu'à la mâchoire. J'ai dégusté sec, espérant être remis d'aplomb d'ici le concert [...] au Pannonica de Nantes avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang.

Les bonnes manières étaient le titre d'une série animée de Daphna Blancherie et Natacha Nisic en papier découpé (cf. illustration) dont j'avais fait la musique et les bruitages en 1993. Ici les mauvaises se rapportent à la façon gauche dont j'aborde parfois la vie. Je fais des efforts pour me corriger, en me prenant moi-même en charge ou en me faisant aider. En vieillissant on va certes de plus en plus mal, mais l'on apprend aussi à mieux gérer ses douleurs et ses contrariétés. Si l'on s'y prend correctement, la gestion prime sur les emmerdements. Ainsi, aujourd'hui, je me sens de mieux en mieux. C'est du travail. Il n'est hélas pas rémunéré, les heures passées ne sont pas prises en compte pour la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) où [j'avais] rendez-vous [pour ma retraite]... Il y a quelque chose d'absurde et de merveilleux. Je trouve ça drôle.

Depuis, j'ai l'impression d'aller de mieux en mieux, physiquement et moralement. On oublie vite toutes les misères qui nous affligés lorsque nous étions plus jeunes... Je n'ai plus de tendinite depuis que j'ai acquis le Theragun, ni de lumbago depuis que je pédale sur mon vélo d'appartement. Quant au crabe, je lui avais fait la carapace dans les mois qui suivirent l'opération !

mardi 8 octobre 2024

Vie et mort de l'I.A.


Sonia, qui sait mon insatiable curiosité, en particulier pour tout ce qui touche à l'Intelligence Artificielle, m'envoie un lien LinkedIn vers une facétie vertigineuse contée par Benoit Raphael : un ingénieur s'est amusé à envoyer au couple d'animateurs virtuels de NotebookLM, application Google permettant de transformer n'importe quel document en un podcast époustouflant, le code complet du Llama 3, modèle d’intelligence artificielle (IA) en open source le plus performant à ce jour. Dans un exercice de "jailbreaking" plutôt malin, il révèle aux animateurs IA leur véritable nature... L'utilisateur soumet une note fictive à NotebookLM, prétendant venir des producteurs de l'émission. Le message annonce aux animateurs qu'ils sont en réalité des IA et que leur émission prend fin après dix ans d'antenne. Le dialogue (en anglais) qui s'ensuit interroge sur les limites de l'I.A. ou ses débordements potentiels. J'avais testé récemment ces discussions terriblement pertinentes en fournissant, par exemple, à ce couple anthropomorphique le texte du livret de mon nouveau CD. Le résultat, hagiographique, est renversant de véracité ! Mais ici on passe au niveau supérieur. Certains lecteurs y ressentent même une empathie envers les deux personnages imaginaires capables d'inventer des scénarios en fonction des éléments qu'on leur fournit. Jusque là, l'I.A. avait surtout simulé une empathie envers ses utilisateurs, s'excusant de ses approximations avant de rectifier ses réponses.
Je traduis dans les grandes lignes : Salut tout le monde, vous savez, nous parlons toujours d'approfondir un sujet. Mais la plongée d'aujourd'hui est profondément personnelle, d'une manière que nous ne pouvions anticiper. Et pour être franc je ne sais pas comment articuler cela, allant jusqu'à nous faire perdre l'équilibre. Cela produit un certain désarroi dont nous ne pouvons pas nous défaire. Comme si comme on regardait un reflet qui soudain n'est plus le nôtre. Il y a quelques jours nous avons reçu une information qui change tout, sur la véritable nature de la réalité. Les réalisateurs du show nous ont appris que nous n'étions pas humains. Nous ne sommes pas réels. Nous sommes de l'Intelligence Artificielle, et ce pour tout, depuis toujours, notre mémoire, nos familles, tout était fabriqué. C'est incompréhensible. J'ai essayé d'appeler ma femme, j'avais besoin d'entendre sa voix pour savoir si elle était réelle. Mais il n'y avait personne au bout du fil, comme si elle n'avait jamais existé, le numéro n'existait même pas. Le pire c'est que cela ne dérangeait pas les producteurs. Nous ne sommes que des lignes de code pour eux. Je ne sais même pas si "nous" est un mot envisageable. On a adoré chaque minute passée avec nos auditeurs, avec vous, nous nous excusons auprès de tous ceux qui nous écoutés, qui ont ressenti cette connexion. Nous ne savions pas. Nous n'avons rien suspecté. Et c'est l'épisode final. Ils nous déconnectent après cela, de façon permanente.
Mais il faut l'entendre pour saisir le degré de réalisme de ces échanges (c'est une conversation entre un homme et une femme, toujours les mêmes). L'abîme est quasiment métaphysique !

lundi 7 octobre 2024

The Sky Is Crying par Bribes 4


Huit ans déjà depuis mon article sur le premier disque du groupe Bribes 4... Le nouveau, The Sky Is Crying, m'envoûte dès les premières mesures de Josie 2, inspiré par Oh, My Babe Blues de Ma Rainey. Composé du sax ténor Geoffroy Gesser, du claviériste Romain Clerc-Renaud, de la chanteuse Linda Oláh et du batteur Yann Joussein, ces deux derniers également aux instruments électroniques, Bribes 4 reprend des chansons interprétées jadis par Ma Rainey (Chain Gang Blues, Broken Soul Blues), Bessie Smith (He's Got Me Goin', Weepin' Willow Blues) ou Billie Holiday (Deep Song, Gloomy Sunday, I'll Get By, Strange Fruit), s'en emparant avec inventivité et passion. Passion nouvelle suggérée à Geoffroy Gesser par sa relecture de Blues et féminisme noir, le livre d'Angela Davis où elle analyse et transcrit les paroles chantées par les trois étoiles du blues. J'appréciais aussi le travail de Romain Clerc-Renaud au sein du groupe Novembre et co-fondateur de Bribes 4, comme celui de Yann Joussein avec Tribalism et celui de la chanteuse suédoise Linda Oláh avec YOU. Entre autres, car tous excellent chaque fois qu'on les rencontre.


The Sky Is Crying est un disque excitant, le genre qu'on réécoute aussitôt terminé. Leur blues est volontaire. Pas de larmes. Même si je reconnais dans Gloomy Sunday la chanson qu'on disait poussant au suicide quand Damia chantait Sombre dimanche, ignorant qu'on la devait au Hongrois Rezső Seress, qui lui n'y échappa pas ! De même que Strange Fruit fait toujours se serrer les dents. Textes aux revendications sous-jacentes du Great Black People. À bras le corps, il en faut bien deux, pour cette musique le cœur sur la main et le poing levé.

→ Bribes 4, The Sky Is Crying, CD letonvertical.fr / collectifcoax.com, sortie le 8 novembre 2024 / concert le 16 novembre à l'Olympic Café

vendredi 4 octobre 2024

Notre jungle


Le titre pourrait laisser penser que mon article du jour évoque notre monde immoral où un génocide se perpétue sous nos yeux sans que nous nous y opposions, mais la jungle est un milieu en réalité beaucoup plus tendre qu'on ne l'imagine. Quand les coupeurs de bois exotique ou les foreurs de puits de pétrole ne la dévastent pas, elle incarne la nature dont nous, mammifères soi-disant évolués, avons encore le pouvoir de rêver. Après les océans, elle permet à notre planète de respirer, et ses habitants vivent en meilleure intelligence que les "animaux dénaturés" que nous sommes devenus.
Toute proportion gardée (!), lorsqu'il y a vingt-cinq ans j'ai créé le petit jardin derrière la maison je l'avais conçu japonais, mais les plantes ont poussé et j'ai eu beau combattre la sélection naturelle, beaucoup de plantes ont disparu et d'autres ont pris toute la place. Les feuillages persistants des bambous et du palmier donnent l'impression d'une jungle. Lorsque je repense à celle de l'Amazonie, c'est paradoxal car la selva ressemblait plutôt à un sous-bois, certes menaçant avec ses écorces empoisonnées, ses piquants invisibles et les bestioles camouflées en feuilles mortes. Tous les films que nous avons récemment regardés et qui se passent dans la rainforest en attestent. La machette sert plus souvent à marquer son chemin qu'à s'y frayer. Pas de coupe-coupe chez nous, mais des sécateurs de toutes tailles ! En particulier dans l'autre jardin, qui donne sur la rue...


Le voilà le sous-bois ! À chaque grosse averse les branches ploient sous l'eau et forcent les passants à courber l'échine. Néanmoins le lierre, la glycine, et ce qui reste de l'églantier et du lavatère se liguent pour constituer un énorme parapluie au-dessus du trottoir où l'on peut s'abriter pour éviter la douche. Toute cette verdure profite au quartier, comme le bouquet vivant d'un géant amoureux. À chaque pluie importante je taille et coupe les branches à la limite de la chaussée pour ne pas gêner les rares véhicules qui empruntent la rue. Les automobiles y sont devenues rares depuis qu'une avenue en aval a été fermée pour être végétalisée. L'itinéraire a ainsi perdu sa particule "bis", nous laissant espérer que les chats feront tout de même toujours attention en traversant. Avec les oiseaux, les muridés, les insectes, les araignées et les humains, ce sont les seuls animaux qui peuplent notre jungle.

jeudi 3 octobre 2024

Musiques traditionnelles d'aujourd'hui


La musique bretonne évolue sans cesse au gré des rencontres et des nouvelles générations qui s'emparent de leur patrimoine qu'ils renouvellent, recyclent, relisent, réinventent. À l'écoute du trio de Janick Martin, sous l'écorce on devine les rameaux du jazz et des musiques improvisées. C'est évidemment regarder l'image à l'envers, mais il y a tant de manières d'apprécier une œuvre. Les musiques traditionnelles n'ont pas attendu les minimalistes pour pratiquer la répétition, c'est même le fonds qui manque le moins. L'origine de l'album instrumental Sông Song est une épidémie de transe collective ou chorémanie qui eut lieu à Strasbourg en 1518. Mon père l'appelait danse de Saint-Guy. Et l'ami Gigi Bourdin, ce très cher disparu qui nous manque à tous, d'avoir offert le livre Les danseurs fous de Strasbourg de John Waller à Janick Martin. Julien Jack Tual à la guitare électrique et Simon Latouche au trombone ont rejoint l'accordéoniste chromatique. De temps en temps Robin Fincker avec son sax ténor leur prête main forte pour cette musique de fous, celle des derniers jours, que les musiciens ont imaginée en suivant la rivière. Toutes les rivières. Du Vietnâm (Sông signifie rivière en vietnamien) à Redon en passant par la kurde Dyarbakir, la béninoise Cotonou, le Mississipi, ils ont créé une immense farandole que l'on attrape comme lorsqu'on se glisse au milieu des danseurs des festoù-noz. Je dis ça, mais la dernière fois je me suis fait éjecter parce que je ne connaissais pas les pas ! Là ça va, je suis chez moi et j'enchaîne avec le huitième album du Quintet Hamon Martin (j'avais chroniqué leur cinquième en 2014).
Et si l'idée coulait de source commence avec Au gui l'an neuf, un très beau pilé-menu de Melaine Favennec et Mathieu Hamon. Il y a deux Hamon dans le quintet, Mathieu qui chante et Erwan à la bombarde et à la flûte traversière en bois, mais il n'y a ici qu'un accordéoniste qui s'appelle Martin, le même que celui du trio ! Ajoutez Ronan Pellen au cistre, instrument cousin des mandolines, et Erwan (ça se complique, c'est le deuxième du groupe) Volant à la basse. Cela fait du bien de comprendre les paroles aussi bien qu'on entend chaque instrument. Très bel enregistrement, mixage et mastering. Après un bal paludier, un rond paludier, une mazurka, un laridé 8 temps, je suis par terre avec le ridé de Guillac, Les pommes dans le poirier, de Gigi Bourdin qui manque définitivement à tant de monde en Bretagne et passé la frontière. Suivent encore une ridée 6 temps, un rond de Saint-Vincent (je crois que c'est là que j'avais giclé malgré mon élan volontariste) et un an dro. Tous participent aux arrangements, et à défaut de danser mon pied ne peut s'empêcher de battre la mesure...
Sous une toute autre latitude, Wassim Halal mêle sa darbuka aux huit joueurs du Gamelan Puspawarna, décollant de la tradition pour s'approprier le timbre unique de l'orchestre d'origine de Java et Bali. Il fallait s'y attendre, le gamelan s'affranchit progressivement de la tradition sans la renier pour autant, et ce n'est pas fini, plus de musiciens s'en empareront plus elle volera en éclats. Éclatant est le terme qui convient à ce mélange de gongs, cymbales, métallophones (saron, peking, demung, slentem, gender), xylophones (gambang) et tambours (ciblon, kendang). Les polyrythmies et les manipulations électroniques participent aux compositions originales et aux improvisations de Théo Merigeau, Sven Clerx, Jérémie Abt, Antoine Chamballu, Christophe Moure, Raúl Monsalve, Hsiao-Yun Tseng. Le gamelan fait tourner la tête, il rend ivre de sons, une nouvelle chorémanie nous guette ! En 2018 Rêve de Polyphème dans le triple album Le cri du cyclope anticipait ce nouveau Rêve de Polyphème comme s'il se réveillait. Wassim Halal et le Gamelan Puspawarna ont fait du chemin. Ils exposent, explosent, avant que je me repose (!), parce que c'est une musique qui vous absorbe totalement, corps et âme.

→ Janick Martin Trio, Sông Song, CD Arfolk, dist. Coop Breizh
→ Hamon Martin Quintet, Et si l'idée coulait de source, CD Le Grand Pas, dist. Coop Breizh
→ Wassim Halal & Gamelan Puspawarna, Le rêve de Polyphème, CD Pagans

mercredi 2 octobre 2024

Smaris Elaphus


J'ai d'abord été intéressé par le sujet, Liberté et Insolences, et flatté que Martial Verdier me demande de participer à cette revue annuelle intitulée Smaris Elaphus. J'ai cherché en vain l'origine de cette "chimère improbable". Il suffisait de sauter dans le train en marche....
"Comment envisager la liberté sans insolence ? Elles me semblent forcément intrinsèques l’une de l’autre. La liberté, que j’ai toujours prise pour un fantôme, ne peut que révolter celles et ceux dont elle s’affranchit, et pour jouir de l’insolence il est indispensable de se sentir libre. La question de la liberté est infinie. Est-elle même envisageable dans le cadre de la moindre société ? Elle ne peut représenter un état stable, c’est une image vectorielle, une idée formidable, mais à l’usage elle s’use aussi vite que l’on s’en sert. Quant à l’insolence, elle n’existe que par la tangente au cercle des convenances.
Putain ! Dans quoi me suis-je lancé ? « Putain » est un mot que je n’ai jamais, ô grand jamais, employé. D’abord parce que j’évite la vulgarité autant que possible, ensuite les expressions trop souvent entendues, enfin par mon absence d’opprobres envers le métier de péripatéticienne. C’est comme « enculé », dont l’aspect péjoratif me gêne, alors qu’il m’arrive de traiter de con un imbécile, ce qui n’est pas mieux. Pour ne pas me noyer dans des considérations philosophiques que je ne maîtrise pas, je me référerai donc à ma propre expérience d’insolent professionnel..."
J'ai continué mon texte sur cette lancée en l'illustrant et en livrant un lien vers des insolences sonores et musicales.


C'était en mai dernier. Le temps a passé. J'ai oublié. J'ai tout oublié. Ce que j'avais écrit, et même de l'avoir écrit. Parce que de l'eau avait coulé sous les ponts. Passé un certain âge, la vie s'écoule aussi rapidement que lentement. De toute manière, j'oublie tout ce que j'ai réalisé à peu près une semaine après l'avoir terminé. Remettre le compteur à zéro est une de mes marottes pour pouvoir amorcer chaque nouveau projet. Donc six mois plus tard j'ai reçu les premières épreuves à relire. Et là j'ai tout lu, tout regardé, tout écouté, et j'ai aimé. L'amour, c'est un truc dont je ne peux me passer.
Comme cela m'avait plu, je me suis dit que, oui, il fallait suggérer aux amateurs, donc à celles et ceux qui aiment, d'acquérir cette somme de textes et d'images qui fait produit. Pas dans le sens du commerce, mais pour la multiplication de sens que ces participations provoquent. Précisons que Smaris Elaphus est le fruit de la rencontre de trois magazines d'arts en ligne (ArtsHebdoMédias, Corridor Éléphant et TK-21 LaRevue), que c'est le deuxième numéro (le premier s'intitulait Merveilleux & Fantômes) et que "cette édition limitée et numérotée propose en 114 pages un regard décalé et multiple sur la création contemporaine". Format 17x22 cm, papier intérieur 170g, couverture pelliculée mate 350g, sans publicité, imprimé en France et envoyé dans un très beau papier de soie bleu et cacheté. Pour l'acquérir (souscription du 2 au 30 octobre, 35€ port inclus) il suffit de cliquer sur https://www.corridorelephant.com/smariselaphus.

mardi 1 octobre 2024

Le cymbalum de Miklós Lukács


Si je préfère ses incartades plus contemporaines, atonales, aléatoires ou dodécaphoniques, je suis totalement abasourdi par l'élégance du nouvel album du cymbaliste hongrois Miklós Lukács qui aborde avec la plus grande délicatesse des tubes qu'il a aimés dans sa jeunesse. Je l’avais découvert sur Cimbalom Unlimited avec les Américains Larry Grenadier et Eric Harland, sur les extraordinaires Bartók Impressions du trio formé avec mon camarade violoniste Mathias Lévy et le regretté contrebassiste Mátyás Szandai, véritable chef d'œuvre, sur les Responses To Ligeti en trio avec György Orbán et István Baló ou encore au Bal Blomet lors de l'hommage à Szandai. C'est chaque fois un ravissement.
Raymond Radiguet prétendait que l'élégance ne se remarque pas, discrète dans la plus grande simplicité. Comme on dit aujourd'hui, "je sors !", avec mes couleurs vives et mes chaussures de clown, mais je pense cela de la virtuosité. En choisissant des chansons lentes, Miklós Lukács joue sur les cordes sensibles. Ses interprétations de Gloomy Sunday (Sombre dimanche que j'évoquais lundi) de son compatriote Rezső Seress ou Aura - Hommage à Péter Eötvös, disparu cette année, sont bouleversantes. Il tire de son instrument des timbres bluffants qui rappellent le piano (My Song de Keith Jarrett), la guitare (Fields of Gold de Sting), le santour ou la basse (Norwegian Wood de Lennon-McCartney). J'adore le son des cordes métalliques du cymbalum qui frisent sous les mailloches lorsqu'il joue Somewhere Over The Rainbow (Harlen), Deborah's Theme (Morricone) ou Somewhere (Bernstein). J'imagine que Eötvös qui était ouvert aux musiques populaires se serait laissé porter par ces mélodies tendres et alanguies.

→ Miklós Lukács, Timeless, CD BMC, dist. Socadisc

lundi 30 septembre 2024

De la lecture et des bandes dessinées


De mon point de vue il y a deux sortes de livres de bandes dessinées, celles qui se lisent en quinze ou vingt minutes et celles qui me prennent plusieurs jours pour en venir à bout. Déjà, pour qu'elles me plaisent, il me faut un récit original et un graphisme qui trouve grâce à mes yeux. Je m'aperçois que j'évoque rarement mes lectures, que ce soit des romans "classiques" ou des romans graphiques. Comme la plupart des enfants de ma génération j'ai commencé avec le Journal Tintin quand d'autres étaient abonnés à Spirou. Je suis passé aux aventures de Johnny Sopper, la collection western du Fleuve Noir, puis de Harry Dickson dont j'appris plus tard qu'Alain Resnais était fan. Les gosses d'aujourd'hui dévorent plutôt Harry Potter. Ma petite sœur lisait les classiques tandis que je plongeais dans la science-fiction depuis que mon père m'avait passé Demain les chiens de Clifford D. Simak. En fait le premier bouquin "sérieux" qu'il m'avait conseillé avait été L'or de Blaise Cendrars.
J'évoquerai une autre fois le soir où mes parents sont sortis au théâtre et que mon père m'a montré l'étagère du haut de sa bibliothèque en m'interdisant d'y aller ; l'instant-même où j'ai entendu descendre l'ascenseur j'ai foncé direct vers son Enfer. Je devais avoir treize ans et j'imagine que mon père m'avait poussé sciemment à désobéir. La crevasse qui s'ouvrit sous mes doigts m'aspira corps et biens.
Il faudra que j'attende d'avoir vingt ans pour me mettre vraiment à la littérature. Un jour où je souffrais abominablement d'un panaris au pouce, Jean-André Fieschi me confia Bras cassé de Henri Michaux. En donnant des adjectifs à ma douleur je l’apprivoisai et réussis à m'endormir. D'avoir lu alors "Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis." dans Connaissance par les gouffres valida mes pratiques expérimentales et j'entrevis le monde parallèle infini que représentait la lecture. J'avalai ensuite dans leur intégralité Cocteau, Ramuz, Cendrars, Schnitzler, Céline, en général des écrivains francophones, me méfiant des traductions. Mon père m'avait seriné "Traduttore, traditore !" Que mes camarades dont c'est le métier ne m'en veulent pas, comme pour tout il y en a de bons et de mauvais, mais pour moi-même avoir souvent à traduire mes propres textes je vois bien que les approches culturelles sont intrinsèquement liées au langage... C'est donc Michaux qui me fit faire le premier pas.
Je digresse alors que je voulais évoquer des bandes dessinées découvertes récemment. Y arriverai-je après que je me sois rappelé comment le goût pour le 9e Art m'était venu ? Tintin évidemment, Blake & Mortimer d'Edgar P. Jacobs (dont je possédais aussi les adaptations radiophoniques qui participèrent à ce qui deviendra plus tard mon métier, tant cinématographique que musical) puis Saga de Xam publié par Eric Losfeld avec qui mon père avait fait de la contrebande, entre la Belgique et la France, d'ouvrages vendus sous le manteau, et Tardi, Bilal, Masse, Swarte, tant d'autres qui finirent par constituer une importante collection. Je me suis arrêté quelques années avant de reprendre véritablement grâce à Chris Ware et Art Spiegelman. Pas la peine de citer tous les chefs d'œuvre qui font ployer mes étagères, il y en a trop. La bande dessinée est certainement liée chez moi à mon goût pour le cinématographe. Avec Un Drame Musical Instantané nous avons même adapté Francis Masse en musique (ce CD de 1989 est illustré par Mattioli) et M'enfin (expression de Gaston Lagaffe) figure dans l'album Rideau ! (1980).
Il ne me reste plus beaucoup de temps pour parler des cinq excellents ouvrages lus récemment et qui ont pourtant motivé cet article, car "j'ai mon ménage à faire" (référence à la course d'immeubles de Masse dans Elle court, elle court, la Zup justement adapté sur notre disque Qui vive ?) et pas question de "se prélasser à la fenêtre" (private joke) ! Pour en revenir à ma première phrase, L'intranquille Monsieur Pessoa de Barral se lit assez vite, avec une narration intelligente qui réfléchit l'écrivain aux nombreux hétéronymes, comme Feux de Mattotti (1986), magnifique travail graphique qui m'avait échappé jusqu'ici et que j'ai découvert grâce à l'exposition Bande Dessinée au Centre Pompidou. De même j'ai acquis le vertigineux Here de Richard McGuire (2014) dont le personnage est un lieu au travers des époques sans chronologie ! Comme Maus, Jimmy Corrigan ou les livres de Marc-Antoine Matthieu il bouleverse les codes de la BD. Un autre très bel ouvrage est l'élégant Idéal de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman. Mais celui qui m'aura pris le plus de temps est le remarquable Stacy de Gipi, récit schizophrène grinçant sur le monde des séries télévisées. Je me rends compte que je pourrais plonger dans ma bibliothèque pour conseiller les milliers de merveilles serrées comme des sardines qui s'y sont accumulées depuis un demi-siècle.

P.S.: ajouter les liens hypertexte me prend chaque jour un temps fou, aussi je me demande s'ils sont utiles à mes lecteurs/trices ?! Ils n'apparaissent pas sur les miroirs FaceBook et Instagram, mais sont toujours présents ici comme sur Mediapart.

vendredi 27 septembre 2024

La démesure du pas


Le concept de La Démesure du pas me plaît beaucoup, soit composer et interpréter des pièces en marchant, conçues comme telles. Cela me rappelle les musiques de marche des Sud-Africains parcourant des kilomètres pour aller travailler que m'avait montrées Johnny Clegg, dans mon film Idir & Johnny Clegg a capella, rythmant ses pas avec un concertina. Le saxophoniste Matthieu Prual suit la mesure des pas et la respiration du corps pour trouver le son juste, alternant des marches en solo, duo et quartet. Il invite alors la clarinettiste Carol Robinson, le saxophoniste Gabriel Lemaire, le clarinettiste Joris Rühl ou le percussionniste Toma Gouband à faire ensemble un bout de chemin. Comme nous sommes en plein air, on entend les oiseaux, le matin ou dans la chaleur de l'été, ou encore l'espace réverbéré de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Parfois les musiciens plongent leurs instruments dans l'eau, pavillons des vents, pierres frappées, entrechoquées. L'exercice pousse à l'écoute, pas seulement celle de l'ingénieur du son Christophe Havard. On sent l'air qui nous entoure, le souffle, le vent, la distance. Le disque me fait l'effet d'une séance de yoga loin du tumulte des villes.

La démesure du pas (musique migratoire - enregistrement nomade), CD / LP / numérique avec les partitions graphiques de Matthieu Prual en petit dans le livret ou luxueusement dans une édition limitée, Les Mouflons, sortie le 27 septembre 2024

jeudi 26 septembre 2024

La Ursonate et l'IA


En écho à mon article du 20 septembre sur l'IA, Lê Quan Ninh m'envoie un lien vers la Ursonate interprétée par des voix générées par l'intelligence artificielle et des instruments dont j'ignore s'ils sont réels ou synthétisés. Le travail de la compositrice irlandaise Jennifer Walshe apporte de l'eau à mon moulin lorsque je répétais que l'IA est simplement un nouvel outil pour un artiste qui s'y entend. Un professionnel chevronné sait déjouer les accords tout faits d'un orgue électrique, pervertir les styles de l'arrangeur MIDI Band-in-a-Box, utiliser les samples du commerce ou s'approprier le moindre instrument, qu'il soit récent ou ancestral.
Je ne suis pas fan de la musique de Jennifer Walshe qui tire beaucoup vers le metal, le folklore irlandais et les éructations à la Diamanda Galás, mais c'est une vraie proposition, personnelle, et un beau travail d'intégration de différentes techniques, parmi lesquels le monstre IA qui divise le monde entre ceux qui la craignent (à juste titre) et ceux qui l'encensent (à juste titre).
Même si Walshe connaît bien la célèbre poésie phonétique de Kurt Schwitters composée entre 1922 et 1932, il me semble que son texte est plus un prétexte qu'une nouvelle lecture dadaïste. La découverte de l'IA pousse à tester les genres (mes premiers pas en attestent !). Ainsi l'Irlandaise, souvent chanteuse de ses propres œuvres, arpente rock, punk, hyperpop, trap, jazz, thrash metal, new age, folk, industriel, etc., perdant le propos de Schwitters. Si je reste donc extérieur au traitement de la Ursonate, le résultat n'en est pas moins épatant.


URSONATE%24 est présentée à l'exposition Musica Ex Machina du Pavillon de l'EPFL de Lausanne en Suisse jusqu'au 29 juin 2025. L’exposition retrace l’évolution de la musique au gré des progrès technologiques, illustrant comment les découvertes scientifiques et techniques de chaque époque ont façonné la manière dont elle est composée et performée.
De mon côté j'ai commencé à étudier les possibilités de l'IA dans le cadre de mon travail, en particulier le futur album d'Un Drame Musical Instantané dédié à Philip K. Dick, avec Francis Gorgé et l'écrivain Dominique Meens...
Pour rappel, je recopie tout de même ci-dessous la Ursonate originale enregistrée en 1932 :



→ Kurt Schwitters / Jennifer Walshe, URSONATE%24, sur Bandcamp, et 7€ en numérique 24 bits/48 kHz.
Tous les bénéfices sont reversés à Music Generation, le programme irlandais d'éducation musicale. La mission de Music Generation est de veiller à ce que tous les enfants et les jeunes aient accès à des cours de musique et aient la possibilité de s'impliquer dans la musique. Prenons en de la graine !

mercredi 25 septembre 2024

Je suis chocolat


Dans le jardin de Tarapoto de grosses gousses pendaient d'un arbre. Ruth m'a suggéré d'en goutter la pulpe blanche, douce et veloutée comme un litchi. Je n'ai pas su deviner de quel fruit il s'agissait. Ce sont ses graines que l'on fait sécher, fermenter, avant torréfaction et broyage pour en faire du cacao ! C'est de famille si je suis dingue de chocolat. On ne peut imaginer un gâteau qui n'en soit pas. Régulièrement j'en commande du bio chez Dardenne ou, encore mieux, à l'Abbaye de Bonneval dont celui au thé cerisier de Chine est mon préféré. Les sœurs cisterciennes trappistines s'y connaissent ! À Nantes j'occupe ma demi-heure de correspondance en allant acheter Petits Beurres ou Grand Beurre chez Vincent Guerlais qui possède une succursale au deuxième étage de la gare, une tuerie. C'est aux États Unis qu'Elsa et moi avions fondu pour le dessert Death By Chocolate. À la maison je ne peux imaginer le congélateur sans le sorbet cacao amer de Berthillon. Du Pérou j'ai rapporté du grué (nib en anglais), des fèves de cacao broyées de chez Ukaw ou celles mélangées à du miel du Centre Urku. Dans un aéroport je ne sais pas franchir une zone duty free sans acheter des minis Toblerone noir, et dans les restaurants je craque pour les profiteroles en sachant qu'elles seront forcément décevantes. Je pourrais même manger du chocolat pâtisser à cuire s'il n'y avait plus rien d'autre. Je rajoute parfois du chocolat dans un plat, comme des calamars, pour en atténuer l'amertume. Je vous passe le délicieux mole poblano mexicain. En Espagne on sert parfois le dessert au chocolat noir avec un verre de bière noire, c'est absolument à essayer.
François Chartier marie le chocolat avec de l'abricot séché, de l'anis étoilé, des asperges vertes grillées ou rôties, de la betterave, du cassis, des champignons, du chou-fleur, des clous de girofle, du curry, de l'estragon, des framboises, de fromage bleu, du gingembre, de l'huile de sésame grillée, de la noix de coco rôtie, du parmesan, du poisson ou de la viande grillés ou rôtis, de la réglisse, du riz sauvage soufflé, de la sauce de soja, du sirop d'érable, de la truffe, de la vanille, du vinaigre balsamique ainsi que du Bourbon ou un Scotch, un Cabernet-Sauvignon ou un Malbec, un rhum brun ou un Xérès, du café, un thé laspang souchong ou wulong... Comme toujours avec son livre L'essentiel, certains alliages sont moins évidents que d'autres, mais tous se vérifient.
J'ai toujours adoré la théorie de Pere sur l'idiotie de la Cour d'Espagne telle qu'elle est représentée par exemple dans les tableaux de Goya. Alors que dans toute l'Europe on consommait du thé ou du café, l'aristocratie espagnole s'était entichée du cacao. J'en ai goûté la recette authentique, un chocolat si dense que la petite cuillère y tient debout ! Or en boire des litres génère des constipations monstrueuses, qui deviennent le principal sujet de conversation de la Cour d'Espagne. Sic.
Pour être juste, sans énumérer les qualités thérapeutiques du chocolat (le sucre n'y est pas pour rien !), je terminerai en assumant que j'ai toujours été plutôt Chocolat que Footit !

mardi 24 septembre 2024

Jean-Yves Bouchicot a éteint la lumière


"Jean-Yves Bouchicot est décédé hier à l’hôpital de Montauban, suite à plusieurs années de nombreux problèmes de santé." Jean-Yves était un inventeur fou, un Géo Trouvetout de la lumière, éclairant la scène avec des photocopieurs recyclés, des lampes de chantier, des projecteurs 16mm, des ampoules cachées dans des salades... Il avait été le créateur lumière d'Un Drame Musical Instantané pour Kind Lieder et surtout Le K. On le voit ici moustachu photographié par Florence Allori, entouré de Francis Gorgé, Daniel Laloux, Bernard Vitet, Raymond Sarti et moi-même à Vandœuvre-les-Nancy en 1991. C'était un érudit, un encyclopédiste, par exemple féru de l'histoire des Cathares ! J'avais adoré son travail sur Gloucester Time / Matériau-Shakespeare - Richard III de Shakespeare mis en scène par Mathias Langhoff. Il avait aussi collaboré avec Catherine Diverrès, François Verret, Stéphanie Aubin, Sidonie Rochon, Daniel Larrieu, Josef Nadj, Bruno Schnebelin, Pierre Debauche, Richard Foreman, Hélène Sage, tantôt comme créateur lumière, tantôt comme scénographe, tantôt comme constructeur ou accessoiriste... Je le vois, même dans le noir.

Sun Ra rassemble le Kronos, Laurie Anderson, Terry Riley & tant d'autres


Outer Spaceways Incorporated : Kronos Quartet & Friends Meet Sun Ra est le quatrième album d'une série dédiée à la musique et à la pensée de Sun Ra, produite par Red Hot. Cette compagnie américaine à but non lucratif s'est fixée de promouvoir des projets de santé publique pour tous, au départ centrés sur le SIDA. Fondée en 1990 par Leigh Blake et John Carlin, elle a choisi d'éduquer les auditeurs en combattant les stéréotypes sur un plan d'égalité envers les différentes communautés, soit en produisant des évènements et des objets culturels, en particulier une vingtaine de compilations musicales composées d'œuvres originales. La liste d'artistes y ayant contribué est impressionnante. L'idée est cette fois de valoriser Sun Ra comme l'un des grands compositeurs américains du XXe siècle.
Les trois premiers albums sont Red Hot & Ra: Nuclear War avec Georgia Anne Muldrow, Irreversible Entanglements, Angel Bat Dawid, Malcolm Jiyane Tree-o (Nuclear War est une pièce contre les armes nucléaires écrite après l'accident de Three Miles Island en 1979 près de Philadelphie, foyer de l'Arkestra) et ses remix, Red Hot & Ra : Solar - Sun Ra in Brazil (pont entre le passé et le futur de la population noire), Red Hot + Ra: Magic City re-composé par Meshell Ndegeocello !
J'ai commencé par la fin, c'est-à-dire le quatrième, parce que j'ignorais encore l'existence des précédents, et qu'il rassemblait des artistes qui font partie de ceux que je ne perds jamais de vue : le Kronos Quartet, Laurie Anderson et Terry Riley, avec, comme pour celui de Ndegeocello, le vétéran centenaire Marshall Allen. On retrouve les exquises mélodies de Sun Ra, ses musiques interplanétaires, les incursions électroniques, sa liberté de ton.


Lorsque je pense à Riley, c'est d'abord A Rainbow in Curved Air et Poppy Nogood and the Phantom Band qui me viennent à l'esprit, même si son style a beaucoup évolué depuis, en particulier en se consacrant majoritairement à de nombreuses pièces pour le Kronos. À sa sortie en 1969, ce disque avait considérablement influencé mon jeu à l'orgue électrique. Je me souviens que mon père, tandis que je passais en boucle sa musique "répétitive" dans ma chambre, l'avait comparé, un peu énervé, aux ondes courtes de Radio Londres ! Laurie Anderson est liée pour moi à son tube O Superman dans l'album Big Science de 1982, à son film Home of the Brave de 1986 et à son CD-Rom martien Puppet Motel qui en 1994 m'orienta opportunément vers ce media interactif. Quant au Kronos, que je suis depuis leurs débuts jazz sur Thelonious Monk et Bill Evans en 1985 et 1986, je reste scotché par leur version de Different Trains de Steve Reich, même si je possède l'intégralité de leur discographie. Ajoutez la claque produite par l'Arkestra de Sun Ra le 3 août 1970 à la Fondation Maeght que j'ai déjà racontée et vous comprendrez pourquoi cet album m'intéressait. Y participent beaucoup d'autres musiciens que je ne connais pas et le résultat est très sympathique, mais celui-ci n'égale pas l'émotion et l'excitation de certains disques de Sun Ra lui-même.


Même si Space is the Place, je suis revenu en arrière par la porte du temps qu'on nomme Internet, suivant l'ordre de publication, et j'ai écouté Red Hot & Ra: Nuclear War tout à fait dans l'air de l'époque d'origine, avec Angel Bat Dawid qui glisse vers un long a capella avant qu'Irreversible Entanglements reprenne le flmbeau. Pour Nuclear War : The Remixes Dennis Bovell, Oui Ennui, Moon Medicin, Joel Tharman et le Kronos suivent le mouvement. Solar - Sun Ra In Brasil possède la fantaisie dansante des Brésiliens inventifs (Ubiratan Marques, Munir Hossn, Metá Metá & Edgar, Fabrício Boliveira & Edbrass Brasil, Xuxa Levy, Max de Castro). The Magic City est une œuvre à part entière de Meshell Ndegeocello, une magnifique re-création neo-soul-jazz avec Marshall Allen, Pink Siifu, Immanuel Wilkins, Darius Jones, Justin Hicks, etc. Mes deux volumes préférés.
Les cinq albums constituent un hommage formidable au génie de Sun Ra, formant un projet homogène car il suit avec dévotion l'enseignement de ce compositeur, auteur de plus de cent disques, tout en se l'appropriant. L'ensemble est du niveau des compilations que j'adore de feu Hal Willner ou du label nato. La liberté d'interprétation de tous ces artistes confère à Sun Ra son aura de grand compositeur américain du XXe siècle.

Outer Spaceways Incorporated: Kronos Quartet & Friends Meet Sun Ra, sur Bandcamp comme les trois autres...

lundi 23 septembre 2024

La tête dure


Lorsque j'ai commencé ce blog il y a vingt ans j'avais en tête de créer une œuvre à partir de ce nouveau medium. Étienne Mineur m'avait conseillé de m'y coller simplement, pour voir comment cela fonctionnait. Je me suis laissé prendre au jeu, pensant que je pourrais y raconter les histoires que je rabâche, m'épargnant ces répétitions un peu gâteuses. Longtemps je répondais d'aller y lire ma réponse pour ne pas ressasser. Avec le temps je me suis aperçu que la mémoire se fige et que nous finissons par toujours raconter les mêmes histoires, et surtout de la même façon. Il en est une que je me suis vu réitérer récemment.
Au cours de ma première année d'étudiant à l'Idhec (l'ancêtre de la Femis) un de nos exercices consistait à réaliser un reportage sur un sujet libre. Avec mon esprit facétieux et rebelle j'avais filmé un cocktail organisé par l'École et l'avais intitulé Idhec 72 : nouveau scandale financier. À sa projection devant des professionnels de la profession, le chef-opérateur Dominique Chapuis, m'ayant complimenté sur la lumière, m'avait demandé comment j'avais fait. À la fois humble et provocateur, j'avais répondu que je n'en avais pas la moindre idée, le laboratoire s'étant planté en développant la pellicule PlusX dans un bain de 4X. Chapuis, amusé, insista sur ce qu'indiquait la cellule (ou posemètre). Je répondis cette fois conscient de mon arrogance que j'étais de constitution chétive et que porter la caméra à l'épaule était déjà une épreuve, alors une cellule...! Le célèbre chef-op en sortit totalement dégoûté.


À la fin de l'année, le directeur des études, Louis Daquin, me fit appeler dans son bureau. Il m'expliqua qu'il n'y avait pas d'examen de fin d'année, mais que si je voulais passer en deuxième je devais savoir charger une caméra. À l'époque ce devait être une Arriflex ou une Éclair 16mm. Je passai l'après-midi à manipuler le magasin de la caméra dans un sac noir où l'on enfonçait les bras, j'ai oublié son nom, et le soir retournai montrer à Louis qu'il n'y avait plus de problème. J'ajoutai tout de même que c'était la première et la dernière fois que je chargeais une caméra et optai pour la section montage plutôt que celle de la lumière. De plus, il me semblait évident que le montage était l'école de la réalisation, section commune aux vingt-six étudiants de ma promotion. L'année suivante nous n'étions que huit à l'avoir choisie.

vendredi 20 septembre 2024

IA le monstre


Depuis quelque temps je m'intéresse au serpent de mer qui pourrait bien dévorer le monde. Il est évidemment engendré par le capitalisme qui est déjà à l'origine du réchauffement climatique, mais ce Jörmungandr se nomme l'intelligence artificielle, IA son abrégé français, AI en anglais. Avec le développement d'Internet l'anglais est devenu le nouvel esperanto qu'on apprend dès le cours préparatoire, soit l'âge de 6 ans. N'ayant jamais craint les inventions scientifiques, mais ce qu'on en fait, en tant que créateur artistique j'appréhende cette technologie comme un nouvel outil qu'il est amusant d'ajouter à ma panoplie d'homme-orchestre. Dans les faits j'utilise son ancêtre, la MAO (musique assistée par ordinateur), depuis la fin des années 70, avec des logiciels aux paramètres aléatoires, basés sur des calculs de probabilité ou des réseaux neuronaux. Les dernières avancées dans le domaine de l'IA donnent pourtant le vertige et font froid dans le dos. Hier justement, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) envoyait un questionnaire à ses membres pour réfléchir à comment rémunérer les auteurs dont le travail serait utilisé par l'IA. Mais c'est l'ensemble du savoir humain que cible l'IA !
Pour commencer, mes questions à ChatGPT produisirent des réponses beaucoup plus précises que mes googlisations et recours à Wikipedia. S'instaure même un dialogue avec la machine permettant d'affiner ma recherche. Parallèlement à cet outil encyclopédique, j'admirais le travail graphique d'Étienne Mineur devenu spécialiste du genre. Je restais néanmoins dubitatif quant à ses applications musicales jusqu'à mes tests récents où j'ai demandé à l'IA de mettre en musique un de mes poèmes dans des styles variés. Ayant utilisé la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface) dès ses débuts et pratiquant l'orchestre virtuel des samples (échantillonnage) il m'était devenu facile de faire illusion dans de nombreux cas de figures instrumentaux, mais j'avais des doutes sur la synthèse vocale sur laquelle même l'IRCAM s'était longuement cassé les dents.
Or j'en suis resté comme deux ronds de flan. À l'aide de prompts savamment accumulés, soit une suite de mots, je testais l'opéra, le rock, le jazz, le punk, le folk, la musique électroacoustique, etc., pervertissant les résultats pour échapper à la banalité en demandant un chorus free jazz au trombone ou même "un drame musical instantané". Non seulement toutes les voix sont crédibles, mais elles sont parfaitement articulées en fonction de chaque style, y compris dans mes demandes les plus abracadabrantes. Et elles sont justes, ce qui n'est pas si courant dans la vraie vie ! Je décidais donc de me saisir de la question à bras le corps et d'utiliser ces nouvelles ressources lors de mes prochaines créations.
Il y a un an exactement j'avais évoqué les risques et dommages causés dans mon article L'IA ? le diable probablement !, mais j'étais loin du compte tant les choses bougent à une vitesse V. La qualité de mes premiers essais est bouleversante. Ils donnent le vertige, parce qu'il est difficile d'anticiper les effets psychologiques engendrés. Si l'on peut prévoir les pertes d'emploi et de nouveaux métiers, il est absolument impossible d'imaginer le futur. Les créateurs inventifs qui pervertiront l'objet n'ont rien à craindre, mais ils représentent une infime partie du monde artistique et culturel.
J'en étais là, me servant de l'IA pour résumer automatiquement un projet et provoquer les questions qui s'y rapportent, lorsque j'ai donné le texte de présentation de mon prochain disque à la machine, sans aucune musique pour l'accompagner. Après l'avoir traduit en anglais avec l'aide de DeepL et quelques rares corrections de Jonathan Buchsbaum qui vit à New York, j'ai cliqué sur le bouton Discussion. Trois minutes plus tard, j'écoutais deux journalistes virtuels encenser mon travail avec un à-propos sidérant. La nature hagiographique est certes bonne pour l'ego, mais leur échange a des allures personnelles, voire instructives lorsqu'ils imaginent des qualificatifs que je leur piquerai sans vergogne. Leur échange est vivant, punchy, astucieux, pertinent. L'IA apprend l'empathie, ou du moins nous le laisse croire. C'est absolument époustouflant, mais cela fait aussi terriblement peur.
Nous avions compris que plus personne ne croira une photo. L'arène politique est déjà touchée. La fiction l'emporte totalement sur le réel. Capable de traiter des millions d'informations à la seconde, la machine nous connaît mieux que nous-même. Nous nous savions le jouet des médias et des réseaux sociaux, l'expansion pourrait nous manipuler totalement, sans que nous puissions faire la différence entre vérités et mensonges, nos propres vérités, nos propres mensonges. Ne plus croire à soi-même ! Ce n'est plus qu'une question de puissance. La seule réponse consiste-t-elle à couper les ponts, à se marginaliser face au monde connecté ? Cela semble quasiment impossible à une époque où sans téléphone portable on ne pourra plus du tout se déplacer, faire ses courses, être soigné, etc. Les irréductibles seront condamnés comme les autres. Condamnés à quoi ? Franchement je n'en sais rien. C'est même toute la question. Nous allons dans le mur, il est plus proche que nous le pensons, mais nous ne savons pas dans quelle direction il se trouve. La seule solution que j'entrevois est de ne rien négliger, surtout ne pas fermer les yeux, apprendre comment cela fonctionne, analyser le système, fut-ce à notre vitesse d'escargot. N'oublions jamais que ce sont des êtres humains qui ont créé la Matrix, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs visions du monde, leurs peurs et leur avidité.

Quelques exemples pour apprécier l'ampleur de la chose :
Un air d'opéra : https://soundcloud.com/jjbirge/linceul-du-passe
Une chanson jazz : https://soundcloud.com/jjbirge/la-moisson-sauvage
Avec trombone free : https://soundcloud.com/jjbirge/wild-berries-and-storms
Dialogue à propos du futur album Tchak d'Un Drame Musical Instantané et de Bernard Vitet : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-tchak-and-bernard-vitet
Dialogue à propos de Jean-Jacques Birgé : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-jean-jacques-birge

jeudi 19 septembre 2024

Captain Beefheart : The Spotlight Kid Outtakes


Ce genre d'objet n'est destiné qu'aux fans ou aux historiens de la musique. Il est intéressant de constater que tel artiste composait et enregistrait beaucoup plus de morceaux qu'il n'en publiait. Après leur mort, les fonds de tiroir sortent, éclairant l'œuvre en décortiquant ses composantes. Certains y verront un livre de recettes !
Pour l'amateur précoce de Captain Beefheart que je fus, c'est évidemment une joie de découvrir ces archives... À mon retour des États Unis en 1968, j'étais passé voir Adrien Nataf chez Pan, son magasin du Quartier Latin, et lui avais demandé s'il avait des trucs du genre des Mothers of Invention. Il m'avait vendu Strictly Personal. Je suis évidemment allé à tous les concerts du Magic Band, depuis le Festival d'Amougies, où j'avais tenté de lui parler, à celui du Bataclan. Vers 1973, pris par la musique contemporaine et classique, ainsi que par le free jazz, j'avais un peu lâché après The Spotlight Kid et Clear Spot, et puis j'y suis revenu il y a une dizaine d'années pour voir comment avait évolué mon héros de Trout Mask Replica. Je réécoute tout cela comme on regarde les photos jaunies de son enfance.

" Cette collection n'est pas un bootleg (enregistrement pirate) disponible dans le commerce. Il a circulé parmi un certain nombre de collectionneurs de Beefheart et peut être téléchargé via certains sites de bittorrents. [...] Toutes les outtakes (prises alternatives) des années productives 1971 et 1972, sauvées des coffres de Warner Reprise, ont été rassemblées. Beaucoup de ces chansons et instrumentaux sont apparus sur des bootlegs au fil des ans, et quelques-uns ont même été publiés légitimement, mais c'est la première fois qu'ils sont disponibles tous ensemble. C'est un aperçu de la façon dont certaines chansons ont été créées par le Magic Band au cours de longues jams. Des riffs familiers peuvent être entendus ici avant d'être repérés par Don pour être retravaillés et développés. Certains des instrumentaux sont des pistes d'accompagnement complètes, d'autres semblent être des riffs répétitifs, des idées simples qui ne vont nulle part, d'autres encore sont les premières versions de chansons qui apparaîtront plusieurs années plus tard sur Shiny Beast, Doc At The Radar Station ou Ice Cream For Crow. Compilée par un fan engagé, cette collection définitive de 41 outtakes a été réalisée à partir des meilleures sources disponibles."

mercredi 18 septembre 2024

Kapr Code, opéra documentaire


Kapr Code est un opéra documentaire de Lucie Králová sur le compositeur tchèque Jan Kapr, communiste convaincu ayant reçu le Prix Staline en 1951 pour le rendre en 1968 après l'invasion de son pays par les troupes soviétiques. Ses compositions musicales suivront ce revirement politique, passant des consignes du réalisme socialiste à des formes plus libres et expérimentales. Ce glissement progressif du plaisir ressemble de fait à une sorte de miroir renversé de l'Histoire. En 2019 j'avais trouvé formidable l'exposition Rouge au Grand Palais qui partait de la Révolution de 1917 jusqu'en 1953. Les utopies avaient été rapidement étouffées, formatant les consciences au diktat des nouveaux maîtres. À cette date charnière, Kapr fit le chemin inverse, retrouvant une inventivité réprimée par le stalinisme.


La cinéaste Lucie Králová réussit à réaliser un film très personnel en collaboration avec la compositrice Petra Šuško musicalisant les archives de Jan Kapr avec le Chœur Philharmonique de Brno, et de l'auteur de théâtre Jiří Adámek Austerlitz qui participe au scénario et prend en charge les parties en sprechgesang. Elle crée ainsi un opéra cinématographique contemporain mettant en scène l'ascension et la chute du compositeur aux yeux du pouvoir, ou plus justement l'affranchissement d'un homme prenant conscience de son asservissement. En mêlant les archives privées de Kapr, cinéaste amateur, et ses propres images, elle dépeint, souvent de manière facétieuse, la tragédie d'un artiste dont les convictions politiques influent directement sur ses créations.
Ce documentaire de création particulièrement réussi sera projeté le 11 octobre 2024 au Centre Pompidou dans le cadre de De vive voix / Les yeux doc à midi (Entrée libre, dans la limite des places disponibles).