70 novembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 novembre 2023

IN C pour 20 sonneurs


L'année dernière j'écrivais : " L'interprétation de la pièce In C de Terry Riley au 104 par vingt sonneurs sous la houlette d'Erwan Keravec fut absolument vertigineuse. Les musiciens perchés sur des estrades entouraient le public médusé. Certains avaient fini par s'asseoir en tailleur, d'autres tournaient autour, à l'intérieur ou à l'extérieur du cercle, comme si la nef était un stūpa. Il abritait en effet une relique, puisque In C, composée en 1964, est considérée comme la première œuvre du courant minimaliste américain que nous appelions alors répétitif. J'en connaissais une bonne vingtaine d'interprétations, mais celle-ci fut particulièrement magique, sorte de monstre tellurique où les bombardes aiguës, les cornemuses, les bombardes barytons créées pour l'occasion, les sirènes varésiennes enveloppaient les spectateurs hypnotisés par ce bagad aux accents contemporains...". Aujourd'hui l'enregistrement, pourtant réduit à la stéréophonie du CD, garde sa monstrueuse puissance. Cela s'écoute le plus fort possible, le plus fort que vous puissiez le supporter. Oubliez les voisins ! Pendant un peu moins d'une heure les murs de Jéricho trembleront. Et ça tourne, ça tourne entre les haut-parleurs gauche et droit, rebondissant sur les murs qui leur font face et du sol au plafond.


Les bombardes (trois sopranos en ut et si bémol, une soprano en sol, deux ténors en si bémol et quatre barytons en sol) sont placées en alternance avec les cornemuses (trois binious en sol, cinq cornemuses en do, une cornemuse en sol et une veuze en sol). Ajoutez quatre sirènes d'alerte à main au milieu de la pièce pour accentuer le chaos et deux foulées de pas qui viennent percuter les planchers des estrades où sont juchés les 20 extraordinaires sonneurs qui ont participé à cette aventure. Je devrais les citer toutes et tous, mais je nommerai seulement ici Julien Desprez qui endossa le rôle de conseiller artistique, les luthiers Tudal Hervieux et Jorj Botuha qui fabriquèrent la bombarde baryton en sol et les chanters pour cornemuse en do, ainsi que l'ingénieur du son Manu Le Duigou qui fait là une prouesse. Pareil aux meilleures pièces répétitives, on sort de l'écoute comme d'un voyage en pays lointain, rincé, éberlué, rafraîchi, différent, jamais indemne. On ne résiste pas à la tempête. Il n'y a qu'à se laisser porter par les vagues, chevaucher le son comme s'il venait de vous et que vous l'offriez à l'univers. Lorsque la musique s'arrête, vous serez surpris d'entendre les bruits du monde autour de vous avec une acuité inattendue.

→ Terry Riley par Erwan Keravec, In C 20 sonneurs, CD, dist. Buda Musique, 16,05€

mercredi 29 novembre 2023

Albert Brooks sans filet


Les Américains n'ont jamais compris pourquoi les Français adoraient Jerry Lewis. Sans ses succès européens Woody Allen n'aurait pas fait long feu. Et il y a Albert Brooks ! On peut donc se demander pourquoi le public ne connaît pratiquement pas ce réalisateur comique majeur, le plus profond certainement. Comme Orson Welles ou John Cassavetes, il a gagné sa vie en faisant l'acteur. Les comiques ont souvent la vie dure. Chaplin dut quitter les États Unis pour raisons politiques. Jacques Tati a fini ruiné. Brooks a interprété des rôles sérieux dans Taxi Driver, Broadcast News, Drive ou A Most Violent Year, même des rôles de méchant. Il a fait des voix pour des films d'animation comme Le monde de Nemo ou Les Simpsons. Mais son véritable génie se découvre dans les films qu'il a réalisés lui-même et dans la plupart desquels il joue.

En 1979 il parodie la téléréalité naissante avec Real Life. C'est le portrait d'un réalisateur de documentaire appelé Albert Brooks, joué par Brooks, qui pendant un an tente de faire un film sur une famille dysfonctionnelle. Ce faux documentaire est génial. C'est un bide. En 1981 il fait Modern Romance, un film sur la jalousie que lui envie Stanley Kubrick (!), il y joue le rôle d'un monteur de cinéma travaillant sur un film de science-fiction. Si je vous susurre que cela tient de l'humour juif, vous ne serez pas étonné, une sorte d'autodénigrement attendri. En 1985, nouveau chef d'œuvre avec Lost in America, l'histoire d'un couple qui abandonne sa vie aisée pour vivre dans une caravane, tombant de Charybde en Scylla. Souvenir d'Easy Rider, c'est l'autre facette de l'Amérique. En 1991, dans Defending Your Life (Rendez-vous au Paradis), il joue un divorcé qui, venant de mourir, se retrouve dans une cité purgatoire appelée Judgment City, confronté à ses peurs alors qu'il en pince pour Meryl Streep. Dans ce film fondamentalement athée la question de sa réincarnation se pose de manière procédurière. En 1996, le quadragénaire retourne vivre chez sa mère, interprétée par Debbie Reynolds (Singin' in the Rain) pour comprendre ses problèmes avec les femmes après son second divorce, or sa mère n'en a pas du tout envie ! Mother, où il joue un auteur de science-fiction à succès, marche mieux que ses films précédents. Freud est évidemment passé par là, comme chaque fois. En 1999, c'est un scénariste sur le déclin qui cherche une authentique Muse grecque, jouée par Sharon Stone (!), pour retrouver l'inspiration, comme le font James Cameron, Martin Scorsese ou Rob Reiner qu'il y croise ! Enfin, en 2005 dans Looking for Comedy in the Muslim World le gouvernement américain envoie Brooks, donc un Juif américain, en Inde et au Pakistan pour comprendre ce qui fait rire les Musulmans. Ce n'est pas le plus drôle, mais l'idée est comme toujours passionnante.


Albert Brooks Defending My Life, le film que son ami d'enfance Rob Reiner lui a consacré, lui rend justice. Rob Reiner, c'est le réalisateur de Spinal Tap, Princess Bride, When Harry Met Sally..., Misery, etc. On peut lui faire confiance. Lui aussi a fait l'acteur. Il montre comment Brooks ose des trucs incroyables lors de ses passages télévisés, sans aucune répétition, se jetant dans l'arène, parce que l'improvisation accouche toujours d'une authenticité quasi magique. Son vrai nom est Albert Einstein, ça commençait bien ! Merci Papa, dont le pseudonyme était Parkyarkarkus, un comédien en langue grecque qui se produisait dans une émission radio d'Eddie Cantor. Évidemment Albert Brooks, évoquant sa vie et ses films, est comme à l'écran, intelligent, drôle et extrêmement touchant.

mardi 28 novembre 2023

Concert exceptionnel vendredi 1er décembre


Le flyer officiel est arrivé. J'adore l'idée de saute-mouton pour annoncer notre concert ludique. On joue. Comme des enfants. Les musiciens et les comédiens sont les seuls artistes à avoir conservé linguistiquement l'idée du jeu. Nous demanderons donc au public de tirer au sort le thème de nos improvisations. Comme les cartes sont en anglais, il arrive que cela produise des annonces bizarres. Bizarres comme certains des instruments que j'apporterai. Et puis le saute-mouton m'évoque une autre histoire, plus intime. Je possède un film en 16mm noir et blanc où mon père joue à ce jeu avec Frédéric Dard (San Antonio) dont mon père était l'agent littéraire et qu'il avait découvert. C'était juste avant ma naissance. J'ai toujours été touché par ces adultes qui se comportent comme des gosses. Il est absolument indispensable de ne jamais perdre cette innocence. Le jeu sans enjeu. Comme lorsque nous composions nos premières œuvres. Quand j'écris je m'appuie forcément sur l'expérience, mais la musique me permet de m'abandonner à l'enfance. L'enfance de l'art. Se coucher chaque soir en ayant appris quelque chose, se réveiller chaque matin en ayant tout oublié. Total reset. Remise à zéro de conteur. Toute une histoire.

saute-mouton #4 - Carte blanche à Jean-Jacques Birgé
saute-mouton : quand Sport National confie la programmation d'une soirée de concerts à un.e "autre", les yeux fermés, mais les oreilles, en éventail.
Trois sets de 40 minutes
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Vendredi 1er décembre 2023 10€ (conseillé) / 7€ (réduit)
Réservation vivement conseillée (2 par personne max) par mail à sportnationalsessions@gmail.com
Espèces uniquement (préparez l'appoint s'il vous plaît) - CB au bar - Nous vous conseillons de venir dès 20h
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Café de Paris, 158 rue Oberkampf 75011 Paris, Métro Ménilmontant
Edith Piaf fit ses débuts dans cet ancien cabaret !
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SPORT NATIONAL organise depuis 2015 les concerts de musicien.es aux pratiques expérimentales. Coordonne depuis avril 2023 la programmation des concerts au Café de Paris.

lundi 27 novembre 2023

Iron Sky, 2 films de science-fiction totalement délirants


Voir Adolf Hitler alunir sur le dos d'un Tyranosaurus Rex peut vous donner une idée du délire des scénaristes des deux films intitulés Iron Sky réalisés par le Finlandais Timo Vuorensola en 2012 et 2019. La musique est du groupe slovène de musique industrielle avant-gardiste Laibach. La présidente des États Unis ressemble à Sarah Paulin. Parmi les maîtres du monde, au centre de la Terre, incarnant des vrils d'une autre planète, on reconnaîtra Steve Jobs ou Mark Zuckerberg. Vous vous amuserez des clins d'œil à Kubrick pour Folamour, Chaplin pour Le dictateur, Terry Gilliam pour L'armée des douze singes, ou encore Matrix, Jurassic Park ou Hunger Games, quand il ne s'agit pas directement des légendes fantasmatiques états-uniennes... Le pastiche vaut son pesant de cacahuètes et renvoie souvent les originaux à leur banalité scénaristique. Rares sont les films aussi loufoques comme Skidoo d'Otto Preminger ou, pourquoi pas, Hellzapoppin de H.C. Potter. C'est tout bonnement lysergique.


Dans le premier film un astronaute afro-américain est blanchi pour l'aryaniser. Mais je préfère ne pas dévoiler l'intrigue abracadabrante et vous laissez simplement les bandes-annonces qui ne déflorent pas trop l'absurdité de l'entreprise...


Le second film, qui se passe vingt ans plus tard, exploite les théories de la Terre creuse et m'a semblé encore plus drôle que le précédent. Je suis maintenant impatient de voir le troisième volet, The Ark : An Iron Sky Story, qui serait sorti en 2022, toujours avec Udo Kier et dont l'action se passerait essentiellement en Chine... Si ces aventures peuvent sembler rocambolesques, elles ne le sont hélas pas forcément plus que celles que s'invente l'espèce humaine, dans son absurdité criminelle et suicidaire.

vendredi 24 novembre 2023

Concert à cinq le 1er décembre avec Gwennaëlle Roulleau et...


À l'occasion de la seconde annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie l'article que j'avais écrit en mai 2022 pour l'album intitulé "Scénographie" enregistré avec l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le sax ténor Lionel Martin, le violoniste Mathias Lévy et la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski.



Un nouveau Pique-nique au labo, le premier de 2022, avec Gwennaëlle Roulleau, est en ligne, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. Comme pour la trentaine d'albums qui l'ont précédé sur le même principe, j'ai invité l'électroacousticienne au Studio GRRR à enregistrer toute une journée, librement, histoire d'apprendre à nous connaître. J'avais entendu Gwennaëlle une seule fois en concert, mais j'avais été particulièrement séduit par son geste instrumental et la spatialisation sonore qu'elle maîtrisait grâce à Usine, le logiciel d'Olivier Sens. Les concerts de lap-tops (ordis portables) m'ont toujours ennuyé lorsque le spectacle offre celui de presse-boutons autistes qui semblent ne pas avoir conscience de la présence du public.
Pour cette séance où nous enregistrons pour nous rencontrer, plutôt que le contraire qui est le lot commun de notre métier, j'ai proposé de nous inspirer de photos de films trouvées dans un hors-série des Cahiers du Cinéma de 1980 intitulé Scénographie. De la présélection de vingt-cinq, nous en avons choisi une huitaine au fur et à mesure de la journée. Aucune référence aux films de Kurosawa, Bresson, Garrel, Lumière, Cocteau, Dreyer, Méliès n'était recherchée. Partir simplement d'une image et se laisser aller à la rêverie musicale ! Dans la plupart des cas nous avons néanmoins conservé le titre des films en nous les réappropriant dans le cadre de nos compositions instantanées.


Il n'est pas si facile pour moi de jouer avec un ou une autre musicien/ne électronique, car souvent je m'y perds, ne sachant plus du tout qui fait quoi, les gestes n'étant pas aussi explicites qu'avec les instrumentistes classiques, surtout lorsqu'on est penché sur les siens. Après avoir écouté plusieurs fois le mixage, il m'arrive souvent de revenir vers les pistes séparées pour comprendre l'origine des sons. C'est ce que j'ai réalisé récemment avec Fictions, le vinyle en duo avec le saxophoniste Lionel Martin, à paraître prochainement sur le label Ouch!. J'avais oublié qu'il m'était arrivé de transformer en direct les sons de mon camarade de jeu. De quoi en perdre mon latin !
Ici Gwennaëlle produit essentiellement des sons électroniques et électroacoustiques, encore qu'elle ait trafiqué une caisse claire qu'elle est allée chercher dans mon capharnaüm pour un résultat étonnant. De mon côté je me sers de plusieurs échantillonneurs américains, de synthétiseurs russes (le Lyra-8 que Gwennaëlle m'emprunte d'ailleurs pour un morceau, l'Enner et le renversant Cosmos), de mon nouvel ARP 2600, d'un harmonica, d'une guimbarde excitée par un électro-aimant, de petits carillons et de la pédale Eventide H9Max.


Choisissant donc chacun/e à son tour, une image dans le corpus que j'avais rassemblé, nous avons ainsi enregistré La forteresse cachée, Au hasard Balthazar, Le révélateur, La Ciotat, Le sang d'un poète, Candélabres, Le mariage de Thomas Poirot... Certaines pièces sont graves, d'autres comiques, certaines sont suffocantes, d'autres respirent. Pour la couverture, j'ai conservé le verso de la revue illustré par Voyage en Italie de Rossellini en choisissant un jaune proche de celui de la collection historique des Cahiers du Cinéma, mais nous n'avons pas eu le temps de jouer à partir de cette image. Nous avions commencé à 10h, il était déjà 16h30, le moment de plier bagage. C'était le 12 mai dernier. Le temps de revenir de mon voyage à Rennes, je mixai aussitôt l'ensemble et le mis en ligne. Aucune production discographique n'offre cette réactivité qui m'enchante, car il se passe souvent un, deux ou trois ans entre un enregistrement et sa diffusion, alors que nous sommes bien loin, préoccupés par de nouvelles créations. Voilà, c'est tout frais, c'est même tout frais payé, puisque son accès est gratuit !

→ Jean-Jacques Birgé & Gwennaëlle Roulleau, Scénographie (également sur Bandcamp)
→ CD Pique-nique au labo 3 avec 20 autres invités, Disques GRRR, dist. Orkhêstra / Les Allumés du Jazz / Bandcamp

Article du 22 mai 2022

jeudi 23 novembre 2023

Les aventures glaçantes d'un sauna


J'ai la douloureuse impression de m'être fait arnaquer, et ce à plus d'un titre. Il y a sept ans j'ai acheté un sauna infrarouge extérieur à la société Atrium Concept. Or récemment un problème électrique a fait griller une partie de la centrale qui alimente les onze lampes, la lumière et l'auto-radio. La société en question, qui s'était bien gardée de préciser que la cabane de jardin était construite en Chine, a arrêté de commercialiser ses saunas pour se focaliser sur les pergolas. Elle m'assure n'avoir aucun contact avec son ancien fournisseur dont elle se dit incapable de me donner ses coordonnées. À l'époque de l'acquisition de mon Andromède 6, j'avais découvert le bol aux roses en recevant une lampe défectueuse depuis Hong Kong. Aucune marque ne figurait sur la cabane en kit, 500 kilos à monter soi-même. Depuis, j'ai profité quotidiennement de la douce chaleur et résolu ainsi partiellement mes problèmes vertébraux.
Hélas, il y a quelques jours, alors que j'étais allongé sur l'une des banquettes, j'ai entendu un krrrrrr inquiétant suivi d'une coupure de courant et d'une petite odeur de brûlé. J'ai eu du mal à trouver un réparateur, mais la société SMIPE m'a donné un rendez-vous rapide. Petit hic, le diagnostic est facturé 195€. J'aurais dû me méfier, surtout après avoir lu les commentaires sur le net, mais je n'avais pas vraiment le choix. Un pisciniste (!) a donc ouvert la centrale électrique, pris quelques photos et m'a assuré qu'il allait remédier à la panne en changeant les composants. Quelques jours plus tard, je recevais un mail m'expliquant que "suite à notre visite technique, nous sommes au regret de vous annoncer que les pièces de votre sauna ne sont plus disponibles. Après recherche nous avons pu trouver un matériel qui pourrait éventuellement correspondre. Nous pouvons tenter d'adapter ce matériel mais cela entraînera des modifications au niveau du sauna et son fonctionnement." Comme je demandai des précisions, on me répondit que "certains éléments du sauna ne seront peut-être pas adaptables tels que la lumière ou la musique. Il faudra aussi changer le panneau de commande qui n'a pas la même forme que l'ancien et laissera sûrement un trou apparent. Cette solution aurait un coût d'environ 2000 euros pièces et main d'œuvre comprises. Nous pouvons par ailleurs vous proposer un devis pour l'installation d'un nouveau sauna ce qui sera pour vous une solution peut-être plus avantageuse financièrement. Dans ce cadre, le prix des saunas varient entre 4000 et 6000 euros. Nous pouvons également nous débarrasser de l'ancien moyennant un supplément de main d'œuvre." Je demandais donc encore une fois des précisions, en particulier en quoi la seconde proposition était "peut-être plus avantageuse financièrement" (!), mais ne reçus plus aucune réponse.
Voilà où j'en suis. J'hésite à chercher un autre réparateur (mais y en a-t-il de réellement compétent ?), à détruire la baraque pour en remonter une autre (aïe, la douloureuse), à transformer le bâti en sauna traditionnel en acquérant simplement un poêle électrique avec des pierres qu'on arrose de temps en temps (peut-être pas si bête, mais où m'adresser ?) ou à transformer mon ancien sauna en abri de jardin ! En attendant je sue sur mon vélo d'appartement en sillonnant les paysages du Bhoutan ou du Costa Rica.

Fictions de Birgé & Martin dans Bad Alchemy


Aïe, il y a un trou béant dans ma birgéologie. Parce que Fictions (Ouch ! Records, V0001/20, LP) n'est pas sorti chez GRRR, mais chez un parent onomatopéique qui pince en tournant, Ouch !, soit LIONEL MARTIN. Son saxophone ténor, son looper et ses pédales d'effets s'accordent avec les claviers, Lyra-8, The Pipe, percussions, erhu, voix, guimbarde et flûte de JJB. Martin a gagné ses galons de Madsaxx à Lyon avec le trio Résistances, Ukandanz et le pianiste Mario Stanchev. C'est lui qui, après s'être régalé magiquement d’andouillette, de gratons et de purée patate-céleri rave-réglisse-sirop d'érable, a proposé de partir des phrases du livre de J.L. Borges, qu'il avait découvert grâce à "Perramus" d'Alberto Breccia & Juan Sasturain : 'Le jardin aux sentiers qui bifurquent', 'À l’espoir éperdu succéda comme il est naturel une dépression excessive' (extrait de 'La bibliothèque de Babel'), 'Nos coutumes sont saturées de hasard' (extrait de 'La loterie à Babylone') et 'Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum' (extrait de 'L'implacable mémoire'), où Ireneo Funes, au lieu d'avoir une mémoire plus courte que la plus courte des chemises de nuit (comme moi), en a une si monstrueuse qu'il pourrait se souvenir mot pour mot de l'intégralité d''Ulysse'. Birgé, qui aime optimiser la musique par la convivialité, l'amitié et la gastronomie, s'est à nouveau plongé, comme un somnambule, dans la poésie sonore du fantastique, constatant avec le recul : rien de comparable à ce que j'ai fait jusqu'à présent. Presque méditatif, même si c'est aussi riche et coloré que d'habitude, avec des différences de dynamique incroyables. Ce sont les seules différences qu'il admet, pas celles de l'âge, de la célébrité ou du style. Pour lui, jouer ensemble est un mode de conversation privilégié qui permet d'entrer modestement dans l'intimité de chacun. Et de redécouvrir ainsi les raisons profondes de chaque engagement, qui remontent, sans doute pour chacun, loin dans l'enfance. Ici, un cheval s'ébroue et hennit dans le jardin, Martin pique et meugle, Birgé fait de la dentelle au balafon. L’enjeu est ensuite celui du discret espoir que la révolte ne soit pas suivie chaque fois par une déception. Tous deux en rêvent, Martin l'évoque avec son bec d'oiseau de mer et son blues hymnique et timide, Birgé avec ses tremblantes baguettes. Est-ce par hasard qu'il joue de la guimbarde et de la trompette sur le ténor qui boue ? Et qu'est-ce que la compulsion du souvenir emporte si élégamment avec elle ? En vagues douces et amples, langage mutilé, grondant et pétillant d'écume, avec des coups de saxo ostinato, des sons de synthé fantomatiques, comme une vague stationnaire teintée des sons du saxo, heurtée parfois de manière sourde, certainement sans ‘ouch’ ni ‘grrr’, inexorablement captivant. [BA 122 Rigobert Dittmann, traduit de l'allemand tant bien que mal par JJB].

mercredi 22 novembre 2023

Le kaléidoscope de Jérôme Lefdup


Avec son exposition Chaînons manquants, le vidéaste Jérôme Lefdup joue sur le paradoxe temporel, quand l'avenir exhume le passé dans un présent plus fragile que jamais. Par la magie de la réalité augmentée, des œuvres créées il y a 20 ou 40 ans sont ranimées par une application gratuite pour smartphone, EyeJack, qu'il avait déjà utilisée pour la pochette du vinyle Addendum, réalisée avec son frère aîné Denis, compositeur et designer sonore. Parce qu'il n'y a pas un, mais deux Lefdup, parfois signant simplement Lefdup & Lefdup ! Cette fois c'est la fête du cadet qui présente une collection de petits tableaux augmentés et d’objets-vidéo où l'illusion du relief renvoie à la magie de l'enfance. En scannant le QR-Code placé sous chacun, les images s'animent, offrant une petite danse d'art naïf soulignée par une charmante musique répétitive et rythmique. Je pense à la phrase d'un spectateur ou d'une spectatrice relevée par Jean Cocteau, en 1917 au Chatelet, lors de la première de Parade créé avec Erik Satie, Léonide Massine et Pablo Picasso : "Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants". Ils adoreront Chaînons manquants, comme celles et ceux qui n'ont pas perdu l'innocence de savoir encore jouir du merveilleux.


Lors du vernissage lundi soir les amis étaient au rendez-vous. Je suis toujours heureux de croiser Martin Meissonnier qui me rappelle le petit Martin lorsqu'il était assistant à France Musique dans les années 70 alors qu'il est devenu un grand producteur et réalisateur. Plus loin j'aperçois Marc Caro dont les films rappellent nos premières lectures de bandes dessinées ou Bertrand Belin, venu en voisin, en discussion avec Denis dont les roues sont peintes telles un phénakistiscope, couleurs vives qui tranchent avec la grisaille urbaine. J'écoute Tambour Vision en tapant ces mots, Que dalle tout...


→ exposition Jérôme Lefdup, Chaînons manquants, jusqu'au 30 novembre 2023, tous les jours de 14 heures à 19 heures
→ projection d’une double compilation Lefdupienne le samedi 25 novembre à 20h30
→ décrochage le jeudi 30 novembre à partir de 18 heures
à la Guillotine / Les Pianos - 24 rue Robespierre à Montreuil, atelier au fond de l’allée dans un des anciens entrepôts des pianos Hanlet

mardi 21 novembre 2023

Concert à cinq le 1er décembre avec Lionel Martin et...



À l'occasion de l'annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie les trois articles que j'avais écrits en mai 2021 et 2022 pour l'album devenu vinyle intitulé "Fictions" que j'avais enregistré avec le saxophoniste Lionel Martin (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le violoniste Mathias Lévy, la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski et l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau.



Hier matin, Lionel Martin a proposé que nous tirions au hasard des phrases de Fictions de Jorge Luis Borgès comme thèmes de nos compositions instantanées. Je n'ai pas relu ce merveilleux recueil de nouvelles depuis 1975 alors que c'est le livre de chevet actuel du saxophoniste lyonnais. Et nous nous sommes lancés à l'assaut de ces phrases mystérieuses, lui au ténor, moi comme d'habitude en homme-orchestre. La musique c'est bien, c'est encore mieux lorsqu'elle s'accompagne de convivialité, d'amitié et de gastronomie. Le soir précédent, nous avons ainsi dégusté andouillettes et gratons remontés par Lionel, accompagnés d'une purée patate-céleri rave-réglisse-sirop d'érable que j'avais préparée et d'un Saint-Joseph dû aux bons soins de Christophe Charpenel qui nous a photographiés sous toutes les coutures...


Lionel utilise deux boucleurs et quelques pédales d'effets, son saxophone étant sonorisé par une cellule. Moins sobre, j'ai utilisé, en plus de mes claviers, mes deux synthétiseurs russes en même temps, la Lyra-8 et The Pipe, jumelé deux Tenori-on, transformé le son de la shahi-baaja avec l'H9 d'Eventide, et soufflé, gratté, frotté, frappé toutes sortes d'instruments acoustiques. N'utilisant pour une fois aucun micro sensible, nous avons pu jouer sans casque, baignant dans le son grâce aux deux paires d'enceintes qui nous encerclent. Les Fictions de Borgès nous ont évidemment fortement inspirés et j'ai hâte maintenant de passer au mixage des deux heures récoltées. [...]


Enregistré mardi, mixé le lendemain, livré aujourd'hui vendredi !
En plus, cet album de 88 minutes est gratuit, libre à vous de l'écouter ou d'en télécharger les 12 pièces magiques enregistrées en duo avec le saxophoniste lyonnais Lionel Martin. Il y a d'une part l'histoire, le documentaire, comment nous nous sommes retrouvés au Studio GRRR sans nous être jamais rencontrés auparavant, et d'autre part les Fictions inspirées par la lecture du recueil de nouvelles de Jorge Luis Borges, autrement dit, la musique...

Mon blog est devenu un lien social important pour un compositeur professionnellement confiné à l'année, aussi la situation critique n'a pas changé grand chose si ce ne sont les sollicitations extérieures qui se sont raréfiées. De nombreux musiciens et musiciennes m'écrivent pour que nous nous rencontrions, en particulier les plus jeunes dont j'ai chroniqué les travaux dans cette colonne. Et puis on passe voir le dinosaure comme on lisait les histoires de l'Oncle Paul. Jouer ensemble est un mode de conversation privilégié qui permet d'entrer dans l'intimité de chacune et chacun, pudiquement, contrairement à certains de mes billets extimes. Passer une journée conviviale à improviser, sans les pressions financières ou de notoriété que la profession a installées malgré nous, faisant fi des frontières de styles, de générations ou de chapelles, offre de retrouver les raisons profondes de notre engagement, remontant loin dans l'enfance, dans l'enfance de l'art. De mon côté j'aime aussi solliciter les créateurs et créatrices qui m'impressionnent. Jeune homme, je montais au charbon et j'eus la chance de rencontrer mes héros d'alors, Frank Zappa, Sun Ra, George Harrison, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal et bien d'autres que j'interrogeais avec des étoiles dans les yeux. On est toujours bien reçu lorsqu'on pose les bonnes questions. [...]

J'avais donc chroniqué les duos de Lionel Martin et Mario Stantchev autour du précurseur du ragtime et du jazz, Louis Moreau Gottschalk, le disque des Tenors Madness ou ses récents solos in situ et j'avais été surpris que cet étonnant saxophoniste ne soit pas plus connu de ses congénères. Peut-être était-ce le fruit trop mûr de la ségrégation parisienne ? De plus, Lionel Martin avait monté son propre label de disques, Ouch !, onomatopée piquante rappelant mon mordant GRRR. Intérêt mutuel pour la bande dessinée et les images en général. S'il fait partie des fans du vinyle et de ses grandes pochettes offrant aux graphistes plus de liberté, tel son dernier illustré magnifiquement par Robert Combas, il sait s'adapter à toutes les situations, comme celle qui nous réunit ici, lui et moi, mais vous aussi.


Montant de Lyon à Paris, il apporta quelques spécialités culinaires de sa région, accompagné par le photographe Christophe Charpenel qui le suit partout en vue de son prochain album. La veille, après le dîner, comme je leur faisais visiter la maison et le studio, et que je demandai à Lionel s'il avait un choix thématique pour nos improvisations, que je préfère toujours appeler compositions instantanées, il sortit son livre de chevet actuel, le livre de Borges dont la lecture lui avait été suggérée par celle de la bande dessinée Perramus d'Alberto Breccia et Juan Sasturain. J'allais aussitôt chercher mon exemplaire dans la bibliothèque où sont rangés les romans. De mon côté je dois à Jean-André Fieschi la découverte en 1975 de cet auteur majeur qui influença tant d'artistes bien au delà du cercle littéraire, même si ma préférence argentine va à L'invention de Morel de son ami Adolfo Bioy Casares. Ils écrivirent d'ailleurs ensemble Six problèmes pour Don Isidro Parodi en 1942 (deux ans avant Fictions), Chroniques de Bustos Domecq en 1967, et Nouveaux contes de Bustos Domecq en 1977.


Comme chaque fois, c'est à la réécoute que je découvre ce que nous avons enregistré. Lors de l'enregistrement j'agis en somnambule, même si je dois assurer la technique de la séance. Et comme chaque fois, la rencontre me fait faire des choses que je n'ai jamais faites. Il faut souligner que là aussi je me fais de nouveaux amis tant la complicité se révèle fructueuse. Lionel avait choisi de se concentrer sur le ténor, un Keilwerth. Il apportera probablement soprano et baryton la prochaine fois, puisque nous avons prévu de vivre de nouvelles agapes avec le percussionniste Benjamin Flament. Ma proximité avec Sidney Bechet (j'avais cinq ans) l'a marqué durablement au point de glisser quelques notes de Petite Fleur dans l'une des pièces ! Je suis surpris du calme olympien de cet ancien punk qui tisse et trame nos fictions en rêveur éveillé. De mon côté, je joue évidemment des claviers, mais il y a tout de même un morceau où je n'utilise que mes deux synthés russes plutôt noisy, un autre où j'associe mes deux Tenori-on, ailleurs le générateur d'impulsions pour guimbarde, et tout un tas d'instruments acoustiques plus ou moins transformés par l'électronique.


Les phrases tirées au hasard dans Fictions ont poussé la musique vers ce réalisme magique, poésie du fantastique propre à l'écrivain argentin. Pour la petite histoire j'ai choisi les phrases des index impairs et Lionel les pairs. Pour la pochette j'ai retrouvé une photographie de ce que sont les nuages éclairés par la lune qui me semble bien coller à la suite de nos frasques : Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, Le jardin aux sentiers qui bifurquent, La loterie est une part essentielle du réel, Nos coutumes sont saturées de hasard, Une autre inquiétude se répandait dans les bas quartiers, Dormir c’est se distraire du monde, Le dialogue ambigü de quelques inconnus sur un quai, Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum, La visuelle et la tactile, À l’espoir éperdu succéda comme il est naturel une dépression excessive, Le nord magnétique, soit 88 minutes qui se terminent par un court Prologue.

→ Jean-Jacques Birgé & Lionel Martin, Fictions, GRRR 3105, en écoute et téléchargement gratuits

Photos © Christophe Charpenel


Je viens de recevoir FICTIONS, notre nouveau disque enregistré en duo avec le saxophoniste lyonnais Lionel Martin. La pochette peinte par Ella & Pitr, tendrement grinçante et drôlement abrasive à l'image de nos labels respectifs (Ouch! et GRRR), est éclatante. C'est toute une histoire. Ou plusieurs, allez savoir ! Épinglés comme des papillons sous enveloppe transparente, mais debout, étendus, serions-nous à l'abri du temps ? On doit aussi le magnifique travail sérigraphique à Geoffrey Grangé (L’Apothicaire), avec son rabat magnétique. Le vinyle sortira officiellement le 3 juin, mais on peut dores et déjà le commander sur le site de Ouch! Records ou Bandcamp. Il faudrait même mieux, parce que l'objet va devenir très vite collector, d'autant que son tirage numéroté est limité à 300 exemplaires. Quant à la musique, elle m'enchante. Rien à voir avec tout ce que j'ai fait jusqu'ici. Quasi méditative, même si elle est aussi riche et colorée que d'habitude, avec des différences de dynamique incroyables, elle transporte littéralement ! On me demande donc comment cela s'est passé...

[...]

J’ai traduit la phrase latine que l’on retrouve sur les macarons du disque : « de sorte que rien de ce que nous entendons… / … ne peut être répété avec les mêmes mots. » Et j’ai demandé à Ella & Pitr de réaliser la sérigraphie de la pochette pour laquelle ils ont eu toute liberté. Plus un artiste est libre, plus il se sent à l’aise pour créer. Cela s’entend, cela se lit, cela se voit !

→ Jean-Jacques Birgé & Lionel Martin, Fictions, LP OUCH! V0001/20, 35€
→ Jean-Jacques Birgé, Double CD Pique-nique au labo avec 28 autres invités, Disques GRRR, dist. Orkhêstra / Les Allumés du Jazz / Bandcamp
→ Jean-Jacques Birgé, CD Pique-nique au labo 3 avec 20 nouveaux invités, Disques GRRR, dist. Orkêstra et Les Allumés du Jazz, également sur Bandcamp

Articles des 12 et 14 mai 2021, ainsi que 12 mai 2022

lundi 20 novembre 2023

2 nouvelles chroniques dans Bad Alchemy


Deux articles de Rigobert Dittmann, pour la revue allemande Bad Alchemy, traduits tant bien que mal par mes soins, sur les deux albums virtuels les plus récents produits sur le label GRRR, dans la collection des Pique-nique au labo, dont on peut espérer une trace dans le prochain volume 4 sous format CD.

Le 8.10.23, Listen To The Quiet Plattfisk (digital), le 35e album de la série "Pique-nique au labo", est paru, piloté par les cartes Oblique Strategies. 'Retrace tes pas', 'Listen to the quiet voice', 'Make a sudden, destructive unpredictable action ; Incorporate' et 'Don't be frightened of cliches' furent les tâches, toujours un peu énigmatiques, auxquelles se sont attelés de bonne grâce ISABEL SÖRLING, voix, electronics & guitare électrique, MAËLLE DESBROSSES, violon alto, contrebasse, arbalète & voix, et JEAN-JACQUES BIRGÉ, claviers, synthétiseur, flûte, guimbardes & percussions. En guise de récompense, l'hôte sert chaque fois des mets délicieux qu'il cuisine lui-même. Cette fois-ci, il s'agissait de filets de poisson arrosés d'un délicat bouillon dashi et accompagnés d'une purée de carottes, panais, pommes de terre, radis et oignons à l'ail noir, le tout accompagné d'un sorbet carotte-orange-safran ou d'une glace à la vanille. La Suédoise, qui vit à Paris, a chanté Moondog au Cabaret Contemporain sur le label Sub Rosa, on a pu l'entendre avec Bribes 4 sur Coax Records, elle a également chanté dans Deep River avec Paul Lay et avec Anne Paceo/Shamanes. Desbrosses, fille de pharmacien de Châlons-sur-Saône, est passée du classique moderne au libre arbitre, par exemple dans Metéore avec Fanny Meteier (que Birgé a cuisiné le 30.5.23) ou avec Ouroboros. Lorsque Sörling se met à fredonner au son de la flûte, de la guimbarde et de la basse grognante, et que Birgé infiltre les pistes sonores en boucle sur un tintement hyper rapide, on se retrouve rapidement au fin fond de contrées fantastiques, enchantées par le chant et la harpe surrénale. Cette folktronique imaginaire est incroyablement facile à appréhender pour les trois musiciens, comme si les recettes étaient dans l'air, comme si la présence de Birgé suggérait une telle rêverie. Ou est-ce dû à sa magie électro particulière, avec laquelle il échantillonne, double, amortit et fait dériver les sons en jouant avec le vent ? La destruction se poursuit comme une cryptophonie bruitée s’affranchissant du temps, avec la petite parade d'une fanfare fantôme et le chant rêveur du vocodeur sur un pizzicato bien sonore. D'autant plus discordant est l'éloge des clichés, orchestré par un fantôme, parcouru par un jeu de basses couvant, mais finalement à nouveau doucement replié sur lui-même et haché par une voix d'ordinateur. [BA 122 Rigobert Dittmann]

Pour Fǔtur (digital), l'arabe 'futrun' (champignon) est une racine étymologique du français 'potiron' (citrouille). En effet, le 1er novembre, nous avons dégusté des tranches de potiron croustillantes avec de la crème aigre, une salade de radis, carottes et betteraves rouges avec du vinaigre de mûre et de l'huile d’amandons de pruneaux, et en dessert des pommes au four avec du sirop d'érable, de la glace et des sorbets. Mmmmm. JJB a partagé cela avec OLIVIA SCEMAMA et BRUNO DUCRET, qui avaient respectivement apporté un ukulélé basse électrique et un violoncelle, Ducret s'étant également emparé de la guitare de Birgé, du Cosmic Bow et du cornet, jouant de la lira calabraise et émettant des sons gutturaux, tandis que l'hôte a ajouté à ses claviers un Enner et un Terra, un Tenori-on, une flûte, une trompette à anche, une guimbarde, un harmonica et des percussions. Scemama, avec Tribalism3 et Wonderbach sur Coax, avec Masked Pickle sur Relative Pitch, et Bruno, le fils de Marc Ducret & Hélène Labarrière, en tant que partenaire de Maëlle Desbrosses dans Ouroboros et Abats, se sont révélés de "sérieux rigolos" lorsqu'ils ont joué ensemble 'Le principe d'incohérence', 'Humanisez un sans faute', 'Essayez de faire semblant !', 'Célèbre ton erreur comme une intention cachée', 'Vers l'insignifiant' et 'Distorsion du temps', les ayant pincés, caressés, transformés en sonorités, tintements et bruits. À travers Oblique Strategies, le fil rouge est devenu, pour reprendre les mots de JJB, que nous devons comprendre errare humanum comme une glorification de l'acte de création, en refusant tout désir de perfection. Le temps est presque suspendu, les sens sont ouverts en rêveur éveillé à tout ce qui se présente sans contrainte sur des pattes d'insectes ou d'oiseaux, des pas de lutins, lyrisme de violoncelle et de guitare, ficelle de tambour de bouche, avec des bridages d'harmonica et des tapotements trollesques, des grattages, des grincements de ukulélé basse. Avec des samples d'une voix qui compte, d'une voix qui s’agite, des croassements et des cris de Ducret. Courge ? Champignon de Paris ? Dans cet étrange Dreamscape, d'autres 'champignons' semblent être en jeu. [BA 122 Rigobert Dittmann]

vendredi 17 novembre 2023

La preuve par Poudingue


C'est aujourd'hui que sort officiellement le vinyle
LA PREUVE par POUDINGUE
avec sa magnifique pochette due à Étienne Mineur
et les chansons de Nicolas Chedmail, Frédéric Mainçon et Jean-Jacques Birgé
distribué par The Pusher
Sites de vente :
Dizonord
Discogs
Écoute sur Bandcamp

La preuve est un disque d’arrière-garde. La plupart de ceux qui l’ont inspiré sont morts ou rangés des voitures. De vieux ados y écorchent leurs anciennes amours. Ils témoignent d’une époque révolue, mais joyeusement assumée, digérée, recrachée. Tout était encore possible. Ou bien enfin possible. Le psychédélisme ouvrait les portes de la perception. Le romantisme n’était pas relégué à un mièvre formatage, soit un fromage sans croûte. Entamé il y a une dizaine d’années, le groupe Poudingue a de beaux restes. Ce sont les miettes du purgatoire.



La preuve est dans le pudding est une expression de Friedrich Engels qui signifie que la valeur, la qualité ou la vérité de quelque chose doit être jugée sur la base d'une expérience directe ou de ses résultats. L'expression est une modification d'un ancien dicton qui rend le sens un peu plus clair : la preuve du pudding, c'est qu'on le mange.

Concert à cinq le 1er décembre avec Élise Dabrowski, Mathias Lévy et...


À l'occasion de l'annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie les deux articles que j'avais écrits en mai 2019 pour l'album intitulé "?" que j'avais enregistré avec le violoniste Mathias Lévy et la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le sax ténor Lionel Martin et l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau.



[...] Tout a commencé hier matin. La contrebassiste et chanteuse Élise Dabrowski et le violoniste Mathias Lévy sont arrivés de bonne heure pour enregistrer un album en trio dans la journée. On papotait tellement que je me suis demandé si on aurait le temps de jouer. Et puis on a enchaîné 12 morceaux de plus de deux heures en tout, avant de se quitter en se promettant qu'il fallait qu'on se revoit bientôt. Ces séances que j'organise sont basées sur la passion de notre métier ou sur le métier que nous avons choisi et qui se confond avec notre passion. D'habitude les musiciens se rencontrent pour jouer, or depuis Urgent Meeting et Opération Blow Up en 1991-92 j'ai compris qu'il fallait que nous enregistrions ensemble pour nous rencontrer. Je fais en sorte que nous soyons le plus confortablement installés possible. Je prépare toujours le studio la veille, plaçant les micros, les casques, les espaces de chacun/e, mes propres instruments, le Mac Mini qui tient lieu d'enregistreur et le MacBook sur lequel je joue via mon nouveau clavier adapté aux applis de Native Instruments et aux plug-ins Eventide et GRM Tools, etc. Je prévois aussi de provisions de bouche lorsque je n'ai pas le temps de cuisiner. Il ne faut pas que j'oublie l'appareil-photo, car il est important de laisser une trace visuelle de notre aventure.
La journée de mardi s'est donc passée comme sur des roulettes. Nous étions ravis tant de la musique que de l'expérience, déconnectée des habitudes professionnelles et des nécessités alimentaires. La seule consigne était d'improviser le plus librement, sans aucun interdit ni préjugé. Cela signifie qu'il est autorisé de jouer en do majeur ou de tenir un rythme soutenu, ce que trop d'improvisateurs de free music s'interdisent, ce qui a le don de m'ennuyer plus que n'importe quoi. L'improvisation n'est pas un genre. C'est juste une manière de raccourcir le temps entre la composition et l'interprétation. Je rabâche, mais j'ai des lecteurs/trices qui prennent ce blog en route et qui ne sont pas coltinés [les 5500 articles que j'ai pondus depuis 18 ans] ! Nous nous sommes donc amusés comme des fous. Mathias Lévy a même joué du sax alto et du venova, c'est un soprano en ut en plastique, qu'il m'a empruntés, tout comme il a désossé mon archet de violon pour le glisser sous les cordes du sien. Élise Dabrowski a pioché dans les dictionnaires alignés derrière elle pour trouver les mots, découvrant l'analogique. J'ai reconnu du français, de l'anglais et de l'allemand. Les autres langues étaient peut-être inventées ? Nous n'avons rien réécouté le soir-même, préférant continuer à refaire le monde en nous interrogeant sur les absurdités de celui de la musique.
Mais le lendemain matin, c'est-à-dire hier, j'ai peaufiné le mixage des 139 minutes qu'on avait mises dans la boîte. Je fais peu de corrections. C'est aux musiciens de contrôler leur son en jouant, mais parfois quelques petits rééquilibrages s'imposent parce que nous jouons aux casques et qu'ils ne sont pas hermétiques. Le secret est de bien placer les micros. J'avais installé trois Shoeps (voix d'Élise, contrebasse, violon) et un Shure de proximité pour tous mes bidules. Mathias avait besoin d'un Neumann en plus pour se servir de temps en temps de son violon comme d'un cymbalum en frappant les cordes dans lesquelles il glisse des petits machins. J'ai nettoyé les deux ou trois pains dans le micro, soigné techniquement les débuts et les fins et masterisé l'ensemble. La nuit précédente j'avais déjà préparé la pochette un gros ? rouge suggéré par Élise comme j'avais proposé le titre Questions. Les thèmes des morceaux étaient donnés par le jeu des Oblique Strategies que j'utilise aussi en concert. Nous avons tiré les cartes à tour de rôle. En concert je demande au public de s'en charger ! Pour terminer j'ai répertorié l'instrumentation et le minutage pour chaque pièce, et j'ai francisé les titres en les rendant un peu plus sexy. L'album virtuel [est] en ligne, gratuit en écoute et téléchargement comme [98] autres dont on peut aussi profiter en aléatoire sur la radio qui en page d'accueil de drame.org !
[...] Terminer un album le lendemain de son enregistrement fait de moi le Lucky Luke de la production discographique. [...]


Voilà, comme promis, le nouvel album est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, et c'est le 77ème ! Questions regroupe 12 compositions instantanées enregistrées en trio avec Élise Dabrowski et Mathias Lévy. Élise joue de la contrebasse et elle chante sur presque tous les morceaux, idem au violon pour Mathias, sauf que sur C'est pour quand ? il m'a emprunté mon sax alto et mon venova, mais comme j'en profite pour l'harmoniser avec le H3000 son Ayler tourne au Kirk ! De mon côté j'enchaîne comme d'habitude quantité d'instruments que je choisis en fonction du récit à construire : claviers, synthétiseur, field recording, guimbardes, baudruche, flûtes, frein (c'est la contrebasse à tension variable construite par Bernard Vitet), radiophonie (plunderphoniocs pour les anglo-saxons), groowah et toulouhou (c'est le nom que leur donne Dan Moi), chimes, trompette à anche, Tenori-on, etc. Tirant à tour de rôle les cartes des Oblique Strategies inventées par Brian Eno et Peter Schmidt, nous avons imaginé Dans l’œuvre et hors d’œuvre, Dans quel ordre faites-vous les choses ?, À quoi pensez-vous juste à l’instant ?, Utilisez une couleur impossible, Essayez de faire semblant, Un bout seulement - pas tout, Avons-nous besoin de trous ?, Les mots nécessitent-ils de changer ?, Débarrassez-vous des ambiguïtés et convertissez-les en détails, Accumulation, Écoutez la voix douce...
Si le début peut sembler très free, progressivement se fait sentir l'influence des musiques populaires comme la pop, le jazz, le trad... En fin de séance les pièces s'allongent. Si nous pressions un CD, ce serait un double album avec ses 2h19. [...] Questions est en libre accès sous format mp3, mais [on le trouve] en AIFF sur Bandcamp. [Soixante-dix albums] du label GRRR y sont accessibles.
J'ai adoré l'ambiance de notre session. [...] Après les trois premiers morceaux nous avons fait une petite pause déjeuner. J'avais préparé des rillettes de saumon (je mixe le poisson cuit avec de la crème fraîche, du yaourt, du citron et des épices), des rillettes d'agneau de l'île d'Yeu au thym citron et du caviar d'aubergine aux grains de coriandre, accompagnés de gousses d'ail noir que je prépare moi-même [...] ! Mathias préférait le café tandis qu'Élise et moi avions opté pour un Tamaryokucha, un thé vert qui ne doit infuser que 40 secondes à 70°. Je pense que ce qu'on ingère influe aussi sur ce qu'on produit !

J'ai oublié de préciser que j'ai choisi ce point d'interrogation parce qu'il me rappelait à la fois le nez rouge de l'affiche de Yoyo (film de Pierre Étaix), le Taijitu (yin et yang sont dans un bateau, etc.) et le corps (pour parties ou dans le mouvement) !

Articles des 9 et 10 mai 2019

jeudi 16 novembre 2023

Harry Partch, la genèse


Dans quoi me suis-je lancé en acquérant le livre de Harry Partch, Genesis of A Music ? Peut-être que si l'ouvrage était en français mes paupières seraient moins lourdes. C'est pourtant passionnant, une plongée incroyable dans un univers qui finira par être découvert comme ce fut le cas pour Moondog qui influence tant de jeunes compositeurs aujourd'hui. J'imagine qu'on pourrait le glisser entre le Viking de la 6e Avenue et Conlon Nancarrow. Si le minimalisme et les rythmes de Moondog sont facilement transposables, comment négocier l'échelle musicale à 43 degrés (ou octave à 43 tons inégaux dérivée de la série des harmoniques naturelles) pour laquelle Harry Partch a construit tout un orchestre d'instruments sur mesures, de fabuleuses sculptures sonores ? Mon dernier synthétiseur, le Terra de Soma, est accordable selon les désirs du compositeur californien décédé en 1974 à l'âge de 73 ans, mais rien ne vaut les timbres des marimbas diamant, basse, Eroica ou Mazda, des chambres de nuages ou des pertes de guerre, du Zymo-Xyl ou de l'Eucal Blossom, de ses Chromélodéons ou du Mbira Bass Dyad.
Il y a deux ans j'avais republié deux articles que j'avais consacrés à Partch, découvert grâce à François qui travaillait au magasin d'importation de disques Givaudan, boulevard Saint-Germain. J'y évoquais, entre autres, l'extraordinaire spectacle présenté en 2016 à la Grande Halle de La Villette par Heiner Goebbels. Il s'agissait de l'opéra Delusion of The Fury dont le coffret m'avait sidéré à sa sortie en 1971. Quant à Nancarrow ces rouleaux pour pianos mécaniques ne sont pas non plus faciles à s'approprier pour en faire autre chose, et ses instruments sont à peine plus simples à faire voyager. Ces trois compositeurs américains sont des iconoclastes, des artistes véritablement indépendants. Et donc en 1949 Partch a publié un bouquin de 500 pages sur la musique microtonale, l'influence qu'eurent les musiques du monde sur cet autodidacte (hymnes chrétiens, berceuses chinoises, rituels des Indiens Yaqui ou du Congo, musique populaire cantonaise ou des vignobles d'Oklahoma...).
C'est la seconde édition de 1974 de Genesis of Music que j'ai entre les mains. Précurseur du théâtre musical, Partch a choisi de fondre l'écart entre les musiciens et les chanteurs, de les faire s'incarner, par la danse, les costumes et la lumière, soit la corporéalité contre l'abstraction. Dans le chapitre De l'Empereur Chun au Terrain vague il analyse en quelques pages les étapes majeures de l'Histoire de la musique, puis dans le suivant il aborde les tendances américaines. Mais il rentre vite dans le vif du sujet, la tonalité, l'accord, le tempérament. C'est précis, techniquement documenté. Une grosse partie du livre concerne la description de ses instruments et l'étude de six de ses pièces pour revenir à l'histoire de l'intonation. Son travail sur la microtonalité marquera John Cage, Steve Reich, mais aussi Tom Waits, The Residents ou Dr. John... Il existe deux disques où des musiciens créent une œuvre à part entière sur des instruments de Partch : Stranger to Stranger de Paul Simon en 2016, et précédemment l'album Weird Nightmare: Meditations on Mingus, produit en 1992 par Hal Willner avec Bill Frisell, Vernon Reid, Henry Rollins, Marc Ribot, Keith Richards, Charlie Watts, Don Byron, Henry Threadgill, Gary Lucas, Bobby Previte, Leonard Cohen, Diamanda Galás, Chuck D, Elvis Costello, etc.


Plus facile d'approche que le document exceptionnel que représente l'ouvrage théorique est la musique elle-même ! Ainsi ai-je récemment ajouté à ma collection de disques de Harry Partch deux CD sortis respectivement sur Bridge Records en 2014 et 2019, Plectra and Percussion Dances et Sonata Dementia, tous deux interprétés par un ensemble qui porte le nom du compositeur. Le premier fut conçu comme un triptyque avec Castor & Pollux, Ring Around The Moon (où une belle part est faite au récitant, préoccupation récurrente de Partch pour l'intégrer à l'ensemble) et Even Wild Horses. Jusqu'ici aucune n'avait été jouée correctement ou intégralement. Le second CD est encore plus étonnant, offrant des pièces inédites telles la partition d'un film expérimental, Windsong, ou la Sonata Dementia en trois mouvements : Abstraction & Delusion / Scherzo Schizophrenia / Allegro Paranoia. On retrouvera cet humour dans les paroles des chansons. Les 12 intrusions font entendre de magnifiques percussions et Ulysses at the Edge of the World fut écrit pour Chet Baker, mais jamais enregistré ! Le disque se termine sur un chant des Indiens d'Amérique diffusé par un rouleau en cire de 1904 et Barstow: Eight Hitchhikers’ Inscriptions chanté par Partch lui-même à la guitare sur huit graffiti d'autostoppeurs découverts dans la ville désertique de Barstow. Que vous connaissiez déjà sa musique ou que mon article vous y amène, ces disques sont deux petites merveilles.

mercredi 15 novembre 2023

Retour sur une extinction de voix


En relisant mon blog qui me tient lieu de mémoire, dans cet article du 10 novembre 2011 je découvre avec stupeur que mon extinction de voix du début de cette année n'était pas la première.

Lao Tseu l'a dit : il faut trouver la voix ! Hésitant à me laisser couper la tête pour connaître la vérité sur l'éclipse totale qui m'a rendu aphone, et préférant éviter les corticoïdes, j'ai opté pour la pharmacopée chinoise des Fils du Dragon, tisane Ganma Ocha et sirop de plantes naturelles Nin Jiom Pei Pa Koa puisque ni l'homéopathie, ni le Maxilase, ni le grog, ni le citron ne faisaient effet. Pas de remède miracle, mais une bonne dose de patience après cinq jours d'extinction vocale. J'avais seulement parlé toute une soirée chez des amis alors que je sortais d'un mal de gorge. Des qualités de l'Allemagne avec Patrick Beurard-Valdoye, des sortilèges de l'adolescence avec une mère désespérée, des cornichons sur la raclette... L'inflammation du larynx empêche mes cordes vocales de vibrer, du moins l'une d'entre elles. On aura tout entendu, je ne dis plus un mot pour ne pas les irriter, ni elles ni personne. Pas de provocation ! Si c'est absolument nécessaire je chuchote, mais les lieux publics occultent mes émissions. Je me terre.

Comme le lotus bleu ne me réussissait pas tant que ça, je googlise mon cas, mail et tchat sont un bon moyen de communiquer sans fatiguer mes cordes vocales, je tape, tape, tape jour et nuit. Un site suggère de faire bouillir sept minutes un bâton de cannelle et... On aurait presque envie d'y croire ! Une tasse, deux tasses, trois, je les bois, fais sonner doucement les basses, si mollement que pour l'instant c'est motus et bouche cousue. Respirer par le nez pour éviter les courants d'air, et surtout pas d'effort inutile. C'est comme un torticolis, on l'envenime à vouloir tester ses limites. Ne rien faire. Je suis toujours persuadé que si je tente la sieste le téléphone va sonner et me réveiller dans les cinq minutes. Bingo ! Le seul de l'après-midi alors que je venais de réussir à m'endormir. Je ne sais pourtant jamais si cela fait longtemps ou pas. Mais c'est pour la bonne cause, façon de parler, ce n'est pas son jour, je suis tout seul et Je fais semblant d'être un autre dans son silence. Bonne nouvelle, une facture va nous être réglée ! Plus moyen de me rendormir. Pour m'achever ou me requinquer je concocte un cocktail avec tout ce que l'on m'a conseillé depuis quelques jours. Pas d'imprudence. Je finis les pots puisque je ne suis pas sourd. Muet, je siffle, pratique le langage des signes et en tout cas m'isole. Trop bien ficelée cette affaire. Lorsque je fais mon Houdini en libérant quelques mots on me fait des compliments sur ma voix, chose qui ne m'arrive jamais en temps normal. Ne pas céder à la tentation. Surtout celle du Taoïsme qui sonne sophisme à mes oreilles. Accepter le sort sans perdre le nord. Direction Tourcoing, Lille, Ostende...

Problème inextricable, j'ai l'habitude de me relire à haute voix pour faire rouler les mots tel un tambour. Ce soir, mes phrases restent collées à la page comme des images pieuses.

mardi 14 novembre 2023

1+1=0


En 2000 Pierre Morize est venu me trouver pour composer en urgence la musique de son film 1+1 une histoire naturelle du sexe. Le généticien avait sonorisé son montage avec des extraits de John Lurie, mais deux passages sur cinq ne fonctionnaient pas du tout avec la musique du saxophoniste des Lounge Lizards et il tenait à préserver une unité, sans parler de la somme prohibitive exigée par l'éditeur pour les droits. C'est souvent grâce à ces deux obstacles qu'un film bénéficie d'une musique originale, parfaitement adaptée au contexte et moins onéreuse que des "morceaux choisis".

Comme je n'avais que trois semaines avant l'enregistrement dans les studios de l'INA je proposai de réunir un ensemble d'improvisateurs qui travailleraient d'après des schémas directeurs et des intentions dramatiques. Coup de chance, le guitariste Philippe Deschepper, le trombone Yves Robert et le batteur Éric Échampard étaient libres. Je cherchais un percussionniste, mais la façon de jouer d'Éric sur ses fûts s'apparentait aux effets recherchés, ce qui m'encouragera à faire ensuite appel à lui en concert comme en studio, toujours avec maestria et bonne humeur. Ce n'était pas aussi simple avec Yves qui avait fait un passage éclair au sein du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané en 1983, une apparition dans le projet Urgent Meeting en 1991 et enfin un magnifique solo face au piano mécanique dans le CD Machiavel en 1998. Mon admiration pour son jeu et son timbre me faisait chaque fois revenir à la charge, mais avec quelque appréhension. La musique allait être à la hauteur, mais j'eus du mal à digérer qu'il aille proposer ses services au réalisateur pour son prochain film pendant que j'avais le dos tourné. Quant à Philippe, une crème comme Éric, en 1992 je lui avais demandé de jouer des variations sur un thème que j'avais composé pour le film Chronique d'une banlieue ordinaire de Dominique Cabrera ; à partir de 1998 il participera à la dernière formation du Drame avec DJ Nem et Bernard Vitet [et en 2021 nous nous sommes retrouvés pour enregistrer l'album Exotica en trio avec François Corneloup]. J'emportai un synthétiseur et les flûtes en PVC construites par Bernard.


J'avais réuni les musiciens rêvés dans un studio idéal pour une musique dont j'étais extrêmement fier. Aussi fus-je abasourdi par le coup de téléphone du producteur allemand, absent jusque là, qui m'insulta brutalement sans que j'en comprenne la cause : "C'est la première fois que j'engage un compositeur, ce n'est pas la dernière, mais certainement pas avec vous..." Il me reprochait de n'avoir pas tenu mes engagements alors que je m'y étais strictement conformé comme je le fais toujours, le cahier des charges tenant lieu de partition. Déstabilisé, j'appelais tous les protagonistes. Le réalisateur avait comme par hasard disparu de la circulation et ne réapparaîtrait jamais ! Mes camarades de jeu me confirmèrent que rien ne pouvait justifier cette critique, idem pour le coproducteur, Jean-Pierre Mabille, alors responsable à l'INA et à qui j'avais dû mon retour à la réalisation en 1993, qui n'avait eu vent de rien et me conseilla de laisser pisser le mérinos. Une pénurie d'antidépresseurs avait-elle déclenché la crise de l'indélicat ? Je ne le saurai jamais. Il n'y eut aucune suite à ses accusations. Il me serra la main à la première comme si de rien n'était. J'avais pourtant été totalement détruit pendant plusieurs jours, me demandant quelle erreur j'avais bien pu commettre. Les artistes sont des personnes fragiles qui doutent au moindre nuage, même lorsqu'ils pensent être sûrs d'eux. Heureusement la musique était dans la boîte.

Je réalisai aussi le design sonore de l'interface du DVD-Rom, "gravé" sur l'autre face du DVD, qui avait été produit avec Hyptique, très beau concept d'interactivité Hyperfocus de Xavier Lemarchand servant un corpus de quatre heures, complément au film passionnant que j'avais adoré servir. Les Prix Möbius Sciences 2002, Prix Spécial du Jury Möbius International 2002 et Grand Prix Europrix Education/e-learning 2003 saluèrent d'ailleurs l'entreprise. Continuant l'immense travail réalisé parmi près de 300 heures d'archives [passées à 182 heures depuis !] je mets en ligne ce 33ème album inédit, en écoute et téléchargement gratuit, rassemblant les meilleures prises avec Philippe Deschepper, Éric Échampard et Yves Robert, 23 minutes en 12 index.

Article du 9 novembre 2011

lundi 13 novembre 2023

Instrumentarium


J'ai tout oublié. Pas le moindre souvenir de ce voyage à Amsterdam en 1980 où je retrouvai ma sœur Agnès et son mari Philippe qui prit une série de photos de nous tandis que je faisais des courses le long des canaux. Mes lourdes cosses de haricots géants que l'on secoue comme des maracas viennent donc de là. Pour son émission sur France Culture, Thomas Baumgartner me demande comment j'ai acquis mes deux petits pianos Michelsonne. Je suis incapable de lui répondre. Probablement cadeaux d'amis se détachant de leur enfance.

J'ai trouvé ma grande sanza et l'inanga de Haute-Volta à Stockholm, quelques unes de mes flûtes en Sicile ou rue de la Huchette comme mes orgues à bouche, des percussions latines à Helsinki, les bendirs, le tara et le deff à Marrakech, des guimbardes en Italie, au Vietnam, au Cambodge, la trompe et le bol tibétains au Népal, l'erhu à Bangkok, et mes parents m'ont rapporté l'anklung de Bali, la valiha de Madagascar, la maravan de l'île Maurice ou le didgeridoo d'Australie. J'ai commandé un bâton de pluie plus grand que moi à une sud-américaine. Je regrette qu'André Bissonnet, dit le Boucher, ait fermé boutique rue du Pas de la Mule, il nous laissait essayer des instruments incroyables pendant des heures, nous les vendant à un prix dérisoire en comparaison de ce qu'il les aurait cédés à un collectionneur. Je lui dois, entre autres, mon cornet en mi bémol, un saxhorn, le mélophone de Francis, mais c'est à Hélène qu'il a vendu une clarinette à coulisse et, depuis, j'en cherche une partout pour mes zigues. Bernard a construit d'innombrables prototypes. J'ai commandé pas mal de trucs sur Internet. Etcetéra. S'il y en a tant dont l'origine s'est effacée de ma mémoire, j'espère retrouver ma voix, mais pas comme dans Le Lotus Bleu ! Je veux garder ma tête qui ces temps-ci s'est fait plusieurs fois la belle, et ne pas rester aphone. La crève a produit une éclipse vocale quasi totale. [Cela m'était donc déjà arrivé ! Cela aussi j'avais oublié...] Je murmure à peine et tape, et tape, et tape sur mon clavier.

Agnès pense qu'ils m'avaient rejoint chez Joep et Susan qui m'hébergeaient. En mars 1980 ils habitaient encore une maison étroite toute en hauteur du vieux quartier dans une rue perpendiculaire au canal. Je les avais rencontrés grâce à Sheridan, une amie de Marianne, qui plus tard ouvrirait l'un des premiers cafés de Ménilmontant. Aucune trace de nos hôtes sur les photos de Philippe. Absents, nous auraient-ils prêté leur logement ? Je passai beaucoup temps sur leur gros harmonium perché au dernier étage. Il avait probablement fallu le hisser par l'extérieur grâce à la poulie surplombant la façade. Abandon des pratiques religieuses aidant, on en trouvait alors facilement aux Pays Bas. J'ai longtemps rêvé en rapporter un, mais cela aurait pris une place folle dans le studio. Encore aujourd'hui j'hésite. À le regretter ou à toujours le désirer ? Chaque fois que je peux improviser dessus ou sur de grandes orgues le vertige me donne des ailes.

Article du 8 novembre 2011

samedi 11 novembre 2023

Newsletter de novembre 2023


Cette quatrième newsletter de l'année est trop longue pour être reproduite ici. Résumons.

* Annonce du concert exceptionnel du vendredi 1er décembre (avec Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Lionel Martin, Gwennaëlle Roulleau)
* Sortie du vinyle La preuve du groupe de rock expérimental Poudingue (avec Nicolas Chedmail, Frédéric Mainçon, Benjamin Sanz - également en CD)
* 2 nouveaux albums inédits en ligne avec Isabel Sörling, Maëlle Desbrosses, Bruno Ducret, Olivia Scemama...
* Sortie du vinyle collectif In Fractured Silence sur le label du Souffle continu (avec Un Drame Musical Instantané, Hélène Sage, Nurse With Wound, Sema)
--------------------Et toujours--------------------
* Le CD Pique-nique au labo 3 (avec 20 musiciens/ciennes)
* Le LP mono-face Très toxique avec Un Drame Musical Instantané
* La publication en anglais de la BD Underground (où 6 pages et demie sont dédiées à mon travail)
* 70 albums dont beaucoup d'inédits sur Bandcamp (l'image ci-dessus)
* Radio Drame, la radio aléatoire de 182 heures non-stop
* 5500 articles sur ce Blog !

vendredi 10 novembre 2023

Deux disques de blues fantastiques


J'avais adoré The Devil’s Weight, le premier album d'Eric Mingus paru également sur le label de Lionel Martin, Ouch ! Ce disque est étonnamment et injustement resté confidentiel. Qu'à cela ne tienne, en voici un second, Dog Water, où le fils de Charles Mingus, collaborateur de Hal Willner, Elliott Sharp, Carla Bley, Wolfgang Puschnig ou Howard Johnson, s'accompagne d'une guitare électrique, véritablement électrique. Parfois il double sa magnifique voix de basse en enregistrant des harmonies chorales, ajoute un saxophone, un orgue, une basse, un banjo ou une percussion. Certains "fils de" profitent de la notoriété de leurs aînés, Eric Mingus n'en abuse pas et l'on peut se demander s'il n'a pas hérité des difficultés sociales rencontrées par son père, en plus de son émotion et d'un humour pince-sans-rire qui transparaît dans certaines chansons. La variété de tons qu'il y met les font ressembler à des courts métrages sonores où l'on perçoit souvent l'environnement narratif.



Eric Mingus écrit : « Contrairement au précédent qui a été fait en Europe, cet enregistrement marque mon retour aux États-Unis [réalisé dans son studio mobile, The Lost Realm, dans le calme du haut désert du Nouveau-Mexique]. Mon travail m’a obligé à voyager dans ce pays plus que je ne l’avais fait par le passé. C’est un travail de la route. Depuis le cimetière de mes ancêtres esclaves en Caroline du Nord sur une terre volée, jusqu’au lieu de naissance de mon père à Nogales en Arizona, des journées entières de conduite d’est en ouest à travers les États-Unis, attrapant des morceaux de l’historique et musicale Route 66. C’était un voyage pour comprendre ma connexion à ce lieu et à ma lignée plus profondément. » La belle pochette signée Nicolas Moog (dessinateur de la BD Underground) et Florent Decornet ne gâche rien.



J'écoute aussi souvent l'album Scar de Joe Henry. J'aime bien sa voix bluesy lancinante, mais c'est surtout pour la présence incroyable d'Ornette Coleman dans le premier morceau, Richard Pryor Adresses A Tearful Nation, où le saxophoniste jouit d'une extraordinaire liberté, y appliquant génialement son concept harmolodique. Or j'avais totalement oublié qu'il réapparaissait en index 7, Nico Lost One Smal Buddha. Ma surprise est encore plus grande quand débute la ghost track alors que le disque semble terminé. Près d'une dizaine de minutes avec Ornette presque seul. J'imagine que Joe Henry, en dehors de son admiration explicable, a dû payer chère la présence du saxophoniste qui, en 2001, avait alors 71 ans. Parmi les autres musiciens qui accompagnent Joe Henry on entend également Brad Mehldau, Me'shell Ndegéocello et Marc Ribot ! Scar reste mon préféré de Joe Henry. On se demande pourquoi.

→ Eric Mingus, Dog Water, Ouch! Records, LP 20€ (7€ en numérique), dist. Inouie, sortie le 24 novembre 2023
→ Joe Henry, Scar, CD Fontana Mammoth, 11,98€

jeudi 9 novembre 2023

Touché !


Sur son excellent blog, Beyond The Coda, Jean-Jacques Palix publie l’intégrale du manifeste de Radio NOVA de 1983.
La publication de ce Manifeste est un grand soulagement pour moi. Il s'appuie sur des dizaines de samples issus de la pièce "Crimes parfaits" d'Un Drame Musical Instantané publié sur le disque "A travail égal salaire égal" deux ans plus tôt. Je pratiquais ce type de montage radiophonique depuis mon film "La nuit du phoque" réalisé en 1974, film dans lequel jouait d'ailleurs Jean-Pierre Lentin. La boucle de Radio Nova qui passait préalablement la nuit intégrait déjà "M'enfin" de l'album "Rideau !", le précédent disque du Drame publié en 1980. Fadia Dimerdji est morte en 2015, juste avant de raconter comment avait été forgé le style de Radio Nova. Le Drame utilisait en outre des extraits de dialogues de film depuis 1977, dès son premier disque "Trop d'adrénaline nuit".
Quarante ans plus tard, cela fait chaud au cœur d'entendre ce document qui révèle comment les choses sont nées, témoignage extraordinaire de l'influence que j'ai pu avoir sur le style de Radio Nova que j'ai longtemps adoré, y reconnaissant souvent d'étonnantes concommittances.

Burroughs sur la piste Willner


Ecoutant Songs & Symphoniques - The Music of Moondog, excellente collaboration du Ghost Train Orchestra et du Kronos Quartet, je remarque que ce nouvel album est dédié à Hal Willner, comme le film Don't Look Up l'avait été il y a deux ans alors que mon producteur de disques préféré venait de mourir. Un mois après cet article du 4 octobre 2011, j'en remettrai une couche avec Littérature et musique pour ses albums autour d'Allen Ginsberg, Burroughs encore, Bob Homan, Edgar Poe...

J'ai suivi la piste Hal Willner, dans cette jungle peuplée de milliers d'albums. Un indice d'abord, le seul album sous son nom, bourré de samples de 78 tours des années 20, s'appelle Whoops, I'm an Indian. Reprendre la même recherche à intervalles plus ou moins réguliers ne produit pas les mêmes résultats. J'ai commencé en 1981 avec la compilation Amarcord Nino Rota avec Jaki Byard, Carla Bley, Bill Frisell, Muhal Richard Abrams, Steve Lacy, etc., et That's The Way I Feel Now: A Tribute to Thelonious Monk (1984) avec John Zorn, Peter Frampton, Dr John, Carla Bley, Steve Lacy, Randy Weston, Eugene Chadbourne, etc. De ce producteur spécialiste de compilations dont chaque contribution est un hommage, j'ai déjà évoqué ici Lost in the Stars: The Music of Kurt Weill (1985) avec Sting, Marianne Faithfull, Van Dyke Parks, Lou Reed, Tom Waits, Elliott Sharp, Charlie Haden, etc. et Weird Nightmare: Meditations on Mingus (1992) avec Bill Frisell, Vernon Reid, Henry Rollins, Keith Richards, Charlie Watts, Don Byron, Henry Threadgill, Gary Lucas, Bobby Previte, Leonard Cohen, Diamanda Galás, Chuck D, Elvis Costello sur des instruments de Harry Partch. J'aurais pu ajouter Stay Awake: Various Interpretations of Music from Vintage Disney Films (1988) avec Sun Ra, Sinéad O'Connor, Ringo Starr, Yma Sumac, Suzanne Vega, ou September Songs: The Music of Kurt Weill (1995) avec Nick Cave et P J Harvey... La distribution ressemble au trottoir de Sunset Boulevard ! Les étoiles apportent leurs tributs à l'édifice. Se succèdent Stormy Weather: The Music of Harold Arlen (2005), Rogue's Gallery: Pirate Ballads, Sea Songs, and Chanteys (2006), Harry Smith Project: Anthology of American Folk Music Revisited (2006) sans citer ses propres contributions à maints albums de ses invités... Il produit autant d'hommages live que d'étonnants albums, proposant aux artistes des rôles inattendus. Ses projets sont des remix inventifs où le passé et l'avenir se percutent en une série d'imprévisibles accidents. Ce chroniqueur encyclopédiste, jamais aussi bon qu'au service de ceux qu'il aime, dessine un portrait culturel de l'époque sans craindre de mêler les éléments populaires aux trucs les plus hirsutes.


En cherchant d'autres albums que son sublime travail sur Carl Stalling (avec Zorn en directeur artistique !) je tombe sur ses collaborations avec des écrivains, et en particulier deux albums avec William Burroughs, Dead City Radio (1990) avec un accompagnement de Sonic Youth, Donald Fagen, John Cale et d'autres, et Spare Ass Annie and Other Tales (1996) avec The Disposable Heroes of Hiphoprisy. Ah, que tous les amateurs de slam écoutent le flow de Burroughs, voix rugueuse et tranchante, portrait au couteau anticipant notre civilisation décadente, et le groove de Michael Franti et Rono Tse. Les citations classiques jouent les contrepoints en un mixage radiophonique pétillant d'à propos. J'ai commandé le premier, ainsi que The Lion For Real d'Allen Ginsberg avec Bill Frisell, Philip Glass, Paul McCartney, et deux autres CD contributifs, Leonard Cohen I'm Your Man et In With the Out Crowd de Bob Holman. En cherchant sur le Net on trouve la plupart pour moins de 8 euros. Closed on Account of Rabies (1997) d'Edgar Allan Poe avec Iggy Pop, Diamanda Galás, Abel Ferrara, Christopher Walken, Gabriel Byrne, Marianne Faithfull, Dr John, Jeff Buckley, semble plus dur à trouver à un prix raisonnable. J'aurais bien indexé chaque nom en hypertexte, mais il n'en resterait plus aucun qui ne soit pas souligné. Il serait temps de rendre hommage à son tour à ce touche-à-tout effervescent.

mercredi 8 novembre 2023

Myotis V d'Anthony Laguerre


Un disque consacré à la percussion contemporaine peut faire peur. Aridité et vacarme supposés. Depuis Ionisation de Varèse créé en 1933 sous la baguette de Nicolas Slonimsky, on sait bien qu'il n'en est rien. Myotis V que Anthony Laguerre a composé pour les Percussions de Strasbourg en est une radieuse manifestation. La musique alterne entre des pianissimi, si délicats qu'au premier index je me suis demandé si c'était le plateau du CD qui tournait, et des tutti généreux qui tirent vers l'électro ou la batucada. Cette alternance est extrêmement intéressante, car elle permet d'affûter ses oreilles, de les préparer au chaos de timbres, de les reposer, et ainsi de suite. Les quatre percussionnistes ont leurs instruments amplifiés, Laguerre diffuse des sons électroniques ou des voix lointaines. L'écoute est particulièrement agréable, ce dont on a plutôt l'habitude avec des disques style Nature & Découverte. Ici rien de soporifique ou d'énervant, mais une impression vivifiante qui s'appelle reviens.



→ Anthony Laguerre & Les Percussions de Strasbourg, Myotis V, CD Serotine 15€ (en digital sur Bancamp, 7€), sortie le 10 novembre 2023

mardi 7 novembre 2023

Les ailes du désir


Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin) est le chef d'œuvre de Wim Wenders. Ce magnifique poème cinématographique en noir et blanc doit beaucoup à Jean Cocteau. Le choix d'Henri Alekan qui avait fait la lumière de La belle et la bête a probablement été une évidence. Les voix intérieures sont autant de messages énigmatiques que des reflets du réel, le montage est découpé comme des bouts rimés, ces anges profanes sont plus humains que les hommes, ils traversent les murs comme ils planent dans le ciel au-dessus de Berlin, la musique soutient leur bienveillance, les vieux savent ce qu'ils doivent à l'enfance...
La partition sonore, mélange de confessions murmurées en voix off, valse, rock, chœurs contemporains, parade de cirque, quatuor à cordes shönbergien, bruits du monde, nous fait planer au-dessus de la ville encerclée. L'apparition d'un plan en couleurs renforce la poésie du noir et blanc, ce noir et blanc dont Orson Welles disait qu'il suffisait d'enlever un paramètre à la réalité pour entrer en poésie. Wenders fait naître la couleur de l'amour, il troque un rêve pour un autre, boy meets girl, un ange l'un pour l'autre. Le film est sorti en 1987, deux ans avant la chute du Mur. Les traces de la Seconde Guerre Mondiale sont encore présentes. Terrain vague, l'Allemagne ne s'en est pas encore remise. Depuis le tournage, ceux qui l'ont vécue ont disparu. Wenders mêle les images d'archives à des reconstitutions. Le passé est présent. Le futur est à l'œuvre. Plein d'une rare tendresse. Les dialogues laissent paraître ici et là un poème de Peter Handke sur l'enfance. C'est un film sans âge, un rêve de passage que l'amour autorise. Pour une fois le titre français est plus beau que l'original.


L'ange Damiel interprété plein de retenue par Bruno Ganz assiste à un concert de Nick Cave. C'est le Berlin mythique des années 80. Peter Falk, acteur de Cassavetes et Inspecteur Colombo, parle anglais. Solveig Dommartin, révélée par le film, français. Je parle allemand et je ne suis encore jamais allé à Berlin, mais Les ailes du désir résonnent particulièrement en moi, parce qu'Henri Alekan fut mon professeur à l'Idhec, un homme charmant, attentif, passionné jusqu'à la fin (et je me souviens aussi évidemment de son électricien, Louis Cochet), parce que ma fille fut longtemps trapéziste et que là-haut elle incarnait un ange avec ses ailes toutes blanches, parce que je ne cesse de lever les yeux vers le ciel ou de regarder les hommes depuis la Lune, parce que je reste un fidèle admirateur de Cocteau et que le cinématographe est mon langage, surtout dans ma musique.


Le nouveau master bénéficie d'une image 4K, toute en contrastes, telle qu'Alekan l'avait imaginée. J'aimerais lui annoncer la nouvelle, comme Peter Falk tendant la main vers un fantôme devant une baraque à frites, car il nous a quittés il y a plus de vingt ans. Pour cette superbe restauration Wenders est reparti des négatifs. Les suppléments offrent un entretien avec Wim Wenders sur ce sujet, des scènes coupées avec accompagnement musical ou un commentaire du réalisateur, un vol en hélicoptère au-dessus de Berlin, une scène de tournage avec Peter Falk, Wenders nous fait visiter la ville qui a tellement changé depuis le tournage, et puis la nouvelle bande-annonce. Le coffret ultra-collector nous gratifie en plus d'un livre de 208 pages, illustré de 35 photos exclusives, avec le scénario en français et un texte passionnant de Wenders de 2017, trente ans après sa réalisation.

→ Wim Wenders, Les Ailes du désir, coffret Carlotta Ultra Collector - 4K UHD + Blu-ray + Livre, 55€ (20€ Blu-Ray seul, 25€ 4K UHD)

lundi 6 novembre 2023

Fǔtur par Birgé Ducret Scemama


Étymologiquement le mot potiron pourrait venir de l'arabe fǔtur « champignon », par l'intermédiaire des médecins juifs ou arabes (ref. Le Grand Robert) ! Le menu du déjeuner nous donnait ainsi une perspective d'avenir après les enregistrements de la matinée. J'avais cuisiné des tranches de potimarron croustillantes et crème sûre d'après une recette d'Ottolenghi, précédées d'une salade radis-carotte-betterave au vinaigre de mûre et huile de pruneau, et suivies de pommes au four au sirop d'érable, glaces et sorbets comme de coutume. Olivia Scemama était venue avec un ukulélé basse électrique et Bruno Ducret avec son violoncelle. Formule légère en regard de mon imposant attirail. C'est tout l'avantage d'enregistrer [comme] à la maison, le Studio GRRR y attenant, tout en rendant les séances fondamentalement confortables et chaleureuses. On me demande souvent comment se fait-il que les albums enregistrés en une journée, en conservant l'ordre des morceaux et en ne coupant rien ou pas grand chose, soient si réussis. L'atmosphère conviviale, la confiance mutuelle et la qualité de mes invités y sont pour beaucoup. Puisque je crois toujours à l'authenticité et à l'excellence des premières prises en cas de musique écrite, il n'y a pas de raison pour que nos compositions instantanées ne bénéficient pas des mêmes éléments. Dans tous les cas, il s'agit de bien préparer avant de se lancer. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les sons pour le jouer vous viennent aisément. Ainsi j'installe le studio chaque fois en fonction des musiciens et musiciennes qui se joignent à moi, plaçant les micros lorsqu'ils sont prêts, et roulez jeunesse ! Le lendemain je normalise toutes les pistes pour une mise à plat qui me permettra de les équilibrer. Le mixage est un moment important, mais je l'exécute toujours dans un état fébrile, quasi hypnotique, proche de celui de la veille. Les niveaux participent grandement à l'architecture de chaque pièce. J'ai l'impression de sculpter la matière, même si mes camarades m'ont mâché le travail.


Encore une fois mes invités ont choisi de tirer le thème de nos improvisations avec les cartes Oblique Strategies de Brian Eno et Peter Schmidt plutôt que celles de Dixit ou s'inspirer d'une œuvre picturale ou photographique. Exceptionnellement, la veille, comme j'étais aux fourneaux, j'avais préparé l'image de couverture et trouvé le titre de circonstance, le sens et la phonétique validant nos choix. Il restait à faire la photo de ce nouveau trio lors de la pause déjeuner. Pour décor, Olivia et Bruno ont choisi les couleurs de la cuisine qui collaient avec mon accoutrement et l'orange et bleu de la "pochette". La matin nous avons enregistré Le principe d'incohérence, Humanisez quelque chose dépourvue d'erreur, Essayez de faire semblant ! et l'après-midi Célèbre ton erreur comme une intention cachée, Vers l'insignifiant, Distorsion du temps. On notera l'étonnante cohésion de l'ensemble des titres, renforçant l'idée qu'il faut entendre errare humanum est comme une glorification de l'acte de création en rejetant toute velléité de perfection. Bernard Vitet insistait toujours sur la nécessité non d'être original, mais personnel, en assumant, à ce degré d'excellence, que ce sont les erreurs qui font le style.
Quant à la musique produite, je n'en suis pas encore revenu ! Comme toujours plusieurs écoutes sont nécessaires avant que je sois capable de l'analyser. Elle me donne le vertige. Je me laisse aller à la rêverie, au voyage. Les cartes ne sont qu'un prétexte. Le texte est là, à nos oreilles. Même si la fête des confiseurs m'est totalement étrangère, le potimarron de l'AMAP tombait à pic le lendemain d'Halloween. Mes deux compagnons furent de sérieux farceurs. Encore une fois nous avons bien ri de nos élucubrations sonores. Olivia avait choisi un instrument idéal pour voyager. Elle en transformait le timbre grâce à une ribambelle de pédales d'effets. J'ajoutai ici et là un peu de H3000 et le délai aléatoire du Cosmos. Bruno m'emprunta une guitare, le cosmic bow et mon cornet en mi bémol, il joua de sa lira calabraise et il chanta de sa belle voix grave éraillée, avec sons diphoniques, voire triphoniques à la clef. En plus de mes claviers (Komplete, Roli, VFX, VSynth), j'utilisai les machines diaboliques de Soma (Enner, Terra, The Pipe), le Tenori-on et divers instruments acoustiques tels la flûte, la trompette à anche, des guimbardes, des harmonicas et des percussions. L'ensemble donne l'impression symphonique que j'ai toujours recherchée. Évidemment le violoncelle et la basse plongent dans le grave, mais ils refont aussitôt surface tandis que je chausse mes palmes (tout sauf académiques). Et plus ça va, plus ça arrache !

→ Birgé Ducret Scemama, Fǔtur, en écoute et et téléchargement gratuits sur drame.org, également sur Bandcamp

dimanche 5 novembre 2023

Un ami, qu'est-ce que c'est ?


Un vaut pour une. J'ai autant d'amies que d'amis. J'ai longtemps pensé en avoir autant que de doigts. Avec le temps j'ai compris que mon côté shivaïste polymathe me permettait d'en ajouter sur plusieurs bras. Probablement faut-il vieillir pour apprendre à les reconnaître. Par contre j'en perds toujours un ou une chaque année, mais j'en regagne autant, peut-être plus. La mort et la distance n'en sont pas. Mais un ami, une amie, qu'est-ce que c'est vraiment ? Et qu'est-ce qui différencie l'amitié de l'amour ?
Il me semble que l'amitié est une histoire de confiance et de fidélité. Un ami est quelqu'un à qui l'on peut tout dire, les pensées les plus inavouables parfois. Il ne vous juge pas, ne vous épargne pas non plus. Un ami vous parle et vous écoute. Il vous lit entre les lignes. Il connaît d'autres visages que celui que vous avez forgé pour vous conforter à la dureté du social. Il lui arrive même de soupçonner le je qui est un autre. J'en ai connu qui traversait la France, vous sachant en difficulté, ou la ville à pied pour vous remonter le moral, vous apporter une soupe chaude ou vous remonter les bretelles. Autodidacte, n'ayant jamais suivi de thérapie, j'ai toujours exprimé ce que sans œufs, sans ailes, je ne serais pas là. With a little help from my friends. J'espère seulement être à la hauteur quand vient mon tour de les secourir. Il n'y a pas que les coups durs. Il y a aussi la fête, le bonheur partagé, la joie comme si c'était la sienne.
À propos d'amitié, j'espère bien que vous serez là le 1er décembre au Café de Paris. Mes sorties sur scène sont si rares et la musique qui m'habite est si importante pour moi. C'est un portrait caché, la révélation d'une cire à fond perdu, un moment qu'on adorerait partager, avoir été présent quand c'est ce qui vous tient debout et vous permet de mettre un pied devant l'autre chaque matin. Pas besoin de mots des parents ou de votre employeur si vous ne pourrez vous joindre à nous, mais vous raterez une expérience mémorable, d'autant que c'est un spectacle où votre participation est déterminante. Je compte sur vous !
L'amour n'est pas si différent. Il repose autant sur la confiance. C'est à cette aune qu'on peut l'identifier. La fidélité est plus complexe si l'on n'est pas adepte du polyamour. Disons qu'elle ne dure que le temps de cette merveilleuse rencontre, lorsque la complicité fait de vous une meilleure personne. En ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir su transformer en amitié la plupart de mes amours passés. Il me semble que ce qui différencie ce qu'on appelle l'amour de l'amitié est la sexualité qui s'y ajoute. Il y a des amours platoniques, mais ce n'est pas ma tasse de thé. Cela ne m'empêche pas de vous aimer, de vous aimer très fort, de vous aimer passionnément. Cela équilibre la brutalité et l'absurdité du monde des animaux dénaturés auquel nous participons hélas.
Merci d'avance ou déjà à toutes celles et tous ceux qui ont la gentillesse de me souhaiter mon anniversaire, j'en suis très touché !

vendredi 3 novembre 2023

Des centaines de films canadiens en accès libre


Formidable coup de projecteur sur la production cinématographique du Canada, l'ONF met en ligne près de 2000 films en accès libre, documentaires, productions interactives, films d'animation et de fiction. Pour couronner le tout une application gratuite pour iPhone ou iPad offre le même panorama avec la possibilité de sauvegarder pour 48 heures son choix de manière à le visionner plus tard hors ligne.
La recherche est très claire, par genre, format, année, durée, par sujet ou cinéaste. Des chaînes virtuelles proposent des thématiques : biographies, arts, classiques, jeunesse, espace vert, grands enjeux, animation, les inclassables, tour du monde, histoire, peuples autochtones, HD et même 3D à condition de posséder les lunettes adéquates. La production canadienne est exceptionnelle, des films d'animation de Norman McLaren aux documentaires de Claude Jutra, Gilles Groulx, Pierre Perrault, en passant par maintes fictions à l'accent québecois très apprécié par les "Français de France" ! J'ai trouvé ainsi des documentaires de Denys Arcand, d'autres sur Robert Lepage, des dessins animés dont je gardais d'excellents souvenirs comme Le chat colla... / The Cat Came Back de Cordell Barker que l'on peut savourer en français ou en anglais. Un simple clic sur le nom du réalisateur permet de découvrir ses autres films. Et grâce au champ "Recherche" j'ai trouvé plusieurs films mis en musique par René Lussier ou Jean Derome. Le catalogue complet compte 13 000 productions auxquelles on aura seulement accès par abonnement.


L'opération Code-barre, fruit d'un partenariat avec Arte, présente 100 films réalisés par 30 réalisateurs sur les objets qui nous entourent ; chaque film conte l'histoire de l'un d'eux. Il suffit de présenter son code-barre devant la webcam de son ordinateur ou entrer son code chiffré pour lancer la projection. On peut aussi tout simplement taper son nom et le court-métrage démarre !

Article du 31 octobre 2011

jeudi 2 novembre 2023

Les chaussons rouges



Attention, spoiler dans le premier paragraphe ! Pour les non-anglophones, un spoiler révèle l'intrigue en gâchant le plaisir de la découverte, ce que j'évite d'habitude...

Dans l'entretien que Thelma Schoonmaker livre en bonus au sublime film de son mari, le cinéaste Michael Powell, et de son éternel coéquiper Emeric Pressburger, elle passe totalement à côté de l'impact féministe des Chaussons rouges. Elle ne voit dans le suicide de l'héroïne que l'intégrité absolue de l'artiste alors qu'il s'agit aussi du sacrifice que les hommes exigent des femmes. Le producteur-metteur en scène Lermontov accule sa danseuse étoile à la mort, plutôt que de la laisser vivre sa double vie, de femme et d'artiste. Son mari, le compositeur Julian Crasner, ne respecte pas plus la carrière de sa femme en ne privilégiant que la sienne. La dévotion à l'art au détriment des individus est clairement analysée par Powell & Pressburger. Ils montrent aussi comment les hommes s'arrangent entre eux, le producteur achetant le silence du compositeur à qui il suggère de renoncer à faire valoir ses droits lorsqu'il est honteusement pillé par son professeur. Le ballet des Chaussons rouges est une métaphore de l'emballement des protagonistes et de l'inéluctabilité du processus.


La somptuosité du Technicolor de Jack Cardiff retrouvé grâce à la restauration du nouveau master, l'interprétation exemplaire de Moira Shearer (la mère aveugle du Voyeur, mais qui se pensait danseuse plutôt que comédienne) et Anton Walbrook (le "bon" Allemand du Colonel Blimp) et la construction dramatique ont influencé nombreux cinéastes américains tels Martin Scorsese (Thelma est la monteuse de tous ses films depuis Raging Bull), Francis Ford Coppola, Brian de Palma ou George Romero. Darren Aronofsky s'en est largement inspiré pour son Black Swan, "cliché machiste de l'univers de la danse assez tape-à-l'œil" tranchant avec la maestria des deux Britanniques.


Pour les amateurs de ballets classiques Les chaussons rouges est le must absolu, d'autant qu'y dansent Leonide Massine, chorégraphe des Ballets Russes de Diaghilev, et la danseuse étoile Ludmila Tcherina, artiste polymorphe très atypique. Le DVD édité par Carlotta offre également deux documentaires, une évocation américaine redondante du tournage et une analyse réussie du ballet par Nicolas Ripoche, réalisateur maison, plus la comparaison par Scorsese du film avant et après restauration.

Depuis cet article du 26 octobre 2011, je m'aperçois que l'édition Blu-Ray ou DVD est à 10€ !

mercredi 1 novembre 2023

La mort pas encore


Douze ans après cet article du 18 octobre 2011, rien n'a vraiment changé. Je suis pour l'instant passé au travers, prenant à bras le corps les mauvaises nouvelles pour les retourner comme un gant. J'ai finalement accepté que l'âge ne signifie pas grand chose si ce n'est qu'on est vivant.

[À l'époque] la question de la mort [était] réapparue au moment de m'endormir ou parfois au réveil. Question sans réponse que Charles Ives accompagne tandis que je louvoie. L'angoisse n'a que peu d'intérêt tant la peur de mourir oblitère le temps de vivre. S'y complaire c'est lâcher la proie pour l'ombre. La plongée dans l'abîme est peine perdue. Chaque mort qui survient me rappelle que je suis vivant ; lorsque les mauvaises nouvelles s'éteindront c'est que mon tour sera venu ; j'en arrive à souhaiter en connaître d'innombrables.
Ayant longtemps dit que je préférais l'enterrement à l'incinération, je me rends compte que cela n'affectera que celles et ceux qui me survivront. À moi peu me chaut. Je ne suis sûr de rien, mais certain que les versions en vigueur chez les croyants ne tiennent pas la route. Le calcul de probabilité ne joue pas en leur faveur. Si je ne crois pas, je ne sais pas non plus. Accepter l'inconnu comme conceptualiser l'infini, plus ou moins, tendrement, tendre vers plus ou moins l'infini. Les mathématiques sont d'une aide précieuse.


Lorsque je sens monter le vertige de l'inconnu je m'imagine illico à Sarajevo fin 1993. C'est dans la ville assiégée que j'ai résolu mon problème avec la mort, c'est du moins ce que je feins de croire. En quelques secondes mon cœur reprend un rythme régulier et le calme le dessus. Je me souviens. On pouvait mourir à n'importe quel instant. Il suffisait que l'obus tombe ici plutôt que là. En me projetant dans le passé j'entends qu'aucun obus ne vient s'abattre où je suis, ici, maintenant. Mon heure n'a pas sonné. Il est trop tôt pour s'inquiéter et si je vis assez vieux j'espère m'en aller tranquillement, rassasié. La mort fait obstacle à ma curiosité, cet appétit de vivre et d'apprendre, une boulimie suspecte qui brûle les stops et confond l'utile et le vain dans l'accumulation.
Aux jeunes gens je répète qu'il est trop tôt pour s'en inquiéter. Encore qu'avec les vieux ils sont les seuls à traverser la rue sans regarder. Les uns ont fini par s'en ficher, les autres n'en ont pas encore conscience. Sauf accident ce n'est pas dans l'ordre des choses. La mort est parfois injuste lorsqu'elle est prématurée ou douloureuse, mais toutes et tous sont égaux devant elle. J'espère que l'on meure lorsque l'on en a marre de vivre. L'angoisse qui montre le bout de son nez vient peut-être des rares moments où je suis fatigué. Comme des signes avant-coureurs. Quand mon corps se relâche, sous la fièvre, et que je n'ai plus envie de penser. La course contre la montre, entendre qu'on la montre, ne mène nulle part, ici ou ailleurs. Et le spectre de se fondre dans les mots.