70 décembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 29 décembre 2023

Toni Tani, roi délirant du mambo japonais


Ladies and Gentlemen and Ottosan okkasan ! This is Mister Toni Tani zansu ! Difficile de trouver des informations sur les chanteurs japonais du siècle dernier lorsque l'on ne parle ni ne lit la langue. Comme sur place, il faut apprendre à deviner. Il y a vingt ans [en 1990] j'avais recopié sur cassette un disque de Toni Tani (トニー谷), sorte de Spike Jones du soleil levant, comédien et chanteur populaire dans les années 50 qui mélangeait mambo, cha-cha-cha, musique traditionnelle, effets sonores et une tchatche de marchand à la sauvette. Il s'accompagnait souvent d'un soroban (boulier japonais) en guise de percussion.


J'ai toujours adoré les comiques que j'appelle les chanteurs du dimanche matin : Bobby Lapointe, Dario Moreno, Spike Jones ou Toni Tani me collent une pêche incroyable. Malheureusement l'album Saizansu World Of Tony Tani n'est trouvable qu'à un prix [souvent] prohibitif, mais on peut découvrir quelques morceaux en fouillant YouTube [Ma fille Elsa reprend celui-ci avec le Spat' sonore dans le spectacle Des madeleines dans la galaxie !]...

Article du 23 décembre 2011

jeudi 28 décembre 2023

Patience


J'écris ces lignes comme un jeu de patience, luttant contre le temps qui ne file tout à coup pas assez vite. C'est aussi stérile que regarder une jauge sur l'écran d'un ordi. Les minutes semblent prises de hoquets, telle la bille dans le cylindre. On la pensait là, elle rebondit. Le cadran de la roulette s'ovalise, il devient mou comme une anamorphose de Figueras. Je sors le Yi Jing, le nouveau dont la couverture est bleue, revu par Pierre Faure ; j'ai définitivement remisé le vieux Wilhelm, beaucoup trop mystique et imprécis. J'étais bien sur la voie, celle aussi de la patience, mais je reviens de loin. Cela explique probablement pourquoi je suis incapable de procrastiner, encore que certaines démarches administratives soient sans cesse repoussées. Y aurait-il une coïncidence avec la peur ? Sauter du haut de la falaise plutôt que se ronger les freins, devancer l'appel.
Et puis il y a mes impatiences, le syndrome des jambes sans repos. Cela peut devenir une torture au théâtre. Depuis l'acquisition du Theragun j'arrive à les faire passer, mais je ne vais pas me masser les mollets en public, cela fait tout de même un peu de bruit et l'objet inquiéterait les spectateurs ! Peut-être que cela apparaît lorsque je résiste au sommeil, par crainte de me réveiller au milieu de la nuit et ne pas réussir à me rendormir.
La Bruyère avait-il raison lorsqu'il écrivit "Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop éloignés à qui s'y prépare par la patience." ? Oui et non. C'est comme les miracles, ils ne surviennent que si l'on y travaille. Je me rappelle chaque fois la fin de Au pied de la lettre dans Trop d'adrénaline nuit, le premier vinyle d'Un Drame Musical Instantané enregistré en 1977. Sans que nous nous soyons concertés, sans que nous n'ayons rien prévu puisque nous étions en pleine improvisation, je clame "Tout homme détient dans ses mains son destin", extrait du scénario inédit Lignes de la main de Jean Vigo, tandis que Bernard prononce la phrase de Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard", exactement en même temps, et le bras du tourne-disque de se lever, puisqu'ainsi finissait la face A. Alors j'ai simplement retourné le disque... Et tout en est soudainement bouleversé.

N.B.: le photogramme de La vie est à nous de Jean Renoir où Léon Larive fait des yeux ronds illustre la pochette de Trop d'adrénaline nuit. Quant à "un drame musical instantané", il faut entendre drame au sens théâtral, et non dramatique, d'autant que drame musical est la traduction de melodrama, soit l'opéra en italien. Cela peut donc bien être une comédie !

mercredi 27 décembre 2023

À notre place


Je relis cet article du 5 décembre 2011 à la lumière des douze années passées. Il est nécessaire de le resituer dans son contexte. Depuis, l'espoir est venu des artistes tandis que les médias s'enfonçaient majoritairement dans la banalité kleenex de l'audimat. Les jeunes musiciens sont beaucoup moins fascinés par les États Unis qu'ils ne l'étaient alors, assumant leurs racines multiples. Par contre, la place que la presse leur octroie ressemble à une peau de chagrin. Un journaliste de Télérama qui souhaitait écrire sur mon dernier concert s'est vu répondre que c'était "trop pointu" alors qu'il y a vingt ans je pouvais y avoir deux pages et il y a encore quatre ans me retrouver gratifié d'un "Beau Geste". L'espace consacré à l'art se voit considérablement étouffé par celui de la culture (je pense à Jean-Luc Godard qui avançait que la culture est la règle et l'art est l'exception). La barbarie ambiante aurait pourtant bien besoin des contrefeux de la sensibilité et de l'intelligence que seules la poésie incisive, la création critique et l'imagination débordante exposent.

Un artiste peut-il éviter de se poser la question de ses origines, entendre ici culturelles ? En 2007, pour le magazine Poptronics, j'avais développé le discours de la méthode qui m'est cher pour réaliser un pop'lab intitulé L'étincelle. Illustré et sonorisé, il préfigurait en cela mon roman La corde à linge paru [alors] sur publie.net [inaccessible depuis, comme mon second roman, USA 1968 deux enfants, qui pourrait être bientôt réédité sous format papier avec QR codes].

Discutant toujours avec le même ami journaliste, interlocuteur privilégié de Après le disque, ma lettre à la presse papier, et de mon article La presse jazz enterre son avenir, je m'interrogeai une fois de plus sur le rôle de la presse, ses responsabilités et ses démissions. Qu'elle soit spécialisée, ici musicale, ou généraliste dans ses pages culture, elle sert le plus souvent de vecteur de promotion à l'industrie culturelle [le plus souvent] américaine, ou, plus largement, anglo-saxonne. Les colonisés qui jouent du jazz comme à New York ou du rock comme à Londres se retrouvent parfaitement dans cette collaboration inconsciente qui encense leurs idoles, porte-drapeau de l'envahisseur. Mais qu'en est-il des artistes qui cherchent leur voix en composant avec toutes les influences subies, autant celles de leurs amours de jeunesse (comment aurions-nous pu échapper aux vagues du jazz, du rock, du rap ou de la techno ?) que de plus profondes, qui nous enracinent dans nos terroirs, ou matures, qui nous font nous interroger sur celles-ci ?

La chanson française ou les musiques classique et contemporaine n'ont-elles pas pour moi autant d'importance que les rythmes adoptés outre-atlantique ? Ils furent en effet importés directement d'Afrique, parfois avec escale aux Antilles ou en Amérique du Sud, et non issus de leurs propres terroirs, génocide indien oblige. Les esclaves ont payé leur tribut au nouveau monde. L'impérialisme culturel américain, un terme qui fait sans doute vieux jeu alors qu'il reflète plus que jamais la réalité, a annexé cet apport noir pour mieux conquérir le reste du monde. Je pense à ces bataillons "de couleur" qui ne se mélangeaient pas aux blancs pendant la seconde guerre mondiale. Car le jazz est arrivé en Europe avec l'armée de libération, en 1917 d'abord, en 44 ensuite, rapidement devenue d'occupation. Le swing s'est installé à grand renfort de dollars, ce qui n'enlève rien à ses qualités artistiques, mais fait regretter que ce soit au détriment des autres styles en vigueur. L'anglais, ici comme ailleurs, est devenu un nouvel espéranto.

Loin de moi l'idée de quelque protectionnisme comme il est pratiqué aux États Unis à l'égard de ce qui vient de l'extérieur, mais le besoin d'affirmer la part européenne, française ou parisienne qui est la mienne, comme celle de ma culture juive, pourquoi pas, tant que cela reste culturel et n'empiète pas sur la séparation de l'église et de l'État [ou ne sert pas à justifier le génocide commis actuellement par les criminels au pouvoir en Israël]. Les Européens, qu'ils composent de la musique populaire, entre autres des chansons, ou de la musique savante (que nous serions tentés d'appeler impopulaire [à l'instar de Robert Wyatt, bien mal en point ces derniers temps, lorsqu'il évoquait sa propre musique] !), doivent autant à Vienne qu'à Berlin, à Rome qu'à Barcelone, à Paris qu'à Lisbonne. Si Zappa, Cage, Ives, Ayler, Miles ou les Beatles ont pu m'influencer, ne suis-je également l'héritier de Berlioz, Debussy, Satie, Poulenc, Varèse, Kosma, Ferré ou Gainsbourg ? Mais aussi de Bach et Schönberg, Verdi et Granados, Weill et Rota... D'autres camarades pourraient tout aussi bien revendiquer les influences d'Afrique du nord ou d'Afrique centrale, des Antilles ou de certaines régions d'Asie, de la Corse ou de la Bretagne, tant l'hexagone est constitué d'une mozaïque de cultures, traces coloniales, invasions assimilées, diversité intégrée. Or nos revues musicales n'ont d'oreille que pour ce qui se décline en anglais, essentiellement soutenu par l'industrie culturelle américaine. [Ma critique des couves de Jazz Mag me vaut d'y être totalement interdit depuis une quinzaine d'années, drôle de conception du rôle de la presse !] On me fait remarquer que les petits Français ont leur place dans leurs colonnes, mais ce ne sont que des strapontins (si ma référence n'était pas sévèrement connotée j'ajouterais que leur infiltration tient de la cinquième colonne). Face au pouvoir hégémonique de l'Amérique, n'est-ce pas légitime de chercher à réfléchir sincèrement le paysage musical français et européen ? Les revues en question se trompent-elles de fonction ou manquent-elles d'ambition ? [Il existe heureusement des foyers de résistance comme le Journal des Allumés du Jazz ou le site Citizen Jazz qui étend sa curiosité à toute l'Europe. Tous deux sont d'accès gratuit !]

Le rôle de la presse est d'orienter le débat, de lancer des courants, de forcer la main des paresseux, d'ouvrir les oreilles de plus en plus formatées. En 1920, Henri Collet lança le Groupe des Six qui n'avaient pourtant pas grand chose de commun. En 1957, en nommant La Nouvelle Vague, Françoise Giroud dans L'Express rassemblait de jeunes cinéastes qui ne se ressemblaient guère. Je ne sais pas qui a baptisé la French Touch, mais combien de jeunes musiciens se sont enfoncés dans cette brèche et ont profité de l'aubaine ? [Il y a dix ans j'avais tenté de promouvoir "les Affranchis", mais pour que cela prenne il eut fallu que cela ne vienne pas de moi, m'a avoué un journaliste du magazine honteux qui fait l'impasse sur tout mon travail !] La presse ne peut se contenter de compter les points ou, pire, d'en donner. Elle doit prendre parti, générer des mouvements, s'investir dans l'action. La chanson française est animée de sursauts, les musiques improvisées issues des nouvelles traditions européennes ont généré quantité de ramifications, les musiques traditionnelles sont en perpétuelle révolution, les contemporains réexploitent enfin leurs origines au lieu de se fondre dans le même moule, mais les journalistes tardent à comprendre les enjeux dont ils sont les rapporteurs auprès du grand public à défaut d'en être les initiateurs.

Alors que l'on nous imposait de gré ou de force une constitution européenne basée uniquement sur les échanges marchands, ne devrait-on pas développer une Europe des cultures ? Du solide, en comparaison des tours de passe-passe financiers. De l'amitié entre les peuples, pour de vrai. Au menu, hors d'œuvres à volonté, spécialités locales, plateau de fromages et farandole des desserts ! Il n'est jamais trop tard pour se ressaisir, regarder ce qui se trame autour de soi pour composer sans ségrégation avec ce qui nous est envoyé par-dessus l'océan. Que l'on désire danser ou écouter dans le recueillement, nous avons le choix. Arrêtons de prendre sans cesse les États Unis pour modèle avant qu'ils ne s'écroulent, ou soutenons leurs résistances, autant boycottées que les nôtres. À nous de jouer !

Photo origine inconnue

mardi 26 décembre 2023

Improvisações Cristalizadas de Nuno Rebelo


J'ai la chance de connaître des amis curieux de fouiller dans les bacs virtuels de la Toile discographique en quête de musiques bizarres méconnues. Chaque jour David Fenech y met le nez et publie. De temps en temps Jean-Jacques Palix s'y colle. Cette fois Sacha Gattino me suggère d'écouter un disque du Portugais Nuno Rebelo enregistré en 1989-1990, masterisé en 2019 et finalement sorti cette année. Improvisações Cristalizadas se rapproche à la fois des pianos mécaniques de Conlon Nancarrow et des timbres rythmés de Harry Partch, avec l'exquise petite raideur des logiciels de l'époque. En effet, ces 21 courtes pièces électroniques ont toutes été enregistrées sur le logiciel Steinberg Pro24 installé sur un ordinateur Atari 1040ST, les sons provenant exclusivement de deux synthétiseurs Yamaha, le TX81ZX et le TG55. C'est le même matériel que nous utilisions dans Un drame musical instantané avec Francis Gorgé dans ces années-là. Hélas les fonctions aléatoires qui permettaient des variations infinies ont disparu un jour de Cubase après qu'il ait remplacé Pro24. Nous mélangions souvent le résultat avec d'autres instruments, tandis que Rebelo ne se sert de rien d'autre. En fait, en amont il improvise un petit truc sur le clavier midi d'un Mirage Ensoniq pour s'inspirer ensuite de la méthode initiée par J.S. Bach et utilisée par Schönberg, renversant la mélodie, la rétrogradant, rétrogradant le renversement et transposant tout cela ! Il attribue des timbres amusants, plutôt percussifs, à toutes ces voix. Et voilà le travail !
Plus tard Nuno Rebelo jouera avec d'autres musiciens adeptes de ce qu'on appelle bizarrement l'improvisation libre tels Peter Kowald, Shelley Hirsch, Damo Suzuki, Le Quan Ninh, Eric M, Carlos Zingaro, Jean-Marc Montera, DJ Olive, etc. J'ai toujours trouvé bizarre d'appeler improvisation "libre" des musiques où toute mélodie consonante ou rythme dansant est interdit, encore que certains des musiciens cités s'y autorisent heureusement de temps en temps ! Ce guitariste autodidacte participera aussi à des groupes à géométrie variable dirigés par Evan Parker, John Zorn ou Fred Frith, et composera pour Philippe Genty, François Confino et de gros évènements. Il est certain que ses études d'architecture lui auront été profitables pour composer ces petites pièces montées comme lorsque, enfants, nous jouions au Meccano, spécialité d'un autre pervertisseur de ces drôles de machines, l'ami Pierre Bastien.

→ Nuno Rebelo, Improvisações Cristalizadas, LP/CD Holuzam, sur Bandcamp, LP 24€ / CD 12€ / numérique 10€

lundi 25 décembre 2023

Le MUR de Saint-Étienne


Le MUR de Saint-Étienne est un support d'affichage de trois mètres sur huit installé par la ville pour l'association dont les artistes Ella & Pitr sont les programmateurs depuis sa création il y a plus de dix ans, avec bien d'autres qui leur prêtent main forte. Chaque mois ils invitent donc un artiste à l'occuper. Si Ella & Pitr sont là bénévoles, les artistes perçoivent de la mairie une petite rétribution. Parfois ce sont les élèves d'une école qui s'y collent comme ce mois-ci ceux de maternelle et primaire de l'école Marcel Pagnol à La Ricamarie, une commune du département de la Loire. Le MUR est situé rue du Frère Maras à "St-É", au dos de la Bourse du Travail (sur la photo on aperçoit l'ancienne école des Beaux-Arts), tout près de l'atelier du couple stéphanois. Au bas de cette même rue, en face des nouvelles Halles Mazérat, c'est aussi "la rue des gâteaux" où ils collent des affiches avec gâteaux aux anniversaires de leurs potes. Ils ont sous-titré cette opération "Un collage par mois pour la santé publique". Depuis des années Ella & Pitr exposent leurs œuvres gratuitement dans la rue et vendent leurs toiles via la Galerie Le Feuvre & Roze, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Ce grand écart leur permet de vivre en restant libres de leurs facéties picturales ou autres, car ils adorent sortir du cadre. Depuis plusieurs mois ils travaillent à un spectacle scénographique dont la première aura lieu à la Comédie de Saint-Étienne à l'automne prochain. Au sein de leur site web ils ont aussi ouvert une boutique en ligne, Superbalais, où l'on trouve leurs livres et des DVD, des T-shirts et des sweats, des skateboards et des puzzles, des savons et des briquets, des flip-books et des sérigraphies... Il y en a pour toutes les bourses.
J'évoque le MUR de ce mois-ci parce que, comme tout le monde, j'adore la créativité des petits. M'étant demandé pourquoi cette aptitude disparaissait avec l'âge, dans les années 70 j'avais initié un cours de musique pour les enfants à partir de 3 ans. Tous n'étaient pas forcément enclins à pratiquer des instruments de musique, certains préféraient par exemple dessiner, mais je remarquai que leur imagination s'évanouissait essentiellement à partir de 6 ans, soit à l'entrée en primaire, lorsque les réponses arrivent avant les questions.


On peut imaginer que c'est en peignant Tony avec ses deux marionnettes de doigts sur la façade de l'école de la Ricamarie que l'idée de proposer le MUR à ces enfants de maternelle et primaire leur est venue. Pour cette cent-trentième affiche, ce n'est pas la première fois que des artistes en herbe s'y collent et pas la dernière. Ils avaient commencé il y a longtemps avec leurs propres enfants quand ils étaient tout petits et d'autres élèves d'écoles sont depuis intervenus sur le MUR. Pour l'année à venir, il est question qu'il y ait parmi leurs invités les Papotins, ainsi que des autistes et des handicapés. Ils continueront également à collaborer avec des écoles situées en ZEP (zone d'éducation populaire).

vendredi 22 décembre 2023

Un traditionnel remplace l'infrarouge


Il y a un mois la pluie s'infiltrant par le toit du sauna infrarouge situé au fond du jardin a grillé la centrale électrique. J'ai eu beau cherché partout, il me fut impossible de la remplacer. Alors, plutôt qu'un bricolage hasardeux ou un remplacement de l'ensemble, j'ai choisi de le transformer en sauna traditionnel avec un poêle électrique chauffant des pierres de lave. Conservant la cabine, il suffisait apparemment de le brancher. Le couvreur interviendra bientôt au-dessus et je donnerai les dix lampes infrarouges à Nicolas qui souhaite en installer un sur sa péniche.
J'ai donc choisi ce qui se fait mieux dans le genre, un Tylö, mais ce n'était pas aussi simple que cela. Nordique France, qui importe ces poêles de Suède, impose des conditions techniques réglementaires pour valider la garantie. Or ma cabine a une hauteur de moins d'1,90m, mon câble électrique n'est pas rouge bien que sa section soit de 6mm² ; quant à la ventilation j'en ai découvert les spécifications qu'après avoir été chercher l'objet à Épône (pour m'éviter 250€ de livraison, 17kg plus 20kg de pierres). Éric a fait un trou avec une scie cloche pour l'aération, Frédéric a changé le disjoncteur de 20A pour un 32A, et hop, je peux cuire !
Je dis cuire parce que cela ne produit pas du tout le même effet qu'avec les lampes infrarouges qui donnaient l'impression de bronzer au soleil. Ses 66° chauffaient le corps en surface tandis que le traditionnel monte à plus de 80° et agit en profondeur. L'infrarouge est recommandé pour les cardiaques, ce qui n'est pas mon cas. Dans le nouveau on reste beaucoup moins longtemps. Je me douche à l'eau froide toutes les cinq minutes et je ne dépasse pas trois passages. En Finlande des mabouls font des compétitions à 110°, quitte à y rester ! Le record à cette température est de 3 minutes 46 secondes. C'est tellement débile qu'on dirait un jeu de la télévision japonaise. À 80° on sue quasiment tout de suite. Éric et Juliette m'ont offert seau, louche, sablier, thermomètre, hygromètre, et de mon côté j'ai commandé des produits d'entretien, diverses huiles essentielles aux parfums de montagne et une lampe USB aux couleurs programmables. Nous voilà parés pour l'hiver qui a commencé hier !

jeudi 21 décembre 2023

Kassandra de François-Bernard Mâche


Je pédalais au deuxième étage en suivant le coach vidéographié sur un sentier enneigé près de Fairbanks en Alaska. Pneus larges, épreuve fractionnée. Identifiant sur Shazam la musique diffusée par le poste de radio placé devant moi sur un pupitre pour musicien géant, je découvre qu'il s'agit de Kassandra de François-Bernard Mâche, compositeur indépendant qui m'a souvent étonné. Le mélange de sons enregistrés avec les 14 musiciens de l'Ensemble Instrumental du Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Boris de Vinogradov m'est extrêmement familier. C'est le même orchestre qui créa La Bourse et la vie d'Un drame musical instantané en 1985 en même temps qu'une pièce de Vinogradov et une de Charles Ives, mon compositeur fétiche avec Varèse.


Mais nous sommes en 1977. Mâche a alors 42 ans, il en a 88 aujourd'hui. Impression que j'aurais pu écrire cette pièce. Les bruits de la nature (orage, ruisseau, feu), les voix de langues rares (kannada, grec, amharique, tibétain, géorgien, fidjien, telugu et basque), les instruments exotiques (mandouras, pungis, surnas bataks, shanaïs indiens, magrounas) ou anciens (cervelas, cromornes, bombardes, hautbois du Poitou) se mêlent à l'écriture contemporaine. C'est extrêmement vivant. Le naturalisme de sa future zoomusicologie s'y déploie magiquement. Si je l'avais entendue alors, et c'est peut-être le cas, cela m'aurait fortement influencé. Ou bien je partage tout simplement ce goût pour l'encyclopédisme. Ancrer la musique actuelle dans l'histoire du monde, tant géographiquement qu'historiquement. Un mille-feuilles quantique. Kassandra est suivi par une pièce d'Alvin Lucier et un des derniers quatuors de Beethoven. Cela me réconcilie un peu avec Radio Libertaire qui a également remplacé son jingle insupportable par une annonce simple et courte.
Le reste de la journée consiste essentiellement à régler des questions d'intendance. Tracasseries administratives, les impôts, la banque, l'assurance, aspirer les feuilles tant qu'elles sont sèches, faire raccorder le nouveau poêle dans le sauna, courir après le plombier et le couvreur, travailler mes instruments, répéter le texte que je devrai interpréter en m'accompagnant musicalement à la mi-janvier à Montpellier, annoncer la première du nouveau cycle de concerts enregistrés en public dans le studio, cela s'appellera Apéro Labo, pas plus de 30 spectateurs, et puis écrire, heureusement. Réécouter tout de même Kassandra depuis le début.

mercredi 20 décembre 2023

Cantique de la racaille


Vincent Ravalec réalise de drôles de films. Des courts métrages souvent provocateurs. Il y en a sept en bonus sur le Blu-Ray que publie Doriane Films avec son long métrage de 1998, Cantique de la racaille. Au départ, c'est un livre qui lui vaut le premier Prix de Flore en 1994, une sorte de Goncourt un peu plus gonflé. Pour d'autres il est aussi scénariste ou parolier (Marc Lavoine, Johnny Hallyday, Julien Clerc). Il a monté sa maison de production de cinéma, Les Films du garage. On ne compte plus les romans, les nouvelles, les essais, les articles de presse, les bandes dessinées, les poèmes, les bandes dessinées, les réalisations en réalité virtuelle. Je ne connaissais rien de lui. C'est une surprise.


Le personnage principal joué par Yvan Attal me fait penser à La vérité si je mens de Thomas Gilou, mais c'est surtout Jean-Pierre Mocky qui me vient à l'esprit, sauf que c'est nettement mieux réalisé. Ravalec travaille beaucoup en amont. Le lieu de chaque scène est soigneusement choisi. Le montage est rythmé. Je ne peux m'empêcher de me référer aussi à Marco Ferreri ou Claude Faraldo, des anars sans aucun doute. La distribution est étonnante : Yann Collette, Samy Naceri, Marc Lavoine, Claire Nebout, Jean-Louis Richard, Brigitte Sy, Denis Lavant, Marilyne Canto, Olivier Gourmet, Élodie Bouchez, Olivier Marchal, Jean-Pierre Daroussin, Sylvie Testud, Marianne Denicourt, Charlotte Gainsbourg, Roger Knobelspiess, etc. Le choix de Virginie Lanoue pour jouer l'ingénue face au magouilleur qui rêve de grandeur, une sorte de Bernard Tapie, déroute au début et finit par s'imposer. Le documentaire sur le film renforce mon impression. On est sur la corde raide, mais le fildefériste réussit finalement sa traversée. Les courts dépotaient déjà, déconseillés aux âmes sensibles : Le masseur, Les mots de l'amour, Never Twice, Par-delà l'ère glaciaire, Conséquences de la réalité des morts, Portrait des hommes qui se branlent... Brutalité de la misère sexuelle, du trompe-la-mort, du trompe-la-vie... Sexe, drogue & rock'n roll !

→ Vincent Ravalec, Cantique de la racaille et autres films, DVD+Blu-Ray Doriane Films, 20€

mardi 19 décembre 2023

Valse Brume


L'avenir est incertain. C'est ce qui le caractérise. Les accidents n'arrivent jamais d'où on les attend. Ce n'est pas le cas des miracles, qui parfois se font attendre. La brume se dissipe avec les premiers rayons de soleil. L'ère romantique se calquait sur les heures du jour. C'était rassurant. Tout dépendait tout de même où l'on plaçait la nuit. Avant ou après ? Avant, et après. C'est le propre des cycles, porteurs de tout ce qui vit. Up, down, un petit trot. Le son, la lumière, le sang, l'histoire, la vie, le ciel... Rien n'y échappe. Faut faire avec. C'est rassurant et ça fait peur. Tout dépend de la place du curseur. Si ça monte ou descend. La forme de l'onde peut nous être fatale. Colline ou falaise, la dégringolade ou la grimpette n'exigent pas les mêmes aptitudes. J'ai coupé l'onde en bas de ma photo pour simuler un tableau. Ou son évocation. Mets de l'huile, petit homme ! Les mots n'ont jamais qu'un sens. En les découpant, en bougeant la césure, en les déshabillant de leur costume trop bien taillé, des évidences jaillissent, or ce ne sont que des énigmes. Rien ne sert de les renverser, l'inconscient ignore les contraires. L'interprétation est bien la clef de notre réalité. Puisque la vérité on ne peut la dire, toute. Il m'arrive ainsi d'écrire pour ne rien dire. Ni pour occuper l'espace, ni pour n'avoir rien à dire, bien au contraire. La pudeur, le doute, la prudence, le secret, la surprise, la honte, cette peur, que sais-je ? Rien. That is the question. Alors on dit qui vivra verra ou l'on chante que sera sera. Il y autant de bonnes chansons que de fausses réponses. On prend comme ça vient, on donne comme on peut. On espère, l'on s'y perd. Laisse aller, c'est une valse. La curiosité recouvre les attentes d'un nuage de paillettes, une couche de givre qui rend magique le gel de la distance. Ça fondra un jour ou l'autre, puisqu'on s'en rapproche inéluctablement. Question d'heure, ou d'heures. Tout est possible, même l'impossible. C'est merveilleux et terrible à la fois parce qu'on y pense. C'est merveilleux ou terrible selon les fois parce que c'est ainsi que les hommes vivent. Je n'y comprendrai jamais rien, mais ce ne sera pas faute d'avoir essayé.

lundi 18 décembre 2023

Labyrinthe d'une ligne


Imaginer la musique concrète de ses débuts avec les instruments et le savoir d'aujourd'hui tout en improvisant aboutit à une sorte de science-fiction musicale où le temps est pulvérisé tant à son abscisse qu'à son ordonnée. Dans l'espace de l'instant, le passé est recomposé pour conjuguer l'avenir. C'est le pari réussi de Labyrinthe d'une ligne, projet rassemblant Xavier Garcia (échantillonneur, ordinateur), Lionel Marchetti (magnétophone à bande, textes), Caroline Gesret et Laura Tejeda Martin (voix). À l'origine, un texte poétique et la matière sonore, un texte sur la matière que les musiciens malaxent à leur gré, selon les représentations. Les instruments actuels permettent le temps réel, le jeu physique, alors que la musique concrète de Pierre Schaeffer se cuisinait en laboratoire. Les voix tricotent avec le bruit des machines qui, à leur tour, les passent à la moulinette. Ça gratte, frotte, grince, roule, tape et retombe lourdement avant de retrouver la légèreté de l'écoute. Va-et-vient. Silence. Cris et chuchotements, parlé et chanté, les voix sont comme les sons de la matière noire, d'une richesse narguant le réel. Labyrinthe d'une ligne est un disque de musique concrète fondamentalement de maintenant. Héritage et grand écart.

Labyrinthe d'une ligne, CD Arfi, dist. Inouïe, 13,60€, sortie le 19 janvier 2024

vendredi 15 décembre 2023

Moger Orchestra


Le Moger Orchestra se revendique d'un melting pot œcuménique le plus sympathique, jazz, folk, pop-rock, musique improvisée et spoken word, avec des paroles anglophones sur des thèmes de la sorcellerie et du dérèglement climatique. De plus, il fait le choix très politique de composer collectivement, quitte à confier les arrangements au chanteur-bassiste Dylan James, au batteur Nicolas Pointard, à la guitariste Christelle Séry, à la violoncelliste Pauline Willerval. Pour constituer cet octuor, on appréciera tout autant les saxophonistes Sakina Abdou à l'alto et Régis Bunel au baryton, le clarinettiste basse Étienne Cabaret et la violoniste Floriane Le Pottier. Les ensembles laissent de la place aux voix solistes. On sent l'aventure humaine derrière l'entreprise orchestrale. Les textes de Griselda Drouet et Dylan James fonctionnent bien avec ce pop-rock formellement progressif qui rappelle de loin les années 70 de Carla Bley et Michael Mantler période The Hapless Child quand les jazzmen s'ouvraient à l'électricité, s'inspirant des courants alternatifs du monde entier. There Must Be A passage fait du bien, parce que ces chansons rappellent de vieux souvenirs tout en assumant une stature actuelle qui ne baisse pas les bras, mais se lève ou se relève pour affronter un avenir bien incertain. Oui, c'est une musique pleine d'allant, positive, fermement volontaire, aux couleurs de la résistance. Ce n'est pas un hasard si cela se passe en Centre Bretagne. C'est bien à l'ouest de notre territoire que les consciences s'aiguisent.


→ Moger Orchestra, There Must Be A passage, CD Musiques Têtues, dist. L'autre distribution, également sur Bandcamp

jeudi 14 décembre 2023

Barbe-Bleue de Bartók par Michael Powell


Michael Powell est un de mes cinéastes préférés. Épaté par tous ses films, je le considère l'équivalent anglais de Jean Renoir, à l'égal de Jacques Becker ou Jean Grémillon. J'ai écrit des articles sur Les chaussons rouges, Colonel Blimp et classé I Know Where I'm going parmi mes 20 films résonnants, mais j'aurais pu aussi bien m'étendre sur Peeping Tom (Le voyeur), Black Narcissus, A Matter of Life and Death, Le voleur de Bagdad, 49th Parallel, A Canterbury Tale, The Edge of the World et bien d'autres. Je croyais les avoir tous vus, lorsque je découvre que Powell a filmé l'unique opéra de Béla Bartók, en Allemagne, après le scandale de Peeping Tom, un diamant noir qui l'obligea à s'exiler. Plus tard Coppola lui offrira même de diriger les Studios Zoetrope et il épousera à la fin de sa vie Thelma Schoonmaker, monteuse notamment des films de Scorsese. Son autobiographie en deux tomes, Une vie dans le cinéma et Million Dollar Movie, est carrément sensationnelle.


Son adaptation du Château de Barbe Bleue est une merveille, rêve ou cauchemar en couleurs, c'est peu de le dire tant la couleur et l'abstraction des décors nous entraînent dans les profondeurs de deux névroses, Barbe-Bleue évidemment qui ne peut se détacher de ses précédentes femmes, et Judith, jalouse qui le forcera à ouvrir la septième porte, quitte à s'y condamner. Le livret original de Bela Balazs était en hongrois, mais la version interprétée par le baryton-basse Norman Foster (qui a produit le film) et la soprano Ana Raquel Satre (qui ressemble aux autres héroïnes de Powell) est chantée en allemand. Une seconde piste, forcément désynchronisée, peut s'écouter en anglais, et Powell a choisi de résumer plutôt que de tout traduire pour les sous-titres anglais. Je possédais une version vidéo récente de cet opéra d'une heure, qui figure parmi mes préférés également, mis en scène par Krzysztof Warlikowski avec John Relya et Ekaterina Gubanova sous la direction d'Esa-Pekka Salonen. Celle de Powell, tournée en 1964, bénéficie des décors néoprimitifs de Hein Heckroth qui avait réalisé, du temps des Archers où Powell cosignait tous ses films en duo avec Emeric Pressburger, ceux de Une question de vie ou de mort, Le narcisse noir, Les Chaussons rouges, The Small Back Room, The Elusive Pimpernel, Gone To Earth, Oh ! Rosalinda ! et les Contes d'Hoffman.


Or justement, Bertrand Tavernier, grand admirateur de Michael Powell, considère ce film réalisé pour la télévision allemande comme le lien manquant entre les Contes d'Hoffman et Peeping Tom. Pour lui "il combine l'incroyable inventivité visuelle, les décors surréalistes du premier et la rigueur morale, le ton péremptoire, inéluctable et pourtant profondément compatissant du second. Barbe-Bleue est le frère jumeau de Mark. Tous deux vivent dans un univers de mort et de désolation, hantés par les souvenirs terrifiants de leurs crimes et de leurs rêves brisés. Les fleurs et les nuages sont teintés de sang comme les images filmées par Karl Boehm ou les bandes magnétiques sur lesquelles il enregistrait les cris de ses victimes et ses propres cris d'effroi. Dans ce monde funèbre, les victimes semblent attendre leur destin ou le mettre en scène."
Ma seule réserve tient à la langue allemande qui fait perdre les intonations hongroises sur lesquelles Bartók appuie sa composition. Cela comptait énormément pour lui. Il voulait faire chanter la langue parlée, comme Debussy le fit avec Pelléas et Mélisande pour le français. Bernard Vitet travaillait ainsi lorsque nous composions des chansons. Il s'agissait d'augmenter légèrement les intervalles du parlé. J'ai toujours pensé que Demy et Legrand avait procédé également ainsi pour Les parapluies de Cherbourg...

mercredi 13 décembre 2023

Des films sur le cinéma


Je suis toujours abonné aux Cahiers du Cinéma, et ce depuis 1972, mais je les lis souvent en retard pour me faire ma propre opinion avant de découvrir les élucubrations de leurs chroniqueurs dont je partage rarement l'analyse. Les articles de Télérama sont plus lisibles, mais ses journalistes n'évoquent que les sorties de la semaine et pour moi, comme avec les Cahiers, l'information prime sur la réflexion. Les suggestions et le regard cinéphilique de Jonathan Rosenbaum sur son blog anglophone sont souvent plus incitatifs à la découverte, de même que le picorage sur le site très fermé Karagarga me permet de composer mes propres festivals en choisissant un film qui, tel une pelote de laine, défile une suite en cascade. Comme me l'a enseigné Jean-André Fieschi je privilégie la voix des auteurs à celles des historiens et des journalistes. Lorsque j'étais élève à l'Idhec (ancêtre de la Femis) il me conseillait de livre un livre "de" plutôt qu'un livre "sur". Les entretiens sont donc ce que je trouve de plus précieux dans toutes ces publications. Enfin, dans mes propres articles je fais très attention de ne pas déflorer les films, de ne pas "spoiler" (divulgâcher), un exercice difficile.


En cette fin d'année l'éditeur Carlotta publie plusieurs Blu-Ray ou DVD sur le cinéma. Sur la lancée de la restauration des films de Wim Wenders (Paris Texas, Les ailes du désir, L'ami américain, la trilogie de la route : Alice dans les villes, Faux mouvement, Au fil du temps) apparaît Chambre 666, et sa suite 40 ans plus tard Chambre 999 réalisée par Lubna Playoust. Pendant le Festival de Cannes de 1982, Wenders pose la question de l'avenir du cinéma et de sa mort annoncée à seize cinéastes, et en 2022, la réalisatrice fait de même avec trente nouveaux. Les réponses des seconds m'ont paru plus intéressantes que la première fois où seul Antonioni était cohérent, sentiment partagé par Wenders avec le décalage. Il a pourtant réussi à convaincre Godard, Morrissey, Hellman, Fassbinder, Herzog, Kramer, Spielberg, etc. de se prêter au jeu. Les réactions récentes de Cronenberg, Gray, Farhadi, Winocour, Assayas, Sorrentino, Jaoui, Mungiu, Serra, Chokri, Östlund, Cogitore, Rohrwacher, etc. sont plus personnelles. J'en retiens surtout ce que j'avais expérimenté moi-même et que tous savent : plus gros est le budget plus les pressions de la production sont fortes. Or la plupart d'entre elles et d'entre eux valorisent la liberté de création. Il me semble pourtant que la question est mal posée, enfermant les cinéastes au lieu de les laisser exprimer ce qu'ils cherchent véritablement. Certains, parfaitement conscients du piège ou inconscients de ce qui pourrait s'y jouer, se mettent en scène ou esquissent quelques pas de danse. Les plus lucides comprennent qu'il est logique de bouger avec le temps et que VHS pour les premiers, numérique et plateformes pour les seconds, ce ne sont que de nouveaux outils qui permettent de faire autre chose ou simplement autrement.


Les trois parties de Hello Actors Studio d'Annie Tresgot (L'atelier des acteurs, Une solitude publique, Une communauté de travail), réalisé en 1987, sont riches d'enseignement. Paul Newman, Ellen Burstyn, Sydney Pollack, Shelley Winters, Arthur Penn, Gene Wilder, Eli Wallach et d'autres évoquent "la méthode", également dite Stanislavski, qui a renouvelé le jeu des acteurs américains depuis 1947. Comme celles et ceux qui ont été accepté/e/s après épreuve, on assiste à des cours passionnants. Ils sont gratuits, réservés aux seuls membres. Certains acteurs célèbres y viennent essuyer la critique, d'autres l'évitent soigneusement ! Annie Tresgot faisait partie du jury qui m'a permis d'entrer à l'Idhec en 1971 alors que je n'avais pas encore 18 ans ! Indirectement grâce à elle, j'y ai suivi les cours de direction d'acteurs de Jacques Rivette et Michael Lonsdale au cours de la seconde année de mes études.

P.S. : les 3 parties du film d'Annie Tresgot sont très bien agencées. C'est de plus en plus passionnant. Lors de la troisième, c'est fascinant de voir l'échange entre Arthur Penn, Norman Mailer et Joseph Mankiewicz sur la mise en scène d'une pièce de Catherine Burns... L'Actors Studio est toujours en activité.

Mais c'est La Direction d'acteur par Jean Renoir réalisé en 1968 par et avec Gisèle Braunberger qui m'a le plus marqué. J'avais évoqué ce court métrage dans Casting, le quatorzième chapitre de mon livre Le son sur l'image que je n'ai jamais terminé ! Ce petit film de 27 minutes très instructif figure dans un coffret DVD avec La chienne, On purge Bébé, Tire au flanc


Je cite, extrait de Casting : Jean Renoir [...] dirige la réalisatrice Gisèle Braunberger qui se prête au jeu. [...] Renoir dit utiliser la méthode à l’italienne, comme Molière et Jouvet. Il fait lire le texte comme si c’était l’annuaire du téléphone (Quel pouvait bien être son équivalent du temps de Molière ?), sans aucune intention dramatique, de la manière la plus neutre possible. Toute intention préalable ne produirait que poncifs et banalités. Donner le ton à la première lecture, c’est à coup sûr aboutir à un cliché. À force de répéter le texte, le ton vient tout seul, petit à petit, malgré soi, petits inflexions, gestes imperceptibles, c’est ainsi que naît un rôle… Évidemment, c’est un peu plus complexe, Renoir fait croire à ses acteurs que les idées émanent d’eux-mêmes alors qu’il les leur suggère très discrètement ! Il y a bien d’autres façons de travailler un texte. Gisèle Braunberger aurait souhaité faire le même travail avec Robert Bresson, dommage ! Stanislawski conseillait de ne pas jouer en pensant « je suis tel personnage… » mais en imaginant « si j’étais tel personnage… ». Les acteurs américains qui ont suivi les cours de l’Actor’s Studio s’investissent corps et âme. Certains réalisateurs miment tous les rôles, d’autres dirigent les acteurs pendant les prises avec des oreillettes camouflées ! Il existe mille manières de diriger des comédiens, cela dépend des directeurs comme des acteurs…


Le coffret Jeanne Moreau, cinéaste rassemble les trois films que Jeanne Moreau a réalisés, soit deux longs métrages de fiction, Lumière (1976) et L'adolescente (1979) que je n'ai pas encore vus, ainsi qu'un moyen métrage sur Lilian Gish (1983), comédienne américaine depuis ses débuts cinématographiques en 1913 avec D.W. Griffith jusqu'aux années 80 en passant par La nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton. Les deux comédiennes n'évoquent que la première partie de la carrière de Liliane Gish. C'est la naissance du cinéma. Évidemment très touchant et épatant. Le coffret abonde en suppléments. Pour l'émission Vive le cinéma ! Jacques Rozier filme Jeanne Moreau et Orson Welles dans le salon du Ritz lors d'un échange à bâtons rompus. Si le film avec Gish est en anglais, Welles parle français. À Cannes Jeanne Moreau interviewe Clint Eastwood, réalisateur et comédien comme Renoir, Welles ou Moreau. Le coffret est accompagné d'un livre inédit de 80 pages de Jean-Claude Moireau, illustré de nombreuses photographies.

mardi 12 décembre 2023

Le vrai visage de Samuel Fuller


Voilà des lustres que je défends le travail de Samuel Fuller au risque de me faire incendier comme pour l'œuvre de Jean Cocteau ou ma collaboration avec Michel Houellebecq autour de ses poèmes. Les malentendus sont légion. On répète trop souvent ce qui se dit communément sans vérifier sur pièces. Ici l'erreur est à imputer à Georges Sadoul qui, dans son Dictionnaire des cinéastes de 1965, traite le cinéaste d'anticommuniste, raciste et militariste. Mauvaise lecture d'une œuvre qui est le contraire absolu de ce jugement à l'emporte-pièce. Si ses entretiens avec Jean Narboni et Noël Simsolo intitulés Il était une fois Samuel Fuller (Cahiers du Cinéma) avaient pu rectifier le tir, Un troisième visage, son autobiographie de 608 pages [...] traduite en français par Hélène Zylberait (ed. Allia), avec préface de Martin Scorsese, dissipe définitivement tout malentendu. Rarement un cinéaste américain se sera engagé avec une telle constance dans sa dénonciation de la guerre, de la violence, du racisme, du machisme et de la folie des hommes... Godard, Truffaut, Moullet, Brookes, Cassavetes, Wenders, Gitaï, Comolli et bien d'autres ne s'y étaient pas trompés.
Conteur exceptionnel et prolifique, Fuller fait le récit de sa vie avec le même punch, direct et crochet, que pour ses films, de Violences à Park Row à The Big Red One (Au-delà de la gloire) en passant par Pick Up on South Street (Le port de la drogue), House of Bamboo, Run of the Arrow (Le jugement des flèches), Forty Guns (Quarante tueurs), Underworld USA (Les bas-fonds new-yorkais), Shock Corridor, The Naked Kiss (Police spéciale), etc. Mais, en apôtre naïf de la vérité, il raconte son histoire au crépuscule de sa vie en tentant de présenter l'impossible troisième visage, celui que même les proches ne peuvent distinguer chez chacun d'entre nous. Issu d'un milieu modeste il construit son rêve par étapes avec une rigueur incroyable, d'abord grouillot puis journaliste, scénariste puis réalisateur, enfin producteur de ses films, s'appuyant sur son expérience et ses aventures pour rédiger des dizaines de scénarios, tournés ou pas, dans l'univers du crime, sur les champs de bataille ou dans le marathon que lui impose une profession qui n'épargne personne. Car, comme les plus grands, Stroheim, Renoir, Welles, Cassavetes, et presque tous les cinéastes en fait, son parcours est semé d'obstacles, d'arnaques et d'humiliations que son volontarisme l'aidera chaque fois à surmonter, jusqu'à sa mort en 1997.
Né en 1912 il évoque le New York des années 20 avec la même acuité que la seconde guerre mondiale qu'il a vécue aux premières loges, du débarquement en Afrique du Nord à la libération du camp de concentration de Falkenau qu'il filme avec sa petite caméra 16mm Bell & Howell. Le portrait acerbe qu'il dessine d'Hollywood est aussi passionnant que sa vision de Paris où il vivra une quinzaine d'années sur la fin de sa vie. Le livre montre un homme intègre qui se bat contre des producteurs parfois indélicats, qui souvent donne leur premier grand rôle à des acteurs inconnus, qui dénonce l'arrogance des riches et fantasme la démocratie comme nombre d'humanistes. On se souvient de son improvisation dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, lorsque Belmondo lui demande ce qu'est le cinéma et qu'il répond : "Un film est comme un champ de bataille. Amour. Haine. Action. Violence. En un mot, émotion." Son autobiographie, dictée à sa femme Christa Lang, se lit comme un roman qu'il est impossible de lâcher avant de l'avoir terminé.

Article du 25 novembre 2011

lundi 11 décembre 2023

Palix, un autre Jean-Jacques


Nous n'en avons pas que le prénom. Jean-Jacques Palix est un autre moi-même comme je suis un autre pas lisse. Né la même année, le sculpteur sonore, venu me rendre visite au Studio GRRR, avait apporté quelques disques de son cru. Or l'on sait à quel point la phrase cocktail "ne pas être admiré, être cru" fait partie de mes axiomes de base. Nous avons en commun d'avoir un mal fou à nous définir, et en particulier à répondre à l'inévitable question "ah vous êtes musicien, et de quoi jouez-vous ?". Nous jouons des sons, parfois de la lumière. "Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse", écrivit Alfred de Musset dans La Coupe et les Lèvres en 1831 ; le vers précédent est important : "Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse". La musique, sans aucun doute. Dans tous les cas. La coupe est merveilleusement pleine, d'où les murmures susurrés du bout des lèvres. Histoire de matheux rêveurs, car à jouer avec les mots des autres, quand on n'a pas l'x on a du moins l'y pour prendre la tangente.
J'avais raconté à Palix mon amusement à me risquer parfois aux exercices de style. C'était avant d'écouter ses 16'33" sous fausse pochette Colombia. Ce CD tiré à seulement 33 exemplaires numérotés et signés enchaîne sans pause 33 hommages de 30 secondes à 33 compositeurs. Ces "à la manière de", enregistrés en 2007, échappent aux poncifs en s'appropriant ce qui lui plaît vraiment chez Brian Eno, Christian Marclay, Alvin Lucier, Conlon Nancarrow, Marc Ribot, Robert Wyatt, Giacinto Scelsi, Karlheinz Stockhausen, Mauricio Kagel, Pierre Schaeffer, Ennio Morricone, Robert Ashley, John Cage, Yasuaki Shimizu, Aphex Twin, Moondog, György Ligeti, Luigi Russolo, Steve Reich, Ryoji Ikeda, Cornelius Cardew, Einsturzende Neubauten, Throbbing Gristle, Perotin, Tony Conrad, Erik Satie et quelques autres que je ne connais pas encore, Ekkehard Ehlers, Eleni Karaindrou, Holger Czukay, Alastair Galbraith, Amiel Balester, Bruce Russell, Holger Hiller. Cette énumération en dit long sur cet autre encyclopédiste. Palix est comme moi d'un tempérament partageur. Son blog musical Beyond The Coda fait partie des incontournables pistes sioux si l'on souhaite découvrir des paysages incroyables, des îles désertes, des peuplades cachées. À raison de 6 articles par mois il fouille et propose des voies parallèles pour qui ne se satisfait pas des sentiers battus et des entiers rabattus. Un puzzle, une mine, qui vous explose à la figure dès qu'on y glisse les oreilles. Les titres des 33 œuvres sont des citations des compositeurs à qui Palix rend hommage. On peut écouter le disque en suivant la liste, ou essayer de deviner, ou encore considérer l'ensemble comme une œuvre en soi, un zapping tranquille fort bien articulé.
Maquette du groupe Push Pull est un live enregistré quinze ans plus tôt, en 1992, avec le violoncelliste Vincent Segal, David Coulter à la guitare, la basse ou au violon, Igal Foni à la batterie et Jean-Jacques Palix à l'échantillonneur, au scratch CD ou vinyle et à la guitare. On le retrouve en 2000 à cet instrument en duo de guitares avec Jeff Rian, pour Everglade plus homogène que Push Pull qui empruntait son inspiration à différents styles ou cultures. Mais les deux sonnent rock, le premier plus brut, avec Vic Moan, Ghédalia Tazartès et Aaron "Sharp" Goodstone en invités, le second plus minimaliste, plus doux aussi, des ritournelles qu'on pourrait appeler pop de ce côté de l'océan.
Le plus récent (il y en eut d'autres entre temps), Émergence(s), rassemble des pièces enregistrées de 2012 à 2022, dont certaines en collaboration avec la violoniste Juliette Sedes, pour une chorégraphie de la poétesse Laurine Rousselet, un film d'Estelle Fredet et André S. Labarthe ou une performance de Christine Laquet. C'est forcément le plus actuel, le plus libre, le plus inventif avec 16'33". Les paysages sonores sont riches et variés, plages étendues, timbres rares, images mentales au gré de chaque auditeur, de chaque auditrice. J'ignore les secrets de fabrication de Palix, mais je reconnais ici ou là mes couleurs, tableaux où la perspective et le hors-champ fictionnalisent la pièce montée. Tout est question de poids et de mesures dans l'architecture musicale. Celle-ci est à la fois ferme et délicate.

vendredi 8 décembre 2023

Escalator Over The Hill, le film de l'enregistrement !


Je suis sans cesse surpris par les fouilles quasi géologiques qui creusent l’histoire de la musique, du cinéma ou de la littérature. Plus on avance dans le temps plus le passé refait surface. Des documents apparaissent dont on ignorait totalement l’existence. Et comme souvent lorsque l'on me fait remarquer que c'est bizarre que je ne connaisse pas telle ou telle œuvre, je raconte (avec l'accent) cette histoire corse que m'avait transmise mon maître, Jean-André Fieschi. " Un vieux Corse est arrêté pour avoir assassiné un couple d'Anglais sur une plage de l'île de Beauté. Comme la police ne comprend son geste, le vieux Corse explique que la raison est qu'ils ont brûlé Jeanne d'Arc. Les enquêteurs lui répondent, incrédules, que c'était tout de même il y a très très longtemps ! Le vieux rétorque alors sur un ton lancinant : peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier".


Grâce à Robert Wyatt qui m’avait confié une cassette de Mark Kidel, j’avais par exemple découvert les workshops d’Edgard Varèse auxquels participèrent, entre mars et août 1957, Charlie Mingus, Art Farmer, Teo Macero, Eddie Bert, Don Butterfield, Ed Shaughnessy et quelques autres jazzmen. Assistaient à ces jam-sessions dominicales l'arrangeur George Handy, le journaliste Robert Reisner, les compositeurs James Tenney, Earle Brown et John Cage, le chorégraphe Merce Cunningham. C'est du free jazz quelques années avant son invention ! (partition ci-dessus)


Hier est apparue une sorte de making of du chef d’œuvre de Carla Bley, l’opéra Escalator Over The Hill. Une heure vingt-trois minutes filmées pendant l’enregistrement du coffret de 3 disques avec Viva, Jack Bruce, John McLaughlin, Don Cherry, Gato Barbieri, Don Preston, Charlie Haden, Paul Motian, Enrico Rava, Michael Snow, Roswell Rudd, Leroy Jenkins, Jeanne Lee, Paul Jones, Sheila Jordan, etc., ainsi que Michael Mantler qui coordonne l’ensemble et dont l’influence est évidente à l’écoute de ses compositions personnelles. Carla Bley, disparue récemment, dirige, joue du piano, de l’orgue, chante et risque de se faire briser les doigts par sa fille Karen qui a agrippé le couvercle du piano… Il est à la fois passionnant et bouleversant de découvrir les images d’une œuvre que j’ai usée jusqu’au fond des sillons.


J’ignore d’où vient la copie du film tourné par Steve Gebhardt et sorti en 1999. Elle circule probablement sous le manteau toilé. Une amie qui connaît l’importance que revêt pour moi cette œuvre clef me l’a envoyée hier. J’avais déjà eu le plaisir d’en discuter à Arles avec Tod Papageorge il y a quelques années. Le film, qui ne respecte pas l’ordre de la chronotransduction (un néologisme !), est un témoignage fabuleux de cette œuvre majeure du XXe siècle, composée entre 1968 et 1971. Espérons qu’il soit accessible à tous et toutes très bientôt.


Sur arte.tv/blow-up, Trufo, qui a certainement aussi bénéficié d'une bonne âme pour lui communiquer le film, raconte l'histoire de ce long métrage qui fait surface aujourd'hui...

jeudi 7 décembre 2023

La Fanfare au Carreau


Aujourd'hui les fanfares accompagnent souvent les luttes sociales ou les manifestations pour le climat. Cette pratique le plus couramment amatrice est toujours festive. On les croise ainsi lors d'une fête de quartier, marchant comme les Black Indians de la Nouvelle-Orléans. La Fanfare au Carreau est issue d'un atelier organisé par l'Orchestre National de Jazz en 2014, confié au tromboniste Fidel Fourneyron. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce fut une excellente initiative, puisque dix ans plus tard les inscrits au Carreau du Temple sont passés de 20 à 80, de toutes les générations, avec une instrumentation qui s'est étendue aux cordes, et que les compositions originales de Fourneyron dégagent une belle énergie. Chaque titre aux consonances gastronomiques (Pudding, Currywurst, Burger, Brûlot du Bayou) ou arboricoles (Guayacan, Tilleul) se réfère à un style différent, mais on sent une forte influence d'Amérique Centrale ou du Sud. D'ailleurs l'album se nomme Vamos Andando, en brésilien "on continue d'avancer". Cela n'interdit heureusement pas une valse, typique de notre héritage. Ailleurs la fanfare évoque l'Angleterre, Berlin, Hollywood, la Louisiane, le Venezuela ou la Colombie. Les fanfares sont bien histoires d'amitié et de solidarité, réchauffant le cœur et les jambes.
Je ne peux m'empêcher d'évoquer quelques orchestres, eux professionnels, qui me sont chers comme le Liberation Music Orchestra ou l'Umlaut Big Band qui distillent cette joie collective et communicative. Mais le merveilleux d'une fanfare comme celle du Carreau prouve que l'amateurisme vient étymologiquement du verbe aimer.
En 2021 j'avais eu le plaisir d'enregistrer L'air de rien, un album avec Fidel Fourneyron et la chanteuse Élise Caron, et à chaque projet le tromboniste se donne corps et âme, changeant de registre tout en conservant son propre style. Il partage ici son enthousiasme avec une soixantaine de musiciens et musiciennes.


→ La Fanfare au Carreau sous la direction de Fidel Fourneyron, Vamos Andando, CD Uqbar Records, sur Bandcamp

mercredi 6 décembre 2023

Séméniakoscopie


En 1997 Valéry Faidherbe participait au CD-Rom Carton que je réalisai à partir du fonds photographique de Michel Séméniako. Faidherbe nous filma, Bernard Vitet, Michel Séméniako et moi-même, dans l'espèce de photomaton inventé par le photographe où chacun pouvait faire sa propre lumière avec un faisceau de fibres optiques. Quatorze ans plus tard il imagine à son tour une machine à faire du Séméniako ! Il lui propose de restituer ainsi son geste de peintre de lumière, mais dans le mouvement. En septembre 2011, il tourne son film, Séméniakoscopie (8 minutes), dans le cadre de la résidence du photographe à Marcoussis.
"En superposant le temps de la réalisation des poses nocturnes, le film donne à voir la construction de l’image qui est l’addition sur une seule photographie de tous les coups de pinceaux lumineux colorés donnés par Michel Séméniako avec sa torche dans l’espace photographié. Il restitue ainsi la magie de cette révélation lumineuse du paysage. La bande-son documentaire restitue la concentration de cette merveilleuse fiction où la lumière réécrit l'histoire ou la géographie. Le vidéaste en profite aussi pour faire quelques expériences de mélange du temps et de l'espace, un grand désordre qui contraste terriblement avec le calme des prises de vues" (2 minutes).
Sur le point de terminer le montage de ce luxueux making of, Faidherbe, à qui j'avais présenté le photographe, effectue une quadrature de ce cercle d'amis en ajoutant quelques accords musicaux et un bout de refrain de la chanson que nous avions composée (L'ectoplasme, index 5), nous-mêmes tentés d'exprimer l'étonnante technique du photographe, paradoxalement invisible dans le cadre qu'il habite et construit.

Article du 22 novembre 2011

mardi 5 décembre 2023

Du piano-jouet


Un vent d'archives souffle sur la famille. Mon cousin Serge m'envoie notre arbre généalogique...
[Depuis cet article du 11/11/11, j'ai fait pousser cet arbre avec plus de 3000 personnes sur des branches plus ou moins proches ou lointaines, remontant jusqu'à la Révolution de 1789 pour trois de mes grands parents et jusqu'au IXe siècle pour le quatrième ! Mais ça c'est une autre histoire…].
Dans un tiroir de ma mère ma sœur Agnès retrouve de vieilles diapositives prises par mon père...
[Là aussi le paysage s'est découvert à la mort de ma mère avec les archives en haut de l'armoire. Mais revenons où nous en étions ce jour-là...]
Elsa avait quelques mois. Le petit piano n'est pas un Michelsonne comme celui que j'utilisai dès 1975 (disque Défense de), mais cela tombe à pic pour l'émission de ce soir. Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, une émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture ce 11 novembre 2011. Y [fut] diffusé un inédit de quatre minutes avec le violoncelliste Vincent Segal que nous avions enregistré comme partition pour le film sur le tableau de Chirico, Composition métaphysique, réalisé par Pierre Oscar Lévy. En plus d'un clone de Michelsonne, j'y joue de la guimbarde, du ballon de baudruche, du violon et d'un carillon. Au Studio 118 de Radio France je fais aussi le zouave pendant que mes deux collègues pianotent pour un bœuf improvisé... Qu'il est doux de ne pas toujours se prendre au sérieux et de se laisser aller à ces gamineries qui touchent pourtant à l'essence même de notre inspiration ! Si nous jouons comme des mômes, que rêver de mieux ?


Se mettre à plat ventre pour partager des jeux d'enfant nous fait glisser vers un temps que nous avions souvent oublié. Il tient autant du passé que du futur. Cet angle sous lequel alors nous regardons le monde a quelque chose de déjà vu. L'avenir n'est qu'une projection de ces images sur une toile plus grande. Un simple changement de repères.

lundi 4 décembre 2023

Extrait du concert de vendredi soir au Café de Paris


Extrait YT du concert au Café de Paris vendredi dernier. Le son n'est vraiment pas à la hauteur des belles images de Ben Lx, dommage, mais ça laisse une trace d'une rencontre merveilleuse avec Élise Dabrowski, Gwennaëlle Roulleau, Lionel Martin et Mathias Lévy !



Photo N&B © JJGFREE

La frontière verte d'Agnieszka Holland


Si La frontière verte (Zielona granica) d'Agnieszka Holland est indispensable, c'est un film très dur (mais je suis une petite nature). Le sort des migrants violemment bringuebalés entre la Biélorussie et la Pologne est insupportable. D'un côté le dictateur Alexandre Loukachenko les pousse vers l'Union Européenne pour l'affaiblir après les sanctions dont la Biélorussie est victime, de l'autre les Polonais les repoussent, motivés par un racisme historique ou mandatés par une Europe barbelée. Ces familles viennent d'Irak, d'Afghanistan, d'Afrique et espèrent trouver refuge en Suède ou ailleurs, dans une Europe fantasmée, prétendument protectrice des Droits de l'Homme. Depuis quarante ans, nous avons tout perdu, en France évidemment, mais nos voisins ne valent guère mieux.
Agnieszka Holland est attaquée par le ministre polonais de la justice, Zbigniew Ziobro, qui a comparé son film, instrumentalisé par le parti d'extrême droite PiS lors de la campagne électorales de 2023, à de la propagande nazie, comme du temps où « les Allemands, durant le IIIe Reich, produisaient des films de propagande montrant les Polonais comme des bandits et des meurtriers ». Polonaise en partie d'origine juive, Holland n'a jamais laissé son pays oublier ses exactions passées. Lors de ses précédents films elle n'a pas été plus tendre envers le régime nazi ou les exactions staliniennes. Avec son dernier film, qui a reçu le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise, forcément dérangeant pour la Pologne, la Biélorussie, mais fondamentalement pour l'Europe, elle attise envers elle une haine antisémite ou anticommuniste. Elle ne fait qu'annoncer ce qui se prépare face à une crise migratoire inévitable qui ne fera qu'augmenter et dans des proportions autrement plus importantes, que ce soit pour des raisons politiques ou climatiques. 30 000 ont déjà péri en cherchant la liberté, sur terre, sur mer et dans la forêt où l'on meurt toujours tandis que je tape ces mots. Ce qui se profile fait froid dans le dos et devrait nous révolter. Le monde part à vau l'eau. Comme toujours et partout il y a des résistants, des activistes, et face à eux l'absurdité et la violence de polices plus sauvages les unes que les autres, obéissant aveuglément aux ordres avec délectation. J'ai souvent l'impression que dans ce genre de situation ou de période, il y a 5% de salauds, 5% de résistants et le reste qui fait semblant de ne pas savoir.


Agnieszka Holland renvoie la Pologne à son hypocrisie catholique et l'Europe à son inutilité, si ce n'est dans sa politique dictée par des intérêts strictement économiques, donc mortifères. Son film est très fort. Il met en scène des êtres humains, aux langues si différentes les unes des autres, heureusement pas que dans l'immonderie, mais dans leur beauté et leur solidarité. Si la forêt verte tourne dès les premières secondes au noir et blanc, c'est à la fois pour lui donner une impression d'actualités et parce qu'une mise en couleurs risquerait d'en faire un spectacle, tant le cinéma de divertissement rend l'horreur fictionnellle, voire fictive. Comme Cocteau le proclamait dans une Histoire féline, magnifique chapitre du Journal d'un inconnu évoquant les poètes témoins de l'impossible : "ne pas être admiré, être cru." La frontière verte est un no man's land, la terre d'aucun homme, une zone invivable où s'embourbent les réfugiés, mais surtout l'humanité tout entière.

Trois heures plus tôt, j'avais regardé May December, le dernier film de Todd Haynes que j'avais trouvé très beau et sensible. Mais après La frontière verte, ce drame psychologique m'a paru fade et dispensable, à vouloir expliquer une fois de plus comment fonctionne une névrose familiale. D'une certaine manière, dans le jeu des doubles où une comédienne en incarne une autre, je préfère nettement Little Girl Blue de Mona Acache où Marion Cotillard est époustouflante, peut-être parce que j'apprécie que la fiction documente ou que le documentaire assume sa mise en scène. Décidément je n'aime pas les frontières.

samedi 2 décembre 2023

Du gâteau


Nuit presque blanche après le concert au Café de Paris. J'ai tout rebranché dans le studio. Je pense souvent à Jean Renoir qui disait que ses films n'étaient pas une tranche de vie, mais une tranche de gâteau. Hier soir nous avons été particulièrement gourmands. On en a repris trois fois.
Merci à Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Lionel Martin, Gwennaëlle Roulleau qui ont partagé ces agapes. Merci au public qui a joué le jeu en tirant les cartes prétextes à nos compositions instantanées et dont la présence m'a beaucoup touché. Merci à Arnaud et Manon qui m'ont offert cette carte blanche. Merci à Vincent et Hervé qui ont assuré la technique et l'intendance. Merci à Tom Val qui a joué le jeu en nous rejoignant sur scène. Merci à Jérôme Jawaka Janvrin pour la photo. Merci à Ben Lx qui a tout filmé (même si le son y est un carnage 😉 ). Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont inspiré depuis tout ce temps.
Et maintenant, en route vers de nouvelles aventures...

vendredi 1 décembre 2023

Elliott Erwitt [1928 — 2023]


Le photographe Elliott Erwitt vient de nous quitter. Je republie un extrait de l'article du 11 juillet 2012 que j'avais envoyé d'Arles alors que j'assumais le rôle de directeur musical des Soirées des Rencontres. Ici au Théâtre Antique la percussionniste Linda Edsjö l'accompagne tandis qu'Antonin Trí Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette venons leur prêter main forte. Sur le lien vous pouvez assister à sa présentation en deux parties vidéographiées. Grande tristesse face à la disparition de cet homme extraordinaire.

ARTE Creative met en ligne les Soirées des Rencontres de la Photographie qui se sont déroulées au Théâtre Antique d'Arles la semaine dernière, du 3 au 7 juillet 2012, sous la voûte étoilée.
Commençons par Elliott Erwitt accompagné par la percussionniste Linda Edsjö. Pour quelques passages Antonin-Tri Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette, les rejoignons. Arte a découpé la prestation d'Erwitt en deux parties.


Directeur musical, j'ai choisi les musiciens et musiciennes qui sont intervenus en direct, y participant parfois, composé une petite pièce symphonique pour le Prix Pictet, enregistré mon doigt sur une vitre pour l'animation que Grégory Pignot a réalisé du jingle des Rencontres d'après l'affiche de Michel Bouvet, illustré musicalement quelques autres sujets.


Les réalisations sont de Coïncidence (Olivier Koechlin, François Girard, Valéry Faidherbe).

C'est ce soir (vendredi) !


Si vous avez réussi à échapper à ma communication invasive, c'est la dernière annonce pour le concert de ce soir, exceptionnel car je ne joue plus beaucoup en public. C'est un véritable plaisir, et je réponds autant que possible aux invitations chaleureuses des programmateurs, souvent des jeunes gens curieux qui ne se sont pas encore cantonnés à reprogrammer éternellement leurs vieux potes. Aujourd'hui merci à Arnaud et Manon de Sport National qui organisent depuis 2015 des concerts de musicien/ne/s aux pratiques expérimentales, depuis avril 2023 au Café de Paris, et qui m'ont confié cette carte blanche. Ils clament justement "saute-mouton : quand Sport National confie la programmation d'une soirée de concerts à un.e "autre", les yeux fermés, mais les oreilles, en éventail." Ayant pendant longtemps attendu le coup de téléphone de Monsieur De Mesmaeker, voilà 25 ans que je laisse cette initiative aux amateurs, entendre à celles et ceux qui aiment. De temps en temps le téléphone sonne, un mail tombe dans la boîte et cela me ravit. Comme vous en jugez régulièrement, je suis loin d'être désœuvré. Jouer avec des musiciens et des musiciennes aussi sympathiques qu'imaginatifs que le violoniste Mathias Lévy, la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski, l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau, le saxophoniste Lionel Martin, est un plaisir sans mélange. Une élévation ! J'ai plutôt l'habitude de partager ces agapes en studio, quitte à produire deux albums, CD Pique-nique au labo vol.1/2 et vol.3), mais le réaliser devant et avec vous décuple l'excitation de la rencontre. Je n'ai pas la moindre idée de la musique que nous produirons ce soir. La surprise sera partagée.
L'évènement est sur FaceBook.