70 février 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 février 2024

L'album Codex est en ligne !


Rentré lundi soir de Lisbonne, impatient, j'ai filé le lendemain matin aux aurores mixer l'album CODEX enregistré en public au Studio GRRR le 18 février dernier avec l'altiste Maëlle Desbrosses et la tubiste Fanny Meteier (duo Météore que vous pourrez retrouver le 2 mai à l'Atelier du Plateau). J'avais demandé aux premiers arrivés, invités à assister à ce second APÉRO LABO, de choisir une page du Codex Seraphinianus de Luigi Serafini afin que nous nous en inspirions pour les compositions instantanées, que d'autres appelleraient improvisations, que nous avions choisies de présenter ce dimanche pluvieux. Je laissai l'ouvrage à disposition de chacun/e pour s'en délecter avant et après le concert, mais lors de notre prestation nous montrâmes simplement chaque page choisie avant de l'interpréter librement. Ces images sont reproduites en tout petit en regard de chacune des sept pièces sur le site drame.org où l'album est en écoute et téléchargement gratuits et sur Bandcamp.


En dehors de l'émotion musicale générée par mes camarades de jeu ces apéros labos créent une convivialité que les salles de spectacle n'offrent pas. De plus, cet échange plein de tendresse et d'humour participe à cette émotion partagée. L'apéro qui suit prolonge ce plaisir de la rencontre. J'avais préparé des mets végétariens pour convenir à l'une des deux musiciennes, feuilles de vigne farcies, houmous, dattes, figues sèches, loukoums, plus quelques mets apportés par mes invités, et de bonnes bouteilles pour arroser tout cela.


Fanny plongea la tête dans le pavillon de son instrument et retrouva dans mon instrumentarium le Gédéon de son enfance, tandis que Maëlle échangea son violon alto pour l'arbalète en laiton et plexiglas construite par Bernard Vitet et Raoul de Pesters ; elle m'emprunta également un Venova, sorte de saxophone en plastique, ainsi que percussions et appeaux. On l'entend même chanter dans la cinquième pièce. Je me contentai de mon clavier américain, de trois instruments russes (Terra, Enner, Cosmos), du Tenori-on japonais, d'un mégaphone allemand, d'instruments à vent et de percussions rapportés d'un peu partout sur la planète. J'en avais trop sortis comme d'habitude, les pages choisies ne convenant pas du tout à ce que j'avais espéré jouer, mais l'esprit d'à propos dirigeait cette joyeuse session, la complicité avec mes deux invitées nous entraînant au delà de ce que nous avions imaginé !

La photo en couleurs est de Michel Le Bastard, celle en noir et blanc de JJGFree, merci à eux et aux autres photographes, puisque contrairement à ce qui se pratique aujourd'hui dans les théâtres, les photos sont autorisées puisque nous sommes entre amis et que leur discrétion est à la hauteur de leur écoute !

mardi 20 février 2024

Pause d'une semaine


Je n'emporte pas mon ordinateur, mais un carnet et un stylo, plus de quoi prendre des photos. Donc pas de blog d'ici le 28, mais vous aurez probablement droit à un compte-rendu à notre retour de Lisbonne. Il peut m'arriver d'envoyer une image sur FaceBook. Je ne sais pas. Ce n'est pas écologique de prendre l'avion, alors camarades conscients n'en rajoutez pas. Ces vacances sont salutaires, salvatrices, et, espérons, merveilleuses.
Mon dernier voyage au Portugal remonte à 1976, par là. Nous étions descendus à quatre en Algarve dans une petite voiture. Je ne me souviens plus de grand chose, sauf du tabouret dagobert qui, même plié, occupait tout l'espace intérieur. Il avait fallu traverser l'Espagne, débarrassée de Franco. Salazar l'avait précédé. Le passage d'un pays à l'autre avait été un choc. Là-bas c'était tout propre, style rideaux en dentelle. Cela fait si longtemps que j'ai envie de découvrir Lisbonne.
J'ai juste eu le temps de ranger le studio après le concert de dimanche avec Fanny au tuba et Maëlle à l'alto. Le mixage et la mise en ligne de cet Apéro Labo 2 attendront le retour. Ce fut un succès sans pareil. Le protocole tant convivial que créatif change radicalement la perception de la musique par les spectateurs. Je pense reprendre l'expérience en avril, car cela me prend tout de même une semaine d'organiser la séance et l'after, tout en étant frais et dispo pour improviser avec d'aussi formidables partenaires. Un petit indice avant de révéler l'album d'ici une quinzaine : nous nous sommes inspirés de pages du Codex Seraphinianus choisies par nos invités !

lundi 19 février 2024

Puissance de feu de l'orchestre


Ces derniers temps j'ai assisté à la Philharmonie à deux concerts exceptionnels à plus d'un titre, d'abord parce que ce sont des œuvres symphoniques rarement représentées à cause de leur dispositif ou du nombre d'interprètes requis. Il s'agissait de l'opéra Die Soldaten (1965) de Bernd Alois Zimmermann et de Kraft de Magnus Lindberg.
En 1977 j'avais eu la chance d'assister à l'Opéra Garnier à une version réduite des Soldats dirigée par Pierre Boulez, "symphonie vocale" pour six chanteurs et orchestre n'exigeant pas les seize chanteurs, les dix voix parlées et les cent instrumentistes, les écrans de projection et les dix groupes de haut-parleurs... La représentation du 28 janvier dernier par le Gürzenich-Orchester Köln dirigée par François-Xavier Roth bénéficiait d'une mise en espace sobre, mais parfaitement adaptée, de Calixto Bieito. À un moment les sons électroacoustiques nous entourent jusque sur les balcons. Cette œuvre monstrueuse m'apparaît comme marquer la fin du règne du strict dodécaphonisme. Zimmermann assume totalement le passé, mais il a déjà un pied dans le futur avec, par exemple, une guitare électrique ou un jazz-band complétant l'orchestre. Pourtant je ne peux m'empêcher toujours de penser au mélologue Lélio ou le Retour à la vie, suite de la Symphonie fantastique d'Hector Berlioz, pamphlet vengeur rarement joué, sorte de précurseur du théâtre musical contemporain.


Le 15 février, le second concert était un hommage à Kaija Saariaho, disparue l'an dernier, dont j'appréciai la délicatesse avec Aile du songe (2000-2021) pour flûte et orchestre de chambre dirigé par sa fille, Aliisa Neige Barrière, et Notes on Light (2006) pour violoncelle et orchestre dirigé par Esa-Pekka Salonen. Je peux même dire que je préférai nettement ses oiseaux à ceux d'Olivier Messiaen, pourtant si réputés, mais qui m'ont toujours paru vains en comparaison des originaux ! La flûte de Sophie Cherrier et le violoncelle d'Éric-Maria Couturier, deux musiciens de l'Ensemble intercontemporain, m'enchantèrent littéralement. Je passe sur Les Océanides de Jean Sibelius dont la musique m'a toujours laissé de glace pour en arriver à la seconde partie consacrée à Kraft (1983-1985) de Magnus Lindberg, puisque la soirée était entièrement finlandaise.


Les hôtesses distribuèrent des boules Quiès à l'entr'acte, annonçant la puissance de feu de cette pièce de jeunesse qui avait été créée à Helsinki par Salonen il y a près de quarante ans. Je fus évidemment comblé par la rage qui s'en dégage, avec les éléments électroacoustiques, les déplacements des solistes amplifiés et leur spatialisation dans la salle, les percussions inhabituelles, la performance vocale quasi lettriste du chef avec un micro... Et l'Orchestre de Paris. J'y reconnais aussi l'influence de l'enseignement de Vinko Globokar avec qui j'ai eu la chance de collaborer en 1992 et, à la même époque, de Gérard Grisey qui fréquentait nos soirées de l'ABC Comme, une revue qui tirait au nombre de ses contributeurs. Lorsque Lindberg affirme "seul l'extrême est intéressant... L'hypercomplexe combiné avec le primitif", je ne peux que reconnaître certaines de mes aspirations. Et pourtant...

Pourtant je ne peux m'empêcher de considérer l'aspect économique et social de l'entreprise, hérité d'une longue histoire de la musique institutionnelle. À mes débuts j'attaquai le système pyramidal élitaire qui régit ce monde, son arrogance de classe, les coûts exorbitants qu'exigent les orchestres symphoniques, alors qu'il existe de nouvelles techniques et des rapports plus humains entre les êtres tels que je les avais connus dans les musiques dites populaires, et qui, pour certaines, sont tout aussi savantes. Je m'appuyais sur les entretiens d'Edgard Varèse avec Georges Charbonnier où mon compositeur de prédilection d'alors ne ménageait pas ses critiques. J'acceptais le répertoire, mais je ne comprenais pas que les compositeurs d'aujourd'hui perpétuent des méthodes qui me semblaient d'un autre âge, de plus iniques et exclusives. J'avais d'ailleurs toujours privilégié les outsiders, souvent plus ou moins autodidactes, Rameau, Berlioz, Satie, Varèse, Ives, Zappa, etc. Je regrettais que Skies of America d'Ornette Coleman soit si peu connu. Les nouvelles technologies sont maintenant utilisées partout, même par les classiques contemporains, mais je note que lorsqu'ils racontent leur histoire de la musique, ils se trompent de dix ans sur les débuts de ces inventions. Dans Kraft les mouvements des cordes, voire des cuivres, sont inimitables, mais le travail des percussions n'est pas à la hauteur de ceux qu'on assimile au jazz ou aux musiques dites improvisées. Évidemment les orchestres existent et ne peuvent se cantonner au répertoire du passé. Les créations sont indispensables. Mais il serait alors constructif d'offrir cet instrument à des compositeurs et des compositrices qui oseraient le repenser de fond en comble. Ce n'est question que de choix politique, donc économique, et ces choix influent considérablement sur l'évolution des arts. En citant Varèse, je repensais, par exemple, à ses suggestions sur l'amplification. Ou lorsqu'il compare l'orchestre symphonique à un éléphant hydropique et le jazz-band à un tigre. Il est probable que ma critique est liée à celle des usages et des habitudes. J'ai besoin d'interroger ce qui est donné pour acquis et reprendre le sujet à la base, une remise à zéro qui m'a toujours semblée nécessaire pour inventer de nouvelles formes, tant artistiques, que dans les relations humaines qu'elles impliquent.

vendredi 16 février 2024

Le moine et le voyou


C'est une excellente idée d'avoir associé Francis Poulenc, compositeur que j'ai toujours défendu, en particulier pour ses trois fantastiques opéras, Les mamelles de Tirésias, Le dialogue des Carmélites, La Voix humaine ou ses mélodies interprétées par Pierre Bernac ou Denise Duval, et Bernard Cavanna sur le CD où Léo Warynski dirige l'ensemble vocal Les Métaboles et l'ensemble instrumental Multilatérale, car l'un comme l'autre ont en commun de posséder deux faces comme l'indique le titre de l'album, Le Moine et le Voyou. Si je préfère le Poulenc casquette sur l'œil, dit Poupoule, que le chrétien moderne, mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, mon goût va vers les extravagances de Cavanna plus que vers son classicisme contemporain. C'est toutes proportions gardées, car j'adore autant le lyrisme des œuvres chorales de Poulenc que la maîtrise instrumentale de Cavanna. Il y a cinq ans j'avais chroniqué son À l'agité du bocal, bousin pour 3 ténors dépareillés et ensemble de foire, pamphlet de Louis-Ferdinand Céline contre Jean-Paul Sartre, auquel j'associerai son Karl Koop Konzert, comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre (2007-2008), ou ses Geek bagatelles pour orchestre symphonique et ensemble de smartphones (2016). À côté de ces facéties qui me ravissent, Cavanna écrit des œuvres plus sérieuses comme son ShangaÏ concerto pour violon, violoncelle et orchestre (2007), ses transcriptions de lieder de Schubert avec accordéon, violon et violoncelle (2000-2012), ses deux concertos pour violon, etc. J'écris "sérieuses", mais je trouve ses pièces provocatrices probablement plus sérieuses que tout le reste. Cavanna est un doux pince-sans-rire qui n'hésite pas à mordre le monde. Il cherche à "manier la vulgarité avec finesse". Ce goût de s'écarter du politiquement correct en cherchant une authenticité de la forme grâce à des éléments vulgaires m'enchante.
Pour l'album Le moine et le voyou, le choix de Léo Warynski de le commencer avec Un soir de neige, cantate profane sur un texte de Paul Éluard (1944) et Quatre motets pour un temps de pénitence (1938-1939) nous prépare à la dialectique de la Messe pour un jour ordinaire de Cavanna (1993-1994, nouvelle version 2023) où une misérable toxicomane, soprano léger, vient demander de l'aide à des ouailles, une soprano et un ténor lyrique, qui ne l'entendent pas de cette oreille, les culs-bénis ! Les textes de cet oratorio exacerbé, l'œuvre exquise d'un mécréant, viennent de la messe ordinaire, de dialogues du film Galère de femmes de Jean-Michel Carré, d'une déclaration de Klaus Barbie lors de son procès à Lyon, d'un poème de Nathalie Méfano écrit un jour avant sa disparition et d'une définition d'un bateau dans le dictionnaire ! L'orchestre comporte trois accordéons, instrument populaire cher au compositeur, comme la mandoline ou la cornemuse qu'il utilise souvent.


Sans paroles, Scordatura, son deuxième concerto (2019) en trois parties (In Memoriam, Pulsations, Matchiche), pour violon(s) et orchestre symphonique, exige de la partition d'être encore plus furieuse. C'est sa violoniste de prédilection, la Suissesse Noëmi Schindler, qui s'y colle, comme pour le premier concerto (1999), ici version avec orchestre de chambre de 2006, plus tragique. La scordatura est une manière d'accorder les instruments à cordes qui s'écarte de l'accord usuel. C'est un disque beaucoup plus violent et méchant. Entre les deux concertos, les Bagatelles sont cinglantes avec un détournement savoureux de l'Ode à la joie où le massacre est explicite, une pièce participative avec le public. Reconnaissant à la fois des influences viennoises et ivesiennes dans la musique de Cavanna, je m'enthousiasme devant chaque œuvre que je découvre, tel un nouveau baroque.

→ Bernard Cavanna, Concertos et bagatelles, CD L'empreinte digitale, par Noëmi Schindler et l'Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek, 18,36€
→ Poulenc - Cavanna, Le Moine et le Voyou, CD NoMadMusic, par Les Métaboles et Multilatérale dirigés par Léo Warynski, 15,99€
Les disques de Cavanna sont tous accompagnés d'un passionnant livret.

jeudi 15 février 2024

Médicament miracle


En 2006 j'avais évoqué ici un film russe de Gennadi Kazansky intitulé Grand-père miracle projeté dans mon école communale à la fin des années 50. [Je pense qu'il s'agit du film Le Vieux Khottabytch tourné en 1956 dont il existe une magnifique copie, hélas non sous-titrée, sur YouTube]. Le vieux magicien y est aussi merveilleux que maladroit ; resté trop longtemps enfermé dans une bouteille, il ignore tout de la vie moderne et multiplie les impairs. Il y a toujours un décalage entre les miracles et le temps où nous croyons vivre. Le mystère et la science se courent après. Le futur n'est jamais à la hauteur du passé s'il s'agit de rêver, car les perspectives y sont dramatiquement ramassées.



Pour peu que l'on soit un peu curieux ou fatigué d'être pris pour une bonne poire par l'industrie pharmaceutique et lobotomisé par les prétentions du progrès consumériste, il arrive que l'on redécouvre les remèdes de bonne femme de nos grand-mères comme le savoir ancestral des tribus d'Amérique et d'Afrique. Pas de querelle ici entre allopathie, homéopathie, acuponcture, médecine chinoise, soins par les plantes, chirurgie, etc. À chaque cas correspond une ou plusieurs réponses adéquates, mais il serait dommage de se priver du voyage lorsque les solutions proposées échouent ou que les effets secondaires sont trop pénibles. Je connais certains médecins, et non des moindres, qui prescrivent du coca-cola, mais je crains que cela doive rester secret !

Car en médecine il n'y a que les miracles qui méritent que les patients s'y attachent. Un médicament miracle, c'est un médicament qui marche à tous les coups sans qu'on n'en comprenne la raison ; c'est d'autant plus drôle quand certains médecins vous regardent avec des yeux ahuris lorsque vous leur annoncez que vous avez été guéris sans suivre le protocole imposé par l'Ordre ou, plus étonnamment, en vous fiant scrupuleusement à leur prescription. Si l'effet placébo est invoqué c'est alors tout l'exercice de la médecine qui en jouit, et tant mieux ! Le seul fait d'aller consulter un praticien et les malades sont déjà à moitié sauvés... Mon père jouait les sorciers en fabriquant des boulettes de mie de pain qui faisaient leur effet lorsque ce n'était pas bien grave. Sérieusement, nombreux médicaments de notre pharmacopée font partie de la panoplie du magicien. Mais si le médicament relève de la pharmacopée chinoise, alors la suspicion renvoie les mystères de l'Orient au Moyen-Âge. Comme si nous n'étions pas fait de la même chair, comme si la Chine millénaire n'avait révélé ses secrets depuis que les marins les ont rapportés sur leurs navires marchands...

Madame Ji, originaire de la province de Guangxi, me voyant me tordre sous les crampes intestinales, sort de son sac une petite fiole en articulant avec un immense sourire "médicament miracle", pour le ventre, le rhume, la nausée, la migraine, etc. Le Spasfon n'est pas mal non plus, mais il n'est pas aussi polyvalent. Je verse la potion noirâtre dans une cuillère en porcelaine. Madame Ji me prévient que le liquide a mauvais goût parce qu'elle imagine que je vais froncer le nez en l'avalant, mais en réalité c'est simplement bizarre. Une demi-heure plus tard tous les spasmes ont disparu. Mon ami Sun Sun me traduit les inscriptions en chinois simplifié de la boîte importée du Setchuan. Ce n'est pas facile, car l'approche médicale est très différente des Occidentaux. Il est question d'énergie, de saturation, de fluidité...

Article du 4 mai 2012

mercredi 14 février 2024

The Very Big Experimental Toubifri Orchestra sort Outre


Il faut bien écouter Outre au moins deux fois pour savoir de quoi il retourne. Parce que The Very Big Experimental Toubifri Orchestra n'a rien d'un big band classique, il n'en a jamais eu l'air, ni même les paroles. D'abord c'est un collectif, il n'y a pas de leader, parfois un chef pour diriger un morceau un peu compliqué, mais c'est tout. Les auteurs et les compositeurs font partie de l'orchestre, ou pas. Je donnerais bien leur nom, mais ils sont une vingtaine, ou une trentaine avec toute l'équipe. Un jour que, invité au Pop Club de France Inter, je m'étais fait un devoir de citer les seize musiciens et musiciennes du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, son célèbre animateur José Artur me félicita de ma bienveillante solidarité, mais m'expliqua que cela n'était pas du tout radiophonique et que les auditeurs décrochaient automatiquement devant la liste fastidieuse. Ce serait probablement la même chose ici. Alors je dirais juste que ce sont des chansons, que parfois les interprètes sont devant, parfois l'orchestre fait masse, que tous les musiciens et musiciennes sont vraiment d'excellents interprètes, que c'est de la pop, entendre que c'est pour tout le monde même si c'est fouillé, et que cela fait rêver... Pour les voix ce sont la flûtiste Mathilde Bouillot et le bassiste Lucas Hercberg qui s'y collent quand ils n'invitent pas Loïc Lantoine. À l'orchestre ils sont trois ou quatre trompettistes dont Emmanuelle Legros avec qui j'ai enregistré l'album Par terre (avec Matthieu Donarier), deux trombones, six saxophonistes, un clarinettiste, deux flûtistes, un claviériste, un vibraphoniste, un guitariste, un bassiste, deux batteurs percussionnistes. Ça pourrait être encore plus dingue. De mon point de vue, question de goût, le fantasme du jazz a toujours tendance à retenir les outrances, et les personnalités doivent absolument s'affranchir des styles, mais franchement c'est bien.



→ The Very Big Experimental Toubifri Orchestra, Outre, CD Le Grande Expérimentale, sortie le 15 mars 2024

mardi 13 février 2024

Mon dragon n'est pas de bois


Samedi, Sun Sun nous avait invités à fêter le nouvel an chinois. J'avais enfilé un gilet orné d'un dragon, c'est l'année qui veut cela, et puis c'est mon signe dans l'horoscope chinois. Je suis dragon d'eau. Il y avait beaucoup de monde, les mets sublimes s'enchaînaient, une vraie dinguerie. Notre ami avait passé la semaine en cuisine. Et à la fin de la soirée j'avais encore toute ma voix. Normal, il n'y avait pas de musique, comme c'est la fâcheuse habitude. Alors j'ai pensé à mon vieil article du 2 mai 2012...

Le son monte à la tête


D'où vient cette manie de faire hurler la musique dans les fêtes ?
Si c'est pour se défoncer il y a des substances plus douces et plus rigolotes. Saturer les enceintes d'aigus stridents ne fait que déformer le son, rajouter arbitrairement des sub-basses relève d'une même logique de l'absurde. Cette surenchère a commencé avec la compression qu'impose le flux radiophonique, égalisation des niveaux supposée ne rien perdre des détails et aboutissant à une homogénéisation de toute la production musicale. Les oreilles des fêtards en prennent pour leur grade, mais les acouphènes n'apparaîtront fort douloureusement que des années plus tard. Si les lésions auditives sont irréversibles les extinctions de voix ne seront heureusement que passagères. Le plus étonnant est la faute de goût fondamentale que représente l'invasion totale et exclusive de tout l'espace. Car l'espace sonore submerge l'espace à proprement parlé et tout mode d'échange. La surenchère de décibels laisse croire qu'on en prend plein la vue et que tout le monde communie quand il ne s'agit que d'une uniformisation au rouleau compresseur. La communion factice ne fait hélas jamais office de communication. À l'instar des restaurants qui imaginent meubler le silence en faisant monter le bruit d'ambiance, le volume sonore empêche les conversations et les rencontres. Seuls les danseurs en transe y trouvent leur bonheur quand les autres convives subissent en silence un mutisme imposé. Il existe parfois un coin fumeur à l'écart où l'on attrape la crève parmi les courants d'air, ou la cuisine, si elle est isolée, où se réfugient les plus critiques, soulagés de pouvoir échanger quelques mots.
Le mystère reste entier sur les raisons profondes de cette coutume contemporaine. Les DJ autoproclamés ne savent plus ménager temps forts et temps faibles, le bulldozer rappelle plutôt une offensive guerrière qu'une danse de séduction. Les morceaux langoureux et les nappes planantes sont réservées aux backrooms, généralement inexistantes faute de place dans les soirées privées. Quand on n'a rien à se dire cette destruction systématique de l'échange, du conduit auditif et de la musique peut se comprendre. Nombreux convives se plaignent du gâchis, mais ne savent pas comment déroger à cette nouvelle coutume qu'aucun ne s'explique, que tous subissent, bâillonnés par le volume assourdissant.

lundi 12 février 2024

Petit & Roy dans la boîte rouge


Le joli coffret en carton rouge marque d'emblée l'aspect artisanal de l'entreprise. Il abrite deux CD accompagnés de petits livrets avec des textes de Hervé Péjaudier et une préface de Jean Rochard. L'objet justifie donc son acquisition plutôt que quelque version dématérialisée qui, de toute manière, convient mal à ce type de musique, des improvisations à deux voix pour alto (Guillaume Roy) et violoncelle (Didier Petit) que l'on retrouve dans le deuxième disque en trio, successivement avec le chanteur Kristof Hiriart, la clarinettiste Catherine Delaunay, le percussionniste-électronicien Michele Rabbia, Daunik Lazro au sax baryton, Yaping Wang au guqin (sorte de cithare chinoise) et Christiane Bopp au trombone.
Les cordes de Petit et Roy me font penser à un essaim dont la densité excite la charge électrique. Si Petit joua un temps avec des abeilles, il est souvent pieds nus, avec l'habitude de se promener la crosse sur l'épaule. Quant à Roy il a souvent croisé le fer au sein du Quatuor IXI. Les deux musiciens volètent, tourbillonnent, se croisent, se fondent en un ballet hyménoptère donnant naissance à un hyperorganisme devant lequel ils s'effacent, leurs cordes individuelles dessinant chaîne et trame pour tisser une toile arachnide dans laquelle se prend l'histoire de la musique. J'écris "de la musique" comme si elle était une, mais elle est ici plusieurs, racines classiques et populaires, rhizomes de plus d'un mycélium. Le titre du premier album À l'est du soleil laisse penser que c'est encore la nuit...
Le second, Programmes communs, fait référence à des petits arrangements avec les vivants, comme un Tarot taoïste. Pour Le bateleur, Kristof Hiriart, "Langues comme une", articule un murmure, les cordes vocales se transformant en chant et cri au contact de celles de Petit et Roy, et pour L'amoureux, "Programme commun", le Basque frôle le lettrisme. Pour La prêtresse, Catherine Delaunay, "L'arbre à palabres", escalade les filetages du duo comme les branches d'un arbre dont les feuilles seraient des notes qui se ressemblent. Pour L'impératrice, Michele Rabbia, "La position du trépied", prend le temps des bruits de sa cité. Pour L'empereur, Daunik Lazro, "La vie des strates", laisse les archets imiter l'anche et la sienne prend son souffle, rauque et grinçante. Pour L'hiérophante, Yaping Wang, "Douceur carmin", en pince aussi savamment que sauvagement. Pour Le chariot, Christiane Bopp, "Souffle commun", signale délicatement que l'on est arrivés à bon port.

→ Petit Roy, À l'est du soleil + Programmes communs, coffret 2 CD In Situ, dist. Orkhêstra International et Allumés du Jazz

vendredi 9 février 2024

Des Asociaux Associés dans l'air du temps


À relire ma chronique du 21 mai 2020 que je reproduis après mon petit article d'aujourd'hui, j'avais déjà bien apprécié les deux vinyles Ramasse-Miettes Nucléaires (1976) et Nouveaux Modes Industriels (1978) de Philippe Doray et Les Asociaux Associés, réédités par Souffle Continu Records il y a quatre ans.
Or la "période 2" représentée par Le composant compositeur était restée inédite, bien qu'elle ait été enregistrée de 1984 à 1987. Composées avec Laurence Garcette qui, comme lui, joue des claviers et synthétiseurs, les chansons pop de Doray relèvent d'une fascination pour l'électronique que j'avais découverte avec le 45 tours de Miss Téléphone dans les années 50 et les mots onomatopéiques de l'après-guerre, du Feutre Taupé d'Aznavour (1948) au Comic Strip de Gainsbourg (1967). Ces chansons n'ayant pas pris une ride, on ne sera pas étonné de retrouver Nino Ferrer ou Richard Gotainer jusqu'à Albert Marcœur ou Poudingue dans ces élucubrations inventives, évidemment plus expérimentales et particulièrement soignées instrumentalement. Le duo est accompagné par Joël Drouin (claviers), Marc Duconseille (sax, flûte), Jean-Pierre Faivre (batterie, percussion), Christophe Pélissié (guitare, basse), Yannick Capron (guitare) et toute une bande copains pour faire les chœurs.


Quitte à être exhaustif, Souffle Continu Records a glissé dans l'enveloppe du vinyle un CD de bonus inédits des années 80 où figurent également Thierry Müller (guitare, orgue, synthé, percussion électronique), Christian Derbhécourt (synthé, guitare), Michel Vittu (guitare). Les envolées lyriques des guitares et les éructations des sax profitent des rythmes mécaniques affirmés tandis que des timbres inouïs collent aux enveloppes rituelles. À l'écoute de la musique actuelle, la pop française de cette époque-là mérite vraiment d'être redécouverte, parce qu'il y a toujours une origine à tout et qu'il est délicieux de retrouver les chaînons manquants qui expliquent comment on en est arrivés là.

Ramasse-Miettes Nucléaires / Nouveaux Modes Industriels


Les années 1970 furent réellement celles de l'expérimentation tous azimuts, dans tous les arts, mais aussi dans nos vies elles-mêmes. Jimi Hendrix titrait judicieusement Are You Experienced?. Il y en eut pourtant pas mal qui ratèrent le coche. Dommage. On disait aussi que si tu n'es pas anarchiste à 20 ans, tu ne le seras jamais ! Des décennies plus tard, les mêmes qui avaient plongé dans l'utopie, qu'elle fut révolutionnaire, écologique, sexuelle, lysergique ou artistique, ne furent pas si nombreux à se reconnaître. Les classes sociales rattrapent leurs ouailles si bien que nombreux pourraient porter la pancarte de renégat ou social-traître autour du cou ! Ceux-là n'apprécient guère qu'on leur rappelle leur jeunesse flamboyante. Les autres font figure d'anciens combattants, nostalgiques d'une époque à qui la réaction tailla un costard en peau de chagrin...
Alors écouter les deux vinyles de Philippe Doray & Les Asociaux Associés fait bigrement plaisir. Ce ne sont pas des chefs d'œuvre, mais on y respire un vent de liberté devenu rare. Ça bidouille, ça scande, ça flotte, ça invente, ça se cherche et si ça se trouve ça passe ailleurs, une autre plage, comme celle apparue sous les pavés du Quartier Latin un mois de mai plein d'espérance, pas du genre de celui cadenassé qu'on essaie de nous faire avaler sous le filtre des masques.
Philippe Doray est d'abord auteur des chansons flippées qu'il marmonne en faisant claquer les consonnes. "Chante avec moi et n'aie pas peur de claquer des mains" sonne comme un brouillon de Philippe Katrine. La musique minimaliste puise sa source dans un krautrock à la française, une choucroute rouennaise s'ouvrant en vasistas sur une pop que déjà Brigitte Fontaine avait domptée, un jazz maladroit cousin des provocations rock'n roll de Jacques Berrocal. Si Philippe Doray joue aussi du synthé (j'imagine que le côté plastoc de ses tourneries vient d'un VCS3, il est épaulé par une bande de potes. À cette époque on n'avait pas des colocataires, on vivait en communauté. Autant citer ceux qui figurent sur la pochette, pas forcément parce que leur nom vous dira quelque chose, mais parce qu'ils se reconnaîtront, pour ceux qui sont encore vivants. Entendre "vivants" dans les deux sens : vivre opposé à survivre autant qu'à mourir. Et s'ils se reconnaissent, ils pourraient se mettre debout et crier qu'il est temps d'être jeune, le crier aux petits comme aux grands, et peut-être même à ceux qui sont morts, dans tous les cas ne rien oublier de ce qu'il est indispensable de transmettre.
Ainsi participent au premier album, Ramasse-miettes nucléaire, Pat Bouchard, Claude Derambure, Demos, Michel Vittu et aussi, mais sans leur frimousse au verso du 30 centimètres, Francis Yvelin, Sandrine Fontaine, Anne-Marie Chagnaud, M'Ahmed Loucif, Olivier Pedron, Jacques Staub, Gérad Morel, la Fanfare de la Crique, Jacques Cordeau, Olivier Croguennec. Sur le second, Nouveaux modes industriels, au noyau dur se joignent Olivier Boiteux, Véronique Vigné, Jacques Cordeau, Jean-Lou Hirat, Alain Bocquelet, Marc Duconseille, Marie-Ange Cousin, Patrick Dubot, Pascal Gallelli, Laurence Perquis, Yannick Capron, Jean-François Duboc, Jean-Pierre Nicolle. Beaucoup font les chœurs, mais l'orchestre comprend guitare, basse, batterie, percussion et cuivres.
Enregistrés de 1977 à 1980, les deux disques font la paire. Ils s'écoutent avec beaucoup de plaisir. Une légèreté en émane, aussi naïve que sincère, aussi brute que recherchée, malgré les paroles souvent sombres de Doray, connu pour avoir appartenu aux groupes Rotomagus, Ruth et Crash, et pour figurer comme notre Défense de dans la Nurse With Wound List, bible de l'underground musical depuis presque un demi-siècle.

→ Les Asociaux Associés, Le Composant Compositeur, LP+CD Souffle Continu Records, 25€
→ Philippe Doray & Les Asociaux Associés, LP Ramasse-miettes nucléaire et LP Nouveaux modes industriels, Souffle Continu Records, ces deux-là déjà épuisés !

jeudi 8 février 2024

Virée électro


Je suis étonné de bien supporter les rythmes répétitifs du batteur suisse Jonas Albrecht dont l'album Schrei Mich Nicht So An Ich Bin In Trance Baby (que l'on peut traduire "Ne me crie pas dessus, je suis en transe Baby") vient de paraître. Il est vrai que les morceaux commencent souvent par une sorte de magma sonore où la voix se mêle à des enregistrements préalables, mais quand c'est parti cela ne s'arrête plus. La transe fonctionne. Elle saoule. Le corps suit sans se poser de questions. On pourrait danser des heures sans qu'on s'en aperçoive, jusqu'à tomber de fatigue. Je n'oserais jamais, j'ajouterais des cris, des mélodies sur cette corde à linge, ce fil où n'importe quel objet sonore sécherait aussitôt exprimé. Mais cela ne me fait pas suer, non, puisque je fais banquette.

Mirror Division du duo Chaos Shrine (que l'on peut traduire Sanctuaire du chaos), constitué de l'Américain Paul Beauchamp et de l'Italien Andrea Cauduro, est plus planant. Le rituel est cette fois sombre, grave, forcément "grottesque" avec sa réverbération caverneuse. En gongs, basses, gants de boxe, guitare électrique et perceuses chorales, les instruments électroniques vous plongent dans une léthargie de fin de nuit, back room juste avant que le soleil ne réapparaisse.


Traces de Filax Staël, pseudonyme de l'artiste hollandais Bas Mandel, est le plus expérimental des trois. Les 24 miniatures sont la face sonore d'un projet audiovisuel auquel participent Okko Perekki et, pour le texte d'accompagnement, Simon Taylor. Je suis moins sensible au style technoïde et réfrigérant des images, mais je n'ai eu qu'un vague aperçu de cet ensemble qui joue d'un va-et-vient entre les deux formes d'expression. La musique est un mélange de compositions et de collages où les nuages et la mémoire inspirent des transpositions à l'artiste. C'est à la fois très riche et étonnamment uniforme. Si les deux précédents disques flattent le corps, celui-ci titille nettement le ciboulot.

→ Jonas Albrecht, Schrei Mich Nicht So An Ich Bin In Trance Baby, Irascible Records, LP 30CHF / numérique 10 CHF
→ Chaos Shrine, Mirror Division, Erototox, LP / numérique, sortie le 5 avril 2024
→ SECTION 10_Filax Staël, Traces, Revlaboratories, LP10"+livre de 52 pages, 24,99£, sortie le 22 mars 2024

mercredi 7 février 2024

L'esprit de l'escalier


Les amies avaient envie de regarder un bon thriller. Comme les comédies, ce genre de demande est de plus en plus difficile à satisfaire. On a presque tout vu, du moins parmi les meilleurs. Il faut trouver un film que personne ne connaît. J'ai proposé The Staircase de Jean-Xavier de Lestrade (DVD ed. Montparnasse), un feuilleton documentaire en huit épisodes, en tout six heures certes un peu étirées, mais le suspense et les coups de théâtre nous ont tenus en haleine depuis la découverte du corps jusqu'au verdict. Tiré de 650 heures de rushes, tourné jusqu'à trois caméras, le film ne comporte aucun commentaire.


Crime ou accident ? Pas question de révéler ici quoi que ce soit de cette affaire qui a pourtant été énormément couverte par les médias, en particulier grâce au film, et dont de nouveaux épisodes sont en cours de tournage et montage, plus de dix ans après les faits, car les rebondissements n'ont pas cessé depuis le verdict. Juste situer la mort de Kathleen Peterson en bas d’un escalier de sa maison le 9 décembre 2001 à Durham, Caroline du Nord, un état du sud des États Unis particulièrement réactionnaire. Son mari, Michael Peterson, romancier à succès et personnage public, est suspecté l'avoir assassinée. Très vite, la morale devient le véritable mobile, non pas de la mort, mais du procès en sorcellerie que l'accusation déballe au fur et à mesure. Le procureur s'acharne. La bataille des avocats dure des mois...
Je voulais titrer "Le mauvais esprit de l'escalier", mais les deux jeux de mots imbriqués compliquaient les choses. L'esprit de l'escalier, propre à tout long procès, descendait de Lestrade quand le mauvais esprit incombait au procureur et à sa coéquipière tentant de convaincre les jurés de la culpabilité de Peterson non sur ses actes supposés, mais sur ses inclinations sexuelles sans rapport avec le sujet. Et l'esprit de l'escalier ne sera découvert que des années plus tard. Mystère. En 2002 le réalisateur avait reçu un Oscar pour Un coupable idéal, un jeune noir accusé à tort, mais The Staircase (traduit Soupçons en français) me fait plutôt penser à Capturing The Friedmans, chef d'œuvre d'Andrew Jarecki (DVD mk2) pour ses ramifications morales et l'usage de la vidéo, ici caméra à l'épaule omniprésente, chez Jarecki home-movies exceptionnels constituant une sorte de tournage parallèle.

Depuis cet article du 1er mai 2012, la série a a fait l'objet de deux épisodes supplémentaires fin 2012 intitulés Soupçons (la dernière chance) et d'encore trois épisodes sur Netflix en 2018, lourds de fameux rebondissements. Elle a également été adaptée par HBO aux États-Unis en série télévisée de fiction, sous le même titre The Staircase. La dernière réalisation de Jean-Xavier de Lestrade, qui date de quelques mois, est l'excellente série fictionnalisée Sambre.

mardi 6 février 2024

Il reste quelques places le 18 février pour Apéro Labo #2 au Studio GRRR


Avec toutes ces couleurs comment pouvais-je résister ? J'ai récupéré une photo du duo Météore qui me rejoindra le 18 février au Studio GRRR pour un concert très intime puisque je ne peux recevoir que trente spectateurs dans de confortables fauteuils. C'est la deuxième séance de cet APÉRO LABO qui accueillera donc Fanny Meteier au tuba et Maëlle Desbrosses à l'alto. Mes propres instruments sont déjà en place, m'évitant ainsi des déplacements pénibles vers des salles de spectacle à l'acoustique rarement à la hauteur. Cette qualité de l'écoute se double de l'enregistrement impeccable de nos compositions instantanées, générant un album mis en ligne dans la semaine qui suit sur drame.org ! De plus, à l'issue du concert qui sollicite le public pour choisir le thème de ce que nous jouerons, seront servies boissons et victuailles. Nous jouons néanmoins au chapeau, car il faut bien nourrir aussi mes formidables invitées.
J'ai déjà enregistré un album avec chacune, Listen To The Quiet Plattfisk avec Maëlle (et la chanteuse-guitariste Isabel Sörling) et Raves avec Fanny (et le bassiste Olivier Lété), mais cette fois leur duo se révèlera exceptionnellement trio puisque je ferai sonner mes claviers et autres instruments bizarres !
Si vous souhaitez participer à ce concert exceptionnel, dimanche 18 février à 17h, près de la Porte des Lilas, et que vous êtes certain/e de venir, écrivez-moi ! Je confirmerai les réservations ou les infirmerai, puisque seul/e/s les premier/e/s à se décider seront servi/e/s, car plus de vingt personnes se sont déjà signalées. Par contre, vous pouvez exprimer votre désir d'assister aux prochains APÉRO LABO qui verront également des danseurs (ça c'est pour les beaux jours au jardin) et des poètes se joindre aux musiciens/ciennes.

lundi 5 février 2024

Quatre films d'un autre monde


La World Cinema Foundation a été "créée dans le but d’aider les pays en développement à préserver leurs trésors cinématographiques, (...) consolider et soutenir le travail des archives internationales, en offrant une aide aux pays qui ne possèdent pas les infrastructures techniques ni les ressources d’archivage nécessaires pour faire ce travail eux-mêmes." Elle publia chez Carlotta quatre films du patrimoine mondial sous l'égide de Martin Scorsese, mais depuis cet article du 10 avril 2012 ils ne figurent plus à son catalogue.

Transes (El Hal) (1981) du Marocain Ahmed El Maanouni est un documentaire exceptionnel sur Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens marocains formé dans les années 70, dont les concerts mettent les foules en transe. Ahurissant. Nous les suivons sur scène et dans leur vie quotidienne, entrecoupés de documents d'époque retraçant l'histoire récente de la décolonisation. S'accompagnant aux gumbri, bendir, darboukas et un banjo sans frettes, les quatre compères chantent la résistance et leur attachement à leurs racines retrouvées, berbères et gnaouas, de la poésie du Melhoun et du théâtre dont ils se réclament. Le film est passionnant, les personnages attachants, la musique hypnotique.

Les Révoltés d’Alvarado (Redes) (1936), premier film de Fred Zinneman, cosigné avec Emilio Gómez Muriel, préfigure le néo-réalisme italien tout en assumant sa filiation avec Robert Flaherty. Pour ce nouveau chant de résistance, cette fois des pêcheurs mexicains en lutte pour leurs salaires, tous les acteurs sauf un sont des amateurs, souvent jouant leur propre rôle. Les images admirables de Paul Strand et la musique de Silvestre Revueltas participent à cet envoûtement où le documentaire flirte encore plus explicitement avec la fiction.

En regardant l'étonnant Le Voyage de la hyène (Touki-Bouki) (1973) du Sénégalais Djibril Diop Mambety (frère aîné de Wasis Diop), j'en viens à penser que Scorsese est un agitateur révolutionnaire lorsqu'il soutient les autres cinéastes alors que depuis vingt ans il se laisse formater par le clacissisme du cinéma dominant lorsqu'il dirige lui-même ! Par son montage inventif, sa bande-son contrapuntique, sa poésie brutale et son humour provocateur, le cinéaste filme le rêve de deux jeunes nomades décidés à partir en France coûte que coûte. Anta, jeune fille des quartiers pauvres de Dakar, et Mory, gardien de troupeau, préfigurent les milliers d'émigrés qui s'échouent sur les plages du sud de l'Europe ou se noient avant de les atteindre.

La Flûte de roseau (Mest) (1989) du Kazakh Ermek Shinarbaev évoque la tragédie de la diaspora coréenne en images somptueuses mais prévisibles, accompagnées d'une ensorcelante partition du compositeur Vladislav Shute ; je reste hélas peu sensible au cinéma contemplatif et sentencieux. De plus, les histoires de vengeance m'ennuient. Cette œuvre pourra néanmoins combler les amateurs de Tarkovski et de fables asiatiques. Là aussi, le quotidien croise la poésie. Comme pour les autres films le bonus éclaire le film intelligemment, ici un entretien avec le réalisateur [...].

Poudingue déconcerte Franpi sur Citizen Jazz


Poudingue est un de ces projets qu’on voudrait décrire, mais finalement, c’est très ardu à définir précisément. Un peu comme le gâteau qui lui a donné son nom, le pudding, mélange de fruits confits, de restes et de couleurs extravagantes. Mais finalement, cette image ne correspondrait quant à elle pas au projet du corniste Nicolas Chedmail, qu’on connaît avant tout pour les constructions impossibles du Spat’sonore ? Ajoutons à cela une production assurée par Jean-Jacques Birgé, et l’on comprendra tout le foutraque nécessaire pour construire La Preuve, premier disque d’un trio auquel se joint le guitariste Frédéric Mainçon, qui donne un côté punk à tout ceci (« Rame de queue »). Récapitulons : Poudingue commence avec « What a Funny Law » qui semble tout droit sorti d’un Lumpy Gravy de Zappa revisité par la Cold Wave. Puis, avec « je vous prie d’agréer », c’est comme si Albert Marcœur avait soudain eu envie de collaborer avec Crass. Avec Poudingue, on ne sait pas bien où l’on se trouve. Et c’est bien tout l’effet recherché.

Citizen Jazz, par Franpi Barriaux // Publié le 4 février 2024

dimanche 4 février 2024

Denis Desassis encense Pique-nique au labo 3


S’il n’existait pas, je crois qu’il faudrait, de toute urgence, inventer Jean-Jacques Birgé. Je ne reviendrai pas ici sur le parcours très singulier et non moins prolifique de ce musicien compositeur et multi-instrumentiste, véritable boulimique d’une création tout aussi libertaire que jubilatoire. L’artiste est en outre très partageur, non seulement à travers les écrits quotidiens de son blog depuis de très longues années, mais aussi en raison de la somme assez incroyable d’enregistrements qu’il met à la disposition de tous sur son site drame.org. En d’autres termes, Birgé est un cas d’espèce.
Récemment – c’était au mois de septembre – notre homme a publié un « Pique-nique au labo 3 » qui fait suite, comme son titre peut le laisser supposer, à « Pique-nique au labo 1 / 2 » paru sous la forme d’un double CD enregistré de 2010 à 2019. Tout cela se passe sur son propre label, au nom qu’on n’est pas obligé de prononcer uniquement lorsqu’on est en colère : GRRR. Tout comme son prédécesseur, « Pique-nique au labo 3 » est une compilation de sessions enregistrées dans son studio. Celles-ci, disponibles à l’écoute dans leur intégralité, couvrent la période allant du mars 2021 à juin 2023. Soit onze rendez-vous, pour la plupart en trio mais parfois en duo, avec une magnifique galerie de musiciennes et musiciens. Pour bien comprendre le phénomène, il faudrait imaginer un mot qui serait – sans la référence médiévale – aux musiciens ce qu’un bestiaire est aux animaux. Le « musiciaire » de Jean-Jacques Birgé est une véritable gourmandise à consommer sans modération, et quelques exemples suffisent pour donner envie de se plonger dans l’écoute de cette musique instantanée, sans cesse sur la brèche : Naïssam Jalal, Lionel Martin, Gilles Coronado, François Corneloup, Élise Caron, Mathias Lévy, Philippe Deschepper, Hélène Breschand, Sophie Agnel, Csaba Palotaï, Fidel Fourneyron… N’en jetez plus, la cour du labo est pleine !
« Il s’agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire », dit Jean-Jacques Birgé. Une magnifique intention et un assez incroyable voyage aux couleurs changeantes au gré des différentes personnalités en action, dont le cap est donné par le hasard puisque « la thématique de chaque pièce est tirée au sort avant de jouer » (on pense alors aux « Oblique Strategies » de Brian Eno). « Pique-nique au labo 3 » est, on l’aura compris, un véritable régal dont la multiplicité des trajectoires n’a d’égale que la joie qui semble habiter les protagonistes de cette aventure, qui fait ressentir le besoin pressent d'une suite. Rendez-vous du côté de drame.org : ce sera la meilleure façon de suivre le déroulement de toute cette histoire pas comme les autres et d’écouter ces funambules. Les écouter pour les rencontrer, bien sûr !

Denis Desassis - NOTES EXTIMES # 39 - Dimanche 4 février 2024

samedi 3 février 2024

Philippe Legris a rejoint l'orchestre invisible


C'est bien triste. Il avait été le tubiste du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. Il avait même enregistré notre petite Valse Liberté sur ses Duos à varier... Je savais lorsqu'il était dans la fosse d'un orchestre car Patrice Petitdidier au cor et lui avaient l'habitude de la jouer pendant l'accord ! Il est présent sur les 3 disques du Drame des années 80 et dans nos cœurs.

vendredi 2 février 2024

Jazz en appartement


Tandis que je me lance dans une série de concerts au Studio GRRR je retrouve un article du 11 avril 2012 évoquant l'une des soirées organisées par la plasticienne et poète mcgayffier. En ce qui me concerne il reste quelques places pour celui du dimanche 18 février où je jouerai avec la tubiste Fanny Meteier et l'altiste Maëlle Desbrosses qui forment le duo Météore. M'écrire si jamais vous souhaitez y assister, mais rien de garanti, la jauge étant limitée à trente personnes. La première eut lieu le 14 janvier, justement avec Antonin-Tri Hoang et le violoniste Mathias Lévy, et donna lieu à l'enregistrement de l'album Apéro Labo 1...

Comment vivre de son art lorsque l'on est musicien de jazz ? Il faudrait jouer tous les soirs pour avoir un salaire décent. Les diplômés du Conservatoire jouent dans des clubs en passant le chapeau. Dans certains lieux bien équipés ils reçoivent 120 euros net, c'est Versailles. Les festivals offrent de meilleurs tarifs. La paie est liée à la jauge de la salle. Il faut accumuler 43 cachets isolés sur dix mois et demi pour pouvoir prétendre au statut d'intermittent du spectacle. C'est difficile. Beaucoup sortent du système. Certains choisissent l'enseignement pour arrondir leurs fins de mois ou plus prosaïquement pouvoir croûter. Lorsque les subventions ne concernent pas directement les artistes, elles permettent aux lieux de diffusion d'exister. Ils ne sont pas légion. Alors on invente de nouveaux modèles. Et puis, si l'on a choisi d'être artiste, on est d'abord guidé par sa passion. Un luxe de faire ce qui vous plaît. Jouer en appartement, payé, défrayé ou simplement invité, est devenu courant. Pour le plaisir d'offrir un moment privilégié. Pour l'amour de l'art et le désir de partager.
Vendredi soir, cela se passait "chez Thérèse". La maîtresse de maison possède un piano à queue. L'orchestre avait apporté la batterie et ses instruments. En première partie jouait Louis Laurain. Performance hors du commun. Le trompettiste base tout son travail sur le souffle, pas la respiration, mais le son du vent dans les tuyaux de sa trompette. Le moindre bruit parasite devient percussion. Laurain démonte sa trompette, retire les coulisses, claque la soupape, tape les pistons, replace l'embouchure, met la sourdine. La respiration continue permet de contrôler la longueur de ses phrases. Exercice virtuose très émouvant. Une prouesse contemporaine mettant les muscles à contribution. C'est si rare qu'une pièce de trompette solo m'enchante. Anthologique.


Après les amuse-gueules de l'entr'acte, le quartet Novembre se déchaîne. C'est très écrit sans perdre la fougue de l'instantané. Les compositions sont essentiellement du saxophoniste alto Antonin Tri Hoang et du pianiste Romain Clerc-Renaud. Ils sont accompagnés par Thibault Cellier à la contrebasse et Elie Duris à la batterie. Si leur musique est très personnelle, certains passages saluent de loin les débuts de Carla Bley, le cri d'Albert Ayler ou les inventions harmoniques d'Ornette Coleman. Hoang a adapté quelques pièces d'Aéroplanes, son duo avec Benoît Delbecq. La musique est sculptée dans la masse. Les silences succèdent aux agrégats. Après toute cette vitalité, nous parlons politique avec les jeunes spectateurs [...]. La musique du changement.

jeudi 1 février 2024

Bad Boy Bubby & Co


Je ne me souviens pas toujours comment j'ai l'idée de choisir tel ou tel film. Je rassemble ceux que je n'ai pas encore vus sur un disque dur amovible [...]. Au bout de quelques semaines les titres ne me disent plus rien et je suis obligé de zapper quelques minutes, de lire les jaquettes ou de chercher sur Wikipédia. Le soir je cherche un film qui convienne à mes invités, questions de langue, de sous-titres et de genre évidemment. Je garde les pires pour les moments de solitude et les meilleurs pour les regarder [en bonne compagnie]. Du moins ceux que j'imagine bons ou que je ne tente que par curiosité malsaine.


[...] La surprise est venue de Bad Boy Bubby (1993) dont nous ignorions tout. Film hors normes, drôle et provocateur, profond et renversant, il nous surprend sans cesse, autant par son imagination que par les émotions qu'il suscite. Sans le déflorer, je le comparerai à un Enfant sauvage en mode urbain style Tueurs de la lune de miel, version trash d'Edward aux mains d'argent filmée par John Waters, monstre révélant l'humanité de son concepteur, le cinéaste Rolf de Heer. Le tournage est à la hauteur du scénario, 32 directeurs de la photographie se succédant pour chaque nouveau lieu que Bubby découvre, avec piste son enregistrée à l'aide de deux microphones binauraux cachés dans les oreilles de l'acteur Nicholas Hope ! Comme nous sommes épatés, je vais à la pêche et rapporte dix autres films du cinéaste australien qui semblent tout aussi prometteurs, du moins dans leurs concepts : Encounter at Raven's Gate (1988) et Epsilon sont deux films de science-fiction, Miles Davis joue l'un des principaux rôles de Dingo (1991), The Quiet Room (1996) évoque l'effondrement d'une famille à travers le regard d'une fillette, Dance Me to My Song (1998) conte l'amour d'un homme pour une tétraplégique, The Old Man Who Read Love Stories (2001) est tourné dans la jungle de la Guyane française, The Tracker (2002) est un western dans l'outback australien, Alexandra's Project (2003) est un drame qui dérange, Ten Canoes (10 canoës, 150 lances et 3 épouses, 2006) est un conte aborigène ni reportage ni fiction dansant sur la couleur et le noir et blanc, Dr Plonk (2007) est un burlesque entièrement muet, Twelve Canoes (2008) se savoure interactivement sur Internet...

Depuis cet article du 12 avril 2012, Rolf de Heer a réalisé The King Is Dead! (2012), Charlie's Country (2013) et récemment l'excellent The Survival of Kindness (2022), allégorie sans paroles compréhensibles sur le racisme...