C'est une excellente idée d'avoir associé Francis Poulenc, compositeur que j'ai toujours défendu, en particulier pour ses trois fantastiques opéras, Les mamelles de Tirésias, Le dialogue des Carmélites, La Voix humaine ou ses mélodies interprétées par Pierre Bernac ou Denise Duval, et Bernard Cavanna sur le CD où Léo Warynski dirige l'ensemble vocal Les Métaboles et l'ensemble instrumental Multilatérale, car l'un comme l'autre ont en commun de posséder deux faces comme l'indique le titre de l'album, Le Moine et le Voyou. Si je préfère le Poulenc casquette sur l'œil, dit Poupoule, que le chrétien moderne, mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, mon goût va vers les extravagances de Cavanna plus que vers son classicisme contemporain. C'est toutes proportions gardées, car j'adore autant le lyrisme des œuvres chorales de Poulenc que la maîtrise instrumentale de Cavanna. Il y a cinq ans j'avais chroniqué son À l'agité du bocal, bousin pour 3 ténors dépareillés et ensemble de foire, pamphlet de Louis-Ferdinand Céline contre Jean-Paul Sartre, auquel j'associerai son Karl Koop Konzert, comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre (2007-2008), ou ses Geek bagatelles pour orchestre symphonique et ensemble de smartphones (2016). À côté de ces facéties qui me ravissent, Cavanna écrit des œuvres plus sérieuses comme son ShangaÏ concerto pour violon, violoncelle et orchestre (2007), ses transcriptions de lieder de Schubert avec accordéon, violon et violoncelle (2000-2012), ses deux concertos pour violon, etc. J'écris "sérieuses", mais je trouve ses pièces provocatrices probablement plus sérieuses que tout le reste. Cavanna est un doux pince-sans-rire qui n'hésite pas à mordre le monde. Il cherche à "manier la vulgarité avec finesse". Ce goût de s'écarter du politiquement correct en cherchant une authenticité de la forme grâce à des éléments vulgaires m'enchante.
Pour l'album Le moine et le voyou, le choix de Léo Warynski de le commencer avec Un soir de neige, cantate profane sur un texte de Paul Éluard (1944) et Quatre motets pour un temps de pénitence (1938-1939) nous prépare à la dialectique de la Messe pour un jour ordinaire de Cavanna (1993-1994, nouvelle version 2023) où une misérable toxicomane, soprano léger, vient demander de l'aide à des ouailles, une soprano et un ténor lyrique, qui ne l'entendent pas de cette oreille, les culs-bénis ! Les textes de cet oratorio exacerbé, l'œuvre exquise d'un mécréant, viennent de la messe ordinaire, de dialogues du film Galère de femmes de Jean-Michel Carré, d'une déclaration de Klaus Barbie lors de son procès à Lyon, d'un poème de Nathalie Méfano écrit un jour avant sa disparition et d'une définition d'un bateau dans le dictionnaire ! L'orchestre comporte trois accordéons, instrument populaire cher au compositeur, comme la mandoline ou la cornemuse qu'il utilise souvent.


Sans paroles, Scordatura, son deuxième concerto (2019) en trois parties (In Memoriam, Pulsations, Matchiche), pour violon(s) et orchestre symphonique, exige de la partition d'être encore plus furieuse. C'est sa violoniste de prédilection, la Suissesse Noëmi Schindler, qui s'y colle, comme pour le premier concerto (1999), ici version avec orchestre de chambre de 2006, plus tragique. La scordatura est une manière d'accorder les instruments à cordes qui s'écarte de l'accord usuel. C'est un disque beaucoup plus violent et méchant. Entre les deux concertos, les Bagatelles sont cinglantes avec un détournement savoureux de l'Ode à la joie où le massacre est explicite, une pièce participative avec le public. Reconnaissant à la fois des influences viennoises et ivesiennes dans la musique de Cavanna, je m'enthousiasme devant chaque œuvre que je découvre, tel un nouveau baroque.

→ Bernard Cavanna, Concertos et bagatelles, CD L'empreinte digitale, par Noëmi Schindler et l'Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek, 18,36€
→ Poulenc - Cavanna, Le Moine et le Voyou, CD NoMadMusic, par Les Métaboles et Multilatérale dirigés par Léo Warynski, 15,99€
Les disques de Cavanna sont tous accompagnés d'un passionnant livret.