70 juillet 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 juillet 2023

La barbe


C'est l'été. Je n'ai que ça à faire. Pas vraiment, mais les sorties sont plus rares ces derniers temps. Il pleut. Les amis partent en vacances. Le silence envahit la rue, si ce n'est quelques solos de batterie qui arrosent régulièrement les vitres. Je suis dans l'expectative. Et puis chez moi ça miaule et ça décibêle. Comme des moutons électriques. Peut-être ferai-je bientôt comme tout le monde, du moins ceux qui prennent la poudre d'escampette, mais j'ai peut-être un nouveau Pique-nique au labo à enregistrer la semaine prochaine. Alors, lorsque je ne m'occupe pas des prochaines sorties discographiques, un CD avec une vingtaine d'invités et un vinyle de rock déglingué avec le groupe Poudingue, lorsque je n'aménage pas la maison ou ne m'occupe pas des plantes du jardin qui me narguent à concourir à qui poussera le plus vite, sans compter écrire, toujours écrire, des mots, de la musique, des images, cela m'a semblé une idée amusante de me laisser pousser la barbe. J'y ai souvent pensé, parfois commencé, et puis je m'étais dégonflé. Cela ne prend pourtant pas de temps, au contraire on en gagne même un petit peu le matin. Cette tâche quotidienne, répétitive, particulièrement rasante me semble enfin plus légère. Comme beaucoup de barbus, je tripote de temps en temps cette bande Velcro en poils noirs et blancs. C'est doux. Je joue. Comme lorsqu'enfant je me déguisais, ce que mon père appelait la chienlit. Paradoxalement je continue à me raser les joues, peut-être pour affirmer le geste qui n'a rien de négligé. En fait je reproduis explicitement la barbe que j'avais eue à vingt ans.


Fraîchement sorti de l'Idhec, j'étais allé demander du boulot à l'un des patrons de Gaumont. Il m'avait répondu que j'avais l'air d'avoir quinze ans et que personne ne me prendrait au sérieux. Cela lui rappelait ses débuts où il s'était laissé pousser la barbe pour faire plus vieux. Je suivis son conseil et me retrouvai à travailler sur des films de René Clément ou Jean Rollin ! J'attachais mes cheveux en catogan, ce que personne ne faisait encore. Ma passion pour Frank Zappa, dont j'écoute justement en ce moment le triple Funky Nothingness exhumé de 1970, y était aussi pour quelque chose. Sept ans plus tard, en 1981, je coupai mes cheveux, rasai ma barbe, cette fois pour me rajeunir ! En me regardant dans le miroir de la salle de bain, je sautai littéralement de joie. Je m'étais reconnu. Mes cheveux courts s'étaient étonnamment mis à friser, mais cela n'a pas duré. J'ai depuis laissé tranquille mon système pileux. De son côté il a pris ses aises en me gratifiant d'une petite tonsure. Entre temps, sur les conseils de mon ami Bernard, j'avais tout de même tenté de me teindre, mais j'ai vite abandonné, préférant assumer la nouvelle mue. En cherchant une photo des années 70, je me suis aperçu que je réalisais déjà des selfies. Les cheveux longs et la barbe sont aussi devenus à la mode. Je l'ai toujours fuie, mais à écouter ma musique ou regarder mes films je me demande si je ne devrais pas parfois essayer de m'en rapprocher ? J'en suis très probablement incapable, préférant l'inédit, les chemins de traverse et l'indépendance. Je fais donc une exception, c'est la barbe !

vendredi 28 juillet 2023

Un jeune homme sous influence


De temps en temps nous plongeons dans le passé, feuilletant nos cahiers d'écolier, albums de photos ou boîtes fourre-tout. Il faut parfois attendre des décennies, mais les accumulateurs finissent par rendre leur jus.
En juin [2010] j'avais exhumé "les 10 vinyles que j'ai achetés pour leurs pochettes et dont la musique ne m'a pas déçu, bien au contraire, puisqu'ils sont à l'origine de ma vocation de compositeur" pour l'exposition Face B de Daniela Franco à La Maison Rouge. Étaient cités We're Only In It For The Money des Mothers of Invention, Their Satanic Majesties Request des Rolling Stones, le premier album des Silver Apples, Strictly Personal de Captain Beefheart and His Magic Band, Electronic Music de George Harrison, An Electric Storm de White Noise, The Doughnut in Granny's House du Bonzo Dog Band, The Academy in Peril de John Cale, Musics for Piano, Whistling, Microphone and Tape Recorder de Michael Snow et le premier album d'Albert Marcœur. Dimanche matin, jour propice à écouter des disques remisés derrière le divan, j'ai retrouvé d'autres albums qui m'ont influencé considérablement sans que je m'en souvienne. Je laisse pour l'instant de côté ceux de mon enfance, 45 tours et évocations radiophoniques, et mes premiers achats, Claude François, Adamo et les Beatles !
Parmi mes 33 tours achetés en 1968, Crown of Creation de Jefferson Airplane incarnait l'électricité du rock psychédélique, Have A Marijuana de David Peel and The Lower East Side l'agit prop de rue, In-A-Gadda-Da-Vida d'Iron Butterfly nos transes rituelles, In Search of The Lost Chord des Moody Blues le rock symphonique gentillet, mais ceux qui me marquèrent de manière indélébile furent plus certainement The Beat Goes On de Vanilla Fudge, incroyable remix romantique de tubes de tous les âges avec utilisation dramatique de voix historiques (Chamberlain, Churchill, Hitler, Roosevelt, Truman, Kennedy, etc.), d'interviews reconstitués et d'éléments hétérogènes, l'éclectique et expérimental Wonderwall Music de George Harrison, Beatle le plus proche de Revolution 9, et évidemment les deux précédents albums de la bande de Frank Zappa, Freak Out ! et Absolutely Free. De l'année suivante et malgré les griffures de Scat qui en avait bien esquinté les tranches, je reconnais Trout Mask Replica, chef d'œuvre de Beefheart, Umma Gumma de Pink Floyd juste avant que je les remplace par Soft Machine, Sun Ra et Harry Partch dans mon panthéon, Family Entertainment de Family, rock progressif aussi éclectique (c'est un terme que j'apprécie, on l'aura compris ou entendu !) avec l'extraordinaire puissance vocale de Roger Chapman, Permanent Damage des GTO's (Girls Together Outrageously), un groupe de nanas déjantées produites par Zappa sur Straight.
Tous ces disques méritent d'être découverts ou redécouverts par quiconque s'intéresse à cette époque prolifique où l'imagination était au pouvoir, du moins dans la résistance. Il y en a beaucoup d'autres, c'est très personnel, je n'ai cité que ceux que je possède encore dans leurs versions vinyle avec leurs grandes pochettes de 30 cm sur 30 cm et qui ont influencé indirectement ma propre musique. L'esprit des jeunes gens est très meuble et les émotions imprimées à cette époque de formation sont souvent plus marquantes qu'on ne le suppose...

Article du 29 mars 2011 illustré par deux photos de ma pomme prises à Marly-le-Roi en 1971 pendant le concours de l'Idhec, j'avais 18 ans.

jeudi 27 juillet 2023

Coups de foudre


Des amis, des amies m'ont parfois reproché d'aller trop vite dans mes relations amoureuses, comme si mon enthousiasme faisait peur et empêchait certaines relations de s'établir. J'ai toujours répondu que si c'était la bonne personne pourquoi perdre du temps en simagrées, et en cas de fausse route autant s'en apercevoir le plus tôt possible ! Si je me réfère à mes amours passées, cette promptitude m'a toujours réussi et je reste persuadé que celles que j'ai effarouchées n'étaient pas faites pour moi. Les ruptures ont procédé de la même vitesse, bien que j'en fusse rarement l'initiateur. Cette symétrie se retrouve dans le divorce qui est à la hauteur du mariage, à savoir que plus on y met d'importance, plus le divorce sera douloureux. En voyant les sommes colossales dépensées par les jeunes couples qui se marient je me dis souvent qu'ils n'auront pas fini d'en rembourser les frais avant de se séparer ! Mes deux divorces avec des femmes que j'ai beaucoup aimées se sont passés à l'amiable. Nous avions habité ensemble dès le premier jour et avons profité de notre complicité de très nombreuses années. Mes liaisons plus courtes, bien qu'assez longues, n'ont pas été différentes. Lorsque je repense à ce que nous avons vécu je n'en conserve que de bons souvenirs. À quoi bon ressasser nos erreurs ? J'ai été heureux avec toutes (enfin, sauf une, il était probablement nécessaire de se tromper au moins une fois, mais cela avait duré tout de même deux ans !) et, grâce leur soit rendue, j'ai l'impression d'avoir été chaque fois un homme meilleur. C'est dire qu'à mon âge canonique j'espère m'approcher de la notion de Mensch, rare trace de ma culture ancestrale.
J'avais d'abord titré "I know where I'm going", comme le film de Michael Powell que j'adore, et pour cause, il y a des évidences, trop rares, raison de plus pour ne pas les laisser passer. Si je peux parfaitement identifier mon désir, suis-je pour autant capable de sentir la réciprocité, indispensable pour faire ensemble un bout de chemin, sans ne jamais s'ennuyer, dans une confiance mutuelle absolue, et une acceptation totale de l'autre ? Je me suis parfois leurré, mais fus rembarré suffisamment tôt pour que cela n'ait aucune gravité. Lorsque le regard de l'autre fait miroir, jaillit l'élan le plus fou. La raison s'efface alors, remplacée par une certitude qui me rappelle l'improvisation musicale. Comme on se surprend soi-même, on acceptera les mystères qui meuvent l'être aimé en se fiant à son intuition, surtout si elle a fait ses preuves. Cela n'empêche pas la plus grande fébrilité, car à l'instant de la rencontre on n'est encore rien, portant pourtant l'énorme bagage du déficit des années antérieures. Est-on alors capable de s'en débarrasser pour renaître comme au premier jour ? Peut-on avoir l'innocence de croire que tout est encore possible, à chaque moment de l'existence ? Lorsque la magie opère, il ne faut surtout pas s'endormir et entretenir la flamme, légère, brûlante, merveilleuse.

P.S.: oui, c'est l'été, on peut jouer, je me laisse pousser la barbe ; et dans une seconde il va pleuvoir des hallebardes, c'est bon pour le jardin. Quant à mon petit article, n'y cherchez pas de sous-entendus, j'ai tenu ces propos de tous temps, ce qui ne m'empêche pas de rêver, même s'il faut toujours prendre en compte le temps entre la foudre et le tonnerre, il y a un fichu délai entre l'image et le son...
J'ajouterai que mes amitiés furent toujours aussi évidentes, tant dans la rencontre que dans d'éventuelles ruptures.

mercredi 26 juillet 2023

White Sands


Rien n'est plus aveuglant que le gypse blanc sous un soleil brûlant. Tout est blanc, trop blanc, troublant. Nos yeux se plissent pour laisser passer le minimum de lumière par leurs fentes, tout en admirant l'extraordinaire paysage de dunes des White Sands, un désert de sable fin où rien ne pousse. La terre, chauffée à blanc, brille de tous ses feux. Nous ne voyons plus aucun yucca, aucun agave, aucun cactus, même s'il paraît qu'il en pousse parfois. La plupart des animaux sauvages ne s'y risquent à sortir qu'à la nuit. J'imagine pourtant Vil Coyote courser Bip Bip en éclaboussant de gypse l'air qui vibre de chaleur. Nous gambadons allègrement. Les grains glissent sous nos pas comme si nous étions pris dans le flot d’un sablier. Pas loin s'étendent les terrains militaires où sont testés les armes atomiques. Un parfum de fin du monde flotte sur cet endroit surexposé. Presque toutes mes diapos se révèleront blanches, transparentes, avec nos corps d'extraterrestres irradiés comme si nous nous évaporions.

(extrait de mon roman USA 1968 deux enfants / sur la photo ma sœur Agnès et moi, 13 et 15 ans cet été-là)

La Turquie via deux excellentes séries


Comme j'avais beaucoup aimé La maison Von Kummerveldt et que nous avions évoqué les rares séries mettant en scène la psychanalyse, Michael Lemesre me suggère de regarder la série turque Bir Başkadır (traduit "C'est différent") que j'avais d'ailleurs récupérée sous le nom de Ethos. Le sujet s'appuie sur les différences entre ville et campagne, et surtout les conservateurs religieux et les laïcs révoltés par le voile. Si le point de vue politique n'est qu'effleuré, la lutte des classes un peu escamotée par une bonne conscience bourgeoise, il n'en demeure pas moins que Bir Başkadır renvoie tous les personnages au contradictions que révèle la psychanalyse et les rend tous particulièrement attachants. En montrant les faiblesses de chacun/e, le réalisateur Berkun Oya déchiffre les traumatismes individuels et les névroses familiales qui les poussent à leur mal de vivre. Le scénario montre également que la "guérison" peut passer par des voies diverses et que la psychanalyse n'est que l'une d'entre elles, du moins dans sa pratique. Énorme succès en Turquie, cette excellente série, servie par une remarquable direction d'acteurs et un regard acéré sur le paysage qui laisse une marque indélébile sur les individus, mérite d'être découverte, d'autant que ce n'est pas la seule réussite de son auteur.


Trois ans plus tôt, Berkun Oya avait signé Masum (traduit "Innocent"), une série policière aussi captivante, qui m'avait également échappé. Là aussi les trajectoires des personnages se trouvent étonnamment imbriquées, un peu à la manière d'un récit choral ; la folie les guette et les femmes y tiennent des rôles très forts dans un pays où le patriarcat s'exprime avec violence. La puissance de l'environnement social, mais également géographique, y est génialement rendue. Les questions posées par les uns laissent souvent sans voix celles et ceux à qui elles s'adressent, comme si le passé tu empêchait d'avancer. Bien qu'il n'y soit jamais fait référence, je ne peux m'empêcher de penser au génocide arménien dont le tabou marque forcément l'histoire du pays. Le mensonge, prétendument érigé par protection des êtres aimés, devient une arme à double tranchant. Comme dans l'autre mini-série (chacune se compose de huit épisodes), la rédemption, thème récurrent dans le cinéma turc, n'intervient qu'en faisant sortir les cadavres des placards. Les mots qui précèdent s'appliquent aux deux séries. Ajoutez la corruption pour la seconde...

Ces mini-séries sont diffusées sur Netflix comme nombreuses séries turques, deuxième producteur mondial après les États-Unis.

mardi 25 juillet 2023

Plastic Bamboo d'Asynchrone


Il a fallu que j'attende le troisième morceau de l'album Plastic Bamboo du groupe Asynchrone pour que mes craintes disparaissent. Les deux premiers sonnaient comme de l'électro pop japonaise synthétique et désincarnée. N'ayant jamais été un fan de la musique de Ryūichi Sakamoto, trop hygiénique à mon goût, et le disque constituant des adaptations de onze de ses pièces, je pouvais craindre le pire. Heureusement, malgré un riff plus chinois que japonais, le saxophone free de Hugues Mayot et la flûte distordue de Delphine Joussein commencèrent à prendre la tangente sur Neue Tanz, comme le piano jazz de Manuel Peskine sur Thatness and Thereness dont les chœurs me rappellent irrésistiblement le groupe Supersonic. Et plus ça va, plus le propos de pervertir l'objet de leurs désirs, en particulier ceux du synthésiste Frédéric Soulard et du violoncelliste Clément Petit à l'origine du projet, colle à ce mélange de dance et de jazz. Le rythme est tenu par les synthés et la batterie de Vincent Taeger, son marimba se mêlant aux sons électroacoustiques très "plastic bamboo". On finit par avoir envie de se trémousser avant que les voix répètent inlassablement Once in a Lifetime à la manière du Sun Ra Arkestra et que Mayot s'envole sur les ailes de Pharoah Sanders. Pour Ubi il plane ainsi au-dessus de l'arpégiateur, très belle évocation romantique des années 70. Plus le chaos prend le dessus, mieux je m'y retrouve dans ce mélange des genres où l'électronique et l'acoustique participent à cette épopée épique qui entraîna Sakamoto à composer de mémorables musiques pour le cinéma. Finalement l'ambient prend les couleurs de notre temps et le kraut jazz décape le dance floor.



→ Asynchrone, Plastic Bamboo, CD No Format!, sortie le 29 septembre 2023 (concert le 27 au 104)

lundi 24 juillet 2023

La maison Von Kummerveldt, série féministe explosive


Suite à mon article sur des séries télé récentes, Michael Lemesre m'a suggéré de regarder La maison Von Kummerveldt, six très courts épisodes réalisés par le cinéaste et producteur allemand Mark Lorei. Je n'ai pas été déçu par ce pamphlet anti-patriarcal tout à fait d'actualité même si l'action se passe à l’avant-veille de la Première Guerre Mondiale, pendant le Second Reich. La défaite française de Sedan qui a marqué la fin de Napoléon III est plusieurs fois évoquée, mais l'orgueil et le conservatisme allemands sont explicitement visés par l'héroïne qui ne pense qu'à faire publier son roman sur la vie d'une prolétaire au service d'aristocrates. Ce culte absurde de la rigueur militaire se poursuivra jusqu'au nazisme. Dans cette satire féroce et provocatrice j'ai évidemment reconnu l'influence de Luis Buñuel, de L'âge d'or au Journal d'une femme de chambre, via Sade, Marx et une drôlerie quasi surréaliste ! La musique du groupe de rock Gurr remet les pendules à l'heure quand apparaît l'intertitre "où comment Louise a guéri de l'hystérie en criant jusqu'à faire exploser son corset à la gueule de la patrie...". Les comédiens sont très bien et la réalisation à la hauteur du scénario corrosif de la jeune Cécil Joyce Röski qui dresse le portrait d'une jeune femme en quête d'émancipation.


La bande-annonce est en V.O., mais sur Arte.tv la série est évidemment sous-titrée, et en accès libre !

vendredi 21 juillet 2023

Gammes de ouf


Mon nouveau synthé russe se joue à deux mains, mais je dois tenir mon smartphone pour prendre la photo. Si je veux profiter des glissés du gyroscope et phénomènes de gravité en l'inclinant et le secouant, il vaut même mieux que je m'en saisisse carrément, mais pour l'instant j'apprends à m'en servir. Comme les quatre autres instruments fabriqués par Soma que je possède déjà, mon nouveau jouet n'obéit pas du tout aux principes habituellement développés sur les appareils fabriqués au Japon, aux États Unis ou ailleurs. Ce synthétiseur numérique polyphonique et microtonal ayant relativement peu de boutons, il faut apprendre les combinaisons de touches et l'ordre des commandes pour en jouer aisément. Lorsqu'on commence à les assimiler, Terra devient un instrument extrêmement intuitif permettant d'improviser à la volée. Il n'y a pas de menu, pas d'écran. Les commandes sont tactiles, particulièrement agréables à manipuler, sortes de contacteurs semi-sphériques très doux, recouverts d'une fine couche de laque, réagissant à la largeur de surface du touché, donc à la pression des doigts et à la vélocité. La synthèse est un mélange complexe de modulation de fréquence, d'additive, de soustractive, de modèles physiques et je ne sais quoi. L'objet est plus profond qu'il n'en a l'air et je me demande si je saurai un jour utiliser toutes ses ressources. Il y a une partie Midi, 13 modes d'arpégiateur, 8 formes de LFO, 96 presets de timbres programmables, filtres et enveloppes, réverbération et délai, des transpositeurs sophistiqués, un stockage possible sur USB, il est stéréo et je deviens maboul si j'essaie de tout comprendre trop rapidement, car les commandes obéissent différemment en fonction des 32 algorithmes.
Je pensais l'utiliser mercredi dernier pour le nouveau Pique-nique au labo avec Bruno Ducret et Olivia Scemama, mais nous avons dû reporter la rencontre à août suite à une annulation de dernière minute du train de Bruno. Ce genre de mésaventure semble de plus en plus courante à la SNCF. Est-ce la dilatation des rails sous la chaleur grandissante ou une mauvaise organisation (l'une influant sur l'autre) je l'ignore, mais le train cet été n'est pas plus fiable que l'avion ? Quant aux travaux de la RATP, probablement en prévision des Jeux Olympiques, ils obligent à faire parfois le soir de longs trajets à pied. Heureusement j'ai mon vélo et pour l'instant je reste à Paris. J'en profite pour fourbir mes armes sur mon tronc d'arbre, en l'occurrence apprivoiser le Terra de manière à ce que mon approche soit la plus personnelle possible.

jeudi 20 juillet 2023

Les gouttes de Dieu et autres séries


Ce ne peut être la grève des scénaristes à Hollywood, mais depuis quelque temps j'ai l'impression que les séries tirent en longueur. Mini-séries ou saisons à tire-larigot, le nombre d'épisodes requis réclame-t-il les redites au fil des épisodes ? Si j'en ai laissé pas mal en route, certaines m'ont poussé à binger tard dans la nuit !
Les gouttes de Dieu est la plus récente à m'avoir captivé. Comme je déteste déflorer les films, j'évoquerai simplement le monde du vin remarquablement restitué. Suspense, rapports psychologiques, direction d'acteurs, tout est soigné, et une plongée pédagogique qui m'a donné envie d'ouvrir une bonne bouteille en plein milieu de la projection ! Cette mini-série américano-franco-japonaise en huit épisodes a été créée par Quoc Dang Tran, adaptée d'un manga culte de Tadashi Agi et Shu Okimoto. Les deux protagonistes sont remarquablement interprétés par Tomohisa Yamashita et la Française Fleur Geffrier, alors que c'était deux japonais dans la bédé. Gustave Kervern y est très bien comme le reste de la distribution. J'aime bien découvrir un monde que je connais mal et je suis certain de mieux apprécier mes prochains verres. Toute ma cave risque de passer au peigne fin ! Au delà de cette passionnante plongée œnologique, le sujet se prête à une réflexion sur l'éducation et l'apprentissage, et surtout sur la filiation et l'héritage. Comme on peut l'imaginer pour toutes les familles, ce n'est jamais simple...
Lors de ma dernière revue des séries, j'en étais resté au premier épisode de Rabbit Hole avec Kiefer Sutherland. La série, compliquée et pleine de coups de théâtre, tient la route, même si parfois je m'y perds. J'ai retrouvé le souffle de 24 heures chrono dans ce complot à tiroirs sur les chapeaux de roue. À suivre.
Keri Russell, que j'avais découverte dans l'excellent The Americans, tient à bout de bras The Diplomat, dans ce thriller politique où elle incarne l'ambassadrice américaine en Grande-Bretagne lors d'une crise internationale. À suivre.
Le scénariste Steven Knight, à qui l'on doit le formidable Peaky Blinders, mais aussi Dirty Pretty Things de Stephen Frears et Eastern Promises de David Cronenberg, a écrit SAS Rogue Heroes sur les exploits héroïques du British Army Special Air Service (SAS) pendant la Guerre du Désert au cours de la Seconde Guerre Mondiale, qui n'était pas encore régiment, mais une équipée de têtes brulées. Dans le genre, c'est très réussi.
La mini-série de science-fiction Abysses mérite qu'on aille jusqu'au bout, car le dernier épisode propose une résolution meilleure que ce à quoi on pourrait s'attendre. Dans les thrillers et les films à enquête la fin est rarement à la hauteur de l'énigme. Ce conte dystopique où la mer se rebelle face à la pollution et au réchauffement climatique est hélas prophétique. Il est dommage que les petites histoires intimes entre les protagonistes soient totalement ratées, inutiles, comme souvent dans les films catastrophe, car le reste se tient remarquablement bien, avec un très bon casting international où figurent Cécile de France, Leonie Benesch, Barbara Sukowa, Joshua Odjick, Takuya Kimura, etc.
J'ai été déçu par la dystopique Silo qui sent le déjà vu et répète les mêmes scènes à foison, la population cantonnée dans un bunker en sous-sol de 144 étages par une élite dont on ne connaît pas les intentions. Pas terminé I'm a virgo de Boots Riley dont j'avais adoré le long métrage Sorry To Bother You et dont le pitch est savoureux, mais ça n'avance pas après plusieurs épisodes... Sinon j'ai essayé The Resort, American Born Chinese, Funny Woman, George and Tammy, Elvira, Minx, The Big Door Prize, etc. sans tenir la distance, et préférant regarder des longs métrages moins chronophages...

mercredi 19 juillet 2023

Scott Fields Ensemble plays the songs of Steve Dalachinsky


Les poèmes de Steve Dalachinsky (1946-2019) mis en musique par Scott Fields, compositeur de Chicago, sonnent à mes oreilles comme des prétextes à une musique délicieuse qui flotte au fil du septet. La mezzo-soprano Barbara Schachtner me rappelle à la fois une cantatrice zappienne et certaines voix de Bang On A Can. Elle figure plus un instrument porté par les mots qu'une conteuse, s'intégrant merveilleusement à l'ensemble formé par Scott Fields à la guitare électrique, la clarinettiste Annette Maye, le tubiste Melvyn Poore, le flûtiste Norbert Rodenkirchen, l'accordéoniste Florian Stadler et Eva Pöpplein qui assure les interludes électroacoustiques à l'ordinateur. La musique de Fields est très différente de celle que Dalachinsky choisissait lorsqu'il disait ses poèmes accompagné par des musiciens, montrant que leur épatante musicalité se prête à d'autres traitements. La prosodie très rythmique de Dalachinsky pousse les musiciens à faire des pointes, et j'ai parfois l'impression qu'un orchestre de jazz actuel s'essaie à la musique viennoise. Les évocations sonores du field recording replacent l'ensemble dans sa contemporanéité, nous entraînant dans un courant aérien ou aquatique, comme si les mots flottaient tels des cocottes en papier dans un caniveau. Le retour à l'enfance ?


Sur la vidéo il faut sauter à la trentième minute pour entendre les mélodies du disque interprétées par l'Ensemble.

→ Scott Fields Ensemble plays the songs of Steve Dalachinsky, CD Ayler Records, sortie officielle le 20 août 2023, dist.Orkhêstra, mais il devrait être accessible sur Bandcamp dès le 4 août.

mardi 18 juillet 2023

Deux mondes parallèles se croisent-ils à l'infini ?


Mon texte est un peu confus, il est tard, je ne sais pas par quel bout le prendre, mais à l'issue de la projection du dessin animé japonais Suzume m'est apparue une hypothèse sur le cours de la vie. Il était évident qu'à chaque instant de l'existence on peut choisir son chemin, comme s'il y avait au moins la possibilité entre deux. En vieillissant nous comprenons tous et toutes qu'à chaque étape l'on peut être une personne meilleure ou sombrer dans ses pires travers. Les rencontres, amicales, amoureuses ou professionnelles, sont déterminantes. Elles sont souvent fatales dans le bon ou le mauvais sens. À chacun/e d'en tirer les leçons qui nous permettront d'affronter l'avenir. Or ce soir-là, peut-être grâce à la poésie magique de ce film japonais et parce que je suis en quête d'un nouvel horizon, j'ai perçu que certaines rencontres incarnent explicitement des possibles, qui se résolvent ou pas. Si ce sentiment est partagé, le miracle peut avoir lieu et un nouveau chapitre voit le jour, peu importe sa durée dans le temps. Rien n'est éternel, mais la réciprocité est nécessaire. Si elle apparaît comme une évidence à l'un ou l'une des protagonistes, elle n'est pas forcément partagée, et la porte d'entrée s'ouvrira ailleurs un autre jour avec un ou une autre. Deux mondes parallèles se croisent-ils à l'infini ? Ce n'est pas l'absence de partage, mais plutôt sa visibilité dont il est question, car son invisibilité empêche l'histoire de se construire. On rate ainsi certaines occasions, sachant que d'autres situations permettront de réaliser son désir. Ce n'est donc pas l'incompatibilité qui fait obstacle, mais la cécité. Et celle ou celui qui entrevoit les perspectives avec espoir ne pourra ouvrir les yeux de l'aveugle, quelle qu'en soit l'origine. Cela revient probablement au même. Il est possible à certains ou certaines de percevoir ces vies possibles, quitte à ce qu'elles s'évanouissent faute de synchronicité, voire qu'elles semblent pouvoir se dérouler dans des univers parallèles, même si ces mondes resteront fantasmatiques, alors que d'autres se conjugueront au singulier. Le croisement n'attendrait heureusement pas l'infini ! Cette illusion est merveilleuse. Il existerait donc des voyants et des non-voyants, sachant que le temps est un facteur déterminant. Or il n'y aura jamais une seule histoire, la fusion est impossible, ou plus exactement en cas d'accord majeur l'histoire se déclinera différemment selon chaque interprétation. Les plus sensibles subiront sagement ou brutalement les occasions manquées, mais ils savent que le miracle est à leur portée à condition de ne jamais baisser les bras et de continuer à agiter leurs antennes.

lundi 17 juillet 2023

Un tabac


Les plants exposés au sud font un tabac. Ses fleurs ont pourtant l'air fané au soleil, mais elles s'épanouissent aussitôt que l'ombre du soir envahit le jardin. D'ornement, leurs feuilles ne se fument pas, enfin c'est ce qu'on dit. Je suis obligé de le croire puisque je n'ai jamais fumé, de tabac. Ma mère corrigeait mes devoirs le Disque Bleu Filtre au bec, la fumée me remontant dans les narines. Comme ce ne fut jamais un interdit, écœuré par des années d'inhalation passive, je ne m'y suis jamais mis, contrairement à la plupart de mes camarades de lycée. J'achetais pourtant des Winston ou des Marlboro, espérant m'en servir pour draguer, mais j'étais si timide que le paquet me durait trois mois, pour un résultat catastrophique. Plus tard je mélangeai les brins de Camel à mes joints. Je n'ai jamais véritablement aimé le goût. Seuls les effets m'intéressaient. Expérimentalement ! Je les roulais avec une machine, m'imaginant probablement ainsi encore en amateur, même après quarante ans de cette pratique. J'ai arrêté il y a une dizaine d'années. Cela ne m'apportait plus qu'une fatigue au réveil. L'odeur du tabac des cigarillos auxquels ma mère était passée m'obligeait à me doucher et changer de vêtements lorsque je rentrais chez moi tant son appartement empestait, même lorsque je n'y restais que dix minutes. À sa mort, quand nous avons vendu son appartement, les livres étaient recouverts d'une poussière brune d'un centimètre d'épaisseur. C'est donc la première fois que le tabac me fait un effet positif. À la tombée du soir je reste en pâmoison devant ses fleurs blanches et roses en pensant qu'un jour mes rêves les plus chers se réaliseront. Soupir ! Cyriaque et Alexandre m'ont donné des quantités de semis dispersés dans autant de pots, beaucoup de fleurs, mais aussi des tomates, céleris, choux, etc. Le lendemain matin les tabacs étaient toujours ouverts. Pendant mon voyage au Maroc qui a duré quinze jours, les bambous avaient poussé de deux mètres en hauteur. Je tente de réguler cette petite jungle. Posséder un jardin redonne un sens aux saisons, aux variations climatiques, à la lutte pour la vie, à notre animalité dénaturée...

vendredi 14 juillet 2023

Par terre avec Birgé Donarier Legros


Voilà, le jour de gloire est... arrivé. Lorsque la session est une partie de rigolade, la musique profite de notre complicité. Je n'avais jamais rencontré Emmanuelle Legros ni Matthieu Donarier, mais j'avais chroniqué leur disque à l'une comme à l'autre, Forêts du trio Tatanka composé par la trompettiste et Le bestiaire du saxophoniste. La première a choisi le second comme le veut le protocole de ces Pique-nique au labo dont le volume 3 sortira en CD à la rentrée. Mardi dernier marquait la première rencontre à figurer sur le volume 4 lorsqu'il sera complet. Et ce sera un fabuleux début !...


Matthieu est venu avec son ténor, Emmanuelle avec trompette et bugle, mais tous les deux sont allés piocher d'autres instruments dans ma caverne d'Ali Baba. Emmanuelle s'est emparée d'une trompe africaine et de petites percussions comme Matthieu qui a adopté mon petit piano Michelsonne. De mon côté j'avais comme d'habitude mes claviers et d'autres machines électroniques, les trompettes à anche, flûtes, guimbardes, l'inanga, le violon et deux instruments à archet achetés à Bangkok, un saw duang et un saw u. Le résultat m'apparaît très lyrique et merveilleusement équilibré. Je leur avais fait choisir entre le jeu de Brian Eno et Peter Schmidt ou celui de Dixit, ils ont préféré s'inspirer des phrases plutôt que des dessins : Vers l'insignifiant / La chose la plus importante est la chose qu'on oublie le plus facilement / Slow preparation, fast execution / Toujours les premiers pas / Trois couleurs inacceptables / Continuez comme ça / Une partie seulement, pas tout / Dans l'obscurité ou une très grande salle, silencieusement.


À midi j'avais préparé du poulpe mariné accompagné d'une ratatouille et de riz, avec les incontournables glaces et sorbets avant le café. La cuisine, comme la musique, permet de faire connaissance, de partager notre plaisir, de digresser et élucubrer à loisir. Pour la photo Matthieu a proposé que nous nous allongions par terre (Par terre est le titre de l'album) dans la cuisine, Emmanuelle et moi avons suggéré de camoufler nos double-mentons, la contre-plongée donnant l'impression d'en avoir même à celles ou ceux qui n'en ont pas ! Je suis grimpé sur l'escabeau et clic clac c'est dans la boîte. J'ai choisi une photo de Matthieu pour la pochette et récupéré celle du studio vide faite par Emmanuelle, là où nous avions abandonné nos instruments, le temps de prendre le café au jardin.

→ Birgé Donarier Legros, Par terre, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org et Bandcamp

jeudi 13 juillet 2023

Maroc (6) Le retour


J'enregistre des ambiances que j'intégrerai peut-être dans quelques œuvres musicales. Je prends des photos. La fenêtre grise est le reflet d'une terrasse de café en bas dans la rue. La climatisation et la parabole sont des classiques. Les publicités avec des images de femmes occidentalisées tranchent avec la réalité voilée. Le Maroc fait sans cesse le grand écart. Richesse de la classe dirigeante et pauvreté de la population, la médina figée dans ses coutumes et la ville nouvelle dans son attirance pour la société de consommation, les femmes voilées et les hommes libres d'aller où ils veulent, etc.


J'ai anticipé le départ de Tétouan pour Tanger qui est un peu moins religieuse, donc moins sujette à fermeture pendant l'Aïd, mais c'est très relatif. La piscine de l'hôtel nous sauve, mon petit-fils y passant ses journées avec ses brassards. Coquin, il est ravi que le maître-nageur soit parti passer les fêtes avec sa famille, lui permettant ainsi de nager dans le grand bain habituellement interdit aux enfants...


Toute l'équipe avait profité d'une fin de journée pour aller nous baigner sur la plage de M'diq avant de rejoindre Tanger. Cela me fait beaucoup de bien de vivre dans des pays dont je ne parle pas la langue. Comme je n'ai aucun mal à adopter les coutumes locales le changement de repères est salutaire. Je n'étais pas parti à l'étranger depuis le confinement qui avait annulé notre voyage au Japon. Et puis j'évite de prendre l'avion autant que possible, et même la voiture, privilégiant le train, le vélo et la marche à pied !

Voilà, j'ai regagné mes pénates où je pense passer le reste de l'été. Il risque de faire très chaud dans le sud et j'ai pas mal de travaux à boucler. Le CD Pique-nique au labo 3est parti en fabrication, il ne reste plus qu'à finaliser la pochette et le master du vinyle La preuve du groupe Poudingue, la réédition du vinyle In Fractured Silence (1982) est programmée également pour septembre, j'attends également plusieurs compilations et des livres auxquels j'ai participé, sans compter les nouveaux projets auxquels j'ai donné mon accord dont probablement quelques créations live ! Mais Par terre, enregistré mardi avec la trompettiste Emmanuelle Legros et le saxophoniste Matthieu Donarier, est déjà en ligne (on en parle demain, mais les impatients peuvent dores et déjà en profiter), et j'en enregistre un autre la semaine prochaine avec le violoncelliste Bruno Ducret et la bassiste Olivia Scemama... Entre le 20 juillet et le 4 septembre, par contre, c'est mystère et boule de gomme,ce qui ne m'empêche pas de rêver.

mercredi 12 juillet 2023

Maroc (5) Carnet de voyage


Eliott collectionne des souvenirs à coller dans son carnet de voyage. Je passe mes journées avec lui pendant que ses parents travaillent à leur nouveau spectacle, invités par l'Institut français. Au Maroc il n'est pas simple de trouver de quoi intéresser un gamin de cinq ans. Il marche heureusement de bon cœur et nous arpentons la médina de long en large... Le second jour le réceptionniste de l'hôtel m'indique une aire de jeu qui lui permettra de faire des cabrioles sur un trampoline. Sinon nous lisons des livres et il construit un requin ou un poulpe avec le Lego Creator.


Eliott apprend quelques mots d'arabe comme bonjour, merci, pardon, au revoir. Il apprécie moins que de vieilles dames ou des vieux messieurs veulent l'embrasser comme du bon pain. Ce n'est évidemment pas une coutume qu'il connaît. Ils ou elles l'attrapent pratiquement de force. C'est perturbant.


Sa maman lui a donné une pièce d'un dirham avec laquelle il joue en la lançant en l'air ou en faisant des tours de magie. S'il est sensible aux odeurs il ne saura pas les intégrer graphiquement à son récit. Nous trouvons le souk des tanneurs par hasard, caché derrière une porte cochère. Je lui aurais bien acheté une paire de babouches comme pour moi, mais il n'en veut à aucun prix. De temps en temps, à Chefchaouen ou Tanger, nous trouverons heureusement un endroit pour nous arrêter et boire un thé à la menthe.


Mais à Tétouan l'Aïd laisse les Marocains chez eux.
L'Aïd al-Adha (عيد الأضحى « la fête du sacrifice ») ou Aīd al-Kabīr (العيد الكبير « la grande fête »), grand aïd, est célébré le dixième jour de Dhou al Hijja, dernier mois du calendrier musulman, en commémoration du sacrifice d'Abraham, et coïncide avec le pèlerinage à La Mecque (cinquième pilier de l'islam). La tradition est de sacrifier un mouton lors de cette fête et de partager le repas avec la famille ou bien des personnes importantes.

mardi 11 juillet 2023

Maroc (4) Le Roi


Je suis réveillé à 6h30 du matin par des trompes et des tambours. Foule déterminée. On se serait crus dans un film de Costa-Gavras. Ce sont les premiers admirateurs du roi qui arrivent à la grande mosquée située en bas, probablement guidé par une sorte de préfet local en uniforme beige. Il n'y a que des hommes. La fenêtre de ma chambre en angle offre une vision panoramique sur la rue étroite qui mène à l'Institut Français, voisin du bâtiment religieux. Depuis quelques jours une cohorte d'ouvriers s'affaire à faire briller tout ce qui longe le parcours du monarque. Ils repeignent le moindre réverbère, les tuiles de la mosquée, les murs, les bandes blanches de la route. Les arbres sont taillés au carré comme si Edward aux mains d'argent avait été engagé parmi la foule des artisans. Des camions livrent même de nouvelles cuvettes de toilette. La ville se transforme en décor d'opérette, du moins le long du trajet qu'empruntera Mohammed VI.


Le roi possède des palais à Casablanca, Fès, Marrakech, Meknès, Agadir, Ifrane, Oujda, Rabat et Tétouan, ainsi que le château de Betz dans l'Oise. La richesse de la famille royale tranche avec la pauvreté de la population. Les notables de la ville sont en djellaba blanche. Il y a tant d'uniformes différents pour effectuer le service d'ordre que je ne peux reconnaître ceux qui sont de la police, de la gendarmerie, de l'armée ou je ne sais quoi. Les plus patibulaires portent costume cravate et chemise blanche. Il semble que ce soit les services secrets ou les gradés de la police. L'un d'eux est monté sur le toit en face de l'hôtel et intime l'ordre aux badauds penchés aux fenêtres de rentrer chez eux...


La garde royale à cheval patiente en rang dans la rue adjacente. Eliott est très intrigué par les chevaux qui ne peuvent se retenir de déféquer. Au fur et à mesure des palefreniers ou hommes de ménage tout de blanc vêtus ramassent le crottin avec des petites pelles et des grands sacs en osier qu'ils vident ensuite directement dans les poubelles municipales. La voiture blindée du roi a des angles droits là où ceux du cortège sont arrondis. Toute la ville est aux couleurs rouge et vert du drapeau marocain. Des guirlandes lumineuses entourent les palmiers. Sur la place proche du palais royal la sono tonitruante diffuse une excellente musique arabe. Ce n'est pas un hasard si le roi fête l'Aïd à Tétouan, geste probablement d'apaisement, dans cette ville très pieuse, après ses positions contre l'islamisme intégriste. Le Maroc bénéficie de largesses de l'Europe en échange d'une frontière barbelée qui empêche les migrants de franchir le détroit de Gibraltar et débarquer sur les plages espagnoles. Les jours qui suivent tout sera fermé. Nous avons fait des provisions d'eau minérale et j'ai stocké quelques pâtisseries orientales pour le goûter !

lundi 10 juillet 2023

Maroc (3) L'Aïd


Cinq millions six cent mille ou sept millions de moutons sont égorgés à 11 heures le jour dit de l'Aïd. À ce stade on ne les compte plus, surtout pour s'endormir à l'heure de la sieste. C'est probablement un par famille. À l'entrée de Tétouan le marché aux moutons et aux chèvres crée un embouteillage. Chacun choisit la bête qui lui fera un ou deux mois.


Certains viennent chercher leur mouton en carriole, d'autres le tirent avec une ficelle. Il faut bien être quatre pour faire grimper un mouton vivant dans le coffre d'une petite voiture. Ça bêle. Nina nous envoie des extraits hilarants de la série animée anglaise Shaun The Sheep. Mieux vaut en rire, mais cette boucherie forcément interroge nos propres pratiques carnassières.


Pendant l'Aïd Tetouan est une ville morte. Elle ressemble à la période du confinement. Pas un restaurant, pas une épicerie d'ouvertes. Les rues sont désertes. Nous nous replions sur les restaurants d'hôtels où nous sommes souvent seuls dans la salle, sauf au délicieux Riad Blanco situé dans la médina. Il faudra que je trouve la recette de la soupe de melon. Il faut toquer à une porte un peu anonyme qui s'ouvre sur un décor typique.


La terrasse d'une pharmacie traditionnelle offre un panoramique sur la médina. Il y a toujours autant d'antennes paraboliques, un peu de linge qui sèche, mais personne alentour. Les rabatteurs précisent toujours que leurs conseils de guide sont gratuits. Il touche évidemment une commission sur les achats que vous faites là où ils vous emmènent. Comme les touristes sont rares à Tétouan, il y a très peu de hustlers, le genre collant qui ne vous lâchent pas, en comparaison avec Marrakech, par exemple, qui est devenue infréquentable. Par contre, dans certains quartiers, on croise un mendiant la main tendue tous les vingt mètres, beaucoup de femmes, de personnes âgées et quelques estropiés. J'enregistre le muezzin qui au loin appelle à la prière.


Je craignais que mon petit-fils soit choqué par l'odeur du sang dans les ruelles rincées, par les têtes et les pattes qui y sont brûlées pour récupérer les cornes, etc. Au contraire il me demande de voir les carcasses de moutons accrochées chez le boucher et regrette de ne pas assister à la découpe ! Par contre le bruit du tambour l'agresse terriblement et nous sommes obligés de filer rapidement. C'est en nous perdant dans le labyrinthe de la médina que nous sommes tombés sur une place minuscule où jouent les Gnaouas avec leurs karkabats (qraqeb). Ils dansent.

samedi 8 juillet 2023

Maroc (2) Le Rif


Des dates ayant été annulées au dernier moment pour les Spatistes nous descendons ou montons tous ensemble dans le Rif, descendre parce que Chefchaouen est à un peu plus d'une heure de Tetouan vers le sud, monter parce que nous grimpons dans la montagne. Cette fois nous sommes superbement logés au riad Dar Dalia tenu par Rémy. Contrairement aux hôtels impersonnels, situés dans les parties nouvelles des villes, que nous tentons d'éviter autant que possible, les riads sont des maisons traditionnelles avec un patio ou un jardin intérieur entouré par les chambres. La fontaine centrale émet une douce musique camouflant les bruits de la medina. Nous prenons le petit-déjeuner sur la terrasse avec une vue sur la vallée et les collines qui nous surplombent. Comme nous sommes un peu saturés par la cuisine locale très répétitive, Nina décide d'y faire à dîner, en l'occurrence une salade et un riz réparateur !


Elsa me photographie en contre-plongée dans les escaliers qui mènent à une autre terrasse où le linge sèche au-dessus de deux grosses tortues qui passionnent les enfants. Pendant le séjour je porte essentiellement un pantalon de pêcheur thaïlandais et des chemises hawaïennes à manches courtes. Mon pantalon en lin made in China a craqué dès le premier jour et à Tanger, pour la fin du voyage, je choisirai un short avec plein de poches acheté à Bangkok il y a belle lurette.


Le lendemain matin de notre arrivée nous grimpons jusqu'à deux mosquées perchées tout en haut. Il fait très chaud sous le soleil. Heureusement je suis affublé de l'un de mes célèbres chapeaux à large visière et protection de la nuque. Je suis étonné qu'aucun couturier n'ait encore copié ces couvre-chefs que portent les pêcheurs cambodgiens du Tonlé-Sap. J'ai également pensé à emporter deux éventails, accessoire indispensable par grosse chaleur, comme mon sac de rando avec poche à eau et des sandales amphibies. Tout en haut il y a un petit café où nous nous désaltérons avec un thé à la menthe. Phildar nous épate autant que les paysans que nous croisons en marchant avec une bouteille d'eau posée debout sur sa tête. Un chien que nous ne connaissions pas nous accompagne pendant toute la grimpette, nous indiquant le chemin.


Chefchaouen est connue pour sa médina peinte entièrement en bleus. Je l'écris au pluriel, car même si sa couleur est unique, le temps, le soleil et la fantaisie des autochtones ont joué de ses variations. Comme partout si l'on évite l'heure de pointe et l'axe principal, les touristes sont rares dans le magnifique labyrinthe, même dans la Kasbah, forteresse ocre située en son centre, que je visite avec Nicolas.


Dans un bazar encombré de vielles choses sur plusieurs étages j'achète des babouches qui remplaceront mes charentaises Rivalin quimpéroises totalement élimées. Nous sommes tentés par les longues trompes en cuivre au son grave et rauque, mais leur taille les rend impossibles à emporter avec nous dans l'avion. Nous sommes déjà très chargés avec les cinq spats, une quinzaine de valises et sacs nécessitant de faire viser le carnet ATA de l'ensemble à l'entrée et à la sortie de chaque pays. Au vu de ce nombre mes camarades s'attendaient à ce qu'au moins une valise soit perdue par Air France et cela n'a pas manqué. Au retour en avion je suis amusé par ma lecture du roman de John Waters, Sale menteuse, dont les premiers chapitres content l'aventure d'un couple spécialisé dans le vol de bagages sur les tapis roulants des aéroports ! La suite semble aussi savoureuse, je dévore.


Nous faisons quelques kilomètres, trois quarts d'heure en taxi collectif, pour rejoindre les gorges d'Akchour où nous pourrons nous baigner dans les nombreuses cascades. L'hôtel Ermitage où nous résidons est extrêmement luxueux. Le prix est lié à sa situation, des chalets en bois individuels au milieu d'un jardin luxuriant, mais les prestations ne sont pas à la hauteur de sa publicité. Comme j'y reste deux jours seul avec mon petit-fils, nous profitons des bassins pour nous baigner avec les tortues d'eau qui nagent autour de nous...


Depuis la terrasse du restaurant de l'Ermitage on aperçoit au fond notre chalet "suédois" ! Après quelques mésaventures organisationnelles l'ambiance post-coloniale de cette résidence nous fait d'autant plus penser au dernier film d'Albert Serra, Pacifiction. L'hôtel a privatisé une portion de la rivière qui dégringole de la montagne. À l'aube j'enregistre les chants des oiseaux. Le soir Eliott est fasciné par un énorme crapaud en bas de notre escalier. Comme partout pendant notre périple c'est dans les bouis-bouis les plus roots que la cuisine est la moins pire. Les tajines y sont copieux et les poulets grillés au feu de bois.


Heureusement que nous montons au Pont de Dieu avec ses parents et les amis Spatistes, car je me vois mal crapahuter seul, avec mon petit-fils qui a cinq ans, sur les ponts de branchages en m'agrippant aux parois rocheuses. Par moments nous avons tout de même de l'eau jusqu'à la ceinture. Eliott est ravi quand passent au-dessus de nous une trentaine de singes magots. Cela change des cigognes. Le thé à la menthe ponctue agréablement toutes nos journées.


Sur le retour vers Tetouan j'admire partout les oliviers. Plus haut, partout dans la montagne, s'étalent les champs de cannabis. La région vit de cette culture, tolérée même si elle est interdite. On peut fumer localement du kif sans risque, mais pas question d'en rapporter. À cette époque les plants sont encore bas. Ils seront cueillis à la fin de l'été. Les routes, bien goudronnées, n'ont rien à voir avec leur état lorsque nous y conduisions dans les années 60 et 70. Je me souviens du jour où mon père avait fait voler la voiture de location sur un pont cassé comme dans un film avec Jean-Paul Belmondo ! Nous n'avions pas le choix. La route ne permettait pas de revenir en arrière. Il avait fait descendre tout le monde, y compris les bagages, et avait pris son élan. Ma mère et ma sœur qui ne s'étaient pas assez poussées avaient été recouvertes de boue à l'atterrissage ! Mon admiration paternelle était à son comble.

jeudi 6 juillet 2023

Maroc (1)


Autant commencer par une photo de Tétouan, au nord du Maroc où nous avons passé le plus de temps. Très peu touristique, extrêmement religieuse, cette ville à l'architecture influencée par le sud de l'Espagne, possède par ailleurs une médina magnifique nous plongeant dans un espace-temps à rebours de notre quotidien. Nous nous sommes longuement perdus avec délectation dans le labyrinthe des ruelles aux murs blancs et aux portes sculptées ou ouvragées. À comparer avec mes voyages marocains précédents qui remontent aux années 70 et 90, j'y ai constaté une pauvreté considérable (on rencontre un mendiant tous les vingt mètres), une plongée dans la religion expansive (la plupart des femmes sont voilées) et une gentillesse légendaire. La différence de régime entre les hommes et les femmes y est considérable, les uns libres d'aller comme ils le souhaitent, les autres contraintes à l'anonymat dans les espaces publics. J'ignore l'effet produit sur les autochtones, mais ces visages et corps camouflés m'apparurent particulièrement érotiques, comme tout ce qui est caché, mais immanquablement suggéré. Je continue de considérer toutes les religions particulièrement perverses, propres à opprimer les classes sociales les plus défavorisées et les femmes particulièrement, quelle que soit leur origine.


J'étais parti pour m'occuper de mon petit-fils qui a cinq ans et dont les parents travaillaient là-bas pendant ces deux semaines. Le soir il les retrouvait, sauf pendant deux séjours, dans les gorges d'Akchour et à Tanger, choisis pour échapper à la fête de l'Aïd où absolument tout est fermé. Tétouan était donc le lieu de résidence du Spat' sonore, invité par l'Institut Français. Nicolas Chedmail, Linda Edsjö, Elsa Birgé, Nina Daigremont et Philippe Bord y travaillaient leur prochaine création intitulée Näcken, collaboration des Spat' et du duo Söta Sälta. Je leur laisse le soin de raconter leurs aventures épiques qui commencèrent avec la perte d'une des valises de matériel par Air France. Leurs représentations durent être ainsi reportées d'une semaine, le temps de retrouver la valise et qu'elle soit acheminée jusqu'à Tetouan, les nombreuses surprises dont ils furent victimes n'incombant pratiquement jamais aux Marocains !


La nuit est particulièrement magique dans la médina, lorsque les ruelles sont vides et que l'on se retrouve souvent au fond d'inquiétantes impasses. La grande différence avec le passé est le recours au GPS qui permet de retrouver son chemin. C'est pourtant en plein jour que je suis tombé par hasard sur le souk des teinturiers. L'odeur suffocante habituelle était légère, les cuves probablement en attente des peaux des sept millions de moutons et chèvres qui seront sacrifiés la semaine suivante pour l'Aïd...


Pour des raisons religieuses les mannequins n'ont pas de visage ou même pas de têtes du tout. Au détour d'une ruelle je suis saisi par ceux de petits garçons affublés de chemisettes et T-shirts imprimés. Pour l'essentiel, tout ce qui est typique du Maroc est situé dans la médina, et tout ce qui est moderne est vendu dans la nouvelle ville. Cela signifie qu'on y trouve pas mal d'importations chinoises, comme dans le reste du monde. Il y a évidemment beaucoup d'imitations dans ce qui plaît aux jeunes. Les prix ne sont pas les mêmes. La différence de statut économique de la population fait le grand écart entre les quelques riches, voire les ultra-riches liés au régime royal, et la masse des pauvres.


Comme je l'ai écrit dans un précédent article la déception fut d'ordre gastronomique. Je connaissais l'excellence de la cuisine marocaine, mais le nord semble y échapper brutalement. L'offre est extrêmement réduite. Ce sont essentiellement des tajines rudimentaires, un bout de viande sur lit de pommes de terre avec deux ou trois morceaux de courgettes et de carottes. Le couscous du vendredi ajoute simplement de la semoule, mais sans bouillon contrairement à son cousin algérien auquel nous sommes habitués. Les épices sont rares. On nous sert quelques olives pimentées en guise d'apéritif, mais la fantaisie se résume à quelques poissons grillés, friture ou espadon, des calamars frits ou à la plancha, et parfois des brochettes. Nous nous rabattons sur les pâtisseries orientales et surtout sur le thé à la menthe...


Rentré à Paris, je me rattraperai en cuisinant un porc au caramel et des escargots aux courgettes et aux oignons avec un bouillon dashi. La photo ci-dessus est une plongée du Reducto où nous dînons de temps en temps, mais seul le Riad Blanco redonnera le sourire à nos estomacs. Pendant l'Aïd seuls les hôtels nous épargneront de mourir de faim. J'emprunte à Phildar le panoramique qu'il y fit avec Linda jouant un troll suédois derrière une colonne.


Nina m'évite de faire un selfie sur la terrasse du Reducto où le vent du soir nous requinque après la chaleur de la journée. La médina s'étend sur la pente derrière et autour de moi, mais les commerces sont en bas de la colline. Ils sont en général regroupés par corporations. C'est pratique pour les comparaisons, à condition de localiser ce qu'on cherche ! Nous aurons peu l'occasion de faire des emplettes. Je me suis rapporté seulement deux paires de babouches qui remplaceront les chaussons élimés achetés à Quimper il y a quelques années.


Après notre arrivée à Tanger qui nous permit de nous rafraîchir dans la piscine de l'Hôtel Chellah et l'immersion dans la foule de Tétouan accaparée par les préparatifs de l'Aïd et la visite du Roi Mohammed VI, nous allons descendre dans le Rif pour quelques jours de vraies vacances, que ce soit dans la bleue Chefchaouen ou dans les cascades d'Akchour, car franchement rien ne vaut la nature, même lorsqu'elle est domestiquée, ce qui est hélas le cas sur presque tout le globe.

mercredi 5 juillet 2023

Sur l'aile


Dans la matinée j'étais allé chercher cinq cartons de vin pour regarnir la cave. Pierre insiste pour commander des primeurs de 2022, une année exceptionnelle pour l'ensemble du pays, comme il n'y en eut pas depuis trente ans. Le soir Étienne Mineur a eu la gentillesse de mettre en forme la pochette du prochain CD, le volume 3 de Pique-nique au labo, imaginée et réalisée par mc gayffier. Au côté champêtre du pique-nique du double précédent, Marie-Christine a préféré mettre l'accent sur le labo en privilégiant la radioactivité. Entre temps j'ai plus ou moins finalisé cinq annonces nudge pour le Transilien, plaçant les voix dans des décors adéquats, course d'avirons, heure de la récré, voyage intersidéral, chute dans les escaliers... Cela explique que, bien qu'ayant sélectionné les photos du voyage au Maroc, je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin... En image, le détroit de Gibraltar...

mardi 4 juillet 2023

Come back


Rentré dimanche du Maroc, je n'ai pas encore eu le temps de reprendre le rythme du blog. Il m'a fallu passer deux heures à ramasser les feuilles mortes du jardin. Les bambous avaient poussé de près de deux mètres en hauteur et les tomates avaient besoin d'être tuteurées. Ajoutez cinq machines à laver, le courrier et tutti quanti, puis nous avons passé la journée d'hier à inventer des messages nudge avec l'équipe de choc de la SNCF. J'ai enregistré la voix des quatre filles et la mienne dans une ambiance aussi créative qu'enjouée. Reste à bruiter et mixer tout cela en fin de semaine.
Hier soir j'ai récupéré les légumes de l'Amap, ce qui va faire du bien après quinze jours tristounets côté gastronomique. Le nord du Maroc n'a rien à voir avec le reste du pays. C'est tajine à tous les repas (quelques patates, deux bouts de courgettes et de carottes qui se battent en duel, et un morceau de viande), éventuellement des calamars, une tranche d'espadon, un poulet grillé, peu d'épices, et du pain... Parfois c'est bon tout de même, parfois pas du tout, certains restaurateurs camouflant l'absence de fraîcheur avec du gros sel et du piment. Le couscous du vendredi c'est le tajine avec de la semoule et sans bouillon. En apéro, il y a toujours des olives. Le plus compliqué fut la semaine de l'Aïd où tous les restaurants étaient fermés. Ville morte façon confinement. Nous nous repliions sur les hôtels et fûmes momentanément sauvés par le Riad Blanco à Tetouan. Je reviendrai sur notre équipée sauvage dans quelques jours, le temps de trier mes photos. J'ai également capté quelques belles ambiances sonores à l'aube et au milieu de la nuit. Le plus excitant et le plus agréable fut le séjour à Chefchaouen et Akchour, ce qui équilibra certaines absences surréalistes que nous pouvions assimiler à Pacifiction. J'ai marché, j'ai beaucoup marché, avec le petit qui en fit tout autant, une partie de plaisir. Je garde le reste pour les jours qui suivent... Ce fut un très beau voyage (dans ce pays très pauvre aux mains de quelques très riches) et un grand plaisir de rentrer au bercail.

lundi 3 juillet 2023

Morricone free style


À mes débuts, lorsque j'appris qu'Ennio Morricone avait improvisé librement, en particulier avec le Gruppo Di Improvvisazione Nuova Consonanza, cela m'avait laissé soupçonner une certaine légitimité dans ce que j'essayais d'élaborer. Je verrai plus tard le film A Quiet Place in the Country d'Elio Petri pour lequel en 1968 il avait "composé" la musique, interprétée par les membres du groupe, soit Franco Evangelisti (piano), Mario Bertoncini (percussion), Egisto Macchi (percussion), John Heineman (trombone, violoncelle), Walter Branchi (basse) et lui-même (trompette) sous la direction de Bruno Nicolai, avec la chanteuse Edda Dell’Orso et le batteur Vincenzo Restuccia. Or je découvre aujourd'hui une nouvelle musique de film composée par Morricone avec le Gruppo Di Improvvisazione Nuova Consonanza dirigé par Nicolai, la musique du film Gli Occhi Freddi Della Paura (Les Yeux froids de la peur), un autre giallo réalisé cette fois par Enzo G. Castellari, trois ans plus tard en 1971. Je n'ai pas vu le film, mais la musique est étonnante, d'une liberté que peuvent lui reconnaître tous les improvisateurs d'aujourd'hui. L'influence qu'il eut sur John Zorn saute par exemple aux oreilles. Nous sommes à l'époque des premiers groupes d'improvisation libre en Europe comme Musica Elettronica Viva aussi en Italie, le New Phonic Art et le Portal Unit en France, le Spontaneous Music Ensemble et AMM en Angleterre, les musiciens allemands autour du label FMP, les Hollandais de l'Instant Composers Pool... Or la musique de Morricone ne ressemble à aucun des courants issus du free jazz ou de la musique contemporaine. En adoptant tous les possibles il s'affranchit d'un quelconque genre, et ceux qui s'en rapprochent le plus sont probablement les jeunes musiciens actuels, souvent sortis du Conservatoire tout en ayant pris la tangente. Cette aptitude à l'invention instantanée, jumelée à son travail d'orchestrateur dans la chanson italienne, donnera à Morricone la liberté d'imaginer des alliages inédits pour les nombreuses musiques de films à venir...

→ Ennio Morricone, Gruppo Di Improvvisazione Nuova Consonanza, Gli Occhi Freddi Della Paura, LP ou CD Dagored