70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 5 février 2024

Quatre films d'un autre monde


La World Cinema Foundation a été "créée dans le but d’aider les pays en développement à préserver leurs trésors cinématographiques, (...) consolider et soutenir le travail des archives internationales, en offrant une aide aux pays qui ne possèdent pas les infrastructures techniques ni les ressources d’archivage nécessaires pour faire ce travail eux-mêmes." Elle publia chez Carlotta quatre films du patrimoine mondial sous l'égide de Martin Scorsese, mais depuis cet article du 10 avril 2012 ils ne figurent plus à son catalogue.

Transes (El Hal) (1981) du Marocain Ahmed El Maanouni est un documentaire exceptionnel sur Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens marocains formé dans les années 70, dont les concerts mettent les foules en transe. Ahurissant. Nous les suivons sur scène et dans leur vie quotidienne, entrecoupés de documents d'époque retraçant l'histoire récente de la décolonisation. S'accompagnant aux gumbri, bendir, darboukas et un banjo sans frettes, les quatre compères chantent la résistance et leur attachement à leurs racines retrouvées, berbères et gnaouas, de la poésie du Melhoun et du théâtre dont ils se réclament. Le film est passionnant, les personnages attachants, la musique hypnotique.

Les Révoltés d’Alvarado (Redes) (1936), premier film de Fred Zinneman, cosigné avec Emilio Gómez Muriel, préfigure le néo-réalisme italien tout en assumant sa filiation avec Robert Flaherty. Pour ce nouveau chant de résistance, cette fois des pêcheurs mexicains en lutte pour leurs salaires, tous les acteurs sauf un sont des amateurs, souvent jouant leur propre rôle. Les images admirables de Paul Strand et la musique de Silvestre Revueltas participent à cet envoûtement où le documentaire flirte encore plus explicitement avec la fiction.

En regardant l'étonnant Le Voyage de la hyène (Touki-Bouki) (1973) du Sénégalais Djibril Diop Mambety (frère aîné de Wasis Diop), j'en viens à penser que Scorsese est un agitateur révolutionnaire lorsqu'il soutient les autres cinéastes alors que depuis vingt ans il se laisse formater par le clacissisme du cinéma dominant lorsqu'il dirige lui-même ! Par son montage inventif, sa bande-son contrapuntique, sa poésie brutale et son humour provocateur, le cinéaste filme le rêve de deux jeunes nomades décidés à partir en France coûte que coûte. Anta, jeune fille des quartiers pauvres de Dakar, et Mory, gardien de troupeau, préfigurent les milliers d'émigrés qui s'échouent sur les plages du sud de l'Europe ou se noient avant de les atteindre.

La Flûte de roseau (Mest) (1989) du Kazakh Ermek Shinarbaev évoque la tragédie de la diaspora coréenne en images somptueuses mais prévisibles, accompagnées d'une ensorcelante partition du compositeur Vladislav Shute ; je reste hélas peu sensible au cinéma contemplatif et sentencieux. De plus, les histoires de vengeance m'ennuient. Cette œuvre pourra néanmoins combler les amateurs de Tarkovski et de fables asiatiques. Là aussi, le quotidien croise la poésie. Comme pour les autres films le bonus éclaire le film intelligemment, ici un entretien avec le réalisateur [...].

Poudingue déconcerte Franpi sur Citizen Jazz


Poudingue est un de ces projets qu’on voudrait décrire, mais finalement, c’est très ardu à définir précisément. Un peu comme le gâteau qui lui a donné son nom, le pudding, mélange de fruits confits, de restes et de couleurs extravagantes. Mais finalement, cette image ne correspondrait quant à elle pas au projet du corniste Nicolas Chedmail, qu’on connaît avant tout pour les constructions impossibles du Spat’sonore ? Ajoutons à cela une production assurée par Jean-Jacques Birgé, et l’on comprendra tout le foutraque nécessaire pour construire La Preuve, premier disque d’un trio auquel se joint le guitariste Frédéric Mainçon, qui donne un côté punk à tout ceci (« Rame de queue »). Récapitulons : Poudingue commence avec « What a Funny Law » qui semble tout droit sorti d’un Lumpy Gravy de Zappa revisité par la Cold Wave. Puis, avec « je vous prie d’agréer », c’est comme si Albert Marcœur avait soudain eu envie de collaborer avec Crass. Avec Poudingue, on ne sait pas bien où l’on se trouve. Et c’est bien tout l’effet recherché.

Citizen Jazz, par Franpi Barriaux // Publié le 4 février 2024