70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 23 avril 2025

Des bougies, des lapins et des couleurs


Ce n'est pas la première fois qu'une scène qui n'a rien à voir me rappelle l'opéra Nabaz'mob que nous avions composé avec Antoine Schmitt. Est-ce le regret de ne pas l'avoir remonté depuis 2013 ? Il est certain que nous aimerions faire revivre les cent lapins connectés qui dorment depuis dans des cantines en métal dans un sous-sol de Pantin. Des pantins ? Certes non, le lagomorphisme poussait tout un chacun à les considérer comme des entités vivantes, dotées du libre-arbitre. Ils sont en fait beaucoup plus nombreux, puisque depuis la création en 2006 il est arrivé que trois clapiers jouent simultanément dans trois villes différentes ! Il nous faudrait simplement vérifier qu'ils sont tous d'accord. Nous les installerions ainsi dans le salon-cinéma, invitant d'abord les amis à retrouver la magie du spectacle. En attendant, on trouve sur Bandcamp un CD, paru il y a quelques mois, de l'enregistrement audio de deux représentations de l'opéra interprété par 100 Nabaztag différents.


Les bougies qui m'y ont fait penser sont celles consacrées à la vierge noire des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, où nous sommes passés ce lundi de Pâques. Sara la noire est surtout vénérée par les Gitans. Notre prétexte était plutôt de voir la mer et de manger des fruits de mer. J'en ai profité pour me racheter des pantalons de gardian à ma (nouvelle) taille. Il faut vivre avec son temps !

mardi 22 avril 2025

Dernières acquisitions instrumentales


Cela n'a jamais été facile d'acquérir les instruments de musique qui me correspondent. Pendant longtemps je suis allé en essayer à MusicLand, Univers-Sons, dans les magasins de Pigalle ou chez quelque importateur. Les conseils du vendeur et ses démonstrations étaient évidemment déterminants. C'est ainsi qu'en 1973 je me suis retrouvé avec mon premier synthétiseur, un ARP 2600, et je me demande encore qui était le musicien qui m'a convaincu alors que je n'étais pas venu pour cela ! J'ai régulièrement cherché des instruments sortant de l'ordinaire, or l'on n'en trouve plus dans les magasins ne vendant plus que le truc à la mode qui sera remplacé l'année prochaine. Aujourd'hui je compulse Internet, me fiant aux explications des constructeurs et aux vidéos de démo ou aux tests de geeks plus ou moins compétents. Récemment j'ai donc réalisé plusieurs acquisitions, dont deux ont particulièrement répondu à mes espérances.
J'ai été déçu par l'hydrophone dont je n'ai pas trouvé d'utilisation intelligente. J'ai hésité une journée entière à m'offrir le Stylophone Theremin, regardant tous les tutos, pour finalement l'offrir intelligemment à mon petit-fils pour ses sept ans ; j'ai ajouté le Stylophone Beat pour qu'il puisse s'accompagner, d'autant qu'il prend des cours de batterie avec Will Guthrie. La réverbe Strymon Nightsky et la distorsion Harvezi Hazze de Soma se sont agréablement ajoutées à la pédale d'effets H9 d'Eventide pour torturer différents instruments que je leur envoie, soit la shahi baaja, le Kaossilator ou des ambiances de field recording.
Très récemment j'ai acquis deux machins, l'un très utile, l'autre merveilleusement adapté à ma pratique. Le premier est très simple : la boîte de direct et commutateur SS-6 MKII Switchable Input Stereo DI de Franklin me permet de brancher six appareils stéréophoniques sur la même paire de voies de la table de mixage ; je passais mon temps à brancher et débrancher des instruments dont le mixage ensemble était inutile. Le second, un logiciel, l'échantillonneur aléatoire Rando, va piocher dans la plupart des sons de mes banques de données de manière très ludique, avec un séquenceur et des effets permettant d'agir à la volée. MonkeyC améliore sans cesse cette application inventive encore en développement. Il arrive à point nommé car j'ai commencé à composer des musiques rythmées pour une web-série sur la cybersécurité, destinée aux 13-18 ans.

lundi 21 avril 2025

Nous ne sommes que des marionnettes


Version initiale sérieuse tout de noir vêtu ou fleurie après rectifications, il n'empêche qu'on fait mumuse avec les Starter Packs en faisant chauffer les centraux qui polluent toujours un peu plus la planète. Dans un premier temps j'ai souri aux choix du robot qui est allé glaner sur le Net la Série limitée "Pluriartiste polymorphe" incluant dans la boîte :

🎧 Casque audio vintage AKG pour écouter des sons impossibles à classer entre jazz, électro, théâtre radiophonique et bruitages absurdes
🎹 Synthétiseur comme l’un des premiers que j'ai utilisés, permettant de créer des sons électroniques analogiques avec un soupçon de chaos
📚 Micro-livre "Somnambules", œuvre onirique à lire en écoutant la bande-son intégrée (bouton audio au dos du livre)
🎙️ Mini-micro Radio France parce qu’on ne compterait plus mes créations radiophoniques et documentaires sonores pour France Culture et consorts (!)
🎭 Marionnette de théâtre en référence à mes collaborations avec des metteurs en scène, compagnies de théâtre et performances immersives
🖥️ Tablette avec appli de réalité augmentée pour explorer mes œuvres interactives en AR (comme "Alphabet", "USA 1968", etc.)
🐠 Petit poisson rouge "Zorn le Silencieux", clin d’œil à mon univers absurde, poétique et souvent un brin surréaliste
👕 T-shirt noir avec logo GRRR, le label mythique que j'ai fondé, signe de ralliement des amateurs de créations hors format.

Ce sont les termes employés par ChatGPT. Pour parfaire l'ego-trip, j'ai corrigé ici les approximations du texte fourni par le logiciel d'intelligence artificielle et lui ai demandé plus de couleurs (orange et bleu), une chemise à fleurs, de supprimer la montre au poignet et d'ajouter une référence cinématographique, ce dont il s'est acquitté de bonne grâce. Alors évidemment je me suis trouvé plus vieux que je ne m'imaginais. Trop de barbe me fait ressembler à Sigmund Freud. Cela ne me déplaît pas vraiment. Je me suis souvenu que j'avais commencé à faire de la musique dans ma chambre d'adolescent avec un casque sur les oreilles pour ne pas embêter mes parents et parce que je n'avais pas de meilleur système d'écoute ; j'ai continué ainsi à m'isoler du monde en en créant un qui me convenait mieux, un monde de rêve où régnait l'amour et la paix, et je trouve toujours qu'il est confortable de n'entendre rien d'autre que ce qui est dans ma tête, j'enregistre donc souvent en partageant les sons de l'orchestre au travers de cet écheveau de câbles. La référence à l'œuvre Somnambules, créée avec Nicolas Clauss et disparue du Net, m'a rappelé qu'enfant j'étais somnambule et qu'il m'arrivait de courir la nuit autour de la table de la salle à manger les yeux fermés sans me cogner, et puis là aussi j'ai continué à vivre en somnambule mes activités artistiques qui m'échappent totalement dans le feu de l'action, même si elles ont été soigneusement préparées et que je m'y retrouve lorsqu'elles sont terminées. J'ignore comment le poisson rouge est sorti de l'eau ; une carpe c'est muet en effet, et je suis un terrible bavard (sic mes articles quotidiens !) ; est-ce plutôt le cousinage avec le compositeur américain dont je me suis senti proche à ses débuts, mais avec qui je suis brouillé depuis que je lui ai confié que j'étais anti-sioniste ? Ou bien est-ce à cause du nouveau décor de la cave après l'inondation de cet automne ? En tout cas, nous sommes bien devenus des marionnettes entre les mains du réseau, déshumanisés, formatés, standardisés, américanisés, et les particularités dont nous sommes affublés ne sont que poudre aux yeux. Alors pourquoi m'y plie-je ? Parce que je suis toujours le gamin somnambule qui adore s'amuser, un casque sur les oreilles, des jouets tout autour de lui dont naissent des objets inattendus.

dimanche 20 avril 2025

Pique-nique au labo 4 sur Jazz'halo


Quatrième volet de cette saga où le multi-instrumentiste Jean-Jacques Birgé a de nouveau réuni autour de lui des musiciens qui se sont mis à improviser entre eux sans aucun arrangement préalable. Au total, ils sont dix-sept à se risquer à l'exercice de style. Parmi eux, Hélène Duret et Roberto Negro.
Le concept clé est de faire de la musique pour se rencontrer et non l'inverse comme c'est généralement le cas. Une partie du défi consiste à déterminer le thème de chaque pièce en tirant au hasard son sujet. La surprise était donc garantie, tant pour les interprètes que pour le public qui assistait aux concerts.
Pour chaque morceau le livret du CD indique précisément qui a joué de quel instrument. Les combinaisons les plus étranges ont ainsi vu le jour. Le fait que Birgé lui-même utilise chaque fois un large éventail d'instruments augmente la tension. En outre, il fait partie de tous les « groupes » et est responsable du mixage final. Il a veillé à ce que les quatre pièces en studio soient reliées entre elles de manière transparente, de sorte que l'auditeur semble plongé dans un flux homogène pendant trente-huit minutes. Bien que les cinq extraits en direct soient interrompus par des applaudissements, le résultat final est similaire.
Décrire ce qui se passe ici est pratiquement impossible. Nous nous contenterons d'indiquer qu'il ne s'agit pas d'une orgie d'excès sonores, mais d'une expérience d'écoute très particulière où des adjectifs tels qu'aliénant et énigmatique, mais aussi poétique et cinématographique, sont les plus appropriés, bien qu'ils tiennent place bien sûr dans ce contexte. Ce n'est que dans le dernier morceau que l'agitation nécessaire apparaît.
Une immersion et une concentration totales garantissent un voyage fascinant. C'est aussi la meilleure façon de connaître les principaux protagonistes du monde de l'improvisation française. Une sortie appropriée pour le cinquantième anniversaire du label GRRR dont le site Internet est une véritable mine d'or !
Georges Tonla Briquet

Article original en flamand

samedi 19 avril 2025

Les approximations de la météo


Depuis quelque temps j'ai l'impression de ne plus pouvoir me fier du tout à la météo. Est-ce une idée réactionnaire comme de penser que c'était toujours mieux avant ? La mémoire est volatile et l'on a souvent oublié les misères traversées. Par exemple, j'ai beau vieillir, comme tout le monde, il me semble que la dégénérescence physique peut largement s'équilibrer par une meilleure gestion de son corps. C'est pareil avec le ciboulot. Les neurones s'éteignent, mais l'on devient plus sage, c'est du moins une option envisageable à condition d'y travailler. Il n'empêche que le cerveau ressemble à un disque dur et il lui arrive d'atteindre ses limites, à savoir que plus le temps passe, plus la masse d'informations prend de la place. Alors on jette des souvenirs pour pouvoir continuer à en engranger. Comme je l'avais expliqué à ma fille qui préparait une dissertation sur le sujet, il faudrait une vie aussi longue que celle que l'on a vécue pour se souvenir de tout. Lorsque j'étais étudiant à l'Idhec je pensais avoir une perception assez complète de l'histoire du cinéma, or cette histoire, passée de cinquante ans à plus d'un siècle, me donne l'impression de ne plus connaître grand chose. En cette période de vacances où la météo est déterminante pour celles et ceux qui ont à la chance d'en prendre, cette digression interroge le planning de nos activités. Ainsi il était question qu'il pleuve toute la semaine et la prochaine, et ma fille s'est retrouvée sous la neige avec un ciel bleu, et là où nous sommes le dessin d'un beau soleil s'est soudain substitué à celui d'une averse.
Les spécialistes peuvent évoquer la physique du chaos, des modèle complexes intégrant température, pression, humidité, vent, etc., les microclimats, le relief, ou la mer, on a beau utiliser des stations météo hyper sophistiquées, des ballons-sondes, des satellites, des avions, des bateaux dont les résultats sont injectés dans des ordinateurs hyper puissants, les modèles de prévision comme ARPEGE, GFS, IFS, ICON ne sont pas vraiment fiables. La météorologie n'est pas une science exacte. L'interprétation par des météorologues est déterminante et il y en a beaucoup moins qu'avant. Les machines ont trop souvent remplacé ces poètes du climat, j'écris poètes parce que les météorologues que j'ai rencontrés dans le passé me donnaient cette impression. Ils me rappelaient la manière dont les artistes envisagent leurs œuvres, avec une part de somnambulisme, une part de bon sens, une part de subjectivité qu'on appelle l'expérience. Dans aucun domaine, jamais les machines, jamais l'intelligence artificielle ne remplaceront l'intuition humaine lorsqu'elle est vécue par des rêveurs sachant envisager l'impossible.

vendredi 18 avril 2025

Sortie officielle du nouveau CD


Il faut le voir pour le croire. Magnifique travail graphique d'Étienne Mineur. De nos jours les disques ne se vendent plus beaucoup. Il n'y a plus que les amateurs de beaux objets qui en redemandent. La dématérialisation des supports nous privent des beaux livrets. De notre côté nous sommes attachés au concept d'album. Ce ne sont pas des chansons détachées de leur environnement, où l'on ne sait même plus qui on écoute, comme sur de trop nombreuses plateformes de streaming. De plus les artistes ne sont pratiquement pas rémunérés par ce système formaté, pour ne pas dire déshumanisé. J'aime retirer la galette de son enveloppe, compulser les notes de pochette, apprécier le son soigné, que ce soit sur CD ou vinyle, et profiter du silence quand le disque est terminé. Il constitue également un beau cadeau. On n'offre pas un lien vers le néant, fut-il bruyant ! Ainsi les disques GRRR se vendent bien sur Bandcamp.
Le CD Pique-nique au labo 4 sort officiellement aujourd'hui. De nombreux musiciens et musiciennes sont venu/e/s fêter sa sortie au Studio GRRR dimanche dernier. C'était chaleureux et pour moi très émouvant. Je fais tout ce que je peux pour créer des rencontres impossibles dans d'autres circonstances. Cela participe au projet artistique lui-même. "Il s'agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme il est d'usage. Que ce soient pour les musiciens et musiciennes qui ont accepté l’invitation, histoire de retrouver l’innocence de nos premiers pas, ou pour le public venu partagé cette joyeuse complicité, pendant et après chaque concert, ce sont de véritables moments de grâce où la musique joue pleinement son rôle, à la fois onirique et social. La thématique de chaque pièce est tirée au sort juste avant de jouer." On pourrait penser que le CD est une compilation comportant un morceau de chaque album publié exclusivement en ligne (en écoute et téléchargement gratuits), il n'en est rien. En choisissant ces 9 pièces j'imagine une nouvelle narration. Comme pour les 3 précédents volumes, le volume 4 obéit à sa propre logique et dessine une dramaturgie quasi cinématographique. Cela n'empêche pas d'aller le resituer dans son contexte d'origine (les 9 albums dont les pièces sont issues), mais là c'est une autre histoire.


Les 16 nouveaux invités, dont l'imagination rivalise avec leur discrète et élégante virtuosité, sont Léa Ciechelski • sax alto / Catherine Delaunay • clarinette / Maëlle Desbrosses • contrebasse, alto, percussion, appeaux / Matthieu Donarier • sax ténor / Bruno Ducret • violoncelle, guitare, cosmic bow, voix / Hélène Duret • clarinette, clarinette basse, percussion / Antonin-Tri Hoang • synthétiseur, percussion / Emmanuelle Legros • trompette, percussion / Mathias Lévy • violon / Fanny Meteier • tuba, voix / Roberto Negro • piano, tuyau harmonique / Rafaelle Rinaudo • harpe électrique / Alexandre Saada • piano / Olivia Scemama • ukulele basse électrique / Isabel Sörling • guitare électrique / Fabiana Striffler • violon, harmonica. Quant à moi je joue des claviers, synthétiseurs, guimbarde, harmonicas, anches. C'est mixé, mais il n'y a aucun montage.

→ Jean-Jacques Birgé, Pique-nique au labo 4, CD GRRR, dist. Socadisc

jeudi 17 avril 2025

Trop de disques, mais bon...


Trop joli, L'antidote "à la réalité qui, parfois, est entachée de déceptions et de rêves brisés", qu'ont concocté le percussionniste iranien Bijan Chemirani au zarb, daf et calebasse, le violoncelliste albanais Redi Hasa et le pianiste libanais Rami Khalifé. J'écoute en faisant la cuisine, puis à la savourant. Il y a du soleil. Les fenêtres sont grandes ouvertes. Retour à l'envoyeur des musiques répétitives qui donnent le vertige et calme les angoisses.

Trop cinquième mais sans sourdingue, soit cinq qui aiment, l'amour y a que ça, le "Puzzle" féministe en (5) pièces de la contrebassiste Hélène Labarrière qui tire trois fois le chiffre cinq, en dressant le portrait musical de cinq femmes exceptionnelles (Thérèse Clerc, Angela Davis, Emma Goldman, Jane Avril, Louise Michel) ayant fait avancer le monde vers une humanité dont la qualité se déglingue, avec quatre compagnons de voyage (la clarinettiste Catherine Delaunay, le saxophoniste Robin Fincker, le guitariste Stéphane Bartelt, le batteur Simon Goubert) et cinq cosignataires (Corneloup, Sylvain Kassap, Dominique Pifarély, Jacky Molard, Marc Ducret), autant dire la famille. Du free jazz qui mérite l'appellation de liberté, sans jamais s'approcher de sa caricature. C'est l'heure du café qui file la pêche. Le vent s'engouffre, il fait courant d'air. Il y en a plein.

Trop cosmique. C'est l'heure de la sieste. J'ai choisi l'ordre au hasard, au hasard de l'écoute. Huit disques déposés le même jour dans la boîte aux lettres. Des lettres, on n'en reçoit plus, pas plus que des cartes postales. Pourtant j'aime les beaux timbres et il y en a dans la musique de Denis Frajerman (électronique, vent, bols tibétains, claviers) qui cosigne Paysages du temps avec le percussionniste Loïc Schild et le pianiste Marc Sarrazy, deux fidèles. Si l'album se réfère au krautrock, la musique électronique allemande des années 70, la première partie présente une sorte de continuum à l'orgue avec, par dessus, des rythmes très libres tandis qu'apparaît un piano naïvement romantique dans la deuxième, sur nappe de gongs au climat faussement planant. Le ciel est à l'image du temps, chaotique.

Trop énervé, ce n'est probablement pas par hasard que le solo électronique de Simon Henocq rappelle ceux du guitariste Julien Desprez. Ils appartiennent tous deux au collectif Coax, même si l'album sort sur Carton. Noisy, brutal, grinçant, la distorsion ne vous laisse pas dormir. Que se passerait-il si l'on calquait sa gymnastique sur ces électrochocs ? Cela n'a certainement rien à voir, mais il y a une odeur de brûlé dans le salon sans que j'en trouve l'origine.

Trop de disques qui ne sont pas faits pour moi et que les labels ou les attachés de presse m'envoient tout de même. Comme je n'écris jamais rien sur un travail qui ne m'inspire pas, je ne peux rien dire. Je fais un break à l'heure du goûter, surtout tout ce que je peux pour maigrir si je veux que mon genou guérisse. Oserais-je encore danser ? En tout cas pas sur ce que j'entends là. Le jazz-rock m'ennuie gravement. Dommage. En plus, je ne sais pas quoi faire des disques qui ne me plaisent pas. Je n'ose ni les jeter, ni les vendre. J'en profite pour cuisiner un osso bucco pour ce soir.

Trop actuelle, l'évocation du commerce du poivre par Stefan Zweig dans Magellan qui rappelle cruellement les guerres sanglantes d'aujourdhui pour les matières premières, les terres rares et les sources d'énergie. La superbe musique qui accompagne le texte dit par Lila Tamazit (la voix d'Arte et l'interprète de Colette Magny ou Gainsbourg) est composée et jouée par le trio Clover (co-fondateurs du label Yolk), soit le contrebassiste Sébastien Boisseau, le saxophoniste Alban Darche, le trombone Jean-Louis Pommier, augmenté de Myriam Rignol à la viole de gambe. Le texte documentaire de Zweig donne l'impression de regarder une fiction où les musiciens dessinent le décor et figurent les protagonistes d'une aventure qui semble filmée par Werner Herzog. C'est extrêmement réussi, peut-être la plus belle réalisation de cette petite bande. Il est l'heure de l'apéritif lorsque j'éteins tout, silence, les amis vont arriver. La musique cela s'écoute, particulièrement lorsqu'il y a du texte.

→ Bijan Chemirani - Redi Hasa - Rami Khalifé, L'antidote, CD Ponderosa Music records, dist. Believe / Pias, sortie le 5 septembre 2025
→ Hélène Labarrière, Puzzle, CD Jazzdor, dist. L'autre distribution (aussi sur Bandcamp), sortie le 30 mai 2025
→ Denis Frajerman - Marc Sarrazy - Loïc Schild, Paysages du temps, CD KlangGalerie, sortie le 25 avril 2025
→ Simon Henocq, We Use Cookies, CD Carton (aussi sur Bandcamp)
→ Clover, Magellan (sur les mots de Stefan Zweig), CD Yolk Music, dist. L'autre distribution / Believe (aussi sur Bandcamp), sortie le 30 mai 2025

mercredi 16 avril 2025

50e anniversaire des disques GRRR, la genèse


Après la fête, la genèse. Cinquante ans c'est quelque chose. Le label de disques GRRR que j'ai fondé en 1975 est certainement l'un des plus anciens encore en activité parmi les indépendants. J'avais commencé à faire de la musique seulement cinq ans plus tôt. Pas moyen de me souvenir comment j'ai rencontré Francis Gorgé qui jouait de la guitare électrique avec Edgard Vincensini à la basse et Pierre Bensard à la batterie. Il y avait peut-être aussi un organiste au début. Je leur avais proposé de faire leur light-show, mais les répétitions ayant lieu de jour chez Pierre, boulevard Suchet, il n'y avait pas moyen de projeter, je m'ennuyais. Alors, revenant de mon voyage aux États-Unis et parlant anglais, je suis devenus le chanteur du groupe Epimanondas dont j'écrivais les paroles. Nous avons ainsi organisé le premier concert de rock au Lycée Claude Bernard. Je chantais, jouais du saxophone, de la guimbarde et diffusais des bandes magnétiques électro-acoustiques. En deuxième partie, selon les jours, j'avais engagé Dagon et Red Noise ! Lors des années qui suivirent j'acquis un orgue Farfisa Professional, puis un synthétiseur ARP 2600. Un jour je me dis que ce que nous enregistrions Francis et moi, aux casques, dans ma chambre, valait bien ce que j'entendais à la radio. J'ai téléphoné à plusieurs productions de disques qui m'ont évidemment envoyé promener. À la fin de cette semaine où j'avais fait chou blanc, je suis allé à une surprise-partie chez des richards à Louveciennes, invité par Michaëla Watteaux. Je connaissais la maison de Basile Kamir pour y être souvent allé, dont une fois pour faire la musique d'un film de Raoul Sangla, à moins que ce ne soit après. Je ne sais plus. C'est loin. Basile fondera la boulangerie du Moulin de la Vierge rue Vercingétorix à Paris, premier dépôt des disques Virgin ! Ce samedi soir-là, j'ai raconté l'insuccès de mes démarches à une bande de jeunes affalés sur des coussins profonds. Un type chauve, nous avions tous les cheveux longs, me dit qu'il est producteur et que ça l'intéresse. Il me donne rendez-vous lundi à 17h chez moi, 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt, nous vivions en communauté.

À 17h05 Sébastien Bernard me dit d'arrêter le magnétophone et me demande si quinze jours de studio me conviendraient. Son père a un huit pistes, un orgue à tuyaux et quelques instruments. J'appelle aussitôt Francis pour que nous le fassions ensemble. Je crois me souvenir que nous étions un peu en froid, mais je me voyais mal le faire sans lui, avec qui j'avais composé toute la musique qui me plaisait et m'étonnait. Du 25 mars au 2 avril 1975 nous avons ainsi enregistré quatre pièces de l'album Défense de avec nos instruments, mais aussi l'orgue, un piano électrique, un xylophone, un violoncelle, etcétéra. C'est une sorte de pop expérimentale avec des sons inouïs où l'improvisation ne consiste pas seulement en des variations sur un thème. Or Sébastien Bernard, qui n'avait produit que du free jazz comme Frank Wright ou Noah Howard, fut pris au dépourvu par ce que nous avions joué. Il demande donc autour de lui à des gens comme Alan Silva ce qu'ils en pensent, ce qui n'arrange pas les choses. Au bout de trois mois il me fait cadeau de la bande huit pistes et me conseille de faire "autre chose que de la musique" !

Entre temps le chanteur Ometaxalia demande à Francis et moi de jouer sur son disque arrangé par le pianiste Jean-Louis Bucchi avec Janick Top à la basse et les sœurs de Joe Dassin, Julie et Richel, qui font les chœurs. Nous sommes enchantés par les timbres et les rythmes du percussionniste, un Breton surnommé Shiroc à qui nous proposons des concerts en trio. J'avais réussi à convaincre le directeur du Théâtre de la Gaîté Montparnasse de nous laisser sa salle huit dimanches soirs de suite. Nous n'avons pas rameuté grand monde, c'était plutôt Waterloo morne plaine, mais nous avions enregistré nos séances à la maison. Il était absurde de sortir Défense de en duo alors que nous étions devenus trio. Nous avons donc remplacé deux des quatre pièces par deux autres enregistrées par Gérald Robinet au Studio Adam, Roissy-en-Brie, les 13 et 14 août 1975. Nous avions aussi invité Bucchi et notre camarade, le saxophoniste Antoine Duvernet, à se joindre à nous pour quelques apparitions.

Il restait à mixer tout cela et j'étais bien embêté. Au hasard d'une discussion j'ai convaincu un client de mon père, je crois qu'il s'appelait Spire, qui avait une petite boîte de composants électroniques de mécèner le mixage. Je me souviens qu'en nous quittant, dans l'ascenseur, il me fit la confidence que "pour une fois ses amis ne pourraient pas dire qu'il finançait de la soupe !".


Le disque nous plaisait énormément, avec les images de notre ami Thierry Dehesdin qui était le photographe de H Lights, le groupe de light-show que j'avais fondé. Il ne restait qu'une solution, le produire moi-même. Probablement culpabilisé, Sébastien Bernard a malgré tout accepté de le distribuer sous son label Sun. Nous avions 22 ans et une terrible envie de mordre, d'où le nom, GRRR. Les titres du disque et des quatre pièces formaient une seule phrase : Défense de / crever / la bulle opprimante, / Le réveil / pourrait être brutal. Fort d'excellentes critiques, les mille disques se sont vite vendus. En 1979, sélectionné par l'anglais Steven Stapleton, il fait partie de la célèbre Nurse With Wound List, bible de l'underground, et devient carrément culte. Jusqu'à sa ressortie en CD par l'israélien MIO Records et en vinyle par le catalan Wah Wah, augmenté, sur un DVD, de six heures d'inédits du trio, intitulées June Sessions (du 11 au 27 juin 1975, plus concert à Radio France le 18 octobre), ainsi qu'en quartet le 22 janvier 1976 avec un second percussionniste, Gilles Rollet, et du film expérimental La nuit du phoque (sous-titré en français, anglais, hébreu et japonais) que j'avais réalisé en 1974 avec Bernard Mollerat et qu'encensèrent plus tard de nombreux critiques américains, il coutait une blinde, jusqu'à 1000 dollars. Thurstone Moore (Sonic Youth) l'échangea contre seize vinyles !

Mais il ne suffit pas d'un disque pour faire un label. De déconvenue en déconvenue je me suis retrouvé plusieurs fois à régler la question en continuant à produire en totale indépendance. En 1976, la rencontre du trompettiste Bernard Vitet aboutit à la création du groupe Un Drame Musical Instantané (lui aussi toujours en activité, même après le décès de Bernard en 2013). Quelques mois plus tard nous enregistrons le premier album, Trop d'adrénaline nuit, en espérant qu'il intégrera l'écurie nato de Jean Rochard que nous admirons, mais celui-ci ne vint jamais au rendez-vous et en 1979 nous nous décidâmes, Bernard, Francis et moi à le produire nous-mêmes. L'année suivante, le producteur suisse Werner Uehlinger nous commande un nouveau disque, Rideau !, mais sa femme tombe malade et il ajourne sa sortie. Passent quelques mois, Werner refait surface, mais il exige un enregistrement plus récent (!)... La coupe est pleine. Je n'attends pas, je sors ce deuxième album du Drame et je jure que l'on ne m'y reprendra plus. L'indépendance est la seule garante de notre survie. GRRR produira une soixantaine de disques physiques et une centaine d'albums exclusivement en ligne dont la durée oscille entre trente minutes et vingt-quatre-heures. Le plus récent, Pique-nique au labo 4, paraîtra le 18 de ce mois. Cela ne m'empêchera pas d'en sortir sur d'autres labels lorsque des occasions se présenteront (in situ, Silex, Auvidis, All Access, Souffle Continu, KlangGalerie, MEG-AIMP, DDD, Psych.KG, Ouch!, etc.).

Suite à cet article, j'ai écrit une nouvelle présentation des disques GRRR pour le site des Allumés du Jazz, dont l'ancien semblait dater du siècle dernier. Il y a quelques redites, mais cela peut toujours servir !

2025 marque le 50e anniversaire des disques GRRR, un des plus anciens labels indépendants encore en activité. Jean-Jacques Birgé le fonde donc en 1975 avec « Défense de » de Birgé-Gorgé-Shiroc, album culte grâce à la fameuse liste de Nurse with Wound.
Le label devient ensuite celui d'Un Drame Musical Instantané et de la famille agrandie, Michèle Buirette, Hélène Sage, Bernard Vitet, Pied de Poule, Dominique Fonfrède... En 1979, le premier 33-tours d’Un Drame Musical Instantané "Trop d’adrénaline nuit", ressorti en CD comme tous les futurs vinyles, inaugure une prolifique série d’albums-concepts. Enregistré en 1977 par Jean-Jacques Birgé, Francis Gorgé et Bernard Vitet, il est suivi de « Rideau ! » en trio, puis de trois albums en grand orchestre, dont la musique du film muet « L’homme à la caméra », ciné-concert dont le Drame est internationalement à l’origine de la nouvelle mode avec 26 films au répertoire. « Carnage », avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, est le dernier vinyle avant de passer au CD.
Depuis toujours, GRRR a son propre studio d’enregistrement, les artistes participant à chaque phase de la construction. Chaque année sortira un nouvel album de cet étrange collectif… Petite entreprise familiale, rassemblement d’artistes collectivistes, îlot de résistance à l’uniformisation, innovateurs et défricheurs de nouvelles technologies, le label GRRR continuera d’inventer de nouvelles formes tout en produisant du sens… En 1987 paraît « L’hallali », l’un des premiers CD et en 1997 les chansons de Birgé & Vitet avec « Carton », en France le premier CD-Rom d’auteur. Suit « Machiavel », mariage du jazz et de l’électronique. Pendant une décennie les nouveaux albums sont accessibles exclusivement en ligne sur Internet. Ses artistes continuent à raconter des histoires à dormir debout, fabriquer des illusions comiques ou nous mettre en colère contre un monde que nous n’avons pas choisi même si nous en sommes tous responsables. Dans la musique comme dans ses prises de position politiques, GRRR réfléchit l’univers qui nous entoure en dressant un pont entre les racines du vieux monde et les technologies du futur, histoire d’inventer de nouvelles utopies…
Jean-Jacques Birgé, compositeur, cinéaste, auteur multimédia reprend la production avec « Établissement d'un ciel d’alternance » qu’il signe avec Michel Houellebecq, le trio El Strøm, son « Centenaire » salué par la critique, le groupe de rock bizarre Poudingue, le retour d’Un Drame Musical Instantané avec Francis Gorgé et l’écrivain Dominique Meens, les quatre volumes de « Pique-nique au labo » avec une soixantaine des meilleurs improvisateurs, « Animal Opera » sans aucun musicien même aux manettes et « Les déments » avec le comédien Denis Lavant et le saxophoniste Lionel Martin… Parallèlement à ses créations, Birgé tient un blog quotidien, militant et solidaire, depuis 21 ans !

mardi 15 avril 2025

Le cinquième plan de La Jetée de Dominique Cabrera


En réalisant Le cinquième plan de La Jetée Dominique Cabrera signe un film réellement markerien. Le réel n'est pourtant pas ce qui a jamais passionné Chris Marker ou s'il s'appuie dessus c'est toujours pour le projeter dans une dimension poétique où le faux-semblant lui donne sa véritable dimension documentaire. Marker est un transpositeur, un illusionniste qui révèle ses tours de passe-passe sans baisser le masque. On sait bien que lors de la projection de son film le plus célèbre, La jetée, filmé en 1962, de nombreux spectateurs ne s'aperçoivent pas que c'est un montage de vues fixes, à un plan près. Cette science-fiction dystopique, qui joue sur le temps et la mémoire, est emblématique de tout son cinéma. Le faisceau d'accidents que certains appelleraient des coïncidences a touché Dominique Cabrera, comme un effet de contagion féérique. La phrase de Marker « Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences » a contaminé Cabrera lorsqu'elle apprend que son cousin se reconnaît enfant dans le cinquième plan de La jetée alors qu'il est allé voir le film avec sa fille à la Cinémathèque. La réalisatrice enquête. Cette année-là, une année fatale pour la famille Cabrera, le jeune Jean-Henri accompagne souvent ses parents le dimanche à Orly pour tenter de reconnaître d'autres pieds noirs débarquant d'une Algérie qui vient de conquérir son indépendance.


Cabrera jongle entre la mémoire du film de Marker et les souvenirs de sa propre famille, construisant un écheveau étonnant, chaîne et trame, où le passé est construit par le futur. Elle fouille, fait rejouer la scène, interroge les témoins des deux histoires, le tournage de Marker qu'elle a croisé dans les locaux de la société de production Iskra et l'histoire douloureuse des rapatriés qu'elle avait abordée dès 1996 avec L’Autre Côté de la mer. Quatre ans plus tôt j'avais composé la musique de son Chroniques d'une banlieue ordinaire dont on retrouve la mélodie dans son court métrage Traverser le jardin. Le cinquième plan de La jetée est à la fois une fiction et un documentaire, un thriller et une comédie dramatique, le reflet de plusieurs époques qui se télescopent tandis qu'elle déroule son fil d'Ariane.

→ Dominique Cabrera, Le cinquième plan de La Jetée, en accès libre sur Arte.tv

lundi 14 avril 2025

Fête du 50e anniversaire des disques GRRR
















Merveilleux 50e anniversaire des disques GRRR sous un ciel clément, avec, entre autres, des musiciens, musiciennes, comédien, peintre qui ont participé aux "Pique-nique au labo" (ils sont une soixantaine en tout), aux Déments ou à d'autres disques du label... Par ordre d'apparition : Matthieu Donarier, Vincent Segal, Alexandre Saada, David Fenech, MP Rixain, Jonathan Pontier, Mathias Lévy, mc gayffier, Csaba Palotaï, Hervé Legeay, Maëlle Desbrosses, Gwennaëlle Roulleau, Amandine Casadamont, Dominique Fonfrède, Ravi Shardja, Fanny Meteier, Marco, Denis Lavant, Hasse Poulsen, Christiane Louis... Nous fêtions aussi le volume 4 des Pique-nique au labo qui sort le 18 avril...


mc gayffier avait réalisé le matin-même un petit tableau pour fêter l'évènement.

samedi 12 avril 2025

De l'autre côté du mur


Mardi j’ai pris la photographie depuis le trottoir d’en face. Là c’est de l’autre côté du mur avant qu’il pleuve… La célébration du 50e anniversaire des disques GRRR se passera-t-elle à couvert ?

Dans chacune des deux images on peut découvrir une peinture d'Ella & Pitr. Le Spun est une création de l'artiste et designer anglais Thomas Heatherwick, éditée par la marque de design italienne Magis. Quant au banc il aurait appartenu à Johnny et la porte ne mène nulle part !

vendredi 11 avril 2025

Incisif


[...] je cède aux sirènes du rock américain, plutôt tordu puisqu'il s'agit d'une compilation audio concoctée en 2007 par le réalisateur John Waters en vue d'un rencart hypothétique, hypothétique du moins quant aux effets de ces morceaux choisis s'il s'agit d'emballer ! Survoltés, Jet Boy Jet Girl par Elton Motello (version anglaise de Ça plane pour moi écrite par son véritable auteur et interprète francophone Lou Deprijk), All I Can Do Is Cry par Ike & Tina Turner en transe paroxystique, Clarence "Frogman" Henry dans un numéro vocal tri-sexuel... De Waters on pouvait évidemment s'attendre à des expériences hors pistes, I'd Love to Take Orders From You par Mildred Bailey, corny avec John Prine et Iris DeMent ("Convict movies make her horny...), gérontophile avec l'actrice Big Girls Don't Cry d'Edith Massey, kitsch avec Earl Grant dans la chanson titre du film Imitation of Life de Douglas Sirk, troublants avec Sometimes I Wish I Had a Gun par une autre des actrices de Waters, Mink Stole, Johnny Are you Queer par Josie Cotton ou lorsque Margie Hendricks rejoint Ray Charles dans (Night Time Is) The Right Time avec son Squeeze me, squeeze me! On reprend son souffle avec le crooner Dean Martin et Hit The Road To Dreamland, mais déjà Eileen Barton vous réveille avec If I Knew You Were Coming” I'd do more than “Bake You a Cake” et Shirley & Lee vous achèvent avec Bewildered. Pour les fans, John Waters a enregistré en vidéo ses notes de pochette...

En vérifiant les liens de cet article du 17 janvier 2013, je suis tombé par hasard sur des clips de chansons américaines incroyables, prétendument des années 60, country & western, rock 'n roll ou mélodies roses chantées par des jeunes femmes au look très cheesy, dont j'ose à peine donner l'adresse tant elles sont sulfureuses et pas du tout dans l'air du temps. J'ai finalement compris qu'il s'agissait de fakes récents réalisés avec l'intelligence artificielle et Photoshop. J'espère que vous avez mis un contrôle parental sur vos ordinateurs pour que vos enfants ne tombent pas sur la Banned Vinyl Collection (également sur Bandcamp) qui rassemble des centaines de vinyles "interdits par la censure", et pour cause. D'autres s'en amuseront comme lorsqu'on arpente les étagères les plus hautes, là où est rangé l'enfer. Lorsque j'avais 13 ans mes parents partant au théâtre en me laissant seul, mon père me montra le dernier étage de sa bibliothèque en m'interdisant d'y avoir accès. J'ai évidemment attendu que l'ascenseur soit parti pour m'y précipiter. Si Les mémoires d'un pantalon et certaines planches-contact des années 50 m'enchantèrent, je fus terriblement choqué par la lecture des cent vingt journées de Sodome du Marquis de Sade ou Les onze mille verges d'Apollinaire. Mon père savait pourtant ce qu'il faisait. À l'époque il n'existait pas d'éducation sexuelle et ce n'était pas un sujet dont on parlait ouvertement en famille. Encore moins des sujets des chansons en question !

Plus "sérieusement" et pour revenir à John Waters, dont je possède la quasi intégralité de ses longs métrages y compris Polyester en odorama, je me suis récemment beaucoup amusé à lire ses mémoires intitulées M. Je-Sais-Tout: Conseils impurs d'un vieux dégueulasse (ed. Actes Sud, 2021) qui vaut son pesant de provocations et son roman Sale menteuse, une romance feel-bad (ed. Gaïa, 2023).

jeudi 10 avril 2025

BMC, le jazz toujours


Il y a des labels dont on attend toujours les nouveautés comme le hongrois BMC dont l'excellence devient presque ennuyeuse tant il en paraît chaque année. Leurs pochettes sont sympas, mais pas aussi appropriées que celles du regretté László Huszár. Tant dans le choix éditorial que dans les graphismes qui semblent aujourd'hui générées par l'I.A. il y a tout de même un risque de ce ECMiser à force de valoriser le beau. Il n'empêche que les deux trios récemment arrivés sont bien intéressants.
Si le saxophoniste franco-allemand Daniel Erdmann est un des meilleurs ténors actuels (il joue aussi du soprano), il est passionnant de l'entendre avec l'organiste Antonin Rayon, référence du Hammond B3 de la nouvelle génération (il joue aussi du synthé Moog) et le percussionniste britannique exilé en Alsace Jim Hart (il joue ici de la batterie alors qu'il était au vibraphone sur ses précédentes collaborations avec Erdmann). Erdmann fait le merle printanier, Rayon joue la basse au pédalier en apportant des douceurs et Hart emboîte le tout en une sorte de jazz moderne qui assume les racines du trio avec orgue.
Le disque de chansons de l'allemand Ronny Graupe m'a surtout plu pour l'originalité des accompagnements de sa guitare aux accents graves très contemporains et du piano de l'anglais Kit Downes. La chanteuse suisse Lucia Cadotsch, qui a écrit presque toutes les paroles, trouve un écrin original à ses phrases légères, entendre que ça plane sans affectation. Ils s'approprient aussi bien Leonard Bernstein, Michel Legrand ou Hoagy Carmichael. Comme pour l'autre CD leur jazz est sans âge, le souvenir d'amours de jeunesse que le temps ne peut effacer.

→ Daniel Erdmann's Organic Soulfood featuring Antonin Rayon & Jim Hart, Into The Sweet Unknown, CD BMC, dist. Socadisc
→ Ronny Graupe's Szelest fauturing Lucia Cadotsch & Kit Downes, Newfoundland Tristesse, CD BMC, dist. Socadisc

mercredi 9 avril 2025

La 9ème du chat, répétition en do majeur


Guillaume Loizillon, qui a initié un projet collaboratif intitulé Réactions en chaînes, m'a proposé d'y participer en réagissant au choix à une séquence qu'il avait enregistrée. Il évoque son déploiement également dans le domaine graphique et textuel (images générées à l’aide de lA), mais pour l'instant n'ont réagi que des musiciens tels Sacha Gattino, Carlos Zingaro, Claude Barthélémy, Eliot Jean Dit Pannel, Laurent Saïet, Hervé Zénouda, Nicolas Billon, David Fenech... Sa méthodologie est néanmoins très claire.
Je lui ai donc envoyé une piste stéréo enregistrée en une seule prise, sans coupure, avec mon synthétiseur Enner des Russes de chez Soma, probablement construit dans leur succursale varsovienne, en écoutant sa corde frappée (la bémol) réalisée avec Modalys, langage de synthèse par modèle physique. Sa lente pulsation rythmique ressemble à une corde à linge, comme l'appelait Bernard Vitet, sur laquelle je me suis laissé aller à une improvisation débridée utilisant toutes les ressources de l'Enner, oscillateurs, microphone avec ressorts, élastiques et pièces rapportées, plus une source extérieure, un poste de radio en direct sans que je connaisse la station FM attribuée au hasard. J'ignore si un troisième musicien viendra s'ajouter à ces 6 minutes 44 secondes, longueur de la piste initiale.
Parmi les 11 séquences actuellement proposées, l'une d'entre elles était fort particulière, puisqu'il s'agit d'une vidéo d'un chat blanc marchant sur le clavier d'un piano sans aucune prétention musicale. J'ai donc répété huit fois cet "haïku fortuit" de 23 secondes pour arriver à neuf comme les neuf vies d'un chat, le chat à neuf queues ou la neuvième symphonie, souvent inachevée. J'ai ensuite traité, toujours en temps réel mais cette fois sur plusieurs pistes, la nouvelle séquence passée à 3 minutes 30 avec divers algorithmes du Cosmos, un appareil encore de chez Soma, sorte de délai aléatoire permettant aussi triturer la réverbération ou la granularité. Au fur et à mesure des répétitions, j'ai tenté de laisser croire à diverses réactions du chat blanc (probablement une chatte) en fonction de l'évolution de la pièce. J'ai même ajouté quelques notes à l'envers lorsqu'il ou elle secoue ses oreilles. Le ré récurrent termine la pièce de manière à souligner le processus intrinsèquement évident. Elle se rapproche de certaines de mes pièces répétitives comme les petites boucles du scratch vidéo interactif Machiavel ou l'opéra Nabaz'mob. Je l'ai appelée naturellement La 9ème du chat, répétition en do majeur. Il me reste à la tester sur Lola, Oulala et Django.

mardi 8 avril 2025

Repeindre le ciel


On a repeint le ciel, mais ce n’est pas tout à fait la bonne nuance, contrairement au mur qui a retrouvé son orange « Tallinn » (un signe pour l’été prochain). Des couleurs, des couleurs comme celles du nouveau Pique-nique au labo, volume 4 qui paraîtra le 18 avril !
(disques GRRR dont c'est le 50e anniversaire, dist. Socadisc)

La fièvre des riches (Rich Flu)


Rich Flu est un film surprenant dont il vaut mieux taire le pitch pour ne pas déflorer où l'on va atterrir après une série incroyable de twists virtuoses pendant la première demi-heure. La suite est aussi politiquement passionnante, mais la fin tire hélas en longueur, peut-être pour rompre avec le rythme infernal de la première partie. Donc pas question de vous raconter pourquoi c'est un film à voir, mais il renverse habilement les rapports de force, questionnant notre avenir de plus en plus incertain avec les fous furieux qui sont en train de bouleverser le fragile équilibre du monde actuel. Les références à Trump, au capitalisme, aux réfugiés de la Méditerranée, aux mystérieuses épidémies sont explicites dans cette comédie satirique qui tient du thriller et de la science-fiction. Le réalisateur Galder Gaztelu-Urrutia, fan de Buñuel, de ce film espagnol avec des acteurs anglo-saxons avait déjà signé le dystopique The Platform en 2019 en s'inspirant de La divine comédie. Je me disais aussi que je connaissais la comédienne Mary Elizabeth Winstead, qui avait en effet le rôle principal d'une de mes séries préférées, Braindead, autre scénario délirant et épatant du même acabit.

lundi 7 avril 2025

Pique-nique au labo 4 et Le violon dingue sur Bad Alchemy


Décidément Rigobert Dittmann n'en rate pas une. À savoir qu'il chronique systématiquement chaque nouvel album du label GRRR sur la revue Bad Alchemy, qu'il soit exclusivement sur Internet (Bandcamp et drame.org) ou qu'il paraisse sous la forme d'un vinyle ou d'un CD. Chaque fois je traduis tant bien que mal son allemand fleuri ! J'en profite pour signaler que le site est accessible en toute sécurité malgré les annonces googlesques, mais que je m'attèle à le rénover pour qu'il soit bientôt en https.

Ce n'est que depuis 2023 - BA 120ff - que JJB est à nouveau présent dans la revue ; comme lui, sa musique et ses rencontres musicales le méritent. Il y contribue d'ailleurs lui-même, outre sa présence en ligne sur Bandcamp, avec des sorties physiques sur GRRR : « Le 100e anniversaire (1951-2052) » (GRRR 2030), « Pique-nique Au Labo » (GRRR 2031/32, 2020), « Pique-nique Au Labo 3 » (GRRR 2036, 2023). Et maintenant, pour le 50ème ANNIVERSAIRE des disques GRRR, « Pique-nique Au Labo 4 » (GRRR 2039), compilation “Best of” de ses meetings du 11 juillet 2023 au 8 décembre 2024, colorée par le design graphique d’Étienne Mineur. Avec Emmanuelle Legros - trompette, percussions & Matthieu Donarier - sax ténor ; Hélène Duret, clarinette, clarinette basse, voix & Rafaelle Rinaudo - harpe électrique ; Isabel Sörling - guitare électrique & Maëlle Desbrosses - contrebasse ; Bruno Ducret - violoncelle, guitare, cosmic bow, voix & Olivia Scemama - ukulélé basse électrique ; Mathias Lévy - violon & Antonin-Tri Hoang - synthétiseur, percussion ; Maëlle Desbrosses - percussion, appeau, alto & Fanny Meteier - tuba, voix ; Fabiana Striffler - violon, harmonica & Léa Ciechelski - sax alto ; Hélène Duret - clarinette basse & Alexandre Saada - piano et Catherine Delaunay - clarinette & Roberto Negro - piano, tube harmonique. Les quatre premiers en toute intimité et dans le cadre de l'exquise hospitalité de Birgé, les autres devant un public de choix au Studio GRRR. Des paysages sonores et oniriques, spontanément surréalistes, d'après les “Oblique Strategies” de Brian Eno & Peter Schmidt (1, 3, 4, 7), ou bien poussés par des images de Neo Rauch (2), du « Codex Seraphinianus » de Luigi Serafini (6) ou “Une fourchette” d'un livre de photos de Gabriel Bauret & Grégoire Solotareff (9), de la musique entendue aléatoirement par un spectateur et décrite verbalement (5) ainsi que des titres de livres comme, dans notre cas, « Wem die Stunde schlägt » (8). [BA 128 rbd]

Pendant que l'on se remémore ainsi le passé, après « Les déments », il y a déjà du nouveau avec « Le violon dingue » (17 mars 2025, en ligne). À savoir une suite de miniatures instantanées avec la violoniste au son de rêve FABIANA STRIFFLER, compagne de jeu à Berlin d'Aki Takase, Daniel Erdmann, Karsten Hochapfel, Embryo Meets the World, etc. Créé le matin, avec traitement en temps réel de JEAN-JACQUES BIRGÉ, mixé l'après-midi : “Jaco”, “Le petit pois”, “Pluie de fer”, “Doppelgänger”, “Firmament”, “Claquettes”, “Brume”, “Metal”, “Harmonica”, “L'heure du crime”. Enchaînements de traits baroques ou romantiques exacerbés par le processing en staccato. Ou sous la forme de sauts et rebonds piquants, électroniquement fondus en cascades astucieuses. Les sons sont déformés, tremblants, avec des glissandos juteux auxquels Striffler oppose des traits énergiques - en vain. Elle hante Schubert et Heine, plonge dans le crépuscule, mijotant dans le bouillon, claquant des sabots, pétillante. Après de nébuleuses harmoniques, elle se transforme en furie métallique, mais redevient romantique, un voile flottant. Et pour finir, tombent des gouttes de sang, les nerfs palpitent et une rythmique d’acier écrase l'ébauche de regrets douloureux. Ils ont terminé la journée à la Philharmonie de Paris, où étaient joués « Un survivant de Varsovie » de Schönberg et la 13e symphonie « Babi Yar » de Chostakovitch. [BA 128 rbd]

vendredi 4 avril 2025

Les sources du jazz de Bombay à Addis-Abeba


Nous étions très critiques avec la world music produite par Peter Gabriel sur son label Real World parce qu'elle édulcorait les musiques du monde en les récupérant par une pop trop séduisante pour être honnête. De retour dans leurs pays respectifs les musiciens du tiers monde faisaient figure d'Oncle Tom, devenus des étrangers à leurs communautés. En France un label de disques comme Silex cherchait par contre la contemporanéité dans les musiques traditionnelles. J'évite d'évoquer les musiques folkloriques, figées dans le temps. Il est question ici de mixité, du grand mix qu'offre la musique, une sorte d'espéranto qui permet à des musiciens qui ne parlent pas la même langue d'échanger sur un pied d'égalité. Le pigeon voyageur au vélo jaune me dépose le même jour deux disques qui mêle jazz, rock, et pour l'un la musique carnatique indienne et un rap féminin engagé de Mumbai, pour l'autre un éthiojazz aux accents quasi hard rock !
Bombay Experience d'Alexandre Herer surprend dès les premières mesures. Pour quelle raison le spoken word de la chanteuse Manmeet Kaur me rappelle-t-il les facéties vocales de Frank Zappa dans 200 Motels ? L'aspect social de ses paroles imposerait-il une forme à ses prouesses rythmiques ? Avant que j'ai le temps de répondre, le percussionniste B.C. Manjunath, virtuose du mridangam, entame un konnakol me rappelant la première fois que j'ai entendu Alla Rakha accompagner Ravi Shankar en 1969, excitation quasi psychédélique de la voix imitant la percussion. J'adore ça. Mais le flow de la rappeuse reprend aussitôt, tout aussi entraînant. Et l'orchestre mené par le claviériste, au Fender Rhodes et au synthé, d'habiller tout cela de magnifiques tuniques jazzy, probablement cousues en Inde, mais cela n'est pas dit, avec Gaël Petrina à la basse et Pierre Mangeard à la batterie. L'enregistrement a en fait été réalisé à Villetaneuse par Pierre Favrez. Les textes slamés en anglais questionneraient "le capitalisme, les traditions figées, les contradictions humaines, tout en célébrant la beauté du quotidien, l'échange sincère et la résilience", mais j'aurais besoin des notes de pochette pour en apprécier la teneur, or le CD envoyé à la presse sous sa forme la plus réduite m'apparaît toujours aussi absurde d'un point de vue promotionnel. Cela ne m'empêche pas d'apprécier l'énergie laissant entrécouter une magnifique rencontre musicale.
Evil Plan, sixième album du groupe Ukandanz, porte bien son nom. L'orchestre accompagnant le chanteur éthiopien Asnake Gebreyes est plus puissant que jamais, enfonçant le clou jusqu'à la tête en reprenant même War Pigs de Black Sabbath ! Si le ténor de Lionel Martin s'envole plus free que jamais, d'une rage folle, le trio formé par le bassiste et guitariste Damien Cluzel, auteur des arrangements, du claviériste Fred Escoffier et du batteur Thomas Pierre est rock dur. La transe est assurée, comme la dédicace du dernier morceau à Francis Falceto, le producteur qui nous a fait connaître l'éthiojazz il y a 40 ans. Il n'y a pas à dire, juste à danser, ces deux disques vous font bouger les jambes, ou le ciboulot si vous préférez, comme moi, marcher sur la tête.

→ Alexandre Herer, Bombay Experience, CD Onze Heures Onze, dist. L'autre distribution, sortie le 13 juin 2025
→ Ukandanz, Evil Plan, LP/CD/Numérique Label 4000, dist. Inouïe, sortie le 18 avril 2025

jeudi 3 avril 2025

Shell Shock de Michaëla Watteaux


J'ai terminé le quatrième roman de Michaëla Watteaux au soleil. J'avais besoin de me détendre comme de soleil. Avec son nouvel éditeur, elle ne perd pas au change. Belle couverture style art déco au titre en or débossé et parcours sportif des librairies hexagonales. J'avais lu ses trois précédents romans policiers avec beaucoup d'intérêt parce qu'elle s'y inspirait de phénomènes actuels, en particulier liés aux nouveaux usages d'Internet. Cette fois elle plonge dans le Paris des Années folles en y puisant des portraits forts des gueules cassées de la Première Guerre Mondiale et la faune artistique du Tout-Paris. C'est un peu la version française des romans de Volker Kutscher (d'où est issue la série Babylon Berlin) avec son arrière-fond social et politique, son inspecteur camé et de belles filles qui n'ont pas froid aux yeux ; on verrait d'ailleurs bien une série télé s'en emparer. Beau travail de documentaliste probablement hérité de son passé de réalisatrice de fictions et documentaires à la télévision. On vieillit mieux romancière que cinéaste, elle n'est pas la première à faire les frais du jeunisme qui y sévit. Cette métamorphose lui réussit merveilleusement. Le décor profite à l'intrigue comme dans les romans policiers qui se déroulent en Chine, chez les Peaux-Rouges ou les Aborigènes.
Je ne suis pas étonné, ou si je le suis c'est par la qualité du genre et non celle de l'auteur que je connais depuis nos dix huit ans. Nous avions quitté ensemble nos parents pour vivre en communauté. Mia faisait partie de mon groupe de light-show H Lights avec lequel nous nous produisions sur des groupes pop, et l'année suivant celle où je fus reçu au concours de l'Idhec (devenu la Femis) ce fut son tour ainsi que celui de Luc Barnier qui participait également à nos spectacles lumineux et avait emménagé avec nous. Luc deviendra un des grands monteurs du cinéma (Olivier Assayas, Benoît Jacquot, Les Ch'tis...) et Michaëla réalisera plus d'une vingtaine de films et écrira de nombreux scénarios. Je me souviens évidemment d'Öland, l'île suédoise de sa grand-mère maternelle, du pot de caviar que son oncle avait rapporté de Moscou et que nous avions descendu à la petite cuillère avant de nous faire copieusement engueulés, de son papa qui jouait le rôle d'une statue dans La Belle et la bête, des parties de rigolade et des petites peintures dont elle agrémentait mon journal de bord puisqu'à cette époque je couchais mes idées sur du papier. Le temps a passé, mais j'entends toujours ses romans comme si elle me les lisait à voix haute, et cela me fait plaisir de voir qu'elle a toujours autant d'imagination que lorsqu'elle me racontait ses histoires de petits bonshommes tout verts.

→ Michaëla Watteaux, Shell Shock, ed. Black Lab (Hachette Fictions), 21,90€

mercredi 2 avril 2025

L'Intercommunal Free Dance Music Orchestra, deux nouvelles rééditions


Il y a moins d'un an le Souffle Continu rééditait deux disques de l'Intercommunal Free Dance Music Orchestra, L'inter communal et Le Musichien, enregistrés à partir de 1976 pour le premier et en 1981-82 pour le second. Les deux nouvelles rééditions de l'orchestre du pianiste François Tusques se situent dans cet espace : Vers une nouvelle musique bretonne date de 1978 tandis que le Volume 4 dédié à Jo Maka s'échelonne entre 1980 et 1983. Or les deux vinyles sont extrêmement différents.
Alors que le second tient d'une sorte de fanfare aux accents africains, le premier possède une énergie folle entre free jazz et musique bretonne. C'est aussi un geste fort d'alliance révolutionnaire, de minorités dont la culture et en particulier la musique ont participé à différentes époques à la résistance contre la colonisation. Et ces musiques du monde se croisent sans qu'aucune phagocyte l'autre. Les trois sonneurs sont exceptionnels : Jean-Louis Le Vallégant et Gaby Kerdoncuff aux bombardes, Philippe Le Strat à la bombarde et au biniou koz. Un quatrième Breton mène la danse, le bassiste Tanguy Ledoré. C'est une musique qui s'écoute fort, une musique de plein air, une musique qui va des Monts d'Arrée aux grandes marées océaniques. La force de Tusques est d'avoir réussi à mêler le fest-noz à la voix du Catalan Carlos Andreu, à la trompette de l'Occitan Michel Marre, plus quatre musiciens africains, le Togolais Ramadolf au trombone, le Guinéen Jo Maka au soprano, le percussionniste camerounais Sam Ateba et le percussionniste Kilikus dont je ne connais pas le pays d'origine. L'intercommunal Free Dance Music Orchestra n'a jamais si bien porté son nom. Intercommunal, libre, dansant, merveilleusement musical, orchestral.
Sur l'autre vinyle, dédié à Jo Maka disparu alors avant qu'il ne paraisse, l'orchestre est à géométrie variable. En plus de François Tusques, Jo Maka, Adolf Wincker (Ramadolf), Michel Marre, Sam Ateba, Kilikus, Carlos Andreu, on reconnaît Sylvain Kassap au ténor et à l'alto, Jean-Jacques Avenel à la contrebasse, Jacques Thollot à la batterie, Bernard Vitet à la trompette, du beau monde évidemment, solidaires de la démarche du pianiste. À côté des pièces composées par Tusques en hommage à la Commune ou à L'Internationale, l'Intercommunal interprète un Fables of Faubus de Charles Mingus de seize minutes, "portrait d'un gouverneur raciste américain".

→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Vers une musique bretonne nouvelle, LP ou CD Souffle Continu Records, sortie le 4 avril 2025
→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Vol. 4 Jo Maka, LP ou CD Souffle Continu Records, sortie le 4 avril 2025