70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 12 juillet 2024

Bye bye


Le retour de mes articles est programmé pour le 19 août, lorsque nous serons rentrés de notre incroyable périple. C'est une question de santé de ne plus penser à ce que je publierai demain, ce qui ne m'empêche pas de prendre des notes et des photos qui alimenteront plus tard mon récit de voyage. J'emporte aussi le petit Nagra, car je ne voudrais pas manquer la symphonie de la nature. Cela m'était arrivé en 2008 à Nong Khiaw, au Laos. Je ne souhaite pas rater pareille merveille une seconde fois ! Nous nous envolons tranquilles, sachant que la maison et les chats sont en de bonnes mains, arrosage du jardin et câlins félins à la clef. Nous aurons probablement froid dans les hauteurs et chaud dans la forêt profonde, ce qui complique un peu l'organisation de la valise pour qu'elle reste légère. Je suis ennuyé de ne pas avoir appris l'espagnol, n'ayant inlassablement répété que les premières leçons. Je fais abstraction du bilan carbone que nous taisons humblement, mais mes rêves de jeunesse réclamaient cette entorse. Demain il pourrait être trop tard. Voilà quatorze ans que je n'avais fait un si grand voyage. J'enverrai probablement quelques images sur FaceBook ou Instagram, histoire de dire qu'on est toujours vivants. À bientôt...

Illustration : John Constable, Cloud Study, 1822

jeudi 11 juillet 2024

Edward Hopper, inventeur du "déjà vu"


La couverture médiatique de la rétrospective Edward Hopper [ressemblait] à un raz-de-marée alors que l'exposition [débutait ce 10 octobre 2012]. Il n'y a pas que Télérama et Libération à avoir publié des numéros spéciaux ; ainsi l'offre libraire est incroyable, qu'elle soit directement liée au peintre américain, à ceux qui l'ont formé ou aux artistes qui s'en sont inspirés. Les amateurs de peinture se [seront donc rués] au Grand Palais, mais les fans de bande dessinée et les cinéphiles devraient absolument suivre le mouvement, comme les amateurs de littérature et les musiciens, tant la trace de Hopper se fait sentir dans tous les domaines artistiques. C'est dire que s'il [était] une exposition à voir à Paris, [c'était] bien celle-ci. La pâte de cet artiste n'a pourtant pas l'impact des originaux d'autres peintres lorsque l'on découvre enfin ce que l'on a connu qu'en reproduction, mais un tel rassemblement d'œuvres, dans leur format réel, nous plonge dans une histoire qui n'en finit pas.

D'un côté, la technique de Hopper, son style lisse, explique bien l'afflux de produits dérivés, cahiers, agendas, affiches, magnets, cartes postales, catalogues, etc., dont nous sommes inondés. D'un autre, le mérite de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition, est d'avoir replacé Edward Hopper dans une chronologie biographique montrant qu'il n'est pas simplement une icône fondatrice du mythe américain, avec une forte critique caustique et dépressive, mais que ses sources parisiennes sont capitales dans sa formation. Si ses toiles réalisées lors de trois séjours à Paris entre 1906 et 1910 et ses illustrations de la Commune de Paris en portent le témoignage, toute son œuvre renvoie à Degas, Marquet ou Vallotton, en tout cas pour la manière de traiter ses personnages. Ses travaux de commande pour la publicité montrent à quel point ses illustrations ont marqué son œuvre, tandis que la lumière, composante majeure de ses toiles à venir, tient probablement plus de ses lectures du transcendantaliste Ralph Waldo Emerson tant ses flous sont philosophiques. L'universalité de cet immense artiste s'explique par ces multiples approches, narrative et énigmatique, fictionnelle et documentaire, figurative et abstraite... On admirera ainsi les gravures et aquarelles qui ont précédé les grands et sublimes tableaux qui l'ont rendu célèbre.

Ce qui frappe avant tout est l'impression de "déjà vu", expression américaine empruntée à la langue française, sorte d'effet Glapion qui nous fait croire que nous connaissons ses toiles alors que nous y reconnaissons leur empreinte sur le cinéma et l'imagerie américaine. On a cité Hitchcock, Lynch ou Wenders. On pourrait ajouter Antonioni et bien d'autres. Les paysages vides sont éminemment cinématographiques comme les personnages coupés en bord cadre rappellent la photographie, les fenêtres ouvrent sur des hors-champs dont on ne saura jamais rien, les tableaux évoquant des films sans histoire, énigmes à jamais closes sur elles-mêmes, ne laissant aucune place à l'interprétation, pas plus qu'ils n'imposent le moindre sens. L'œuvre ouverte ne se laisse jamais refermer par le spectateur. La réalité n'existe pas. Nous sommes en face de projections vaines qui nous renvoient à notre inanité.

P.S.: j'ai acheté l'appli iPad D’une fenêtre à l’autre commentée par Didier Ottinger que nous avons eu la chance d'avoir pour guide tout au long de l'exposition. [...] Signalons enfin l'incontournable film The Savage Eye de Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, joyau évoqué dans cette colonne il y a près de trois ans et que Hopper lui-même conseilla "si vous voulez connaître l'Amérique" ! [...]

Illustration : First Row Orchestra (1951), huile sur toile 79x101,9 cm, Washington D.C. Hirschhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de la Fondation Hirschhorn.

mercredi 10 juillet 2024

Errare humanum est


[Depuis cette] discussion passionnée, rapportée le 8 octobre 2012, avec Valéry Faidherbe sur le rôle capital de l'artefact dans la création artistique, il a, entre autres, réalisé le magnifique chapitre Les champs les plus beaux de mon film Perspectives du XXIIe siècle qui sera projeté le 31 octobre au Musée d'Ethnographie de Genève (MEG) suivi d'un concert avec Amandine Casadamont.

Nous avions assisté la semaine dernière à la projection d'Impressions de Jacques Perconte au Couvent des Bernardins. Le vidéaste compresse ses plans en abîme pour faire surgir des formes et des couleurs incroyables dont les mouvements acquièrent une puissance poétique époustouflante. Je me suis carrément envolé avec les oiseaux qui laissent une trace rémanente dans le ciel de Normandie ou j'ai cru rêver en symbiose avec la tendresse des deux vaches psychédéliques qui se confondent avec l'herbe qu'elles broutent. Jacques a aussi réalisé MEG 2152, un autre merveilleux chapitre de Perspectives du XXIIe siècle, avec des truites cette fois !

Continuant dans la métaphore animalière Valéry cite l'opéra Nabaz'mob que j'ai composé avec Antoine Schmitt pour cent lapins communicants. L'erreur dans le système produit des variations infinies de l'œuvre et lui donne son sens, réflexion sur l'ordre et le chaos, sur la velléité de vivre ensemble sans y parvenir. S'il s'agit de cent robots interprétant musique et ballet il n'en reste pas moins qu'ils sont programmés par des humains et que l'imperfection est le propre de l'homme. Errare humanum est.

Chez tous les grands artistes c'est l'erreur ou la maladresse qui fait le style. Le reste n'est qu'académisme (le caca des mîmes). En poussant les machines dans leurs derniers retranchements l'artiste s'approprie la technique en la dévoyant de son propos initial. Lorsque je programme des sons sur un synthétiseur les plus intéressants sont ceux que son fabricant n'a pas prévus. Nous nous jouons de ces erreurs pour créer, cette perversion nous permettant de retrouver plusieurs travers qui caractérisent à la fois les artistes, mais aussi les humains dans leur nature dénaturée (je pense au magnifique roman de Vercors, Les animaux dénaturés) : l'imperfection poussée jusqu'au sublime, la maîtrise et son impossibilité, la vanité, vanité de faire et, plus encore, de défaire.

Et Bernard Vitet de me rappeler la fin de la citation latine : sed perseverare diabolicum ! Et Bernard de casser sa pipe l'année suivante.

P.S.: il en est de même avec l'IA qui produit du banal à base de banal à moins de se saisir de l'outil et de pervertir les processus pour aboutir à des œuvres qui nous ressemblent.

mardi 9 juillet 2024

Arnaque, poison ou réalité augmentée ?


J'ai souvent rêvé de devenir le Airto Moreira de la chanson française. Comme Airto Moreira, percussionniste, entre autres, de Miles Davis sur l'album Bitches Brew, personnalisait les morceaux en ajoutant du persil aux orchestrations, j'adorerais saupoudrer les arrangements avec quelque gimmick de mon invention. Ces épices rares donneraient une couleur inédite à la musique, un petit quelque chose de plus, une perspective. J'imaginerais des sons électroniques ou bruitistes adaptés à chaque chanson, narratifs ou purement sensibles. Insuffler une brise cinématographique dans la musique à l'image des artistes qui soulignent leurs interprétations d'un jeu dramatique.
Il y a quelques années, directeur artistique pour le chanteur mahorais Baco, j'avais mixé les klaxons d'un embouteillage à la section de cuivres pour une chanson sur la pollution, fait traverser l'océan indien à un voilier encerclé d'oiseaux marins, lui avait donné la réplique grâce à la voix de personnages qu'il évoquait, autant de contrepoints en forme de contre-champs, voire de hors-champ. Aucune illustration redondante, mais l'installation d'une dialectique qui multiplie les lectures. Une autre fois, j'avais recréé une scène de film pour un cover de Sorry Angel de Gainsbourg par le guitariste Jef Lee Johnson avec la comédienne Nathalie Richard. Ou imaginé de courts interludes pour les trois albums du somptueux Chronatoscaphe commémorant le quart de siècle du label nato. Etc.
Hier après-midi, le violoniste Lucien Alfonso est passé au studio pour que j'ajoute des sub-basses à l'enregistrement d'un morceau du premier album du Toukouleur Orchestra. Avec juste un sax et un violon certains arrangements sonnent comme la section de cuivres de Soft Machine sur des rythmes afro ! Les années 70 ont laissé de sacrées traces. Nous avons ensuite fabriqué des sons supersoniques, entre jet et cosmos, trafiquant sa voix avec l'Eventide H3000 et terminé la séance avec les suraigus d'un supposé satellite et la fraise d'un dentiste. J'ignore si nous avons atteint le nirvana annoncé par le titre, mais j'ai eu un peu de mal à redescendre pour écrire mon article.
Nous n'avions pourtant usé d'aucun expédient, ni végétal, ni chimique, ni même sonore, puisque nous n'avons encore jamais testé les drogues sonores d'I-Doser. Ces centaines d'épices aux noms évocateurs s'écoutant au casque seraient susceptibles de produire des effets comparables à certains hallucinogènes, émotions orgasmiques et autres produits illicites qui font chavirer le ciboulot. Arnaque, poison ou réalité augmentée, allez savoir...

Article du 4 octobre 2012 (liens mis à jour)
Illustration : JJB, 1969

lundi 8 juillet 2024

Entrée à volonté


On entre. On sort. Par la porte. Par la fenêtre. On entre. On sort. Par le col ou le bistouri. Les pieds devant. La tête la première. On entre. On sort. La tête haute. Les épaules rentrées. On entre. On sort. Comme un hareng ou en ermite. En rang d'oignons ou avec un drapeau. On entre. On sort. La glace explose en mille morceaux. Le vent s'engouffre. Les tapis volent. On entre. On sort. Question de volonté. Ou d'appétit. Mais question sans réponse. On entre. On sort. Sur la pointe des pieds. En fanfare. Comme si de rien n'était. Avec les honneurs. On entre. On sort. Au delà du seuil rien d'autre n'existe. C'est si court. Que l'on marche ou que l'on courre. Pas le temps de dire ouf. On entre. On sort. D'un pied sur l'autre. Une hésitation. Mine d'entrer. Semblant de sortir. Plus vite cette fois. Une vibration. On y entre. Encore plus vite. Encore. Encore. On ne s'en sort pas.

Article du 2 octobre 2012

vendredi 5 juillet 2024

Parmi les nénuphars


Lorsque je prends des photos je vais souvent au plus vite pour ne pas perdre l'intention initiale. Sans prendre le temps de chausser mes lunettes, je cadre à peu près en espérant que ça colle. Il est toujours possible de recadrer, même si mes meilleures images ne l'ont pas justifié. Et puis l'écran de mon smartphone est riquiqui comme sur tous ces trucs de poche qui ont supplanté les appareils photo chez les amateurs. C'est un peu comme lorsque j'improvise, j'enregistre, mais je ne connaîtrai objectivement le résultat qu'à la lecture.
Hier après-midi je me promenais donc dans le Jardin des Plantes près de la gare de Nantes lorsqu'Eliott a voulu voir la mare aux grenouilles. Comme celles-ci semblaient cachées, nous nous sommes penchés sur les nénuphars qui venaient d'éclore. Juste avant de nous diriger vers Dépodépo, le jardin créé par l'illustrateur Claude Ponti, où Eliott rêvait d'aller se cacher dans les pots de fleurs géants, j'ai cherché à photographier une fleur plein pot sans me rendre compte qu'une grenouille était dans le champ. Ce sont les amies à qui je l'ai fait suivre qui l'ont instantanément remarquée. En fait, s'il l'on faisait bien attention on en découvrait d'autres camouflées parmi les feuilles en forme de cœur. Comme elles étaient trop loin pour qu'on les embrasse (on ne sait jamais), Eliott tenta de leur cracher dessus, sans succès. Elles ne bougèrent pas d'un cil. Nous les avons laissées à leur bain de soleil pour admirer L'homme de bois de Fabrice Hyber, un géant d'où coule de l'eau par tous les orifices (tous, on vous dit, même si les guides en évitent soigneusement le détail) et qui devrait se végétaliser ainsi d'ici septembre grâce aux mousses et fougères que l'humidité favorise. Il fait partie du Voyage à Nantes, des installations contemporaines et des expositions comme celle de Pierrick Sorin qui sont présentées jusqu'au 8 septembre et que l'on peut rencontrer en suivant une ligne verte peinte sur les trottoirs de la ville. Certaines deviendront pérennes.
Nous sommes rentrés à Indre où Will Guthrie présentait le travail de ses élèves batteurs et joueurs de gamelan dans un jardin près du port. Il était temps que je regagne mes pénates pour préparer le grand départ.

jeudi 4 juillet 2024

Toujours le même tabac


Après 5600 articles en 20 ans il est compréhensible que je ne me souvienne plus de tous. De temps en temps je suis tenté d'en écrire un que j'ai déjà publié. Avec le même titre, le même point de vue, le même enthousiasme aussi. Mon cerveau ressemble à un disque dur saturé. Il faut jeter des informations pour en enregistrer de nouvelles. La mémoire et l'oubli. Pas de quoi s'affoler si, l'âge avançant, on perd le nom des gens, le titre des films, le souvenir des visages, l'endroit où j'ai posé mes lunettes... C'est ce qui m'est arrivé ce matin. J'ai tapé "Un tabac" après l'avoir pris en photo. Elle est plus jolie que celle du 17 juillet de l'année dernière, mais j'avais déjà tout dit.

UN TABAC

Les plants exposés au sud font un tabac. Ses fleurs ont pourtant l'air fané au soleil, mais elles s'épanouissent aussitôt que l'ombre du soir envahit le jardin. D'ornement, leurs feuilles ne se fument pas, enfin c'est ce qu'on dit. Je suis obligé de le croire puisque je n'ai jamais fumé, de tabac. Ma mère corrigeait mes devoirs le Disque Bleu Filtre au bec, la fumée me remontant dans les narines. Comme ce ne fut jamais un interdit, écœuré par des années d'inhalation passive, je ne m'y suis jamais mis, contrairement à la plupart de mes camarades de lycée. J'achetais pourtant des Winston ou des Marlboro, espérant m'en servir pour draguer, mais j'étais si timide que le paquet me durait trois mois, pour un résultat catastrophique. Plus tard je mélangeai les brins de Camel à mes joints. Je n'ai jamais véritablement aimé le goût. Seuls les effets m'intéressaient. Expérimentalement ! Je les roulais avec une machine, m'imaginant probablement ainsi encore en amateur, même après quarante ans de cette pratique. J'ai arrêté il y a une dizaine d'années. Cela ne m'apportait plus qu'une fatigue au réveil. L'odeur du tabac des cigarillos auxquels ma mère était passée m'obligeait à me doucher et changer de vêtements lorsque je rentrais chez moi tant son appartement empestait, même lorsque je n'y restais que dix minutes. À sa mort, quand nous avons vendu son appartement, les livres étaient recouverts d'une poussière brune d'un centimètre d'épaisseur. C'est donc la première fois que le tabac me fait un effet positif. À la tombée du soir je reste en pâmoison devant ses fleurs blanches et roses en pensant qu'un jour mes rêves les plus chers se réaliseront. Soupir ! Cyriaque et Alexandre m'ont donné des quantités de semis dispersés dans autant de pots, beaucoup de fleurs, mais aussi des tomates, céleris, choux, etc. Le lendemain matin les tabacs étaient toujours ouverts. Pendant mon voyage au Maroc qui a duré quinze jours, les bambous avaient poussé de deux mètres en hauteur. Je tente de réguler cette petite jungle. Posséder un jardin redonne un sens aux saisons, aux variations climatiques, à la lutte pour la vie, à notre animalité dénaturée...

mercredi 3 juillet 2024

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisode 2


Après le premier épisode consacré à La Maison Fournaise, celui-ci évoque le canotage sportif en exposant une périssoire, deux skiffs, un canoë et deux paires d'aviron. Le sujet proposé par la DRAC rime évidemment avec les prochains Jeux Olympiques. J'avoue avoir eu un peu de mal à trouver le ton musical jusqu'à ce que me vienne l'idée du bois, du bois dont sont faits les avirons ! Comme dans le premier épisode, j'ai utilisé le piano pour des parties plus convenues, mais c'est le marimba qui m'a donné la solution. C'est un xylophone grave aux larges lames de padouk ou de palissandre avec des résonateurs en métal. L'aspect répétitif des séquences musicales évoque évidemment les rameurs et ma manière d'agencer les timbres a quelque chose d'aquatique. J'ai juste ajouté quelques coups d'avirons au début, un train à vapeur avec sa sirène et le bruit des pages. Je n'ai aucune idée du prochain épisode, mais chaque partition sonore est très excitante à réaliser.



Étonnant Patrimoine ! - #2 Les sports nautiques d'autrefois

mardi 2 juillet 2024

Le fruit du cobra


Toujours friand de découvertes, qu'elles soient scientifiques ou culturelles, l'apparition d'un fruit inconnu à Paris Store (Belleville) éclaire ma journée d'une suave lumière. L'étiquette indique salak palm ou fruit du serpent. La drupe, d'environ six centimètres de long, ressemble à du canard laqué, mais ses écailles dures rappellent surtout la peau d'un serpent ou d'un tatou. Avant d'avoir trouvé tout ce qui le concerne sur Internet, je l'entaille sur la longueur et suce la chair entourant le noyau. J'hésite entre la pomme, la fraise et l'ananas, avec le petit côté acide du fruit de la passion. Passion, pomme, serpent, ça sonne un peu biblique, mais c'est très bon tout de même ! Je vais rechercher l'écorce dans la poubelle lorsque j'apprends la qualité de ses infusions. Il paraît qu'il ne faut rien jeter, mais j'ignore quoi faire avec les noyaux. Ces fruits d'un palmier qui poussent surtout à Java et Sumatra sont cultivés en Thaïlande, mais ils diffèrent de ceux d'Indonésie, par le goût et la forme. Je suis toujours étonné de découvrir de nouveaux légumes, de nouveaux fruits, de nouvelles racines, alors que je n'ai jamais aucune surprise avec la chair d'un nouvel animal, que ce soit un mammifère, un oiseau ou un poisson. Évidemment ils viennent de loin, pas génial pour le bilan carbone, mais les tomates ou les pommes de terre n'étaient pas non plus d'origine européenne, et nombreuses plantes asiatiques ont récemment trouvé ici des sols propices. Bon d'accord, pour les palmiers, ce n'est pas gagné, mais qui sait avec le réchauffement climatique ?!

lundi 1 juillet 2024

Quand sonne le glas


À tou/te/s les ami/e/s qui sont catastrophé/e/s par les résultats du premier tour des élections législatives, je réponds que la résistance sera à la taille de l'agression. Face au dézingage du public (santé, éducation, culture, information, etc.), si le RN devient majoritaire, nous nous organiserons. Pour celles et ceux qui voient la Bête se réveiller, je leur rappellerai que les résistants n'étaient pas nombreux à s'y affronter. Certes, les ravages risquent d'être considérables auprès de certaines populations ou secteurs professionnels, mais cela n'aura qu'un temps. La vie n'est pas faite que de bonnes nouvelles, mais elles succèdent toujours aux mauvaises. La réciproque est vraie aussi hélas. L'histoire est faite de fosses et de crêtes. Je suis plus inquiet par l'état de la planète que par la politique des nazes qui risquent d'arriver au pouvoir si nous n'arrivons pas à mobiliser le maximum de citoyens. Évidemment les choses sont plus complexes qu'exposées par ces quelques mots. Ici aujourd'hui les fachos sont plus dangereux que les stals ! Quel est l'intérêt des banques ? De quoi le Capital se contentera-t-il le mieux ? Quelle union est possible quand les élections ressemblent surtout au marché de l'emploi ? La problème n'est-il pas constitutionnel et sociétal ? Quelle démocratie cautionnons-nous ? Jusqu'où porte notre altruisme ? Quelles sont les limites de nos frontières, de nos frontières mentales car ce sont elles qui brident notre analyse ? La boule de cristal reste opaque. Tout est possible, le pire comme le meilleur, mais ne baissons jamais les bras face à l'imbécilité criminelle et suicidaire que génèrent le profit et la manipulation de masse.

Illustration de Jannis Kounellis

L'Intercommunal Free Dance Music Orchestra de François Tusques


Il fut un temps, peut-être même à l'origine, où le free jazz était une musique festive. Cette référence à l'origine est d'autant plus juste que François Tusques fonda le premier groupe de free jazz en France en 1965 avec Bernard Vitet, Michel Portal, François Jeanneau, Beb Guérin et Charles Saudrais. Innovateur invétéré, en 1971 avec son Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Tusques inventa aussi la world music, du moins en France. Après avoir publié deux albums solo du pianiste intitulé Dazibao il y a deux ans, le label Souffle Continu réédite deux disques particulièrement jouissifs, L'inter communal (1978, mais enregistré à partir de 76) et Le musichien (1983, mais enregistré en 81-82). C'était encore l'époque où en Amérique du Sud, en Afrique, en Bretagne ou aux États Unis on rêvait d'émancipation. Alors se fabriquaient des musiques fondamentalement utopiques, joyeuses à vivre, libres de danser. Le free n'était pas encore tombé aux mains de musiciens radicaux interdisant les rythmes répétitifs et les mélodies tonales. Et s'ils étaient déjà à l'œuvre, la résistance était forte, défendue par des acteurs légitimes. Cela n'empêchait pas pour autant ceux-ci de s'affranchir des "bons" usages.
Dans L'inter communal le groupe est formé du chanteur catalan Carlos Andreu, du trompettiste occitan Michel Marre, du tromboniste togolais Adolf Winkler, du saxophoniste guinéen Jo Maka, du percussionniste gabonais Sam Ateba, du bassiste breton Tanguy Le Doré, des sonneurs Jean Louis Le Vallégant et Philippe Le Strat aux bombardes, de Jean Mereu à la trompette, etc. Quant à Tusques, je crois me souvenir que Bernard Vitet, qui joue merveilleusement de la trompette dans Le Musichien, me racontait qu'il descendait d'un roi fainéant, donc un Mérovingien ! J'ignore si c'est vrai, mais l'anecdote est amusante. Dans ce deuxième disque on retrouve Andreu, Ramadolf (Winkler), Ateba, Le Vallégant, Le Strat, Le Doré, le percussionniste Kilikus, présents dans le précédent, mais le contrebassiste est Jean-Jacques Avenel, Sylvain Kassap est au ténor, Yebga Likoba ou Danièle Dumas au soprano. La musique bretonne gagne du terrain ! Avec Tusques c'était la première fois qu'elle se mêlait au jazz.
Lequel préférer ? Les deux font la paire. On en redemande forcément quand le bras du pick-up se lève ou que le CD se tait. Il fait beau. Il y a du soleil. C'est l'été. Je fais semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais, de toute façon, quel que soit le sens du vent, il faut toujours danser, chanter, se révolter, ne jamais baisser les bras, ensemble. C'est le sens de toute la musique de François Tusques.

→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, L'inter communal, Label Souffle Continu, LP 25€ / CD 12€ / numérique 7,90€
→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Le musichien, Label Souffle Continu, LP 25€ / CD 12€ / numérique 7,90€

vendredi 28 juin 2024

L'arbalète


Il y a quelque temps je prêtai l'arbalète l'arbalète à la violoniste Fabiana Striffler pour l'album ***, et à l'altiste Maëlle Desbrosses pour les albums Listen To The Quiet Plattfisk et Codex... Je retrouve ainsi aujourd'hui un article du 12 septembre 2012 :

Comme Nicolas Clauss [rassemblait] des images fixes et mobiles pour La machine à rêves de Leonardo da Vinci que nous [concoctions] pour iPad [l'article original date 12 septembre 2012] je lui [avais envoyé] des photographies d'instruments de musique construits par Bernard Vitet, inventeur plus proche de nous que Léonard. Ici l'arbalète en laiton et plexiglas réalisée par Bernard avec Raoul Maria de Pesters, sorte de violon alto électrique avec manche à sillets, mais on peut le remplacer par un manche plus traditionnel dont la place a été prévue dans la boîte vernissée ! La majeure partie de la musique interactive que je [composais] là [était] pour cordes, pincées ou frottées. À cet effet Vincent Segal [était] venu au studio avec son violoncelle.
Sacha Gattino m'avait indiqué un lien précieux vers un site espagnol où [étaient] présentés les instruments de musique inventés par le génial touche-à-tout toscan : orgue de papier, flûtes à glissando, flûte-tambour, percussion à roulements automatiques, crécelle à anches, etc. Leonardo aurait ainsi préfiguré le séquenceur, outil informatique dont je me servirai dans la troisième partie de l'œuvre, après le hochet de l'introduction et le mixage de surfaces de la seconde...
Par souci d'originalité ou peut-être crainte de comparaison je n'ai presque toujours joué que d'instruments rares ou construits à mon intention, qu'ils soient électroniques ou acoustiques. La trompette à anche de Vitet est ainsi devenue l'un de mes préférés avec les flûtes en plexiglas. Côté synthèse, fabriquer mes propres sons a longtemps été l'une de mes priorités, mais j'ai de moins en moins de temps de m'y consacrer, préférant me pencher sur la composition. Il faut environ une journée pour mettre au point un son, un programme qui pourra servir ensuite pendant de nombreuses années dans divers contextes. Ce n'est pas seulement le timbre dont il est question, mais la manière d'en jouer, aussi un son électronique est-il le plus souvent un instrument à part entière. Ceux que j'utilise actuellement ont le mérite de se passer de clavier et sont donc plus légers à transporter !


Il n'empêche qu'appréhender un instrument dont j'ignore tout me procure chaque fois une émotion sans pareil. Quant à Vincent, j'ai été sidéré par sa maîtrise de l'arbalète alors qu'il ne l'avait tenue qu'une fois entre les mains. Sa sonorité cinglante rééquilibre la composition interactive pour quatuor à cordes qui aurait été trop grave avec quatre violoncelles [...].

jeudi 27 juin 2024

Extrait vidéo de notre Garden Party


J'ai repris l'image la plus étonnante de notre Garden Party au Studio GRRR, spectacle avec les danseurs de contact-improvisation Didier SILHOL et Cléo LAIGRET, que j'ai accompagnés pour sept pièces improvisées dimanche dernier, 23 juin 2024, pour annoncer la publication d'une petite vidéo filmée par Dominique GREUSSAY. Sur la photo de Sonia CRUCHON la position des mains et des jambes, le reflet dans la porte vitrée, ma présence à la flûte donnent une impression énigmatique qui me plaît. Sur la vidéo je joue plus ou moins en aveugle (j'arrive pourtant à suivre mes camarades), derrière les fenêtres, depuis mes machines. Dans les autres je me promenais ou m'installais dans différents points du jardin.


Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi le cinéma ou la musique comme moyens d'expression. Ce sont des sports d'équipe. Si en général je déteste jouer seul, me retrouver avec Didier et Cléo m'évite le manque de dialectique qui fait défaut au solo. De plus, le contact-improvisation m'octroie une liberté que j'ai évidemment rarement eue en travaillant avec des danseurs. Leur pratique préserve quelque chose du quotidien qui m'anime, sorte de va-et-vient entre le documentaire et la fiction.

mercredi 26 juin 2024

Sur nature à petit bruit


Nous sommes si souvent déçus par les expositions d'art contemporain qu'une petite brise de fraîcheur venant du 104 nous [ravit ce] samedi après-midi. Les fantasmes de réussite font glisser tant d'artistes sur la pente savonneuse de la mode ou de supposées recettes qui auraient fait leur preuve que les véritables urgences sont noyées dans cet océan de clones et de futilités ressassées. Bien des professeurs portent une lourde responsabilité de vouloir former des élèves à leur image. Duchamp se retournerait dans sa tombe en découvrant la foule de ses adeptes, comme tous ceux qui ont fait des émules à l'instar de Lacan ou Godard. Il est si difficile de suivre sans imiter, d'apprendre en restant soi, de vivre sans croire le dogme... En même temps les plus authentiques n'en ont cure car ils ignorent le choix. Ils se nourrissent de leur insatisfaction fondatrice et de cette pulsion salvatrice qui les empêche de commettre le pire.

Tout n'est pas du même tonneau dans l'exposition Sur nature présentée au 104 [en 2012]. Deux artistes se détachent nettement : Céleste Boursier-Mougenot avec la version 16 de From Here to Ear et Zimoun avec 416 prepared dc-motors... et Woodworms, wood, microphone, sound system. Ce sont étonnamment les trois installations sonores qui retiennent notre attention. La cheminée de cartons résonnants affublés de petits moteurs rotatifs recycle un ancien projet de Zimoun pour donner l'illusion de la pluie tandis qu'un microphone capte le bruit des vers dévorant le bois dans la salle d'à côté.


Mais si l'espace du 104 mérite le détour, l'installation de Céleste Boursier-Mougenot vaut le voyage. Des dizaines de diamants mandarins volètent dans deux salles où sont disposées dans l'une six guitares Gibson et une basse, dans l'autre cinq guitares et deux basses, chacune branchée sur un ampli Fender. L'artiste ne se moque pas de ses interprètes : le son est là ! Les oiseaux venant se poser sur les manches composent une partition aléatoire charmante, sereine, aérienne, qui varie selon les heures et l'excitation des volatiles mis en condition pendant quinze jours avant l'ouverture au public. Nos mouvements provoquent les leurs lorsqu'ils ne vont pas se nicher dans leurs habitations tressées suspendues ou dans les cymbales Paiste, mangeoires posées au sol. Le concert de leurs voix lilliputiennes vient se mêler aux cordes électriques, interrogeant notre rapport à la structure, à l'indétermination et au chant du monde.

Article du 24 septembre 2012

mardi 25 juin 2024

Brigitte Fontaine, 85 ans


Brigitte on t'aime. 85 ans déjà. La première fois que je t'ai rencontrée, c'était au festival de Biot-Valbonne il y a plus d'un demi-siècle, tu étais avec le bassiste Earl Freeman. Après il y eut la battue dans les bois à La Borde. J'étais très jeune, ce sont des évènements qui marquent. Et d'autres fois, grâce à Bernard. La dernière, c'était à l'occasion de Amore 529 que tu as cosigné avec Un Drame Musical Instantané et qui figure au début de notre album Opération Blow Up (index 2). La seule chanson que tu aies enregistrée en 1992, année charnière pour toi, juste avant ton glorieux come-back. Heureusement il y avait le Japon qui ne t'avait jamais oubliée. Et Bernard Vitet, jouant de la trompette comme il le fit souvent sur tes chansons. Du temps de Comme à la radio il avait remplacé Lester Bowie pour les tournées. Plus tard je vous ai entendus avec Moustaki, Areski, Rykiel... C'était avant. Tu avais annulé notre premier rendez-vous parce qu'il y avait de l'orage, tu t'étais cachée à la cave. J'avais préparé quelque chose de très délicat pour accompagner tes paroles, mais en arrivant au Studio GRRR tu nous as déclaré qu'il n'y avait plus que le rock qui t'animait. Je vous ai envoyés, Bernard et toi à la cuisine, et j'ai reprogrammé les machines pour faire un truc qui te plaise. Quelques années plus tard, pour le nouvel album du Drame intitulé Machiavel, Steve Arguëlles a remixé notre morceau avec toi sous le titre Nusch (index 7). Il avait écrit : "magie amoureuse, paradoxe temporel". Cela convient très bien à l'image que j'ai gardée de toi, quand nous étions à la brasserie en face de ton appartement sur l'île. J'écoutais tes disques à la radio lorsque j'étais minot, avec ceux de Colette Magny et de Catherine Ribeiro, mes trois Grâces ! Je n'ai jamais cessé. Il paraît que tu en prépares un nouveau. Je suis impatient. Joyeux anniversaire !

Un autre point de vue


Ayant annoncé que photos et vidéos étaient autorisées pendant notre prestation, contrairement aux usages actuels, nos invités s'en sont donnés à cœur joie et nous recevons sans cesse de nouvelles contributions, autant de points de vue différents pour un spectacle que l'on peut qualifier d'immersif, même si ce sont les interprètes (Didier Silhol, Cléo Laigret et myself) qui sont dans le bain tandis que le public est assis partout autour... Celle-ci est de Benoit Thiebergien !
Je regarde les vidéos pour savoir si je peux en mettre une ou deux en ligne 😎

Garden Party au Studio GRRR


Pas d'album en ligne cette fois-ci. Je remplace la musique par des photos. Nos invités ont filmé certains passages, mais il aurait fallu monter tout cela, et je ne peux me contenter d'à peu-près alors que les enregistrements audio habituels sont superbes. Mon exigence cinématographique me renverra au souvenir. Souvenir d'une après-midi exceptionnelle, le premier véritable jour de l'été. Tout le monde était forcément de bonne humeur. On a même dû distribuer des chapeaux à cause du soleil. Il n'y a jamais eu autant de monde à mes Apéro Labo. Le jardin est évidemment plus spacieux que le studio où se tiendront les prochaines séances, le 8 septembre avec la violoniste Fabiana Striffler et un/e autre invité/e, le 13 octobre avec la clarinettiste Hélène Duret et le pianiste Alexandre Saada. Nous avions disséminé des fauteuils confortables partout où c'était possible. Toutes les places étaient bonnes, question de point de vue, et à l'entr'acte j'ai suggéré que nos invités échangent leurs sièges. C'était drôle, on aurait dit le jeu des chaises musicales. Le beau temps justifiait donc que mes acolytes soient cette fois deux danseurs de contact-improvisation, Didier Silhol et Cléo Laigret...


Je leur avais aménagé la terrasse ainsi qu'un couloir en L qui leur permettait d'évoluer au milieu du public. De mon côté, ou plutôt de mes côtés, j'avais disposé des instruments à des endroits variés. J'avais caché tout un matériel de percussion dans la cabine du sauna, posé le guide-chant et l'ampli sans fil du Tenori-on sur le compost, installé la shahi-baaja à la fenêtre du studio, je pouvais m'assoir sur l'ampli où était branché le Terra ou jouer en aveugle avec les synthés du studio. Et puis le grand rhombe, la flûte, la trompette à anche, les percussions, etcétéra me permettaient d'évoluer aux côtés des danseurs.


Didier Silhol est un ami de quarante ans. Nous ne nous produisons pas souvent ensemble, mais c'est toujours un immense plaisir de confronter les improvisations musicale et chorégraphique. Il faut bien dire que le "contact" s'accommode de tous les espaces comme je me sens à l'aise dans toutes les situations, tant que le rendu sonore est à la mesure de mes élucubrations.


Comme je demande chaque fois aux spectateurs de choisir les sujets ou titres de nos pièces, je leur ai imposé le thème du jardin. Nous avons ainsi eu droit à Arrosoir, Chevelu (comme le palmier), Brindilles, Tracteur, Coquelicot, Bûche et Radis.


Après une heure trente de spectacle nous, tous et toutes, nous sommes retrouvés devant le buffet. Didier avait préparé du tarama, Cléo un tartare d'algues et de l'houmous, et moi un caviar d'aubergine dont la couleur verte était donnée par l'importance du persil. Nos invités avaient également apporté de délicieuses victuailles que nous avons arrosé de vin rouge, vin blanc, bière, morito, jus de pomme et eau, parce que l'eau c'est très bon aussi, en tout cas moi j'adore ça autant que les alcools.


Comme à chaque Apéro Labo la convivialité est maîtresse. Nous jouons comme si nous étions en famille. De même que chaque jour je cherche à reproduire l'émotion de mes quinze ans lorsque seule la passion nous guidait, de même je souhaite communiquer à mes invités cette joie de vivre que le métier, les habitudes, les conventions, les nécessités ont tendance à nous faire oublier.

Photos de Dominique Greussay, Martin Meissonnier, Christiane Louis, Sonia Cruchon

lundi 24 juin 2024

Folk & renouveau, une balade anglo-saxonne


Philippe Robert et Bruno Meillier signent un livre inattendu lorsque l'on connaît leur goût pour les musiques innovatrices. Leur étude sur le folk et ses déclinaisons actuelles, souvent empreintes de rock, est tout à fait cohérente grâce à leur ouverture d'esprit et leurs choix éclectiques.
Musicien (Etron Fou Leloublan, Les I, Bruniferd, Zero Pop, etc.), organisateur du festival Musiques Innovatrices à Saint-Étienne, Bruno Meillier est également label manager de Orkhêstra International, distributeur en France de tout ce qui se fait d'original en matière discographique. Leur locomotive est le célèbre Tzadik dirigé par John Zorn, mais ils s'occupent de plus d'une centaine de labels tels Ambiances Magnétiques, BVAAST, Cuneiform, FMP, GRRR, In Situ, Intakt, Knitting Factory, Nûba, Potlatch, Trace, Umlaut, Victo, etc.
Le journaliste Philippe Robert a collaboré aux Inrockuptibles, à Vibrations, Jazz Magazine, Guitare & Claviers et signé sept ouvrages sur la musique aux éditions Le mot et le reste dont ce remarquable Folk et renouveau, une balade anglo-saxonne.
Après un survol historique des différents courants, les auteurs ont choisi environ 150 albums pour illustrer leur propos.
Les folksongs et la musique traditionnelle anglo-saxonne n'ont jamais été ma tasse de thé, mais il n'existe aucun genre qui ne mérite qu'on s'y attache pour peu que l'on soit correctement guidé ! Le moindre rejet musical n'est qu'affaire de psychanalyse, les histoires familiales orientant fondamentalement nos goûts. Face à l'excellence on se laissera surprendre et emporter.
Traçant ma route parmi cette somme fortement argumentée j'ai pu ainsi retrouver des émotions oubliées en écoutant les albums évoqués qui avaient marqué ma jeunesse ou en faisant de nombreuses découvertes puisque le panorama débute en 1927 avec la célèbre Anthologie de la musique folk américaine publiée par Harry Smith et se développe jusqu'à aujourd'hui. Le folk s'est toujours coloré de maintes influences en se mariant, par exemple, avec l'énergie électrique du rock ou la liberté du jazz et de l'improvisation. Pendant ces 90 ans la critique sociale et politique y a rivalisé avec les élucubrations délivrées par l'alcool et les psychotropes.
Par affinité j'ai laissé tomber les classiques Peter Seeger, Woody Guthrie ou Bob Dylan, pour profiter de la voix envoûtante de Sandy Denny avec Fairport Convention ou Fotheringay, des envolées psychédéliques de Crosby Stills Nash & Young, des Byrds ou Buffalo Springfield. Mais j'ai surtout fait des découvertes en me plongeant dans Alasdair Roberts, Comus, Espers, Roy Harper, Pearls Before Swine, Peter Walker, R.E.M., The Holy Modal Rounders qui m'avaient échappé ou en dévorant coup sur coup treize albums de l'Incredible String Band qui m'avait tant plu à l'adolescence pour leur inventivité débridée et leur naturel décomplexé.
Si Folk et renouveau est bien une balade, c'est aussi une mine, un territoire gigantesque dont Robert et Meillier ont dressé la carte en s'en faisant les passeurs pour quiconque souhaite s'ouvrir sans cesse à de nouveaux paysages et se laisser porter par de sublimes ballades.

Article du 4 septembre 2012

vendredi 21 juin 2024

Illuminations


[Ce 2 août 2012, j'enchaînai] les débuts de Brigitte Fontaine (... est folle !) arrangé par Jean-Claude Vannier, Le voyage dans la lune, probablement le meilleur disque du groupe Air, les Blues and Haikus du poète de la Beat Generation Jack Kerouac accompagné par les saxophonistes Al Kohn et Zoot Sims, l'album rock de reprises Way Out West de l'hypersexy septuagénaire Mae West, et enfin Illuminations de Buffy Sainte-Marie.

En écoutant cet époustouflant disque de l'amérindienne Cree canadienne [origine contestée depuis 2023, argh !], je fais le lien direct avec le passionnant livre de Philippe Robert et Bruno Meillier, Folk et renouveau, une balade anglo-saxonne [...] (Le mot et le reste, Formes). Lorsque Illuminations est sorti en 1969 je ne connaissais que le poème God Is Alive, Magic Is Afoot de Leonard Cohen mis en musique par Buffy Sainte-Marie entendu par hasard au Pop-Club de José Artur. J'avais été marqué par l'originalité du traitement électroacoustique pour une chanson folk. C'est l'époque où je recherchais tout ce qui sonnait résolument moderne dans la pop comme les Silver Apples, White Noise, les manipulations de Frank Zappa pour Uncle Meat, Electronic Sound de George Harrison, mais aussi Pink Floyd, Soft Machine, Vanilla Fudge, etc.


Surtout connue pour l'hymne à la paix Universal Soldier et son hit Until It's Time for You to Go repris entre autres par Elvis Presley, Buffy Sainte-Marie a ensuite totalement abandonné cette voie, expulsant même cet incroyable album expérimental de son catalogue. À l'exception d'une guitare électrique sur un morceau et d'une section rythmique sur trois des derniers, tous les sons du disque, soit la voix et la guitare sèche de Buffy, sont trafiqués par un synthétiseur Buchla. Illuminations fut de plus le premier disque à sortir en quadriphonie ! Si la voix des premières chansons rappelle Joan Baez la suite ressemble plutôt à Grace Slick, la chanteuse du Jefferson Airplane, mais dans tous les cas elles se seraient envolées vers les plus hautes sphères, là où le psychédélisme vous fait complètement chavirer... D'où ces Illuminations tripantes qui donnent son titre à l'album, le sixième de cette artiste engagée, transformé par son producteur Maynard Solomon, les arrangements de l'allumé Peter Schickele et du musicien folk-jazz Mark Roth. Fortement conseillé pour léviter dans des paysages minimalistes dignes de la meilleure science-fiction !

jeudi 20 juin 2024

OTOS de Félicie Bazelaire


[...] Félicie Bazelaire qualifie sa musique de minimaliste (c'est aussi le terme dont j'ai affublé celle de Paul Jarret). Tendance actuelle. J'entends une sorte de drone pulsionnel. C'est très beau, quasi méditatif. Le sang circule dans les ventricules. Ça bat comme une reine, des abeilles en harmoniques. Elle décrit très bien son album : "Félicie Bazelaire a tiré de son monde sonore intérieur un paysage doux-amer. Atteinte d’otospongiose, maladie des os de l’oreille, Félicie Bazelaire capte en elle des sonorités intra-corporelles : les battements de son cœur, sa fréquence artérielle, des acouphènes pulsatiles et des bourdonnements. Félicie Bazelaire a apprivoisé cette maladie bénigne mais gênante en considérant ces sonorités comme des sons musicaux. Après les avoir écoutés, retranscrits puis adaptés à la contrebasse, elle les a organisés en une musique polyphonique contemplative où rythmiques organiques et harmonies perçantes cohabitent." Ce Voyage fantastique dans le corps humain est digne de Richard Fleischer. Mais si je me fis aux capitales du titre, le programme OTOS (Observation de la Terre Optique Super-résolue) prépare les satellites spatiaux de future génération pour l’observation de la Terre et la Défense. In Out. Proche et loin. Une maladie bénigne ? Question de repères. Nous vibrons fondamentalement en sympathie sur les deux faces du vinyle. J'écoute fort. Les murs de la maison tremblent comme au départ d'une fusée, un cocon nous enveloppe jusqu'à ce que l'aiguille arrive au bout du sillon. Nous sommes vivants.

→ Félicie Bazelaire, OTOS, LP nunc 20€ (10€ en numérique)