70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 13 décembre 2024

La pilule de l'oubli


Je pensais avoir perdu la mémoire, j'avais perdu la vue. Hier matin, alors que je m'apprêtais à fêter mon anniversaire avec un peu de retard, je retrouve le petit sachet "Erase Your Past" accroché derrière la porte d'entrée à côté de trois petites gommes japonaises et d'un nazar bonzuğu, l’œil porte-bonheur turc. Comment est-il possible qu'il m'ait échappé depuis douze ans ? Il est pourtant en face de nous lorsque la porte est fermée. Et personne d'autre ne l'avait non plus remarqué. Je repense évidemment à Cocteau pour Les mariés de la Tour Eiffel : "Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur." Il n'empêche que l'objet est bien paradoxal, car je n'ai même pas eu besoin de l'avaler pour qu'il fasse effet !

Mon anniversaire de soixante ans [l'article date du 14 novembre 2012] m'a valu une pluie de cadeaux plus merveilleux les uns que les autres, mais la disparition de celui d'Élise Thiébaut m'a particulièrement énervé. Je l'ai cherché partout, sous les meubles, derrière les livres, dans la poubelle... Combien de fois ai-je vérifié qu'aucun coin de la maison ne m'avait échappé ? Sur le paquet en cellophane contenant une gélule noire était simplement stipulé "Effacez instantanément votre passé !". Un de mes amis l'aurait-il subrepticement dissoute dans mon verre ? Si c'est le cas jusqu'à quelle date l'effet se fait-il sentir ou plutôt ne se fait plus sentir ? J'en perds mon latin et la boule. Bonne nouvelle tout de même, le médicament miracle ne semble pas être une remise à zéro totale, sinon trouverais-je encore mes mots pour vous parler ? La chose appartient à la première série des Pilules et Remèdes, œuvre de Dana Wyse intitulée Jesus Had A Sister Productions 1996-2003 (Set complet) et sous-titrée Helping you to create your own reality since 1789... Voilà, un coup de Tippex et je ne retrouve plus rien. Le goberez-vous ? Dix ans après cette fantaisie, le propranolol est devenu chose sérieuse, susceptible, paraît-il, de soulager les chocs post-traumatiques.

jeudi 12 décembre 2024

Arts et métiers


La venue de mon petit-fils à Paris était une occasion rêver pour retourner au Musée des Arts et Métiers. À six ans et demi il faut un peu se battre pour qu'il regarde les objets plutôt que les vidéos qui les présentent en tout petit. La collection Transports avec les premières automobiles ou les premiers avions est évidemment plus attrayante pour lui qu'Instruments scientifiques, Matériaux, Énergie, Mécanique, Communication ou Construction. De mon côté j'avais l'impression d'avoir ouvert un livre de Jules Verne avec les illustrations de la collection Hetzel et d'y être tombé comme le lapin d'Alice au pays des Merveilles ou une bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu.


Dans l'église, sous un biplan ou l'aéroplane de Blériot oscille le pendule de Foucault. On voit la petite sphère légèrement floue derrière moi. Plus loin dans le musée est installé le laboratoire de Lavoisier. Les automates ne fonctionnent pas, mais de petits films les montrent en action. J'évoque évidemment ce qui accroche l'attention d'Eliott. Il faudra que j'y revienne sans lui ou lorsqu'il aura grandi !


Nous enchaînons avec un délicieux déjeuner coréen au Shodai Uji Matcha de la rue Volta, budae jjigae épicé et bibimbap accompagnés des indéfectibles pantan, en terminant par leur glace au thé vert matcha. Eliott adore ce qui est pimenté, cela tombe bien. Cette semaine mon rôle de grand-père ne me laisse pas beaucoup de temps pour écrire ou faire quoi que ce soit d'autre ! Je m'occupe des urgences. Le reste attendra.

mercredi 11 décembre 2024

Au cœur de la création


J’imagine que c’était là sans que j’y pense, mais jouer pour la première fois avec des musiciens ou des musiciennes dans le cadre d’improvisations libres permet de les rencontrer dans le plus simple appareil, entendre qu’ils se mettent à nu, sans avoir le temps de contrôler leurs désirs ou leurs réflexes musicaux. Ce partage ne peut être que généreux, échange sans contrainte où règne une bienveillance exceptionnelle. Notre âme d’enfant peut s’y exprimer facilement. Chaque matin j’espère ainsi retrouver la passion de mes débuts et j’y travaille, sans autre motivation que le plaisir, ici de jouer ensemble.

J'ai souvent raconté qu'après avoir éteint et rangé mes instruments je ne me souviens absolument plus de ce que je viens de jouer ou de ce que nous avons composé ensemble dans l'instant. C'est seulement au moment du mixage que j'en découvre à la fois l'ensemble et le moindre détail. Et enfin, à la réécoute, je peux en apprécier la teneur et plonger dans la musique comme le public en profita le jour du concert. Lors du mixage je ne me dépare pas pour autant d'une certaine transe créative qu'un ingénieur du son ne se permettrait pas. Cela n'est néanmoins possible que grâce à une préparation d'une extrême rigueur.

La petite cuisine commence d'abord avec l'installation de mes invités, musiciens et spectateurs, pour les uns placer les câbles et choisir les microphones, pour les autres les fauteuils ! À la balance je ne corrige presque jamais les réglages de chaque voie (potentiomètres à midi) ; le secret est d'avoir de bons micros et de les placer correctement devant les instruments acoustiques, confiant dans l'appréciation et le talent des instrumentistes. J'enregistre simultanément sur 3 voies stéréophoniques de l'application Cubase (j'ai commencé avec son ancêtre Pro 24) et en témoin sur un petit Nagra qui reprend éventuellement les réactions du public. Au mixage je n'ai pratiquement jamais non plus recours aux égalisations ; par contre je normalise alors toutes les voies pour pouvoir inventer un nouvel équilibre en fonction de ma nouvelle écoute. J'ajoute un peu de réverbération sur certains instruments, et selon les besoins un filtre anti-pop ou quelque bidouillage replaçant tel ou tel dans l'espace. Dans l'ensemble j'essaie d'être le plus fidèle possible à ce qui fut réalisé le jour du concert.

Ces réflexions suivent le sixième Apéro Labo enregistré dimanche dernier avec le pianiste Roberto Negro et la clarinettiste Catherine Delaunay, que je dois mixer dès que j'en aurai le temps et qui deviendra l'album intitulé tout simplement Album. Cette fantastique partie de plaisir me rappelle l'expression de Jean Renoir lorsqu'il disait ne pas filmer une tranche de vie, mais une tranche de gâteau !

mardi 10 décembre 2024

Bish Bosch de Scott Walker


Il y a quasiment douze ans jour pour jour que j'écrivis cet article le 7 décembre 2012 sur un artiste encore trop méconnu. Ce même 7 décembre, mais en 2020, je rappelais les 8 articles que j'avais dédié à Scott Walker depuis 2007, y compris celui rédigé pour Le Monde Diplomatique en 2015. Celui qui avait été le modèle de David Bowie ou Alain Bashung s'était éteint à Londres le 22 mars 2019.

Les albums qui sortent de l'ordinaire sont si rares qu'il est impossible d'échapper à ceux de Scott Walker. Je n'ai ressenti un tel choc qu'avec Captain Beefheart, Robert Wyatt, Björk, des voix comme celle de Jack Bruce chez Michael Mantler, ou sur notre continent Colette Magny, Brigitte Fontaine, Camille, Claire Diterzi, pour ne pas citer les éternels, tel Jacques Brel que Walker adapta scrupuleusement en anglais. De préférence chanteurs ayant dessiné leur univers musical en faisant fi de ce qui se fait ou pas. Si ses paysages sonores évoquent d'étranges scènes de film, la voix de Scott Walker, sorte de ténor déjanté ou de crooner emphatique, en dérange plus d'un/e. Il faudra parfois du temps pour s'habituer à cette manière de clamer sa rage ou sa douleur. Bish Bosch, son tout nouvel album, ne produit peut-être pas la même surprise qu'en leur temps Tilt et surtout The Drift, mais sa singularité, sa rigueur et son invention bousculent tout autant.

Bish Bosch signifie que le travail est terminé, il se réfère à la peinture torturée de Jérôme Bosch pleine de petites scènes cruelles et provocantes, et à l'argot de "putain". Ce mélange de sources réfléchit bien la démarche poétique de son auteur, maniant sans prérogatives le trivial et le sublime, le passé et le futur, le bien et le mal. Nous voyageons sur la même galère de la Grèce Antique à la Roumanie de Ceaușescu, de Hawaï aux Alpes, nous heurtant à des concepts de biologie moléculaire ou respirant de sulfureuses puanteurs fécales. Lorsque le mythe croise le quotidien on ne peut s'empêcher de penser à Pasolini, d'autant que Scott Walker ne se prive pas de citations bibliques et de références psychanalytiques. Ses textes nous bringuebalent sur des montagnes russes où il est pratiquement impossible de s'accrocher au garde-fou tant il se plait à changer brusquement de décors ou à convoquer d'historiques monstres au détour d'un vers.

Comme on le voyait dans le film 30th Century Man, il a beau inventer des sons inouïs avec toutes sortes d'objets ou d'instruments comme le Tubax, nouveau modèle de saxophone contrebasse, profonds ou aériens, tranchants ou veloutés, jamais la musique ne saurait produire le malaise que sa diction peut susciter. D'autant que cette fois il ne se prive pas de jouer de silences le laissant souvent a capella. Scott Walker est un minimaliste explosif. Les évènements se succèdent sans précipitation, mais avec une détermination effrayante. Le suspense est colossal. Chaque fois jusqu'à l'effondrement du majestueux et laborieux château de cartes. Si l'orchestre à cordes est utilisé pour des effets de vertige ou si les percussions martèlent l'espace comme dans le film Pola X de Leos Carax, les guitares électriques et les claviers numériques n'ont pas toujours l'efficacité dramatique de ses illustrations circonlocutoires, entendre que la poésie n'est jamais ici explicite, afin de générer des effets différents à chaque nouvelle écoute. Les envolées explicitement rock participent-elles au cut-up burroughsien des références ou sont-elles une tentative d'amadouer les oreilles rétives ?

Le graphisme de la pochette de Bish Bosch est aussi so(m)bre que les précédents. Il annonce la couleur ! De par son incontestable originalité, ses ambiances noires dont l'auteur se force pourtant à exclure tout cynisme, sa poésie hermétique truffée de connotations encyclopédiques, sa monotonie vocale aux intentions dramaturgiques, cet album ne plaira pas à tout le monde. Mais il comblera celles et ceux qui aiment les textures ciselées, les boutades incisives, les transpositions sonores inspirées par le sens des mots, la musique passionnée, et celles-ci comme ceux-là remettront encore et encore ce disque sur la platine pour s'en approcher chaque fois un peu plus, pour en varier les angles, pour en révéler les détails. Une œuvre !

Article du 7 décembre 2012

lundi 9 décembre 2024

L'Apéro Labo #6 marque la fin d'un nouveau cycle


Si l'une des pièces de l'Apéro Labo de hier soir dimanche clôturera le volume 4 de la série Pique-Nique au Labo, c'est aussi le sixième concert en public au Studio GRRR. Pour fêter cela, j'ai eu l'immense plaisir de vivre cette expérience avec la clarinettiste Catherine Delaunay et le pianiste Roberto Negro. Mes deux camarades avec que je n'avais jamais joué, eux non plus ensemble, ayant investi la cabine où réside mon merveilleux magasin de jouets, s'en donnèrent à cœur joie. Étant posté à l'autre bout de la salle je voyais bien que ça délirait sec là-bas et j'entendais bien que nous étions sur la même longueur d'ondes. Comme chaque fois il faudra que je réécoute nos compositions instantanées en les mixant pour savoir véritablement de quoi il retourne. Mon petit-fils Eliott, six ans et demi, choisissait leur thème en tournant au hasard les pages du livre de photographies choisies par Gabriel Bauret et Grégoire Solotareff intitulé Album. Ce sera évidemment le titre du nôtre, lorsque je le mettrai en ligne avant la fin de l'année. Pendant que nous interprétions très librement Un arbre, Un chat, Une fourchette, Un garage, Une gare, Des lézards, Un lion, Un manège, Des mariés, etc., il dessinait et me prêta même main forte tant l'envie de se joindre à nous le tiraillait. J'ai cru comprendre que ce n'était pas le seul, au vu et su de l'émoi des spectateurs et spectatrices réunies là, dont une huitaine de musicien/ne/s que j'admire particulièrement, amusés par l'entrain qui nous animait. À suivre donc, d'abord grâce à l'Album virtuel, ensuite pour un prochain CD sur le label GRRR.

vendredi 6 décembre 2024

The Queen of Versailles


The Queen of Versailles, prix du meilleur documentaire au Sundance Festival 2012, est une formidable parabole du rêve américain, une démonstration de son arrogance, une apothéose de sa ringardise, une illustration prophétique de sa décadence et de son déclin, avec le panache, la fantaisie et l'auto-dérision qui lui sont propres. La poupée Barbie épouse un milliardaire aux rêves de grandeur plus délirants que nature, mais la crise financière d'octobre 2008 les ruinera.


Lorsque Lauren Greenfield commence à tourner son film, l'ex Miss Floride a 43 ans et son mari, qui revendique la responsabilité de l'élection de George Bush par des méthodes peu légales, 74 ans. Jackie et David Siegel se font construire la plus grande maison des États-Unis, un palais de près de 90 000 m² inspiré du Château de Versailles que certains prononcent Ver-size ! Mais, deux ans plus tard, la crise spéculative pousse le milliardaire, qui est à la tête de Westgate Resorts mais a manqué de prévoyance, à la faillite. Versailles, mise en vente 75 millions de dollars encore à l'état de chantier [aujourd'hui 100 millions !], ne trouve pas d'acquéreur. L'orgueil ruine l'entrepreneur encore plus vite qu'il l'avait enrichi. Le couple et ses huit enfants n'en perdent pas pour autant leur sens de l'humour. La réalisatrice montre cette famille aussi sympathique et barjo que celle de tous les soaps américains, avec python en liberté dans les appartements et chiots qui chient sur les tapis anciens. Du botox au feu d'artifice, tout est bon pour la parade. Mais la façade se craquèle et l'Amérique révèle son vrai visage sous le fard. Le capitalisme est un ballon de baudruche qui finira par nous exploser à la figure. Au rayon des farces et attrapes certaines font très mal.

Photo © Lauren Greenfield

Depuis cet article du 7 novembre 2012, David Siegel a perdu le procès intenté contre Lauren Greenfield. Il a été condamné à lui verser 750 000$ de dommages et intérêts, et la comédie musicale s'inspirant du film, sortie le 16 juillet 2024, devrait se retrouver sur Broadway lors de la saison 2025-2026. Paroles et musique de Stephen Schwartz !

jeudi 5 décembre 2024

Salle des pas perdus

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Petit reportage sonore au Palais de Justice pour un film d'architecture en 3D. Je ne me souvenais pas avoir passé un portique anti-métaux à ma dernière visite. Je divorçais [pour la première fois !]. C'est déjà loin. Vingt ans plus tôt [dans les années 70], j'avais vu un Maghrébin prendre six mois pour le vol d'un litre de lait ou quelque chose comme ça. J'avais compris ce que voulaient dire les camarades par justice de classe. Aujourd'hui il faut justement que j'enregistre le son du portique, le bruit des paniers sur les cylindres, mais j'ai surtout besoin d'ambiances, de grands halls où résonnent les pas et où s'étouffent les murmures des avocats et de leurs clients.

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Dans la gigantesque salle des pas perdus, le long des couloirs interminables, aucun effet de manches, les robes vite repliées dans les serviettes contrastent avec l'inquiétude feutrée des convoqués. S'il n'est pas nécessaire de demander une autorisation pour y enregistrer, "c'est un espace public" m'en informe la directrice de la communication, il est par contre interdit de rapporter quoi que ce soit d'une audience même si elle est publique. Ni image, ni son : aucune autorisation ne peut être délivrée. Je devrai donc recréer certaines scènes avec des acteurs. [Ce qui fut fait.]
Le Palais de Justice est incroyablement grand, et pourtant il ne suffit pas puisque Renzo Piano en [construisit] un nouveau sur la Zac Clichy-Batignolles dans le XVIIe arrondissement. De l'autre côté de la rue, l'ascenseur du parking qui nous ramène au troisième sous-sol nous parle d'une voix féminine impersonnelle comme dans les films de science-fiction terriblement datés. Chaque automatisme est commenté. Sous la pluie les touristes font sagement la queue pour visiter la Sainte-Chapelle.


Les jours qui ont suivi cet article du 31 octobre 2012, j'ai composé la partition sonore du film en 3D pour le concours dont Renzo Piano était finaliste et qu'il gagnerait. Dans le passé il fallait construire des maquettes en balsa. Aujourd'hui les simulations vidéographiques sont telles qu'on a l'impression que le bâtiment existe déjà. Cela privilégie considérablement les grandes agences qui peuvent se le payer. Comme Platform [motion], ce sont de grosses équipes avec des spécialistes des espaces, des automobiles ou des personnages qui évoluent dans le décor. Pour le son, je devais être redoutablement précis. Mais l'ambiance de la salle des pas perdus ne convenait pas du tout à l'architecte qui la trouvait trop réverbérée malgré l'immense espace qu'il avait conçu, alors qu'il avait vendu l'idée qu'elle serait absolument mate ! J'ai recommencé en réenregistrant dans une petite salle de la médiathèque de Bagnolet ! Pour l'escalator j'étais désespéré par les existants qui produisent un bruit du XIXe siècle. Un matin que j'étais sur le trône, la chaudière s'est mise en marche à la cave deux étages plus bas avec le son de sa turbine remontant par la bonde de la douche. C'était exactement le son velouté que je cherchais. Il n'en reste de toute manière pas grand chose dans le mixage, mais c'est le fin du fin pour qu'on y croit. Comme je ne suis jamais allé dans le nouveau Palais de Justice, j'ignore comment il sonne vraiment !

mercredi 4 décembre 2024

Sacem + Spotify, cherchez l'erreur !


Devons-nous nous offusquer de la collision entre la SACEM et Spotify ? La société d'auteurs, compositeurs et éditeurs de musique invite ses adhérents à suivre un webinaire intitulé "Comment développer son parcours d'artiste sur Spotify ?". L'équipe Music de Spotify France vous expliquera les différentes étapes possibles de développement de vos projets sur la plateforme et des outils à votre disposition : de la découverte jusqu'à la conversion puis l'engagement de vos publics. Comment pitcher votre musique pour entrer en playlist, comment déployer son univers sur Spotify, comment toucher de nouveaux auditeurs ou réactiver des anciens fans et plus encore. Ce webinaire se terminera par une session questions / réponses en direct.
Si l'on fait abstraction de ce que représentent des plateformes comme Spotify ou Deezer pour les artistes et leur éventuel public cela pourrait sembler plutôt sympathique. D'un côté les dividendes touchés par les artistes dans ces conditions sont pitoyables, de l'autre le concept de playlist incarne un formatage en règle de la musique.
Selon les estimations, Spotify verse en moyenne entre 0,003 et 0,005 € par stream, mais ce n'est pas une règle stricte. Les revenus générés par les streams sont d'abord versés aux détenteurs des droits : maisons de disques, éditeurs, distributeurs et artistes (vous remarquerez qu'ils sont au bout de la chaîne). Un artiste indépendant touchera une plus grande part que s'il est sous contrat avec une maison de disques, car celle-ci prélève une part importante des revenus (voilà !). De toute manière, pour gagner 1 000 €, un artiste devrait accumuler environ 300 000 streams sur Spotify, en supposant un taux moyen de 0,004 € par stream, et qu'il n'ait pas à partager cette somme mirobolante entre tous les ayants droit. Faites le calcul en fonction des possibilités de vente pour des musiques comme le jazz, le rock, les musiques improvisée, contemporaine, traditionnelle, etc.). Si l'aspect pécuniaire est écarté, dans ces conditions, donc à moins de faire partie du mainstream, les artistes peuvent-ils espérer la moindre visibilité ? J'en doute, et pour cause...
En ce qui concerne le concept de playlist, l'écoute revient à subir un flux incessant basé sur un format chanson. On ne sait plus ce qu'on écoute. Un robot va jusqu'à choisir pour vous le style que vous aimez. Au diable la moindre incartade que pourrait offrir la curiosité ! Lorsqu'on sait qu'une écoute attentive excède difficilement vingt minutes (le temps d'une face des vinyles par exemple), le résultat sur l'auditeur n'est pas loin de la muzak, ce flot ininterrompu qui s'écoule dans les supermarchés, les ascenseurs et les stations service, produit essentiellement pour anesthésier l'auditeur, enfin libre de consommer, en l'entraînant vers le fond légèrement incliné du magasin. D'ailleurs, en mode freemium une publicité est jouée périodiquement par le lecteur en moyenne toutes les dix minutes ! En soirée il m'arrive de demander au DJ ce qu'on écoute, la réponse la plus courante est "je n'en sais rien, c'est dans ma playlist." ! J'ai construit ma culture en recopiant le dos des pochettes, pas seulement les titres et le nom des musiciens, mais les notes explicatives lorsqu'elles représentaient quelque intérêt. La musique actuelle devient ainsi une marchandise qui profite essentiellement au support, ici Spotify. En ce qui me concerne je refuse de placer mes disques sur ces plateformes qui, de plus, nient la notion d'album en mélangeant tout dans un chapeau à la taille de la planète. Les artistes ont peu à y gagner, si ce n'est à entrer dans le grand marché de la consommation où eux-mêmes sont transformés en produit. J'avoue préférer Bandcamp qui, jusqu'ici, respecte les artistes et les auditeurs, en payant correctement et en conservant la notion d'album.
La SACEM tombe une fois de plus dans le panneau en agitant des chimères, probablement pour faire jeune, et continue de perpétuer des inégalités en défendant les gros au détriment des petits. Cette société appartient pourtant à tous ses auteurs, même si les éditeurs et les majors ont la puissance de dicter les usages.

mardi 3 décembre 2024

Say Nothing


Parmi les séries TV récentes Say Nothing (Ne dis rien) bénéficie d'une excellente réalisation. Il y en a tant que je n'ai évidemment pas le temps de tout essayer. Je me fie aux critiques et ne partage pas toujours leurs coups de cœur. Ainsi j'ai trouvé La Mesías particulièrement boursoufflée et cul béni sous des apparences insolentes, la comédie A Man on the Inside (Espion à l'ancienne) ridicule, Disclaimer complètement bidon et ennuyeuse, et comme Silo, tirant à l'épisode (comme on dit d'un bouquin qu'il tire à la ligne quand on fait inutilement durer le "plaisir"). La saison 2 de The Diplomat est à l'égale de la première, pas mal. Et j'ai tenu les neuf épisodes de Say Nothing, même si ce n'est pas un chef d'œuvre comme il en existe dans l'histoire des séries depuis Twin Peaks, Six Feet Under, The Wire, etc.


Say Nothing a le grand mérite de ne pas être manichéenne, renvoyant la violence de l'IRA à ses contradictions pendant les trente années (de 1969 à 1998) qu'ont duré les affrontements de Belfast entre catholiques indépendantistes et protestants pro-occupants britanniques. Le portrait des sœurs Price est évidemment touchant, la question de la fidélité et des trahisons cruciale.
En 1993, l'agence de presse audiovisuelle Point du Jour m'avait proposé d'aller filmer le conflit en Irlande du Nord, mais après avoir étudié le dossier j'avais décliné l'offre, marquant mon retour à la composition musicale après une année bien chargée qui ne m'avait pas épargné. Après avoir tourné en Algérie (très chaud) et en Afrique du Sud (période pré-Mandela) pour le film Idir et Johnny Clegg a capella, j'avais échoué à Sarajevo pendant le Siège, ce qui s'était soldé pour notre équipe de réalisateurs par un British Acacademy Award (BAFTA) et le Prix du Jury à Locarno, et plus particulièrement pour moi la réalisation du court métrage Le Sniper qui fut montré dans 1000 salles en France et sur quasiment toutes les chaînes de télévision possibles et impossibles. Après ces épreuves je rêvais plutôt qu'on m'envoie là où la mer est bleue turquoise et où poussent calmement des palmiers. Mon regard critique sur la guerre des boutons en Irlande où s'affrontaient puérilement catholiques et protestants me semblait dangereux pour les deux côtés. C'était évidemment autrement plus complexe que Sarajevo où les très méchants étaient clairement identifiés. En Afrique du Sud j'avais aussi été confronté à mes a priori, bouleversé par la violence culturelle de ceux que je pensais les justes et par les différences de pensée colonisatrice entre les Anglais et les Boers.
La question de la violence révolutionnaire m'a toujours préoccupé, constatant que si elle avait souvent semblé indispensable, les dérives qui en découlaient chaque fois me faisaient froid dans le dos. Je n'ai jamais renié mes jeunes années Peace & Love qui avaient commencé à 11 ans par mon adhésion aux Citoyens du Monde, même si j'avais participé aux Évènements de mai 68 tout en étant incapable du moindre acte violent. Ces limites continuent de me hanter lorsque je constate les dégâts criminels du capitalisme, qu'il soit privé ou d'état, mettant en danger la planète elle-même. Comment stopper les puissants qui mettent l'humanité et les autres espèces sous coupe réglée sans leur couper la tête ? Comment libérer les peuples du colonialisme le plus vicieux en soutenant leur indépendance sans sombrer dans la violence ? Quelle impuissance guide les hommes avilissant les femmes depuis la nuit des temps ? J'avoue que l'humanité reste pour moi un mystère que j'ai souvent exprimé en disant que j'avais mal à l'Homme.

lundi 2 décembre 2024

Mother de Yip


J'ai la chance d'avoir quelques amis plasticiens qui me font rêver. Parmi eux les peintres sont les moins bien lotis. À moins d'être une star, chose rare de nos jours, ou un produit de spéculation promue par une bande organisée dont les fondations tiennent le haut du pavé, la peinture m'apparaît souvent comme un sacerdoce. Le matériel est cher et le processus parfois long, d'où la relative cherté des œuvres, ajoutez que les galeries sont limitées et le statut social pourri. Si en plus on est dans le figuratif, on peut rapidement comparer sa vie à celle d'un moine. mc gayffier organise régulièrement des portes ouvertes, associant souvent texte et peinture. D'elle je possède deux tableaux, deux assemblages et de merveilleux petits fascicules où les mots ressemblent à des coups de pinceau portés sans les gants. Ella & Pitr sont ceux qui s'en sortent le mieux, se servant avec malice des ressorts de la communication et trouvant leur équilibre entre de généreuses interventions en plein air et la vente en galerie. Ils ont collé un ange déchu dans mon escalier, peint un trompettiste sans tête sur la façade de ma maison et deux scènes sur le porte-vélos.
En trente ans de pratique assidue Sun Sun Yip a souvent changé de support, passant de la gravure à la programmation algorithmique, de la sculpture sur bois ou en mousse expansée à la peinture à l'huile. Bobby Lapointe chantait : "La peinture à l'huile c'est bien difficile, mais c'est bien plus beau que la peinture à l'eau." Sun Sun prépare ses toiles un an à l'avance, il soigne ses fonds comme on le faisait à la Renaissance ou chez les Hollandais. Si sa précédente exposition représentait des quartiers de viande, la nouvelle est consacrée à la végétation et à l'océan. Dans la philosophie chinoise le sens des choses n'a rien à voir avec notre perception. Ses titres en attestent, comme Un jour mon prince viendra, Murmure ou Jungle Fantasy, éclairant les œuvres d'une lumière que je ne connaissais pas. Le petit tableau de viande accroché dans mon salon s'intitule Première pierre ! Cette difficulté à saisir leur essence produit un mystère qui pourrait à terme le sortir de l'ombre.


Son exposition Mother renvoie explicitement à la nature, plus intimement au souvenir d'une mère récemment disparue. Les sous-bois cachent une vérité indicible, les vagues recopient cent fois le verbe aimer (dirait Cocteau), les lianes se dénouent si l'on plonge dans la forêt. En chinois Yip signifie feuille. L'huile semble se diluer comme une aquarelle dans ces paysages aussi réels qu'imaginaires. Ce va-et-vient est le secret des poètes. L'inspiration vient autant en dormant qu'en se réveillant. Saturé d'art conceptuel duchampoin et d'abstraction picassiette, les tableaux figuratifs apportent un apaisement qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aller piocher dans le passé. Il suffit d'ouvrir les yeux pour qu'ils chantent à nos oreilles. Par quel miracle ai-je senti les embruns et l'humus dans les tableaux de Sun Sun Yip ?

→ Sun Sun Yip, Mother, exposition à l'Espace Culturel Bertin Poirée, jusqu'au 7 décembre 2024

vendredi 29 novembre 2024

Prévisions discographiques


Mon titre ne se réfère pas à l'avenir du disque. Néanmoins, tant qu'il y aura des machines pour presser, le marché, fut-il de niche, continuera à alimenter les amateurs d'objets tangibles. Attaché au concept d'album, tant pour sa présentation graphique que pour son statut d'œuvre à part entière, je boycotte toutes les plateformes de streaming comme Deezer ou Spotify, qui n'offre que du flux, cette sorte d'autoroute compressée où l'on ne s'arrête même plus au péage. J'ai besoin de savoir ce que j'écoute, qui joue, lire les paroles des chansons, suivre le livret, regarder des images quand il y en a. Évidemment, en tant qu'artiste-producteur, je n'en vends plus lourd. Les disques partent un peu grâce à Bandcamp et quelques rares commerces émérites, mais le plus souvent je les offre aux amis ou les envoie aux journalistes qui partagent probablement avec moi ce goût du bel objet.

Trois projets discographiques me font donc de l'œil. Le plus abouti est le volume 4 de mes Pique-nique au labo qui devrait rassembler Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Matthieu Donarier, Bruno Ducret, Hélène Duret, Antonin-Tri Hoang, Emmanuelle Legros, Mathias Lévy, Fanny Meteier, Roberto Negro, Rafaelle Rinaudo, Alexandre Saada, Olivia Scemama, Isabel Sörling et Fabiana Striffler ; le 8 décembre je devrais enregistrer le dernier Apéro Labo de l'année, puisque désormais mes rencontres instantanées se pratiquent en public, et l'affaire sera dans le sac. Le second est le projet avec le comédien Denis Lavant et le saxophoniste Lionel Martin qui pourrait bien sortir sur Ouch!, le label de celui-ci (sur lequel il avait publié notre duo Fictions il y a deux ans) ; nous l'avons enregistré le 21 novembre dernier, il est mixé et les "petites" merveilles sont plus nombreuses que peut en contenir un vinyle ou un CD. Le troisième est le moins abouti parce qu'il demande beaucoup de travail en amont et en aval ; il s'agit du nouveau projet d'Un Drame Musical Instantané avec Francis Gorgé et Dominique Meens autour de l'œuvre de Philip K. Dick. Fondé en 1976, j'avais cru le Drame éteint en 2008, mais en fait il bouge encore, montrant régulièrement d'encourageants signes de vie depuis 2013 dont le CD Plumes et poils (enregistré en 2022 et déjà épuisé). Les deux premiers étant quasiment dans la boîte, je m'attellerai dès le début de l'année prochaine aux dix pièces qui le composent...

Sur le frontispice de la maison qui abrite le Studio GRRR, Ella & Pitr ont peint Bientôt, cela s'impose !

jeudi 28 novembre 2024

Nurse With Wound 2024


En attendant le coffret de 5 CD auquel j'ai participé, avec beaucoup d'autres contributeurs, et qui paraîtra au début de l'année prochaine, Steven Stapleton m'envoie deux "nouvelles" productions de son groupe, Nurse With Wound. Le premier, Backside, est composé de matériel sonore ayant fait l'objet en 1980 d'un vinyle de Richard Rupenus (Bladderflask), un vieux pote de Stapleton avec qui il collabora souvent, et qu'il tripatouille suffisamment pour en faire un objet d'aujourd'hui. Aujourd'hui, comme si c'était hier, ou hier comme si c'était maintenant. La musique expérimentale a l'immense avantage de prendre difficilement des rides, contrairement aux choses modernes, étymologiquement à la mode. Millésimée, elle renvoie généralement une image du monde autrement plus profonde (peut-être hélas moins juste) que les musiques commerciales qui ressemblent de plus en plus à des produits Kleenex. Backside me fait penser à la pièce On tourne d'Un Drame Musical Instantané, ici métallurgie lourde où s'ajoutent des voix malaxées. Je pense qu'on appelait cela alors "musique industrielle". Suit Chernobyl Picnic, excitant le compteur Geiger tout en s'enfonçant dans la terre à jamais polluée au milieu de bestioles en mutation avant de rejoindre les anges déchus qu'on retrouve dans la dernière, Backside (Cloud Chamber), surfant sur des cymbales frottées.
Le second album, Terms and Conditions Apply, paru en 2020, est un double auquel Andrew Liles participe, comme au précédent, mais cette fois le troisième larron est Colin Potter. De nombreux invités se joignent au trio, mais les crédits détaillés ne sont trouvables que sur la page Bandcamp ! Poursuite de bagnoles et accidents sur une rythmique entêtante sur Crusin' For A Brusin' (Bacteria Bitch Mix ou Black Bomber Mix), deux versions régressives de la chanson Bei Mir Bist Du Schön, dans le même mood mais plus jazz Thrill Of Romance? (Burgo Partridge Mix), donc des chansons barrées comme The Bottom Feeder, toujours trash, mais funky comme Sarah's Beloved Aunt, pop minimale avec Bum Brush Effect, dix titres sur le Disc A, soit The Bacteria Magnet et Rushkoff Coercion, rééditions de vinyles ici largement augmentées. Idem pour le Disc B, Erroneous, A Selection of Errors, les trois premiers morceaux, Tickety Boo, Driftin' By et Rock Baby Rock, étant composés avec un ancien membre de Kraftwerk et Neu!, Fritz Müller, pseudo de Eberhard Kranemann (guitare, violoncelle, voix, electronics), dont deux avec le groupe italien Larsen, tandis que Freida Abtan (electronics) cosigne Electric Smudge et Cackles. Après du krautrock, de l'ambient et de l'électronique cradingue, on termine avec le vaporeux Opium Cabaret. Comme toujours, la présentation graphique est soignée et le livret de 8 pages offre des illustrations que FaceBook ne laisserait absolument pas passer ! Par sa diversité et son audace, l'imposante discographie de Nurse With Wound couvre pratiquement l'intégralité de la musique expérimentale des cinquante dernières années.

→ Nurse With Wound, Backside, CD United Dairies
→ Nurse With Wound, Terms and Conditions Apply, CD United Dairies

mercredi 27 novembre 2024

Retour de Boum!


Boum! est de retour, réactualisé, plus fluide et toujours aussi épatant. Suite aux mises à jour successives d'Apple & GooglePlay l'application créative pour tablettes avait disparu. Elle fonctionnait toujours, mais on ne pouvait plus la télécharger. Pleine de fantaisie, d'imagination et de couleurs, la revoilà donc pour la plus grande joie des petits et des grands.


« Le Salon du livre jeunesse de Seine-Saint-Denis souffle ses 40 bougies, et Boum! ses 9 ans ! Une belle occasion de célébrer ce lieu qui nous a soutenus dès nos premiers pas. Depuis 2015, notre personnage fait swiper les grands petits hommes à travers son récit graphique horizontal à la bande sonore réactive et surprenante. Pour célébrer ces anniversaires, nous l'avons envoyé en balade à travers les plus beaux compliments qu'on nous a faits. N'oubliez pas d'activer le son pour l'expérience complète. Vous n'avez pas encore plongé dans l'aventure Boum! ? C'est le moment idéal ! Déjà fan ? Mettez à jour votre app gratuitement et redécouvrez pourquoi Boum! continue de faire... boum ! »

Lien pour télécharger/mettre à jour :
https://apps.apple.com/fr/app/boum/id998434373
https://play.google.com/store/apps/details?id=com.lesinediteurs.boum

En juin 2015, j'écrivais :

Le récit horizontal conçu et dessiné par Mikaël Cixous livre une approche nouvelle de la bande dessinée. Sans paroles, mais éminemment sonore puisque j'en ai composé la musique et tous les bruits, Boum! se découvre en faisant glisser latéralement les images de gauche à droite. Rien ne vous empêche de remonter le temps et de repartir dans l'autre sens, car c'est bien un autre sens qui se révélera. Histoire plus évocatrice que narration imposée, l'imagination que j'évoquais plus haut est surtout celle des lecteurs qui se feront certainement leur propre cinéma.


Comme un livre traditionnel, mais contrairement au cinématographe et à ses déclinaisons audiovisuelles linéaires, Boum! se lit à votre rythme. On peut le feuilleter à la va-vite ou prendre son temps, le son délivrant alors une prime à la lenteur et à la patience. Nous avions esquissé quelques démos avant que Mathias Franck ait terminé de programmer l'objet qui recèle quelques surprises. Entre autres, notre développeur chevronné ne peut s'empêcher de glisser un Easter Egg (œuf de Pâques), une animation ici interactive, cachée comme dans chacune des applications publiées par Les inéditeurs, vieille coutume qui remonte aux débuts de l'informatique ! [Nicolas Buquet s'est chargé de la mise à jour].


Repensant à une définition du montage par Jean-Luc Godard (ce qui est important c'est ce que l'on enlève plus que ce que l'on conserve) j'ai conçu la partition sonore à partir des glissements d'une image à l'autre plutôt qu'en m'attachant aux somptueux tableaux de Mikaël Cixous. Cela n'a pas empêché mon camarade de me faire refaire certains sons lorsqu'il trouvait que je m'écartais trop de l'histoire de ce petit bonhomme qui part un matin au travail et qui prend soudain le chemin des écoliers lorsqu'un flocon de neige lui tombe sur le nez. Dans ce monde de fantaisie on verra que la réalité peut aussi le rattraper. Je me demande pourtant si cette aventure n'est pas un rêve qui se déroule entre l'instant où le réveil sonne et celui où l'on ouvre les yeux. La musique et les bruitages participent à ce vertige, glissements progressifs du sens selon la durée de visionnage des 104 plans qui composent le récit graphique qui passionnera petits et grands. Comme toutes les œuvres publiées par Les Inéditeurs il s'ouvre sur une "couverture" interactive où l'on doit incliner la tablette pour générer des animations et les notes de clarinette jouées par Antonin-Tri Hoang. Dans les derniers mètres du récit le violoncelliste Vincent Segal nous rejoint pour un trio soliste quasi symphonique.


Sonia Cruchon, quatrième membre de notre quatuor de choc, avait réalisé un petit film pour montrer à quoi ressemble cette petite merveille.

→ Mikaël Cixous & Jean-Jacques Birgé, Boum!, Les inéditeurs avec le soutien du Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil et le CNL, AppStore 2,99€ / GooglePlay 3,59€
Depuis son lancement Boum ! a reçu le Special Jury Prize du Digital Ehon Awards 2017 (Corée) et le Prix Fiction – mention spéciale BolognaRagazzi Digital Award 2016 (Italie).

mardi 26 novembre 2024

Passe-montagne des Bedmakers


Des faiseurs de lit en Passe montagne, ce ne peut être que des duvets ! En effet la musique des Bedmakers est chaude et moelleuse. En prenant de la hauteur, ils montrent aussi que le jazz fait tout simplement partie des musiques traditionnelles et qu'ils suivent l'air du temps en les rendant contemporaines. La clarinette et le sax ténor de Robin Fincker sont délicieusement veloutés, le violon de Mathieu Werchowki danse sur des œufs à la neige, la contrebasse de Dave Kane et la batterie de Fabien Duscombs font swinguer une bourrée, les îles ou le sud poisseux des États Unis. C'est du trad colemanien. Le jardin des amours n'est pas "la combe magique" du film de Jean-François Stévenin, ni Ring Nebula la cagoule des zapatistes, mais leur envolée gravit doucement les pentes menant de l'autre côté de la frontière, un ailleurs délicat qui rappelle tout de même un peu chez nous, parce que pour être de partout il faut être de quelque part.

→ Bedmakers, Passe montagne, CD Freddy Morezon, dist. L'autre distribution, sortie le 31 janvier 2025

lundi 25 novembre 2024

La vie, ce qu'il en reste


Si les fakes générés par l'intelligence artificielle abondent sur le Net, proposant des images incroyables, elles peuvent faire rêver parfois aussi bien que les merveilles réelles de la nature ou les créations humaines. Que tel oiseau existe ou pas, nous n'aurons de toute manière aucune chance de le croiser. S'il est mis en ligne, offert à l'ébahissement du public, qu'importe qu'il soit vrai ou faux, né de l'imagination d'un fantaisiste falsificateur. Il rappelle les tours de magie auxquels peuvent croire certains naïfs, les veinards ! Les fakes sont alors de l'ordre de la prestidigitation.
Évidemment ce n'est plus du tout amusant lorsqu'il s'agit de manipulation médiatique, en particulier lorsque cela touche à la vie politique. Plus personne ne pourra croire quoi que ce soit. À moins que la majorité des peuples, perdue dans ce maelström d'informations assourdissantes, se replie encore un peu plus vers des croyances religieuses ou transhumanistes qui tiennent tout d'un dangereux surréalisme de bénitier. La Terre pourra être plate, la Vierge accouchera d'un prophète, les écritures deviendront le saint des saints, la paranoïa multipliera les crimes contre l'humanité et le profit contre toutes les autres espèces. Ainsi, si l'IA m'apparaît comme un outil formidable dans le cadre de la fiction, elle devient une arme redoutable dans le réel. Peut-être est-elle à double tranchant ? Les scénarios les plus improbables sont à craindre. Il y a quelque temps j'évoquais IA le monstre, son utilisation par l'artiste irlandaise Jennifer Walshe ou la mise à mort boomerang de l'IA astucieusement réalisée par un ingénieur facétieux.
Pour en revenir aux images séduisantes sur les réseaux sociaux, dans le même temps, de récents robots les colonisent avec des sujets dont nous n'avons rien à faire, phagocytant par exemple mon mur FaceBook et noyant les articles qui m'intéressent au milieu d'un fatras de natures luxuriantes, d'architectures renversantes et autres billevesées me donnant forte envie de quitter ce lieu essentiellement utilisé professionnellement et que rien n'a pour l'instant réussi à remplacer, malgré sa programmation exécrable, sa censure automatique d'une absurdité consternante et son filtrage idéologique épouvantable. Je les bloque, mais j'en bloque tant que je finis par débloquer ! Les robots tuent le désir. Pour d'autres raisons, comme beaucoup de camarades, je ne publie plus rien sur Twitter, mis sous coupe réglée par Elon Musk, son propriétaire. Les "jeunes" ont élu Instagram, qui dépend de FaceBook comme Threads (les trois appartiennent à Meta, soit Zuckerberg). Je m'y débats avec le côté télégraphique des posts. J'allonge la sauce en terminant mes articles avec un "suite en commentaire". Comment taire ? D'autres l'ont souligné avant moi. Mon problème, c'est plutôt comment diffuser mes écrits (que certains jugeront utopiques) en respectant leur longueur nécessaire, et ce n'est pas Mastodon qui réglera la question. On peut s'énerver contre Wikipedia et ses contrôleurs incompétents abusant de leur petit pouvoir de censure, mais il reste un media participatif. Car pour la plupart des médias, nouveaux ou anciens, ce sont des milliardaires, des banquiers et des financiers qui mènent le jeu. Nous voilà bien ! Je repense au film La grande lessive de Jean-Pierre Mocky où Bourvil jouait un instituteur qui sabotait les antennes de télévision du quartier parce que cela abrutissait ses élèves...
Conclusion : dans ce monde de faux-semblants, si une chose est certaine c'est que la vraie vie est ailleurs.

dimanche 24 novembre 2024

Nano part en explo


Sonia Cruchon, avec qui j'ai toujours le même plaisir de travailler depuis près de 25 ans, écrit :
Mon Petit Science & Vie lance son premier podcast pour les 3-7 ans : "Nano part en explo" !
Grâce à la loupe BlaBlaZoomZoom de Nano, on découvre des interviews surprises : un poil qui explique pourquoi il est si important, une goutte d’eau qui dévoile son voyage depuis un nuage, une dent de lait qui révèle son plan d'évasion !
J'ai eu la chance d'écrire et de prêter ma voix à tous les personnages, comme quand on lit une histoire le soir à ses enfants... mais en version ludo-scientifique !
L'univers sonore créé par Jean-Jacques Birgé et mixé par Alex Ottmann stimule l'imaginaire et facilite la compréhension.
• Une narration principale accessible aux plus petits mettant en scène les personnages du magazine
• Une interview décalée
• Des couches de contenu plus pointues pour les grands
• Des moments interactifs où chacun participe à son niveau
👉 Premier épisode gratuit ici : bit.ly/podcast-nano
On continuera si 1000 personnes s'abonnent !

vendredi 22 novembre 2024

Denis Lavant et Lionel Martin en trio au Studio GRRR


Le saxophoniste Lionel Martin et moi en avions rêvé depuis longtemps. Nous avons jonglé avec les plannings de chacun et aujourd'hui, la tempête de neige s'est muée en tempête de son grâce à la rencontre au Studio GRRR avec le comédien Denis Lavant. Denis a partagé avec nous six textes incroyables d'écrivain/e/s que je ne connaissais pas. Nous avons joué dans les circonstances d'un concert, improvisation libre, le son envahissant le studio. Ce fut véritablement rock 'n roll, saisissant, électrique ! Me voilà donc à mixer deux heures de musique la semaine prochaine.

jeudi 21 novembre 2024

Le design sonore interactif à l'École des Gobelins


C'est sympa, il y avait longtemps que je n'avais enseigné, ou plutôt transmis. Je suis longtemps intervenu à l'Idhec, à l'HEAR de Strasbourg et à l'ENSCI, aux Arts Décos et aux Beaux-Arts à Paris et ailleurs, à e-Artsup et à Strate, aux Arts et Métiers et à Créapole, à Angoulême, Helsinki, Montréal, Beyrouth, Séoul... Ma spécialité est la relation qu'entretient le son avec les autres formes d'expression, en particulier l'image. En 2000 j'avais écrit un livre sur le sujet que je n'ai jamais publié suite à l'explosion de la bulle Internet ; j'y décortiquais particulièrement le travail sur les CD-Roms, la création sur le Net (quand elle en occupait facilement 80% au lieu de 0,01% aujourd'hui) et les films muets, mais il aurait fallu que je le reprenne de fond en comble. Cette fois je reviens à l'École des Gobelins sous l'intitulé du design sonore interactif à l'initiative de Sophie de Quatrebarbes. J'improvise toujours mes interventions. Il suffit que je me souvienne du plan : me présenter, les réveiller, faire rêver, évoquer les principaux intérêts du son (sens et émotion, complémentarité opposée à illustration, hors-champ, dans ce cas validation des gestes, etc.), dépouiller les trois pistes (paroles, bruitages, musique) en les développant en fonction de ma propre pratique, expliquer ce qu'est une charte sonore, comment humaniser les machines, etc. Il faut bien que je fasse suivre ce que les aînés m'ont légué. Je dois beaucoup à mon père, à Jean-André Fieschi, Bernard Vitet, Aimé Agnel, Michel Fano et à toutes celles et tous ceux avec qui j'ai collaboré, ou ceux qui m'ont encouragé à mes débuts en musique, alors que j'étais autodidacte, comme Frank Zappa, John Cage, Robert Wyatt ou Michel Portal. Mon blog fait partie de cette transmission.
Les étudiants des Gobelins en UI/UX créeront un document purement sonore, un autre audiovisuel et enfin une interface sonore interactive.

mercredi 20 novembre 2024

Kananayé, de Belleville à Bobo


Je connaissais la chanteuse Clotilde Rullaud pour son duo Madeleine et Salomon avec le pianiste Alexandre Saada, deux disques que j'écoute régulièrement, une voix merveilleusement grise, entre noir et blanc, qui me rappelle une idole de ma jeunesse, Julie Driscoll. Je connaissais le Burkina Faso grâce à Thomas Sankara, son extraordinaire président de 1983 à 1987, assassiné très probablement avec la complicité de la France ; j'ai conservé le numéro de L'Autre Journal où il était interviewé. Ce pays s'appelait Haute-Volta lorsque j'ai acheté ma grande sanza ikembé, Sankara l'avait renommé "pays des personnes intègres".
En 2019 Clotilde a rencontré le guitariste Abdoulaye « Debademba » Traore et le batteur Achille Nacoulma à Bobo-Dioulasso, lors du festival Badara. La jam se poursuit "dans les effluves de poulet bicyclette arrosé de bières Brakina". Le poulet-bicyclette est une volaille locale, non congelée et non importée ! Il y a pas mal de mots que je ne comprends pas dans leurs chansons, mais qui me font rêver, au rythme du balafon de Seydou « Kanazoe » Diabate et du joueur de kundé Boubacar « Papa » Djiga qui se sont joints à eux. Le kundé est une sorte de luth à 3 cordes, le n'goni en langue moré, il tient le rôle de la basse. Les cinq virtuoses forment une dream team joyeuse et critique. Leurs noms à tous les cinq figurent sur la pochette de l'enthousiasmant album Kananayé. Si la danse est partout, les paroles reflètent une vision tendre et critique des mondes qu'ils traversent.


Je ne parle évidemment ni le moré ni le dioula et j'ai souvent du mal à comprendre les expressions qui viennent du français ou l'argot des rues qui emprunte des mots anglais, mais ça sonne merveilleusement. J'écoute bien Lacan sans en comprendre grand chose, je prends cela comme de la poésie, ou de la musique. J'attrape des bouts, comme ce portrait de Belleville que je reconnais. La voix (et la flûte) de Clotilde Rullaud se mêle à celles de ses compagnons. Elle nous fait voyager, pas simplement géographiquement, mais humainement. Ce n'est pas de l'appropriation culturelle comme l'a été parfois la world music, mais un mariage, une histoire d'amour. La musique est l'espéranto des artistes.


Kananayé signifie "c'est pas facile, mais ça va aller". Les chansons racontent la vie de tous les jours. S'y glissent Sea Lion Woman jadis chantée par Nina Simone ou Sanga Blues du poète W.H. Auden. Les chansons racontent comme c'est pas facile, mais que ça va aller, parce qu'on prend la vie du bon côté, malgré ses vicissitudes, de Belleville à Bobo, on danse.

→ Kanazoe, Clotilde Rullaud, Abdoulaye Traore, Boubacar Djiga, Achille Nacoulma, Kananayé, CD Tzig'Art 10€ / LP 20€, sortie le 22 novembre 2024 (concert au New Morning le 11 décembre)

mardi 19 novembre 2024

La vie à l'envers


La première accroche de La vie à l'envers est la présence de Charles Denner. Denner c'est une voix, à la fois nasale et tranchante, une présence incroyable, second rôle toujours génial qui a tenu le principal, par exemple, dans les formidables Landru de Claude Chabrol et L'homme qui aimait les femmes de François Truffaut. Il eut aussi des fidélités avec Claude Lelouch et Claude Berri. Mais chaque apparition est un régal. Dans le premier film d'Alain Jessua, La vie à l'envers, il occupe tout l'écran, d'autant que son personnage est capable de s'abstraire totalement du monde qui l'entoure ! C'est l'histoire d'un type qui, pour commencer, tente de prendre la vie du bon côté. Mais très vite elle le renverse. Le film est porté par la poésie des fous. Qu'est-ce que la folie si ce n'est l'inaptitude à la vie qui nous est proposée ? Le couple (Anna Gaylor, compagne de Jessua !), la famille (Nane Germon), le travail (Jean Yanne, Yvonne Clech), les amis (Guy Saint-Jean, Nicole Gueden) et l'ordre en prennent pour leur grade. La misogynie de l'époque cache-t-elle une misanthropie entamée avec le mépris de soi ? De quoi sommes-nous le miroir ? Dans ce film très original tourné en 1963 le refus de la société annonce-t-il la tentation "peace & love" des années qui suivent ? La révolte est-elle indispensable pour trouver le bonheur ? Sous les appâts d'une comédie dramatique cousine de Resnais ou Perec, La vie à l'envers pose discrètement bien des questions.


Trois bonus accompagnent cette excellente remasterisation : Alain Jessua, les premières années (2013-24, 46’, passionnant entretien avec Alain Jessua), S’affranchir de la réalité (2024, 21’) par Bernard Payen, Jacques Valin, ce frère d’âme (2024, 25’) par Roland-Jean Charna. Et ce n'est pas tout, vous trouverez 3 autres longs entretiens avec Alain Jessua sur le site de la collection L'œil du témoin.

→ Alain Jessua, La vie à l'envers, DVD / Blu-Ray StudioCanal, coll. L'œil du témoin