70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 17 juin 2025

À toute chose malheur est bon


À toute chose malheur est bon, mais financièrement cette année c'est tout de même une hémorragie. Cuvelage de la cave après que la nappe phréatique l'ait inondée, reprise de la couverture du toit du studio, changement de l'amplificateur du salon, switcher Friedkin et appli Rando, impôts fonciers montrueux correspondant quasiment à un loyer, etcétéra, et pour finir le semestre en beauté nouvel ordi après avoir noyé mon portable au thé, et frais dentaires ! On connaît mon point de vue : aux mauvaises nouvelles succèdent les bonnes, avec un gros bémol, après les bonnes les mauvaises ! Système D : raccourcir l'effet des pires et prolonger celui des meilleures. Cela demande un peu de gymnastique, mais ce sont les premiers efforts qui coûtent le plus, ensuite on prend son mal en patience tant qu'il n'y a pas mort d'homme...
À mon niveau, cela va bien puisque je vous parle, mais à l'échelle de la planète l'époque représente mon pire cauchemar depuis la seconde guerre mondiale et les massacres commis par les Nazis. Je ne suis né que sept ans après, ce qui ne m'a pas m'empêché de m'y rapporter depuis toujours. Mon grand-père avait fini gazé et mon père avait sauté du train. Aujourd'hui la folie criminelle de l'état hébreu marque la fin de ma culture. Je dois changer de système de repères pour continuer à avancer. On a beau écrire, sonner l'alarme, on n'évite pas la catastrophe. Écouter Eyal Sivan, Simone Bitton ou Shlomo Sand et quelques autres me fait me sentir moins seul. Devant l'horreur nous le sommes de moins en moins, mais cela ne change rien. Ou que l'on se tourne, d'ouest en est, la stupidité et la haine gouvernent, et les peuples, anesthésiés, courbent l'échine.
C'est un peu déplacé et dérisoire, mais je m'évade en m'étourdissant de musique, un clavier au bout des doigts. J'ai un Mac flambant neuf auquel j'ai adjoint un second écran pour être plus confortable lorsque je fais du bruit, avec une nouvelle carte-sons puisque l'ancienne qui n'était pas si vieille est devenue incompatible avec la puce d'Apple. À cela s'ajoute la nécessité d'acheter des mises à jour d'applications qui fonctionnaient très bien avec la puce Intel. Une fortune. J'espère seulement que ce trou dans mon compte en banque va provoquer un appel d'air. J'ai terminé la musique des quatre épisodes vidéo sur la cybersécurité, il faudrait d'autres commandes, des trucs qui m'obligent à composer des choses exogènes, qu'à priori je ne sais pas encore faire. Le besoin de me mettre en danger est capital pour conserver la niaque. Le désir naît du manque, or ces derniers mois j'ai été comblé en sortant quatre disques, extrêmement différents les uns des autres, qui me tiennent à cœur. Lorsque ça marche, j'ai envie d'aller voir (ou entendre) ailleurs si j'y suis. Pour l'instant je vogue dans un no man's land en attendant que cela tombe du ciel, période de transition un peu pénible, alors pour patienter je fais la vaisselle, c'est ainsi que j'appelle fourbir ses armes ou préparer le terrain. Cela n'arrive pas trop souvent heureusement, mais ce sont des phases nécessaires pour ne pas s'encroûter. Dans cette expectative, tout est possible. C'est la bonne nouvelle.

lundi 16 juin 2025

Alors on joue ?


René Lussier est un peu comme le compositeur d'un tube. Les producteurs peuvent toujours espérer qu'il en fasse un second. Alors on lui fait crédit. D'un autre côté c'est lourd à porter parce que l'on se réfère toujours à ce succès en occultant le reste de son œuvre. Des chanteurs comme Nino Ferrer ou Henri Salvador l'ont plutôt mal vécu. Ils avaient fait rigoler, alors que c'était plutôt des sentimentaux. Ferrer a fini par se tirer une balle de fusil au milieu d'un champ, Salvador était suffisamment cynique pour s'en tirer. Toute proportion gardée, le guitariste et compositeur québécois René Lussier devra toujours assumer son chef d'œuvre Le Trésor de la langue alors qu'il a enregistré près d'une centaine d'albums absolument passionnants et d'une très grande sincérité (j'ai encore pleuré dimanche en le réécoutant). Fiat Lux, son nouveau duo avec le batteur Robbie Kuster est d'une très grande drôlerie, mais c'est surtout la complicité entre les deux musiciens qui est remarquable. Il est toujours très agréable de constater que des artistes ont conservé l'innocence et la créativité de leur enfance. Les deux s'amusent comme des petits fous et cela fait un bien tout aussi fou de les écouter jouer. Même s'ils sont devenus des virtuoses de leurs jouets, ils font du ping pong au-dessus de leurs tables d'harmonie. Lussier est à la guitare, à la basse et au daxophone, un instrument impossible inventé par Hans Reichel. Kuster joue de la batterie, de la scie égoïne et d'un orgue à clous (de toutes tailles, plantés sur une planche). Cela ne les empêche pas de manier la brosse à dents électrique ou la guimbarde. Ne croyez pas que ce n'est pas sérieux, bien au contraire, les enfants ne jouent jamais pour de rire, c'est fait avec le fond du cœur pour que jaillisse la lumière.

Il y a aussi une guimbarde dans Shishiodoshi, le nouvel album du quartet Kaze avec en invité le chanteur japonais Koichi Makigami. Cela fait du bien d'écouter cette autre bande de garnements qui s'en donnent à cœur-joie, produisant des bruits bizarres avec leurs trompettes, pour Natsuki Tamura et Christian Pruvost, avec ses baguettes pour le batteur Peter Orins, avec son piano pour la japonaise Satoko Fujii. Comme pour leurs autres disques, c'est riche et varié, en timbres, en rythmes et cette fois en facéties vocales. J'imagine que Cathy Berberian ou Annick Nozati auraient adoré donner la réplique à Makigami, ou l'inverse. Ses onomatopées, parfois scatologiques, sont aussi impertinentes qu'incisives, c'est dire leur pertinence ! Ne me dites pas que vous n'appréciez pas le Constipation Blues de Screamin' Jay Hawkins, vous me décevriez. Les shishi-odoshi sont des dispositifs pour effrayer les oiseaux. Vous vous y reconnaîtriez, non de nom ? Miaou ! Là encore la musique, composée ou improvisée, n'existe que grâce à la complicité des musiciens. J'ai toujours détesté la moindre rivalité, les petites mesquineries, qu'elles soient explicites comme il arrivait à Portal de s'y complaire malheureusement, ou à d'autres, quel que soit le milieu, classique ou jazz. La musique est une histoire d'amour, sinon à quoi bon !

→ René Lussier & Robbie Kuster, Fiat Lux, CD Spectacles Bonzaï avec Circum-Disc, sortie le 20 juin 2025
→ Kaze & Koichi Makigami, Shishiodoshi, CD Circum-Disc, sortie le 11 juillet 2025

vendredi 13 juin 2025

Zoo cruel


Les zoos révèlent toujours l'ambiguïté que les animaux enfermés y sont sacrifiés pour élargir le monde aux yeux des enfants, voire des autres membres de l'espèce humaine, un mammifère parmi les autres, "animaux dénaturés" comme les appelle l'écrivain Vercors. Ils évoquent un paradis perdu qui existait encore lorsque j'étais petit, avec ses îles désertes, ses jungles impénétrables, ses tribus inconnues et ses trésors à la Jules Verne. À l'époque des satellites et d'Internet ce rêve a totalement disparu sur l'autel de la colonisation, de l'expansion et du profit. La Terre est pillée, détruite, exsangue. Il reste peut-être le fond des mers à explorer, les aquariums n'en exposant qu'un minuscule aspect. D'un côté, les zoos évoquent un ailleurs, un autre monde, une traversée du miroir, une ouverture d'esprit vers l'altérité. D'un autre leurs pensionnaires y vivent derrière des barreaux. Je me souviens du choc ressenti au zoo du Caire où étaient présentés dans des cages minuscules un caniche et un berger allemand, chiens inconnus des petits Egyptiens. Ils nous renvoyaient l'image de leurs frères de détention à Paris, Londres, Stockholm, Johannesburg ou San Diego. Les zoos expriment clairement nos contradictions. Je mange bien de la viande alors que j'aime les bêtes. Mais je mange de tout, parce que je suis une sorte d'animiste athée qui pense que la vie est partout, allant jusqu'à imaginer que les objets inanimés ont une âme ! J'exagère à peine, rien ne se perd, rien ne se crée, les atomes changent simplement de partenaires.
C'est la raison pour laquelle je répète à mon petit-fils de ne pas arracher les feuilles des arbres pour rien. C'est pour lui aussi que nous sommes allées au Parc Zoologique de Paris, dans le bois de Vincennes, qui a été totalement repensé il y a déjà dix ans, avec de plus grands espaces pour les animaux. En semaine il y a peu de monde. Il faut dire que l'entrée est très chère. Les animaux sont détendus, parfois curieux. Ils n'ont pas vraiment le choix. Ceux qui naturellement se contentaient de petits territoires y sont mieux que ceux dont l'espace est devenu dramatiquement exigu. Les soigneurs s'occupent bien d'eux, il y a même des espèces en voie de disparition qui sont sauvées grâce aux zoos. Mais si elles sont sauvées, c'est que l'homme a conquis leur espace vital. De plus en plus nombreux, nous déboisons, nous bitumons, nous édifions. Cela n'empêche qu'Eliott et nous passons une très agréable matinée sous un ciel clément à nous projeter loin par ce trou de serrure qu'on appelle zoo.

jeudi 12 juin 2025

L'électromécanomaniaque Gilbert Peyre à la Halle Saint Pierre


Avez-vous jamais vu un harmonium léviter tandis qu'un marteau cognait une cloche et qu'un cervidé en manteau de fourrure lui tournait autour martelant le sol de ses sabots sonores devant des vitraux composé de cul de bouteilles en plastique ? Une radio explosant de joie devant un match décisif ? Je m'arrête là, la visite commentée, absolument indispensable, dure plus d'une heure et demie. Les automates sont des mises en scène à la fois drôles et critiques. Je ne me suis pas trompé en choississant cette activité qui puisse intéresser mon petit-fils de sept ans. Je repense chaque fois à la phrase d'une dame relevée par Cocteau à la première d'Entr'acte d'Erik Satie : "Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais emmener les enfants !". Alors cette fois, ne les en privez pas, pas plus que la part d'enfance que, j'espère, vous avez soigneusement préservée. Les machines de Gilbert Peyre sont à cheval entre Tinguely et Pierrick Sorin. Ça tourne et danse, fume et brûle, frappe et hurle, s'avance et recule... J'ai adoré le génie enfermé dans un bidon d'essence !


Comme nous étions en avance sur la visite guidée du premier étage nous avons admiré L'art brut d'Iran au rez-de-chaussée.
La semaine prochaine j'irai seul (puisqu'Eliott est rentré chez lui) voir l’exceptionnelle collection de Bruno Decharme au Grand Palais, j'en profiterai pour arpenter les expositions Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, Ernesto Neto Nosso Barco Tambor Terra, Euphoria Art in the Air, Horizontes Peintures brésiliennes, Tapisseries royales Savoir-faire français et tapisseries contemporaines danoises, Transparence La première exposition du Palais des enfants... Le menu est colossal. J'ignore encore celles qui m'enchanteront, mais j'ai une petite idée !

L'électromécanomaniaque Gilbert Peyre, exposition à la Halle Saint Pierre, jusqu'au 31 juillet 2025

mercredi 11 juin 2025

Les heures secondes de Half Asleep


Aussitôt sur la platine, les bons disques me sourient d'un clin d'œil qui font grandir mes oreilles. C'est le sixième disque en une vingtaine d'années de Half Asleep, mais le premier depuis dix ans, et j'étais passé à côté de cette artiste bruxelloise qui me ravit et égaie ma semaine. Si Valérie Leclercq (elle est Half Asleep) se dit inspirée par Nico, Robert Wyatt, Scott Walker et Kate Bush, elle me rappelle plutôt Beth Gibbons, l'ex-chanteuse de Portishead. Dans tous les cas peut-on trouver de meilleures références ? Ce sont tous et toutes, comme elle, des indépendants dont la musique est difficilement classable. On sent bien les influences de ses études classiques, un goût pour les belles mélodies et les orchestrations minimalistes, mais l'ensemble sonne très personnel. Délicate, inspirée, variée, Valérie Leclercq joue du piano, son instrument de prédilection, elle joue de la guitare, de la flûte, de la basse, etc. Et elle chante, mais elle est épaulée par sa sœur Oriane, Claire Vallier, Eloïse Decazes et d'autres. À ces harmonies vocales s'ajoutent le violoncelle de Gwen Sainte-Rose, les trompettes de Baptiste De Raymaker, Maryline le Corre et Sainte-Rose, le sax baryton ou la clarinette basse de Mathieu Lilin et des ambiances du mixeur Joachim Claude. C'est une famille, une bande de filles, où Valérie Leclercq compose presque tout, écrit les paroles poétiques en anglais, arrange et s'enregistre la plupart du temps. Si ses apparitions scéniques sont rares ou sporadiques, elle est toujours active en composant pour des courts métrages ou en réalisant des émissions radiophoniques de création, ce qui explique son remarquable savoir-faire dramatique. C'est difficile pour moi d'en parler tant la musique me reste à l'esprit, une relation particulière au monde, comme si le message trouvé dans une bouteille venait d'une autre planète, une somnambule avançant dans la nuit, essayant de se rattraper aux branches qui caressent son visage. Un des plus beaux disques de ces derniers temps, sans hésiter une seconde.

→ Half Asleep, Les heures secondes, CD/ LP / Digital Humpty Dumpty / three:four

samedi 31 mai 2025

Pause d'une semaine


Petite pause d'une grosse semaine. Reprise du blog mercredi 11 juin. Plusieurs raisons à cela. La première est technique. J'ignore encore si mon ordinateur sur lequel j'écris quotidiennement, sur lequel je joue régulièrement et sur lequel je compte trop souvent se réveillera de son profond coma, son pronostique vital étant engagé. Un nouveau-né fera son entrée dans la famille, évidemment plus performant que tous les autres. Mais chacun a son utilité. Le plus ancien en activité est un iBook blanc qui me permet de regarder ma collection de CD-Roms tels qu'ils ont été conçus, bien que je ne le fasse pratiquement jamais. Le second est voué aux copies de CD et DVD, ce qui est devenu extrêmement rare. Le troisième est crucial puisqu'une application y a indexé l'énorme bibliothèque de CD-R avec mes anciens travaux et tout ce qui date de Mathusalem et qui n'a pas été transféré sur disque dur. Le quatrième sert de lecteur pour les films que je regarde dans une salle consacrée au cinéma. Le cinquième, aujourd'hui salvateur, tient essentiellement le rôle d'enregistreur du studio GRRR et est connecté le plus souvent à la Toile. J'ignore à quoi servira celui qui a probablement rendu l'âme à cette heure-ci et sera remplacé par un M4 tout neuf à la mi-juin. Je ne compte ni l'iPhone, ni les deux vieux iPads qui me rendent bien service de temps en temps. J'espère seulement que je pourrai récupérer mes données via Time Machine et que j'arriverai à reconstituer le mois manquant.


La seconde raison est aussi déterminante, car je dois jouer le rôle de grand-père de garde pendant que leurs parents montent le Spat' sonore au Théâtre Dunois. Si vous n'avez jamais vu l'engin, je vous conseille sérieusement d'aller y voir le spectacle Näcken, avec vos enfants si vous en avez, vendredi 6 juin à 20h, samedi 7 à 18h ou dimanche 8 à 11h. Deux compagnies se sont unies pour cette création épatante, Spat' Sonore & SÖTA SÄLTA, avec Elsa Birgé, Nina Daigremont, Nicolas Chedmail, Linda Edsjö et Philippe Bord. De mon côté, même si j'y serai de temps en temps pour m'occuper des mouflets, j'ai préparé quelques activités zoologiques, muséographiques, acrobatiques, cinématographiques, ludiques, qui risquent de me mettre à plat en bout de course, après avoir été à quatre pattes, mais quel plaisir ! On verra bien ensuite si elles donnent lieu ou pas à quelque récit...

vendredi 30 mai 2025

Découvertes du label Neuma (2)


J'ai continué à écouter les disques Neuma envoyés du Minnesota par Philip Blackburn qui en a d'ailleurs enregistrés sept, lui-même, en marge des 700 qu'il a produits sur innova et Neuma depuis trente ans. ORDO, son plus récent, double CD de 2023, expose une tentative d'ordonner le chaos. Pour Weft Sutra, Nirmala Rajasekar à la veena se pose sur un nuage composé de six guitaristes électriques à l'archet. On la retrouve avec le chanteur Ryland Angel sur le texte Why You Want a Physicist at Your Funeral d'Aaron Freeman avec Blackburn pour un drone cosmique électronique. Plus d'électricité ni d'électronique pour The Song of the Earth, mais l'une des harpes éoliennes du jardin de Blackburn et Patti Cudd au vibraphone. Ce sont des musiques de recueillement comme The Sound of a Going in the Tops of the Mulberry Trees où le compositeur dirige le NO EXIT New Music Ensemble, ou Lilacs and Lightning avec le pianiste Emanuele Arciuli et des rythmes programmés. Albi est interprété par le Quatuor Mänk, A Cambridge Musick: solve et coagula par le Trio Galan (clavecin, violon, violoncelle), Dimitris Kountouras au flageolet et Dimitris Azorakos au tambour, où l'on retrouve le propos initial de la mise en ordre. Over Again, avec l'enregistrement de la voix du pilote de chasse Warren Ward pendant l'Opération Tempête du désert en Irak et deux percussionnistes, les Quey, est dédié à Harry Partch, sur lequel Blackburn a rédigé Enclosure Three: Harry Partch pour lequel il a été primé. Sur More Fools than Wise huit cornes de brume accompagnent la soprano Carrie Henneman Shaw sur un texte d'Orlando Gibbons. Sa Sonata Homophobia exige un dispositif incluant la flûte de Zachery Meier, un discours haineux d'extrême-droite et des contrôles cérébraux ! Huit improvisateurs accompagnent la voix de Chris Mann sur Unearthing ou pour Stuck l'UCCS Creative Music Ensemble celle d'une automobile !! Plus simplement, Gunnar Owen Hirthe à la clarinette et Nicholas Underhill au piano jouent Air: Air, Canary, New Ground d'après Purcell. Le bonus est une mise en scène où une lettre enregistrée en italien par Kenneth Gaburo pour son maître Goffredo Petrassi est accompagnée à l'orgue par Gary Verkade sur une seule note. L'ensemble tient à la fois du minimalisme et du drone avec de nombreuses références à la musique baroque et à la musique contemporaine, interrogeant le rapport au passé pour espérer un avenir meilleur.


Dans de nombreuses créations nord-américaines on retrouve l'influence grandissante du minimalisme, même lorsqu'il s'agit de jazz. Pour Arkinetiks le batteur Dan Kurfirst a d'abord enregistré en trio avec le bassiste Damon Banks et Alexis Marcelo au Fender Rhodes. Il a ensuite ajouté le tabla de Roshni Samlal et enfin il a demandé au trompettiste-saxophoniste-flûtiste Daniel Carter d'improviser sur l'ensemble qui sonne un peu comme du jazz-rock qui aurait flashé sur l'Inde, méditation comprise ! Les parties que je préfère sont celles où l'on entend des extraits de la conférence You don't know what you want because you have it already d'Alan Watts. Je remarque aussi qu'il y a souvent des voix parlées sur les disques du label...

Et un calme olympien, ou du moins la recherche d'un certain bien-être, que l'on retrouve encore dans l'album Radiance Within de Phillip Schroeder, qu'il soit seul au piano ou accompagné par sa femme, la violoniste Margaret Jones ou les gongs d'Alan Zimmerman. Le minimalisme américain est fortement lié aux transcendantalistes qui ont inspiré tous les retours à la terre. Les grands espaces états-uniens n'y sont pas pour rien. C'est le bon côté de ce pays qui s'est construit sur un génocide et a assuré son hégémonie sur le reste du monde en ne cessant jamais d'y faire la guerre. La résistance s'y est plus souvent exprimée par un repli vers la nature que par des mouvements revendicatifs révolutionnaires. Quand ce fut le cas ils furent durement réprimés, mais on a la mémoire courte.

Du texte récité encore sur Woolf at the Door de Duncan & Woolf. Emily Duncan interprète à la flûte des compositions de Randall Woolf. S'y joignent le comédien Rinde Eckert sur un texte de David Foster Wallace, la voix échantillonnée de Sara Wendt, un quintet à cordes ou la voix enregistrée et manipulée du compositeur récemment disparu Scott Johnson, fortement influencé par les premières pièces de Steve Reich. Intéressante rencontre du beatbox de la flûtiste avec les cordes sur Native Tongues.

Emphatic Now de l'Ewart Asplund Ricks Trio est un disque d'improvisations plus proche de ce qui se pratique aujourd'hui en Europe, surtout par des polyinstrumentistes. Douglas R. Ewart joue des bois, du didgeridoo, des percussions, du texte (!) ; Christian Asplund est au violon alto et au piano ; Steven Ricks passe du trombone aux instruments électroniques. Le jeu se focalise sur les timbres plutôt que sur la mélodie et le rythme, ce qui est typique de ce genre de rencontres.


En fait, j'avais été surtout impressionné par les albums Borderless Flows du PAN Project Ensemble, et DVXNS de Dan Roman and Cuarteto Latinoamericano, que m'avait signalés Blackburn, mais qui ne figuraient pas dans le paquet-poste, en plus de The Noonan Trio, Hypercube jouant Louis Andriessen, Jeannine Wagar, tous les trois sélectionnés par hasard sur mon premier article consacré au label Neuma. Le Pan Project Ensemble réunissant ici des artistes américains (dont Ned Rothenberg et Jeff Roberts), coréens, indien et iranien, le résultat est forcément surprenant, d'autant qu'ils utilisent des instruments traditionnels (piri, saenghwang, guqin, shakuhachi, sarangi, gayageum, qanun) en plus de leurs voix. Ils montrent tout simplement la possible universalité de la musique. Quant à DVXNS, j'adore l'énergie de ce quatuor à cordes qui me rappelle évidemment le Kronos jouant du Reich ou d'autres minimalistes énervés. Dan Román est un compositeur portoricain né en 1974, mais le quatuor est mexicain et il revendique l'influence du son trash du groupe de heavy metal Metallica !

jeudi 29 mai 2025

Découvertes du label Neuma (1)


Petit colis arrivé de Saint Paul dans le Minnesota, la ville jumelle de Minneapolis. Philip Blackburn, producteur du label Neuma, m'avait contacté après mon article sur Denman Maroney.
J'attrape au hasard l'un des sept CD récents. Into The Night est la première incursion de Jeannine Wagar dans le domaine de l'orchestre viirtuel. La compositrice et cheffe d'orchestre, pianiste et organiste, basée en Arkansas, a travaillé avec des orchestres comme Bang On A Can (c'est le seul que je connaisse de son pédigrée). Sa musique m'accroche instantanément, peut-être parce qu'elle ressemble à des choses que j'ai adoré enregistrer pour des projets de commande, comme lorsque j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres d'Arles. Les instruments que nous utilisons, leur approche physique car la mécanique obéit à des réflexes humains, ont forcément une influence sur ce que nous jouons. Confrontée à elle-même et non à des instrumentistes comme elle en a l'habitude, Jeannine Wagar évoque une approche émotionnelle, comme si elle passait de la lumière à l'obscurité, du jour à la nuit. L'orchestre virtuel nous renvoie en effet au brouillard de l'inconscient, comme lorsque nous composons pour autrui, mais cette extraversion devient triviale au contact de la réalité.

The Force for Good de l'ensemble new-yorkais Hypercube, le second disque que je mets sur la platine, présente Hout (1991) de Louis Andriessen et The Force for Good (2020) de l'un de ses élèves, Michael Fiday. La saxophoniste Erin Rogers au ténor, le guitariste électrique Jay Sorce, la pianiste Andrea Lodge et le percussionniste Chris Graham ont choisi une pièce iconique d'Andriessen créée à l'origine pour l'enseble LOOS, "une mélodie à l'unisson avec des ramifications", particulièrement virtuose. Son "canon rapproché" à la double-croche l'associe évidemment aux minimalistes ou répétitifs. Son instrumentation inspira ensuite de nombreuses œuvres à d'autres compositeurs. Ainsi la pièce de Fiday qui s'inspire du Giant Steps de John Coltrane commence rythmiquement dans le corps du piano pour passer à une forme contemporaine plus jazzy qui flirte avec le vertige.

Inherit A Memory est le fruit d'un autre trio, basé à Londres, celui du batteur-récitant Sean Noonan avec Matthew Bourne au piano et Michael Bardon à la contrebasse, nettement plus jazz dans sa véhémence et son swing sautillant, mais c'est l'usage du sprechgesang, rythmé, répété, délayé, murmuré, qui le caractérise particulièrement. Noonan revendique l'influence de Nancarrow, Zappa, Milford Graves et du biologiste bergsonien et lamarckiste anglais Rupert Sheldrake, auteur de la « résonance morphique ». Il est compréhensible que la création artistique puisse inspirer une approche magique de la perception du monde. Pour des esprits éclairés le sacré y trouve probablement plus de confort que la religion. La confrontation avec la question sans réponse peut pousser à imaginer qu'il en existe une sous la forme d'un point d'interrogation aussi immense que l'univers. En tout cas, The Noonan Trio livre un jazz libre, savoureux et allumé.

La suite au prochain numéro...

mercredi 28 mai 2025

Catastrophe


La catastrophe n'arrive jamais d'où on l'attend. Je me souviens que notre appartement était entouré de mezzanines à certains endroits sans garde-corps. J'avais fait peindre une ligne jaune continue et expliqué à notre fille qui était encore toute petite qu'il était strictement interdit de la franchir. Obéissante, elle fit toujours très attention. Combien d'amis nous firent remarquer que nous étions totalement inconscients ! Un jour qu'elle se dirigeait vers l'escalier pour monter nous rejoindre, elle a trébuché et s'est ouvert le front sur la première marche. J'aurais pu citer d'autres exemples, mais celui-ci m'avait particulièrement marqué. On a beau prendre toutes les précautions, "shit happens!".
Oh, ce n'est pas si grave cette fois, mais je suis paralysé. Comme un grand trou noir de l'instant de la catastrophe jusqu'aux heures qui suivirent. Le soir j'ai quitté un concert au milieu. Comme disait Bernard : "on est fragile". En rentrant je regarde avec tendresse les mauvaises herbes qui poussent le long des maisons. Je pense au monde entier pour relativiser, je pense au génocide qui se perpétue à Gaza, je pense aux gens qui meurent de faim et de froid, je pense à ceux à qui on vient d'annoncer qu'ils ont une maladie grave, voire incurable, histoire de relativiser. Dans ces cas-là ma maman avait l'habitude de dire qu'il n'y avait pas mort d'homme. Elle avait évidemment raison, mais cela n'empêche pas que ce soit très contrariant.
Arrivés vers sept heures, les terrassiers terminaient leur travail devant la maison. Le trou était immense. Le bruit avait fait fuir les chats. J'avais déjà pris mon petit-déjeuner, et même fait ma demi-heure de vélo en Arizona. Je me laisse téléporter en regardant l'écran fixé à la machine. Il faisait frisquet à cette heure matinale, mais l'exercice me faisait suer. Sur Radio Libertaire s'étaient succédés Brigitte Fontaine, Bashung, Brassens, Vian et Bobby Lapointe. Bonne cuvée ! Redescendu je prenais note des mails arrivés pendant la nuit. Et c'est arrivé très vite.
J'ai l'habitude de ne laisser aucun liquide à proximité de mon ordinateur. En attrapant ma tasse de thé j'en ai un peu renversé sur le clavier. J'ai vite épongé avec mon mouchoir, mais j'aurais mieux fait de retourner la machine vers le bas pour éviter que cela pénètre à l'intérieur. Tout s'est éteint. Pas moyen de rallumer. Il ne me restait plus qu'à aller le porter chez SOS Master dont la réputation n'est plus à faire. J'ai donc enfourché ma vraie bicyclette et pédalé jusqu'à République... Les nouvelles sont mauvaises. Heureusement ma dernière sauvegarde date d'il y a un mois. Mais un mois pour moi c'est beaucoup. Incapable de travailler, j'ai tapé ces lignes en espérant être capable ensuite de penser à autre chose en attendant le bilan qui peut mettre deux ou trois jours. Si c'est réparable ce n'est que de l'argent. Si c'est mort, c'est beaucoup plus d'argent et ma phrase précédente ne vaut pas tripette. Et du temps, beaucoup de temps. Je ne m'en veux même pas. On a beau faire attention, on n'échappe jamais aux mauvaises nouvelles. On peut juste espérer qu'elles s'équilibreront avec de bonnes, mais alors de vraiment bonnes...

mardi 27 mai 2025

Le clip-vidéo des Déments avec Denis Lavant


Sonia Cruchon a réalisé un clip-vidéo pour accompagner la sortie du double CD "Les déments" avec Denis Lavant, le saxophoniste Lionel Martin et moi-même au clavier et plein d'autres trucs qui font du bruit. Nous avons choisi un extrait de 2 minutes 36 secondes du premier morceau, M'accorderez-vous ?, que nous avons envoyé à Sonia en la laissant libre de l'interpréter à sa façon... Je tiens à préciser que la mise en sons de chaque pièce par notre trio est radicalement différente...


Lionel avait filmé un court moment où Denis tournait sur mon spun au milieu de la cuisine pendant que je préparais le déjeuner. Pas étonnant de sa part lorsque l'on connaît ses prouesses acrobatiques en plus de sa remarquable diction qu'il ait cédé à la rotation ! Sonia a ensuite fait des miracles en utilisant l'idée de Lionel d'associer ce tourniquet au texte de Marcel Moreau ; elle m'a aussi demandé de photographier la pochette d'Ella & Pitr dans le spun.

Les déments, double CD GRRR+OUCH!, dist. Inouïe, et sur Bandcamp

lundi 26 mai 2025

Eastern (western de l'est parisien)


Les terrassiers qui défoncent notre rue ont beaucoup d'humour si j'en crois les tuyaux entassés devant notre porte d'entrée. Je devrais plutôt écrire de sortie, même si l'opération semble hasardeuse. Les ouvriers remplacent les tubes en grès gris de plus d'un siècle que les mouvements de terrain ont fendus ou cassés. Les eaux usées s'en allaient dans le sol. Ce ne sont pas seulement ceux d'assainissement qui laissent échapper des tonnes d'eau. On ne peut imaginer la quantité d'eau potable gaspillée ainsi. Aujourd'hui les fuites se décèlent néanmoins facilement avec un micro et un casque sur les oreilles. Dans notre rue, enfouis à trois mètres cinquante, à proximité d'un monstrueux tuyau de gaz qui s'il explosait rayerait le quartier de la carte et d'une ligne électrique de 225 000 volts alimentant la capitale, ils exigent une expertise minutieuse et des machines capables de creuser aussi profondément. À propos de catastrophe, dans la pièce Des haricots la fin sur le disque Qui vive ? j'avais intégré le bouleversant reportage en direct de l'explosion de la rue Raynouard le 17 février 1978. Une fuite d’eau y aurait justement provoqué l’affaissement du trottoir et le percement de la canalisation de gaz située sous la chaussée, bilan douze morts et une soixantaine de blessés dont plusieurs sapeurs-pompiers. Ce ne fut pas la seule à Paris, cela s'est encore produit rue de Trévise en 2019 et rue Saint-Jacques en 2023. Ici le plus dangereux serait un affaissement de terrain pendant que les ouvriers sont au fond. Il n'y a pas que l'asphyxie. Le responsable m'explique que les enfants qui s'enfouissent sur la plage risquent une compression de la cage thoracique sous le poids du sable. Pour un billet d'humour, vous repasserez ! Enfin, certains le prennent autrement...


Avec surprise je découvre sur FaceBook une photo de mon chat où il est stipulé que c'est le "boss" de la rue. Il a profité des travaux et de l'absence automobile pour poser devant Brahim. Il ne manque que l'accompagnement musical d'Ennio Morricone pour que Django soigne son rôle ! Devant les nombreux like qu'il engendre je me dis ne plus avoir à m'inquiéter quand il s'aventure dans le quartier, entre autres à chasser les rongeurs qu'il rapporte généreusement à la maison, maintenant que le gros gris est connu comme le loup blanc.

dimanche 25 mai 2025

Drame.org cité en référence

bntoine

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samedi 24 mai 2025

Première chronique française sur LES DÉMENTS


Une journée de studio autour de textes choisis par Denis Lavant. Des textes d’auteurs libres comme l’air ou le langage émancipé, qui ont en commun une force d’expression explosive. Les déments, du Breton Xavier Grall vibre comme une sorte d’égarement fantastique. Cantode de Lobélisque, du pataphysicien André Martel, sème des pépites lexicales inédites à chaque vers. M’accorderez-vous ? , de l’écrivain belge Marcel Moreau, fait d’une invitation à la danse un théâtre de mots en tourbillon chorégraphique. Quant au Petit chien sans ficelle (CD 2), texte du chanteur-poète André Schlesser, cofondateur du légendaire cabaret L’écluse (qui accueillit à leurs débuts Brel, Barbara….), il nous conte une sorte de récit initiatique qui frôle l’épopée. Dans tous ces textes la parole est intense, recueillie ou violente, d’une beauté convulsive ou mystérieuse. La présence de Denis Lavant crève un écran imaginaire par sa seule voix. Et la musique de Jean-Jacques Birgé et Lionel Martin tisse une sorte de dramaturgie qui magnifie texte et diction. Une très belle réussite d’art sonore et poétique, à découvrir !
Xavier Prévost dans LDNJ

Un avant-ouïr sur Youtube

DENIS LAVANT / JEAN-JACQUES BIRGÉ / LIONEL MARTIN «Les déments»
Denis Lavant (récitant),
Lionel Martin (saxophone ténor),
Jean-Jacques Birgé (claviers, shahi baaja, percussion, flûte, guimbarde, harmonica)
Bagnolet, 21 novembre 2024
GRRR+Ouch 2040/41 / Inouïe distribution (double CD)
Sur Bandcamp

vendredi 23 mai 2025

L'homme à la caméra par Un Drame Musical Instantané (1983)


Quarante-et-un ans déjà, et cet article du 20 février 2013, mais quatre-vingt-seize pour Dziga Vertov puisque L'homme à la caméra date de 1929. Nous avions choisi son Laboratoire de l'Ouïe comme modèle à nos élucubrations. Plutôt qu'illustrer platement le film nous avions préféré inventer de nouvelles formes, dévorant le livre de Georges Sadoul et, surtout, les écrits du cinéaste. Si la création eut lieu à l'occasion du Festival Musica à Strasbourg le 5 octobre 1983, le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané enregistra notre partition originale le 14 février 1984 au Théâtre À Déjazet à Paris lors de la quatrième représentation. Avec Francis Gorgé et Bernard Vitet, nous partagions la direction de l'orchestre composé de quinze musiciens et musiciennes. L'électronique se mêlait aux vents, aux cordes, aux percussions et à une lutherie originale inventée par la flûtiste Hélène Sage et Bernard. J'avais même écrit des chansons pour lui, pour la contrebassiste Geneviève Cabannes, et pour le violoncelliste Didier Petit dont c'était la première vocale. Le document n'est pas d'une qualité exceptionnelle, mais sa rareté et son antériorité sur nombreuses compositions qui suivirent m'ont semblé justifier sa mise en ligne. J'avais publié une répétition de l'orchestre datant de 1986, mais l'archive présentée ici était passée à la trappe. N'ayant pu filmer le spectacle dont la première partie consistait en la partition seule sans le film suivie du ciné-concert, j'avais à l'époque remonté la musique directement sur la VHS avec le bouton de pause afin de la resynchroniser. La copie 16mm avait été projetée sur le mur du salon ! Le résultat est là, 1h06mn :



Je n'aurais jamais imaginé exhumer cette archive si une étudiante en Master Recherche en Musicologie ne m'avait interrogé sur ses difficultés à synchroniser notre disque avec le film. Je crois comprendre que son travail consiste à comparer les différentes versions que ce chef d'œuvre cinématographique inspira. Un vinyle 33 tours 30 cm ne pouvant contenir toute la partition, nous avions été obligés de couper. Notre mémoire n'avait retenu que l'enregistrement discographique laissant dans l'ombre nombreuses parties.

La composition musicale était signée du Drame, soit Bernard Vitet, Francis Gorgé et moi-même, sauf une petite séquence due à Hélène Sage. L'orchestre était donc composé de Francis Gorgé (direction, guitare électrique, frein), Bernard Vitet (trompettes, trompette à anche, double bombarde, flûte, voix) et moi (direction, synthèse numérique en temps réel, reportages, piano, trompette à anche, flûtes, guimbarde, mélodica, voix), plus Youenn Le Berre (flûtes, flûte électrique, basson, saxophone ténor), Magali Viallefond (hautbois, cor anglais, flûte, tôle à voix, orgue de cristal), Hélène Sage (flûtes, voix, clarinette basse, glissarinette, bouilloire, bazar), Patrice Petitdidier (cor d'harmonie), Philippe Legris (tuba), Jacques Marugg (vibraphone, marimba, percussion), Gérard Siracusa (percussion, marimba), Bruno Barré (violon, violon à pavillon), Nathalie Baudoin (alto), Marie-Noëlle Sabatelli (violoncelle), Didier Petit (violoncelle, voix), Geneviève Cabannes (contrebasse, clavier, voix). Daniel Deshays enregistrait le son, Serge Autogue l'amplifiait.

En 1971, L'homme à la caméra est le premier film qui nous fut montré un matin à la Cinémathèque Française lorsque j'entrai à l'Idhec. Dans la grande salle du Trocadéro quasiment vide mes gargouillis dans le ventre me semblaient briser son mortel silence et m'empêchèrent de jouir du spectacle. C'est probablement de cette expérience douloureuse qu'est née chez moi l'idée d'accompagner les films muets par de la musique jouée en direct, comme nous le fîmes dès 1976 avec plus d'une vingtaine à notre répertoire. Je ne compris que plus tard l'immense influence que le chef d'œuvre de Vertov eut sur moi, tant dans ma musique que sur ma vie.

En 2024 L'homme à la caméra augmenté de La glace à trois faces est sorti en CD sur le label autrichien KlangGalerie.

jeudi 22 mai 2025

Tom Bourgeois, Space Galvachers, Mozes & Kaltenecker sur BMC


Née dans une famille de musiciens, Lili Boulanger était la sœur cadette de Nadia Boulanger. Toutes deux étaient compositrices, mais Lili est décédée à 24 ans en 1918, tandis que Nadia vécut jusqu'à 92 ans, soit jusqu'en 1979. Celle-ci, également pianiste, organiste, cheffe d'orchestre, fut surtout connue pour ses mémorables leçons dont profitèrent quelque 1200 élèves dont Aaron Copland, George Gershwin, Grażyna Bacewicz, Elliott Carter, Michel Legrand, Lalo Schifrin, Astor Piazzolla, Quincy Jones, Dalton Baldwin, Daniel Barenboim et Philip Glass ! Quant à Lili, première femme à obtenir le prix de Rome de composition musicale en 1913, ses œuvres commencent seulement à être jouées. Il est passionnant d'entendre une adaptation de ses pièces pour piano, chorales ou vocales, par un orchestre de jazz contemporain comme celui du saxophoniste belge Tom Bourgeois, parfois à la clarinette basse, qui avait déjà adapté le quatuor de Ravel en 2018. Son quartet composé de compatriotes, Alex Koo au piano, Lennart Heyndels à la contrebasse, Théo Lanau à la batterie, est augmenté sur quelques pièces du violoncelliste français Vincent Courtois et de la chanteuse hongroise Veronika Harcsa qui a écrit des paroles pour l'Hymne au soleil et Attente. La musique offre des espaces d'improvisation, sans ne jamais quitter le lyrisme d'une musique délicate, probablement remède aux souffrances de la compositrice dues à sa maladie décelée depuis l'enfance. Si l'on aime comprendre "comment l'on en est arrivé là", le disque Lili montre la filiation que peu imaginent entre la musique française du début du XXe siècle et le jazz mélodique.

Il faut une grande maîtrise du seaboard pour en jouer comme Zsolt Kaltenecker. J'en sais quelque chose pour en posséder un petit modèle ! Il s'agit d'un clavier 5D plutôt mou, permettant de glisser les doigts horizontalement ou verticalement sur les touches, autorisant ainsi par exemple le vibrato, de filtrer chaque touche en jouant sur sa longueur ou produire des glissandi comme avec les ondes Martenot. Les timbres dépendent ensuite des synthétiseurs et échantillonneurs acceptant le protocole MPE (MIDI Polyphonic Expression). Sans aucun overdub, c'est-à-dire en une seule prise, il accompagne la chanteuse-pianiste Tamara Mozes sur des pièces pop-jazz avec un toucher extrêmement dynamique, ressemblant souvent au slap d'une basse. Les deux Hongrois reprennent Come To Me de Björk et Summertime des Gershwin à côté de compositions originales où le swing à l'européenne est toujours présent. Sub Rosa est un disque aussi agréable que le précédent.

Il y a cinq ans j'avais chroniqué l'album Sounds of Brelok des Space Galvachers. Leurs Folk Songs est mon préféré des trois nouveautés du label BMC. Ils reprennent, évidemment très librement, neuf chansons traditionnelles du Morvan sans les paroles, mais avec les pas de la danse. Comme pour le précédent album, le trio fait si corps qu'on en oublie qu'ils sont trois, leurs notes se mêlant les unes aux autres. Le violoncelle de Clément Petit arrache, le violon de Clément Janinet tournoie et Benjamin Flament frappe ses percussions de métal pour créer des chansons de gestes où la gravité est parfois prise à la légère, où l'air est lourd de sens et où le bourguignon se déguste bien arrosé.

→ Tom Bourgois Quartet feat. Vincent Courtois & Veronika Harcsa, Lili, CD BMC, sortie en juin 2025
→ Mozes & Kaltenecker, Sub Rosa, CD BMC, sortie le 30 mai 2025
→ Space Galvachers (Clément Janinet / Clément Petit / Benjamin Flament), Folk Songs, CD BMC, sortie le 23 mai 2025

mercredi 21 mai 2025

Basil Kirchin, un génie méconnu


Les révélations musicales sont des moments rares d'euphorie contenue, émotions si fortes qu'il faut les digérer et prendre le temps de savoir comment faire avec. La première, en ce qui me concerne, fut l'étincelle qui mit le feu à mes poudres de perlimpinpin lorsque j'entendis par hasard, à Cincinnati en juillet 1968, We're Only In It For The Money des Mothers of Invention. Ce disque décida de mon avenir sans que j'en compris tout de suite l'énormité. J'avais 15 ans et la musique m'apparut une évidence alors que je n'y connaissais absolument rien. Avant la fin de l'année je bricolai des sons sur le petit magnétophone qui me servait à enregistrer les émissions de radio, essentiellement Le Pop Club de José Artur, où passaient de la musique pop, du jazz et de la musique contemporaine. Je me souviens m'être levé un matin à 5 heures, tel un somnambule, avant de partir en classe, et avoir enregistré une de mes premières pièces, pour ondes courtes et pompe à vélo ! Suivraient rapidement Captain Beefheart, Edgard Varèse, Soft Machine, Charles Ives, Sun Ra, Harry Partch, etc. Je passe sur mes propres compositions, qu'elles soient de l'ordre instantané ou du désordre de la composition préalable, qui m'obligèrent à théoriser après avoir pratiqué pour comprendre comment j'en étais arrivé là. Aidé par mes camarades jouant généreusement le rôle de rabatteurs, j'avancerai de découverte en découverte. Il y a une vingtaine d'années Frank Vigroux me fit ainsi connaître Scott Walker et Fausto Romitelli. Dans les crédits du site drame.org je remercie particulièrement Frank Zappa, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal dont les encouragements furent précieux à mes débuts, et évidemment mes deux acolytes d'Un Drame Musical Instantané, Francis Gorgé avec qui j'étais monté sur scène la première fois et avec qui je prépare un prochain disque, et Bernard Vitet dont le compagnonnage quotidien dura près de 35 ans. Depuis toujours je cherche des pères à mon imagination pour légitimer mes drôles d'idées. Comme j'ai fini par construire mon arbre généalogique, arrivé à mon âge je suis plutôt à l'affût de frères dont les créations artistiques me semblent proches de mes préoccupations ou de ma pratique. Au fil des années je collaborai ainsi avec Hélène Sage, Sacha Gattino, Amandine Casadamont ou Lionel Martin.


Récemment je faisais la rencontre du compositeur et pianiste Denman Maroney dont j'ignorais l'existence malgré ses 60 albums, et la semaine dernière je découvris Basil Kirchin en lisant le volume 2 de la bande dessinée d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Underground. Bien qu'il soit né en 1927, vingt-cinq ans avant moi, Basil Kirchinsky, dit Basil Kirchin, jouait comme moi à la même époque sur la vitesse du magnétophone pour faire entrer les sons dans une autre dimension. Avant même l'avènement du cinéma parlant, le cinéaste et lyrosophe Jean Epstein avait déjà inventé le gros plan sonore en ralentissant le son de certains plans. Mais la complicité ne s'arrête pas là. Au fur et à mesure que je dévore l'intégralité de la discographie du compositeur anglais, je reconnais ma chanson de gestes, évidemment très différente, même si les coïncidences sont nombreuses. J'adore le mélange des cris animaliers, souvent ralentis, aux instruments de musique, une sorte d'exotica très cinématographique (States of Mind, 1968 / Charcoal Sketches, 1970) et lorsque le free jazz de Evan Parker, Derek Bailey ou Kenny Wheeler conversent avec le reste de la bande-son ou qu'elle se transforme en chaos dronatique plein de volatiles, je suis estomaqué (Worlds Within Worlds, chef d'œuvre de 1971-1973). Je me sens nettement plus proche de son bestiaire imaginé que des transpositions mélodiques d'Olivier Messiaen. Plus j'en écoute, plus je suis enthousiaste : la musique de film pour orchestre avec la sonothèque De Wolfe Music et John Coleman (Mind on The Run, 1966), le tendre Wildlife en collaboration avec Jack Nathan (1979) probablement encore de la musique de film comme il en composa une quinzaine (tels Primitive London, 1965 - I Start Counting, 1969 - The Abominable Dr. Phibes, 1971) ou pour une sonothèque (tel Abstractions of the Industrial North, 2005), puis trente ans plus tard Quantum - A Journey Through Sound In Two Parts où l'on retrouve son melting pot incroyablement inventif (2003), ainsi que, mais à titre posthume Basil Kirchin étant mort sans le sou en 2005 après un cancer l'ayant beaucoup affecté, Particles (2007), Everyday Madness (2020), ainsi que le best of biographique Basil Kirchin Is My Friend (2017) où s'entrechoquent des voix lynchiennes ou hystériques, des ritournelles charmantes et des petites fanfares sardoniques, des sons électroniques et des bruitages, de la pop anglaise et du jazz le plus libre, de la noise et de l'easy listening. C'est évidemment cet aspect de sa musique qui m'intéresse le plus, un cousinage avec 10 Notes On A Summer's Day A Swan Song de Crass ou Agitation de Ilhan Mimaroğlu.


Terminons cette plongée avec Mind on the Run: The Basil Kirchin Story, documentaire aux abondants témoignages réalisé par Alan Jones & Matt Stephenson permettant de mieux comprendre ce compositeur marginal en avance sur son temps, encensé par Brian Eno comme le père de l'ambient, considéré comme fou par ses contemporains parce qu'il s'imagine dans la quatrième dimension et qu'il est défoncé à la marijuana la plupart du temps. À ses débuts c'est un batteur peu conventionnel dans l'orchestre de son père, fasciné par le rythme en 6/4, puis par la musique indienne après un séjour là-bas, dix ans avant les Beatles. Il imite gauchement des tas de musiques au point d'en faire un style, enregistre les oiseaux ou les voix d'enfants autistes avec son Nagra en en ralentissant la vitesse, renverse le son des cordes, dirige pourtant les sessions d'une main de fer, entièrement dévoué à son art. J'aurais adoré discuter avec ce génial olibrius, mais voilà, ils sont nombreux les morts qui me parlent sans que je puisse leur répondre autrement qu'en faisant du bruit... En tout cas, c'est vraiment merveilleux de faire encore de telles découvertes.

mardi 20 mai 2025

Après la bataille


J'arrive après la bataille, car l'exposition Arpenteurs du souvenir, 80 ans après d'Ethel Buisson et Claude Philippot se termine après un an de présence au Mémorial de la Résistance en Vercors. Ces "dialogues photographiques" montrent comment le paysage porte l'Histoire. J'ai toujours pensé que la géographie et l'histoire figuraient les abscisses et les ordonnées du même repère. Dans leur noir et blanc d'éternité ou dans les couleurs de la nature les images suspendues sont aussi magnifiques qu'émouvantes. La carte s'efface lentement sous nos pas, mais les signes restent. Ils représentent les vestiges de notre mémoire. Les martyrs d'hier s'adressent aux jeunes d'aujourd'hui. Je me souviens des dernières paroles de Jean Cayrol à la fin du film de 1955 Nuit et brouillard d'Alain Resnais : "[nous] feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin." Je me rappelle aussi de celles d'un responsable de mission humanitaire qui revenait alors du Rwanda : "il y a des justes, mais ce ne sont pas toujours les mêmes." Voilà qui est terriblement d'actualité, me poussant plus que jamais à défendre les peuples opprimés, occupés, colonisés avec la plus grande violence. Les évocations de l'exposition ont pour moi le goût du jour.


J'arrive après la bataille, parce que les Résistants des maquis du Vercors ont fait le travail à l'époque, se battant contre l'occupant, ne baissant pas les armes devant la vermine fasciste. Ils en ont certes payé un prix très lourd. C'est celui de la liberté. La visite du Mémorial de la Résistance en Vercors est une expérience fantastique. C'est rare qu'une scénographie muséale soit aussi en adéquation avec son sujet. Nous avançons entre reconstitutions fictionnelles et documentaires. La traversée des salles aux murs de béton se fait un casque près des oreilles, mais pas sur les oreilles, car le mixage entre ce que nous y entendons et la musique diffusée par de discrets haut-parleurs donne un effet de perspective à la déambulation, perspective qui joue là encore entre l'histoire et la géographie. Le muséographe Jean-Pierre Laurent, le scénographe Max Schoendorff et le designer sonore Nicolas Deflache me semblent les principaux auteurs de cette visite immersive qui nous permet de voyager dans le passé comme si nous y étions, certes en spectateurs impuissants, mais vibrant en sympathie avec celles et ceux qui l'ont bâti.


Édifié à 1300 mètres d'altitude, le Mémorial offre un panorama imprenable sur la plaine de Vassieux et le massif du Vercors. Son architecture de bunker contraste avec la beauté naturelle du site. Il n'y a que le petit Mémorial des martyrs de la déportation situé au bout de l'île de la Cité à Paris qui m'ait fait cette impression, avec une scénographie qui permet à la fiction d'aujourd'hui d'évoquer au plus près le drame d'hier. Comme Ethel Buisson arpentant le camp de concentration de Birkenau sur les traces de son grand-père ou celles des maquis du Vercors...

lundi 19 mai 2025

Underground 2


Encore une fois j'ai dévoré la nouvelle bande dessinée d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, le volume 2 de leur panthéon Underground. L'euphorie vient d'abord de découvrir des artistes hors normes dont j'ignorais tout. Leurs évocations sont particulièrement bien documentées, des histoires de vie résumées en une demi-douzaine de planches. De parfaits inconnus côtoient des artistes reconnus, mais tous et toutes sortent résolument de l'ordinaire. Si l'on croise Björk, Ennio Morricone, Brian Eno, Fela Kuti, Erik Satie, je suis excité de découvrir les œuvres de Basil Kirchin (là je suis scotché), Jun Togawa, Tangela Tricoli, Ros Serey Sothea ou Jandek. Sont également croqués le flux (drone, new age...), l'école de Canterbury, le grindcore ou l'époque des 78 tours. Les deux auteurs ont adopté la forme du premier volume, avec une nouvelle discographie fournie dans les dernières pages (il y en 336 dans ce gros pavé), ajoutant une passionnante playlist généreuse de 101 titres accessible sur Internet. Le parti-pris graphique en à plat contrasté noir et blanc est dynamique, conférant une homogénéité à cette belle brochette d'hétérogénéités. Seulement quatre Français y ont trouvé leur place, Gilbert Artman, Catherine Ribeiro, Les Rita Mitsouko et Anne Sylvestre, ce qui me rend particulièrement fier d'avoir été choisi avec mon groupe Un Drame Musical Instantané dans le premier volume sous-titré Rockers maudits & Grands prêtres du son (également paru en anglais), aux côtés de Brigitte Fontaine, Colette Magny, Eliane Radigue et Boris Vian. Ayant également joué avec Gilbert, Brigitte et Colette, je me sens bien en famille avec tous ces fous du son, qu'ils et elles soient folk ou punk, rock ou jazz, minimalistes ou maximalistes, chanteurs ou compositeurs, d'ici ou d'ailleurs, et certain/e/s ont ostensiblement débarqué d'une autre planète.

→ Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Underground 2 - Derviches tourneuses & Punks cosmiques, ed. Glénat, 30€

vendredi 16 mai 2025

Grand Bazar chez l'habitant


Revenir en arrière, voyager dans le passé, est essentiel pour apprécier le chemin parcouru. Il s'agit souvent pour moi de comprendre comment on en est arrivés là. Depuis cet article du 27 octobre 2012, Ève et Antonin ont fait du chemin. De temps en temps ils remettent un nouveau Grand Bazar. Pour tous les artistes, le plus difficile est d'avancer sans perdre l'innocence inventive des débuts...

Le 30 septembre 2012, Ève Risser et Antonin-Tri Hoang me demandèrent de filmer quelques extraits de leur spectacle offert aux amis à l'issue des Portes Ouvertes de Bagnolet chez la peintre mc gayffier. Emballé, j'en captai l'intégralité avec mon petit Lumix, y compris plusieurs pièces interprétées dans la quasi obscurité. Le lendemain, je sélectionnai quelques passages lumineux, mais fus incapable de réduire le montage à moins de 15 minutes. Pour l'EPK (Electronic Press Kit) on verra plus tard ! Prenez le temps de ce retour en enfance projeté dans le futur. Délicieusement régressif et furieusement prometteur.


"Créé en octobre 2011 à la Dynamo Banlieues Bleues, ce Grand Bazar est un véritable spectacle, une invitation dans la chambre de deux musiciens. Tout y est organisé selon une logique mystérieuse, des règles établies par ces deux enfants terribles qui ont choisi de se servir dans le répertoire de quatre compositeurs : Ligeti, J.-S. Bach, Carla Bley et Aphex Twin, moins comme hommage que comme jouets à assembler, déconstruire, casser, réinventer."
Ève Risser (piano, piano préparé, harpsichord, piano-jouet, flûte) et Antonin-Tri Hoang (saxophone alto, clarinette, clarinette basse, flûte) sont rejoints au final par la violoniste Lucie Laricq et le flûtiste Jocelyn Mienniel...

jeudi 15 mai 2025

Fermez les yeux, vous y verrez plus clair


Nous avons pris le train jusqu’à Dunkerque pour voir le spectacle d’Ella & Pitr au Bateau Feu et cela valait vraiment le jus. Le couple de plasticiens prend systématiquement le risque de changer régulièrement de support, passant des affiches collées dans les rues aux fresques si gigantesques qu’elles en ont le record sur le Guinness, sans parler des leporellos, flip-books, savon noir, T-shirt, etc., et des livres graphiques plus épatants les uns que les autres. Pendant deux ans ils ont donc décliné les commandes pour se consacrer au spectacle Fermez les yeux, vous y verrez plus clair où ils peignent en direct, mais ce n’est qu’un aspect de ce théâtre magique réglé comme sur du papier à musique.


Apparitions, disparitions, lumière et obscurité, humour et beauté, un véritable spectacle vivant sur le fil du rasoir, les artistes peignent à une vitesse folle avec des pinceaux géants, des vaporisateurs, des serpillières, des drapés trempés dans l’encre… La vitesse est d’autant déterminante qu’ils jouent sur une lenteur japonaise ou sur des effets si rapides qu’ils rappellent ceux des transformistes. La musique et les effets sonores de Lucas Descombes, composée à partir de sons domestiques enregistrés chez les plasticiens, participent à cet enchantement qui ravit petits et grands. Ella & Pitr sont aussi épaulés sur scène par Myrtillle Lévêque et à la régie et lumière par Benoit Brégeault. On peut prédire un beau succès à ce spectacle aussi drôle que poétique qui tournera véritablement qu’à partir de l’année prochaine.


Mais aller à Dunkerque sans aller à Malo-Plage eut été dommage. Si j’avais emporté mon maillot j’aurais bien rejoint les courageux se baignant dans la mer du Nord. Je me suis consolé avec une gaufre dans ce pays où les gens sont si gentils. Il faut dire que le ciel était bleu et que les Anglais avaient eu la rare délicatesse de nous envoyer un grand soleil.