Une charade hypnotique
Par Jean-Jacques Birgé, jeudi 17 mai 2007 à 07:41 :: Musique :: #519 :: rss
J'attendais le feu vert de Fabrice Journo pour publier la photo de nous quatre le 3 mai au Triton pour la nouvelle formule de Somnambules. L'envie d'évoquer le spectacle me titillait tant j'ai ressenti de plaisir et d'excitation à la performance.
Nicolas Clauss, le grand à gauche, avait corrigé le tir depuis la première mouture début 2006, en travaillant sur la durée : comment avoir suffisamment de matériel pictural animé dans une configuration improvisée où les musiciens ont toujours une approche très approximative du temps qui passe (j'avais tout de même un chronomètre) - comment ne jamais revenir en arrière et structurer son discours avec un début, un développement et une fin - comment jouer en rythme sans être redondant ou platement illustratif (question également valable pour le trio) - comment ne pas faire tomber l'ambiance entre deux pièces, etc. Pari réussi, les images étaient somptueuses, rien que des pièces jamais montrées en spectacle, le déroulement dramatique impeccable avec un rappel imprévu, Les dormeurs, évocation rimbaldienne des tranchées...
Le choix d'un rythmicien comme Éric Échampard, débardeur côté jardin, ne pouvait qu'enchanter Nicolas qui s'en est donné à cœur joie. Mais Éric est beaucoup plus qu'un batteur, je l'ai écrit et répété, c'est un musicien complet, créateur de timbres inouïs. Au risque de le faire devenir écarlate, j'ajouterai qu'il a détrôné Max Roach dans mon Panthéon personnel (une chance, car la probabilité de faire équipe avec le New Yorkais de 83 ans s'amenuise de jour en jour !). Tous deux sont des mélodistes, ils accordent leurs peaux pour les faire chanter. Éric réagit au quart de tour, capable de rattraper toutes mes balles, mes skuds, mes coups tordus, tout un inventaire défenestré à la veille de la mascarade des élections : des accordéons, des hippopotames, des clefs, des pinceaux, un âne mort attelé à un piano à queue, un sapin en flammes, un évêque, des plumes... Sa virtuosité et son sens de l'à-propos justifient toutes mes recherches sur le zapping rythmique qui m'apparaissaient limite lorsque je les expérimentais seul en studio. Jeu en réponses, synchronisme et polyrythmies, explosions de couleurs du dripping au pistolet sans oublier de renverser le pot de peinture sur les passants, spectateurs d'une unique soirée...
Grâce à lui, je peux jouer physiquement de mes deux claviers. Il est si rare que la sueur perle à mon front lorsque je suis en scène. Quelques notes graves de trompette à anche, des stridences flûtistes où le zen chavire vers l'ultrason, mon sax free de quinze centimètres de long et un zeste de guimbarde ne me distraient pas du V-Synth dont j'ai rarement joué en public. Je délaisse mon éternel VFX qui me permet essentiellement d'assurer les transitions. J'ai préparé beaucoup plus de programmes que je n'en utilise. J'essaye de tricoter autour d'un son principal par morceau. Le V-Synth, avec son trackpad, son double beam (des faisceaux infra-bleus que j'intercepte chorégraphiquement) et tous ses contrôles en temps réel, me permettent d'intervenir directement sur les sons, d'improviser totalement la musique qui se joue à quatre, puisque je mixe certains bruits synchrones produits par les modules interactifs de Nicolas.
Nous commençons par Jumeau Bar dont je trafique les sons originaux avec l'Eventide que j'ai entièrement programmé. Après cette introduction bruitiste, nous alternons les passages tendres et les déferlements rockys tandis qu'Étienne Brunet s'empare de sa cornemuse sur White Rituals. La cérémonie peut commencer. Nous faisons la culbute. Mes imitations de guitare hendrixienne passent encore mieux que je ne l'espérais. Heritage nous fait glisser définitivement vers un rock où Bush père et fils sont à la hauteur de leur réputation. On calme le jeu avec Les marcheurs, hommage à Steve Reich, et nous nous laissons aller à l'improvisation absolue sur les dessins d'enfants de L'ardoise.
Étienne Brunet, la sangle au cou, plane au-dessus de la mêlée, saxophone alto traversant trois effets conçus par feu Robert Moog. Ses mélodies aériennes semblent sortir d'un sax préparé comme on dit d'un piano préparé. Les traitements, discrets, actualisent le son sans le déformer, ajoutant des couleurs nouvelles aux éboulements percussifs et aux nuages électroniques. Beaucoup de grâce dans ce chapelet de notes égrainées comme avec un amuse-doigts. La fleur au bec. Parfois vénéneuse...
Je crois avoir retrouvé l'équilibre du trio originel du Drame. Mon premier a les réflexes fulgurants et la complicité inventive de Francis. Mon second accroche nonchalamment ses airs sur la corde à linge, spécialité de Bernard. Mon troisième produit les images du film... Tous ont le sens de la gravité, de l'humour et de la gentillesse, de quoi faire un orchestre comme je les aime. Mon tout ne ressemble à rien et ne demande qu'à se reproduire.
L'enregistrement du concert...
Commentaires
1. Le mardi 5 février 2008 à 15:03, par Lavoux
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