De passage à Paris, Ella et Pitr nous font un cadeau merveilleux en venant coller sur notre mur un de leurs cadres qui invitent les passants à se photographier devant et à leur envoyer par mail. Ils ont déjà reçu plus de 400 photos prises un peu partout où les mènent leurs pérégrinations d'artistes de rue. Chaque affiche étant un original, on reconnaîtra la dédicace à son frontispice. Le cadre noir cavalier a malheureusement fait se cabrer la voisine hystérique dont la spécialité est de tirer à vue sur quiconque pénètre dans "son" allée privée. Dès que nous avons eu le dos tourné la harpie procédurière, une autre de ses marottes, déchire rageusement l'œuvre encore fraîche, allant jusqu'à casser un morceau du mur dont la couleur l'agace déjà puisque tout a le don de la mettre en furie. Elle s'est d'abord acharnée sur le mot Bagnolet, mairie avec qui elle règle des comptes depuis que son père, employé municipal décédé il y a plus de quinze ans, aurait été en litige avec la ville. En bas, le texte invitant les amateurs à mettre un pied sur "son" territoire a été réduit en bouillis. C'est ce qui l'a excitée, nous en aurons confirmation le soir-même lors de l'agression physique dont nous serons victimes, mais j'anticipe... Elle n'est évidemment pas la seule habitante de l'allée, aucun autre ne lui adressant plus la parole ni répondant à ses invectives quotidiennes, tous en conflit ouvert avec la maudite famille, trois sœurs partageant la même agressivité.


L'affaire pourrait sembler absurde, voire rigolote, si cette famille n'était connue dans tout Bagnolet pour ses délires paranoïaques qui leur valut de faire 48 heures de garde à vue il y a une dizaine d'années tant elles étaient ingérables. Je me souviens d'elles se débattant comme des diablesses tandis que les policiers embêtés les jetaient dans le panier à salade, qui n'aura jamais aussi bien porter son nom. L'un tenait les jambes, l'autre les bras. Leur agressivité met généralement de l'animation dans le quartier, car il suffit que quiconque fasse trois pas dans l'allée pour qu'elles sortent aussitôt, l'insulte ordurière à la bouche. L'une d'elles a récemment agressé physiquement notre voisine d'en face et elle recommencera hier soir alors qu'Ella et Pitr étaient sagement en train de néttoyer ce qui restait accroché. Elles abîmeront la caméra de Françoise qui filme leur délire, preuve irréfutable en cas de suite, casseront mes lunettes, puis la porte du jardin tandis que nous sommes rentrés et qu'elles s'acharnent sur la sonnette.
J'ai longtemps cherché à les protéger, sachant que leurs doléances pouvaient parfois se comprendre, comme lorsque les propriétaires de toutous viennent faire déféquer leur animal dans ce coin de campagne non bitumée. Mais les trois furies ne sont capables que de se mettre tout le monde à dos, ne survivant que dans la hargne et la haine. Elles habitent pourtant au fond du chemin, à une soixantaine de mètres de la rue. Leur prétention à tout régenter fait évidemment l'impasse sur notre mur de vingt-cinq mètres. Rien n'autorise quiconque à le saccager, encore moins dégrader une œuvre d'art, d'Ella et Pitr qui plus est, deux artistes aussi gentils que talentueux. Ella était toute retournée. Il n'est jamais facile d'être confronté à la folie.


Notre joie n'aura pas fait long feu. Nous nous voyions tirer le portrait de tous nos visiteurs devant le tableau d'Ella et Pitr (papierspeintres représentés par la galerie Le Feuvre). Faut-il être bête et méchant ! C'est marrant, je me souviens de Jacques Brel soutenir qu'il n'y avait pas de gens méchants, mais seulement des gens bêtes. Nous savons hélas qu'il n'y a pas grand chose à faire. Passer notre chemin, en laissant les chiens aboyer pour nous focaliser sur les mésanges qui sont de retour.

P.S.: les harpies m'ayant mis la puce à l'oreille, je suis passé à la Mairie et j'ai découvert au cadastre que nous étions propriétaires d'une partie de l'allée tout le long de notre parcelle ! Voilà treize ans qu'elles me font croire, et aux autres voisins, qu'elles possèdent l'intégralité de l'impasse...