Comme l'ouvrage Folk et Renouveau, une balade anglo-saxonne qu'il avait cosigné avec Bruno Meillier, le nouveau livre de Philippe Robert consacré à la Great Black Music est un modèle du genre. On peut toujours critiquer les choix de ce parcours en 110 albums essentiels parce qu'il manque tel ou tel disque, la démarche reste exemplaire. Sur les deux pages dévolues à chaque album sont imprimés une reproduction de la pochette et un texte, basique. Mais au travers de la chronologie scrupuleuse s'élabore l'histoire, ici fondamentalement politique, de cette musique revendicatrice. En lisant dans l'ordre le descriptif de chaque album aux styles fort différents se devine en diagonal l'histoire du peuple afro-américain et ses combats. Deux notes en bas de page renforcent l'intelligence de cette modeste encyclopédie : d'abord la chaude recommandation d'autres disques de l'artiste, et plus important, un large éventail d'artistes auxquels il est relié de près ou de loin. Ce faisant, Philippe Robert génère une formidable extension où il nous laisse défricher les pistes signalées ou dans l'autre sens nous permet de vérifier nos affinités en comparant la fiche avec ce que nous connaissions déjà. Il est ainsi possible de lire le récit chronologiquement du début à la fin comme d'aller y picorer des informations en ouvrant à n'importe quelle page.
Je connaissais plutôt bien le blues, le rock, le jazz, le free jazz, le reggae et un peu le rap, mais, relativement ignare pour avoir boudé dans ma jeunesse le rhythm & blues qui était le pré carré des jeunes bourgeois qui ne rêvaient que de s'éclater en surprise-partie, et considérant souvent cette musique sirupeuse et mainstream, je découvre quantité d'artistes qui m'avaient échappé, ou du moins certaines de leurs plus belles réussites qui se bousculent depuis sur ma platine : Elaine Brown, Curtis Mayfield, The Temptations, Demon Fuzz, Alice Coltrane, Ohio Players, Earth Wind & Fire, War, Bobby Womack, Roy Ayers, Cymande, Millie Jackson, Fela Ransome Kuti & Africa 70, Lonnie Liston Smith & The Cosmic Echoes, Chic, Funkadelic, Antipop Consortium, et au dessus de tout Mandrill, Madvillain, Carl Hancock Rux, Meridiem, Percy Howard... Mais je suis loin d'en avoir fait le tour, si bien que je suis décidé maintenant à me plonger dans le premier travail que Philippe Robert publia chez ce même éditeur, Le mot et le reste, intitulé Rock, Pop, un itinéraire bis en 140 albums essentiels, persuadé d'y trouver quelques perles qui m'avaient échappé, puisque le principe de présentation est le même, bien que le classement y était alors alphabétique. Il copie en fait le principe de navigation du Net, sauf qu'imprimés sur du papier les liens hypertexte sont hélas incliquables. Je devrais également commander Musiques expérimentales, une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques même si l'auteur semble avoir honteusement oublié d'y chroniquer l'œuvre considérable d'Un Drame Musical instantané ! But nobody's perfect, et il lui reste encore, comme à chaque lecteur même le plus féru, de nombreux "biscuits pour l'hiver"... Il manque bien Quincy Jones (Back on the Block) et Wyclef Jean (The Carnival) à ce magnifique hommage à la Great Black Music !